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Full text of "Vie du révérend père Joseph Barrelle de la Compagnie de Jésus"

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VIE 

DU RÉVÉREND PÈRE 



JOSEPH BARRELLE 






L'auleur et rédileiir déclarent réserver leurs droits de reproduction et 
de traduction à l'étranger. 

Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur ( direction de la 
librairie), en décembre 1869. 



Tout exemplaire est revêtu de lu griffe de l'auteur et de celle 
de réditeur. 







Paris. — Typographie de Henri Pion, imprimeur do l'Empereur, 
rue Garancière, 8. 



VIE 

DU RÉVÉREND PÈRE 

JOSEPH BARRELLE 

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS 
PAR 

LE P. LÉON DE CHAZOURNES 

DE LA MÊME COMPAGNIE 
SECONDE ÉDITION 

TOME DEUXIÈME 



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PARIS 



HENRI PLON, IMPRIMEUR-ÉDITEUR 

RUE GARANCIÈRE, 10 

M DCGC LXX 
T"""? (poits réservés. 



VIE 

DU RÉVÉRENDPÈRE 



JOSEPH BARRELLE. 



CHAPITRE XXI 



RETRAITES ECCLESIASTIQUES. 

Le P. Ban-elle prêche la première retraite sacerdotale du diocèse 
d'Alger. — Il évangélise le clergé de Marseille. — Retraites à 
Viviers. — Sa manière dans les retraites pastorales. — En 1849, 
retraite ecclésiastique à Paris. 

Nous avons vu lé P. Barrelle appelé, dès 1843, à 
évangéliser ses frères dans le sacerdoce, honneur 
difficile qu'il s'efforça vainement de décliner. En pré- 
sence des responsabilités de ce nouvel apostolat, il se 
sentait des appréhensions d'humilité et de zèle que sa 
nature impressionnable ne domina pas sans combat. 
Réchauffer les âmes sacerdotales, porter le baume 
dans leurs blessures, il y a là, sans doute, une des 
meilleures joies de l'apôtre; mais ces blessures, par 
contre-coup, portaient dans son cœur épris de Jésus- 
Ghrist un profond et douloureux ressentiment de l'in- 
jure faite au divin Maître. Sa charité se trouvait com- 
battue par de mystérieuses tristesses, qu'il essaya 

TOM. II. l 



2 CHAPITRE VINGT-UNIÈME. 

vainement de surmonter et qu'il ne lui fut pas permis 
de fuir. 

Pendant dix années, ce travail s'ajouta donc de 
surcroît à des labeurs déjà sans repos. Il ne fut pas 
sans influence sur le déclin prématuré des forces du 
saint religieux. 

Son début dans cette carrière nouvelle nous paraît 
avoir été une heureuse fortune. Le premier il fut 
appelé à évangéliser le nouveau clergé de l'Algérie. 
L'Algérie, sol véritablement riche et plein de sou- 
riantes promesses, l'Algérie, destinée à demeurer 
longtemps encore, dans la paix comme dans la guerre, 
une terre de conquête, en était alors aux premiers 
efforts de son organisation. A cette époque de for- 
mation , la religion, elle aussi, comme l'agriculture 
naissante, comme le commerce et l'industrie, était 
obligée d'acheter au prix de patientes fatigues sa 
place au soleil d'Afrique. Le flot d'Européens 
qu'avait attirés l'espoir de la fortune ne se montraient 
guère accessibles aux pensées religieuses. Le clergé 
de son côté, emprunté aux divers diocèses de la 
France et jeté au milieu d'une création récente, dans 
des paroisses immenses, sans églises et presque sans 
fidèles, à peine avait-il pu orienter son zèle parmi des 
populations formées d'incessantes afluvions, à peine 
avait-il eu le moyen et le loisir de se fondre en un 
tout homogène. 

N'était-ce pas un coup de Providence pour le nou- 
veau clergé de trouver dans le prédicateur de sa pre- 
mière retraite le zèle et la plénitude de la science 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 3 

sacrée associés au doux prestige d'une sainteté mani- 
feste? Quant à lui, dans ce clergé obligé de créer à 
son propre zèle une seconde patrie , dans ce clergé 
habituellement sevré des ressources de la ferveur sa- 
cerdotale , il rencontrait un empressement favorable 
et quelque chose de la docilité des terres vierges, si 
libérales et , pour ainsi dire , si prodigues à une pre- 
mière culture. 

Sa première retraite ecclésiastique fut pour le 
clergé d'Algérie une époque solennelle. Un ahment 
solide fut donné à sa piété," une impulsion commune 
à SOQ zèle, et, entre tant d'éléments divers, la parti- 
cipation aux mêmes enseignements et aux mêmes 
grâces resserra les liens de l'amitié fraternelle. 

Ecoutons M. Banvoy, chanoine de la cathédrale 
d'Alger et vicaire général. 

« Le R. P. Barrelle commença sa retraite à Alger 
le 9 juillet 1843. Trente prêtres assistaient aux saints 
exercices dans le grand salon de Févêché, où j'avais 
moi-même dressé un bel autel. 

« Le Père s'en tenait exactement à la méthode de 
saint Ignace; c'est pourquoi, désireux de ne rien 
perdre de sa parole, je l'ai suivi pas à pas, et j'ai 
voulu recueillir ses pensées. J'avais appris à Rome et 
plus anciennement à Fribourg, avec le P. Philippon, 
les avantages de cette méthode; mais personne, à 
mon avis, n'avait jamais rendu avec autant de cœur, 
.de piété et de talent les intentions et les idées du 
maître. 

» Je n'ai jamais vu personne entrer plus avant dans 



U CHAPITRE VINGT-UlNIÈME. 

la connaissance du cœur humain. Le Père nous a fait 
l'autopsie la plus savante, la plus complète et la plus 
délicate de l'âme du prêtre. On ne pouvait nous dire 
nos défauts plus adroitement, avec une urbanité plus 
charitable qu'il ne Ta fait, en groupant tous les traits 
caractéristiques du prêtre autour de quelques mots 
substantiels. 

» Il faisait, à cette époque de l'année, une chaleur 
exceptionnelle. Cependant personne ne céda au som- 
meil, et chacun s'étonnait de pouvoir suivre ainsi 
immobile, pendant une heure chaque fois, la parole 
du prédicateur. Le R. P. Barrelle nous donna ainsi 
quatre instructions chaque jour. La retraite dura une 
semaine entière, elle se termina le dimanche matin à 
la cathédrale, par un discours remarquable sur les 
devoirs du prêtre et sur son dévouement aux âmes. 
L'impression que fit sur les fidèles cette imposante 
cérémonie fut merveilleuse. Mais elle ne le céda en 
rien à l'impression que chacun de nous emportait de 
la sainte et savante retraite qui venait de nous être 
prêchée. 

» Le lendemain de la retraite, une solennité ras- 
semblait tous les prêtres à douze kilomètres d'Alger. 
Nous allions assister Monseigneur Dupuch pour l'inau- 
guration de l'église de Drariah. C'était depuis la 
conquête d'Alger la seconde église qui recevait la 
consécration. Le soir, le P. Barrelle et tout le clergé 
revinrent dîner à l'orphelinat du Danemark, tenu par 
les Pères de la Compagnie de Jésus. 

» Il ne m'a pas été difficile de me rappeler le sou- 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 5 

venir du R. P. Barrelleet de sa retraite ecclésiastique. 
J'ai encore quarante pages in-folio écrites de ma 
main, impression recueillie de ses discours. Ces pages 
m'ont servi merveilleusement dans plus de vingt 
retraites que j'ai données à des maisons religieuses. 
J'ai eu entre les mains bien des recueils de retraites, 
celles de Bourdaloue, du P. Nouet, du P. Judde et 
du P. Saint-Jure;j'en suis toujours revenu au P. Bar- 
relle, soit pour la méthode, soit pour les sujets et 
pour la manière de les présenter. » 

La retraite pastorale de Marseille suivit de près , 
précédée seulement de celle du diocèse d'Alby. 

Le P. Barrelle allait évangéliser le clergé de son 
diocèse natal, ce clergé qui l'avait un jour compté 
dans ses rangs. Devant lui, M^' de Mazenod, autrefois 
le guide de sa conscience, à l'heure qui décida la 
grande question de sa vie et de son avenir; tout 
autour quelques-uns de ses maîtres, bon nombre des 
anciens émules de ses études et de sa piété, beaucoup 
de ses condisciples dans la cléricature, avides et fiers 
d'entendre cet apôtre sorti du milieu d'eux. Certes, 
nul ne fut, par un bonheur exceptionnel, plus vérita- 
blement prophète dans son pays. 

ft II nous éclaira tous, dit un des membres du cha- 
pitre, il nous éclaira par sa parole lumineuse, nous 
édifia par sa piété profonde, et il nous charma par 
la solidité, la variété et l'enchaînement de ses in- 
structions. » 

« Nous fûmes touchés et ravis , ajoute un autre ; il 
fit renaître en nous les sentiments de ferveur de nos 



6 CHAPITRE VINGT-U?sIEME. 

premières années, alors que lui et nous, réunis 
comme élèves du séminaire, nous trouvions dans ses 
paroles et ses exemples le doux et attrayant épan- 
chement d'une âme tout à Dieu. 

» Le jour de la clôture surtout il fut admirable ; 
mais alors que nos cœurs étaient collés au sien, il 
s'échappa sans attendre nos adieux et sans recevoir 
l'expression de notre reconnaissance. Il sentait sans 
doute que sa modestie et son humilité auraient eu 
trop à combattre contre le cœur de ses anciens con- 
disciples et peut-être contre le sien. » 

Oui, il aurait eu à lutter contre son cœur; car tout 
éloge lui était un supplice, et il éprouvait un irrésis- 
tible besoin de s'y dérober. 

Toujours est-il que l'impression de sa retraite sur 
le clergé de Marseille fut profonde et salutaire. « Il 
dépassa, nous a-t-on dit, tout ce qu'on avait éprouvé 
jusqu'alors dans les retraites ecclésiastiques. Il n'y eut 
dans le clergé qu'une voix pour le proclamer. Pour- 
quoi, ajoutaient ces prêtres fervents, pourquoi ne pas 
entendre la même retraite plusieurs années de suite? 
Elle serait écoutée avec fruit. » 

Ceci nous rappelle la demande que lui fit monsei- 
gneur Tévêque de Bayonne lorsqu'il venait de clôturer 
sa première retraite sacerdotale dans le diocèse. — 
« Mon Père, je voudrais que tous mes prêtres possédas- 
sent par cœur tout ce que vous leur avez dit. Donnez- 
moi du moins votre promesse écrite que vous viendrez 
pendant dix ans leur redire la même chose. — Monsei- 
gneur, répondit le Père, je suis enfant de l'obéissance; 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 7 

c'est une excuse que Votre Grandeur ne peut manquer 
d'agréer; je ne puis prendre de mon autorité privée 
un pareil engagement. » 

Toutefois, l'année suivante, il revint donner les 
deux retraites habituelles d'Oléron et de Bayonne. 

La sainte réussite d'une retraite suscitait naturelle- 
ment, de proche en proche, les désirs des diocèses 
voisins, et, faisant écho à de premiers succès, un 
succès nouveau leur répondait, tout semblable en ses 
heureux effets; succès plus profond qu'éclatant, peu 
retentissant, mais exceptionnellement salutaire. 

Il faut en lire le témoignage grave et mesuré que 

nous adresse un des prélats les plus autorisés de 

l'Église de France, Ms' Guibert , archevêque de 

Tours. 

(. Tours, le 26 mai 1868. 

« Mon Révérend Père , 

» Vous désirez connaître l'impression qui m'est 
restée des deux retraites ecclésiastiques préchées par 
le Père Barrelle au clergé de Viviers , quand j'étais 
évéque de ce diocèse. Il m'est bien facile de vous sa- 
tisfaire , car le souvenir de ces retraites est resté pro- 
fondément gravé dans mon esprit. 

» Monseigneur de Mazenod, évéque de Marseille, 
m' ayant témoigné son admiration pour le grand talent 
de ce Père, qui venait d'évangéliser son clergé, je 
priai le Père Barrelle de vouloir bien nous donner la 
retraite pastorale à Viviers. Le succès fut complet, au 
point que les prêtres présents , avant de se séparer, 



8 CHAPITRE VIJNGT-UNIEME. 

m'exprimèrent le vœu d'entendre de nouveau le digne 
religieux. Je l'appelai en effet une seconde fois; la 
satisfaction et l'édification furent aussi grandes que 
dans la première retraite. 

» Le Père Barrelle, dans ces saints exercices, avait 
un genre à lui. Il ne se bornait pas à prêcher les 
vérités communes en les appropriant à la situation du 
prêtre. Il montrait d'abord le sacerdoce conime étant 
essentiellement un état de perfection, il établissait 
l'étroite obligation du prêtre de s'appliquer à la sain- 
teté, plus encore que le religieux qui ne serait pas 
revêtu du sacerdoce; ensuite, pendant tout le cours 
de ses prédications, il élevait le prêtre dans les hautes 
régions de la perfection évangélique, il nous exposait 
les plus grands et les plus solides principes de la 
théologie mystique et de la vie intérieure. 

M On sortait de ses prédications convaincu, non- 
seulement qu'on devait être des prêtres réguliers , 
mais encore des prêtres pieux et familiarisés avec tous 
les secrets de l'union habituelle avec Jésus-Christ. 

» L'impression laissée par ces deux retraites s'est 
conservée dans le clergé de Viviers, et bien des 
années après, les prêtres m'en parlaient encore comme 
des plus édifiantes et des plus fructueuses retraites 
auxquelles ils eussent assisté. 

» Voilà, mon Révérend Père, ce que je me rappelle 
des prédications du Père Barrelle, à la distance de 
vingt ans écoulés depuis l'époque où j'ai eu la conso- 
lation d'entendre ce saint religieux, qui prêchait par 
l'exemple autant que par la parole. 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 9 

« C'était un homme de profonde doctrine , très- 

éclairé dans les voies spirituelles, pour lesquelles il 

possédait un coup d'œil sûr, une sorte de critérium. 

infaillible. 

» Agréez, mon Révérend Père, l'assurance de mes 

sentiments dévoués. 

» t J. HiPPOLYTE, archevêque de Tours. » 

Tel le P. Barrelle se montra au début de ses re- 
traites sacerdotales, tel il fut pendant douze années, 
sauf la progression croissante de la vertu , sauf le 
mérite d'une expérience chaque jour plus profonde 
de cet important ministère. Dans une carrière de cin- 
quante stations pastorales, environ quarante diocèses 
ont entendu sa parole. Précédé d'une grande réputa- 
tion de mérite et de vertu, dès qu'il apparaissait, la 
douce majesté de sa personne, la sagesse surnaturelle 
de son langage lui donnaient l'empire des cœurs. Ce 
n'est pas précisément à l'homme de talent que s'a- 
dressaient l'admiration et la confiance. Après avoir 
reconnu dans sa manière un talent de premier ordre, 
on pouvait regretter que le prédicateur ne se donnât 
pas l'avantage d'en déployer la richesse. Mais la 
scierice sacrée, la connaissance de l'âme humaine et 
le prestige de la sainteté emportaient tous les suffrages 
et imposaient la vénération. 

En général, le P. Barrelle sortait de la prédication 
commune, il élevait la prédication, il parlait au milieu 
des prêtres comme au milieu des parfaits. Quand il 
s'emparait du texte sacré , il était sur son terrain , et 

1. 



10 CHAPITRE VINGT-UNIÈME. 

on le sentait. Il le commentait en maître de la doc- 
trine, en homme éclairé du ciel, et il en faisait le nerf 
de sa parole ; ou plutôt sa parole se fondait dans celle 
de TEsprit-Saint, et celle-ci affluait sur ses lèvres 
pleine de force et d' à-propos, avec une sorte de pro- 
digalité. De la source des Pères et des saintes Ecri- 
tures coulaient, comme un fleuve abondant, les 
leçons de la sagesse surnaturelle, toutes limpides et, 
pour ainsi parler, toutes vives encore de l'inspiration 
d'en haut. 

Aussi, qui mieux que lui avait le droit d'être écouté 
des prêtres de Jésus-Christ quand il leur disait : «i Ah ! 
» Messieurs, le livre qui doit être toujours entre les 
» mains du prêtre, ai-je besoin de vous le dire? C'est 
» la Sainte Ecriture, le Nouveau Testament... le livre 
» de vie... Liber sacerdotalis. Il faudrait que le prêtre 
» en fût tellement nourri qu'on pût dire de lui : C'est 
» un homme plein de l'Ecriture sainte. Les Lettres 
» divines sont la moelle et la substance du prêtre, 
» suhstantia sacerdotis eloquia divina... Oui, c'est la 
» nourriture du prêtre, c'est le plus pur de sa sub- 
» stance... en sorte que, permettez l'expression, Mes- 
» sieurs, si on le mettait à l'alambic, il n'en devrait 
» sortir que l'essence des Ecritures divines. Substantia 
» sacerdotis eloquia divina. Il faut que le prêtre se 
» nourrisse de cette parole sortie de la bouche de 
» Dieu, et qu'il en nourrisse les autres. » 

Au reste, sa parole était imperturbable. Dieu sait 
cependant ce que lui coûtait de travail cette abondance 
si sûre d'elle-même. Par respect pour la dignité de 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 11 

l'auditoire et par défiance de soi, il ne livrait rien au 
hasard du discours. « Je prêche tout ce que j'ai écrit, 
et j'écris tout ce que je prêche » , ainsi répondait-il 
aux prêtres qui louaient le naturel et la facilité de son 
langage. 

Ceux qui ont l'expérience de la prédication com- 
prendront quel labeur lui imposa, dans la circonstance 
que je vais dire, cette loi qu'il s'était faite. Redemandé 
pour une retraite ecclésiastique, à Bordeaux si je ne 
me trompe, à peine il en eut fait l'ouverture qu'on 
vint l'avertir de ne point se servir de ses anciens 
discours; ce serait en compromettre le succès, car les 
prêtres, ravis de les entendre, les avaient pris mot 
pour mot. Le bon Père fut déconcerté; mais il s'arma 
de constance, et, se confiant en Dieu, chaque nuit il 
composait les sermons du lendemain. Il fournit ainsi 
une carrière toute nouvelle. La retraite n'en souffrit 
pas; l'homme de Dieu accueillait les prêtres qui vou- 
laient s'adresser à lui pour les affaires de leur âme, 
et aux veilles de ses nuits laborieuses, il ajouta sans 
trêve les fatigues de ses rudes journées. — «Ah! 
disait-il ensuite, jamais je n'ai tant souffert, je devais 
en mourir, mais le bon Dieu m'a guéri, n 

Il arrivait quelquefois que l'on disait du P. Bar- 
relle : « Il a dépassé toutes les espérances. » Tel fut, 
pour ne citer qu'un témoin, le jugement de M. Vri- 
gnaud, vicaire général du diocèse de Nantes, homme 
universellement considéré. En général cependant, le 
succès du saint religieux dans ses retraites au clergé 
n'était pas un succès d't^lat ; son succès inévitable 



12 CHAPITRE VIINGT-UJNIÈME. 

était de rendre sensible l'action divine et de laisser 
partout un parfum du paradis, en sorte que l'on sor- 
tait des saints exercices embaumé de sa science et de 
sa vertu. 

A Viviers comme à Nantes, à Tours comme à Bor- 
deaux, à Orléans comme à Nîmes, comme à Reims, 
comme à Versailles, comme à Toulouse, comme à 
Lyon ou à Poitiers, comme partout enfin \ il eut ce 
vrai succès d'estime, qui ne se borne pas à la stérile 
appréciation du mérite oratoire, mais qui oblige à 
reconnaître quelque chose de plus élevé que le talent, 
de plus puissant sur l'âme que le génie, ce je ne sais 
quoi qui révèle l'homme de l'éternité et qui, faisant 
perdre terre aux moins spirituels, ne laisse place qu'à 
ce sentiment unanime : — C'est Dieu qui parlait par 
sa bouche! Ah! c'est un saint! 

La sainteté, voilà bien ici encore le dernier mot de 
son éloquence. Au fait, qu'était la dignité de sa per- 
sonne et de son langage, la sagesse et la solidité de sa 
doctrine, la vérité prudente et délicate des applica- 
tions pratiques, qu'était tout cela et d'autres qualités 
encore, auprès de cette humble et ardente vertu si 
fort au-dessus de l'opinion et de l'attente? 

Et nous ne parlons pas de ce touchant respect 



1 Nous n'avons pas recueilli le nom de tous les diocèses qui 
entendirent les retraites pastorales de l'homme de Dieu. — Aux 
noms que nous avons donnés nous pouvons ajouter encore : le 
Mans et Auch (1844), Autun, le Puy et Gahors (1846), Chartres 
et Grenoble (1847), Montauban (1847 et 1852), Agen (1849), 
Périgueux et Blois (1852), Clermont , Avignon, Aix et Angers. 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 13 

dont il accueillait ses confrères dans le sacerdoce, 
ou de ces faits exceptionnels qui provoquent la sur- 
prise. 

Un jour, il arrive d'un lointain voyag^e, à jeun, ex- 
cédé de ses précédents travaux et des fatigues de la 
journée. Quand il se présente au grand séminaire, 
déjà l'heure approchait où devait s'ouvrir la retraite 
pastorale; l'affluence des prêtres était nombreuse, et 
l'économe, occupé de distribuer les cellules, après 
avoir introduit le prédicateur dans sa chambre, ne 
songe pas qu'il peut avoir besoin de réparer ses forces. 
L'heure sonne; le prédicateur fait l'ouverture des 
exercices avec cette véhémence que nos lecteurs lui 
connaissent. Je ne sais quelles préoccupations inat- 
tendues détournent l'attention de l'économe, le souper 
du prédicateur est oubhé. Il garde humblement le 
silence : n'y trouvait-il pas le double avantage et de 
se mortifier lui-même et d'épargner à d'autres une 
mortification, en évitant de faire remarquer un oubli? 
Le lendemain, le Père développe longuement le sujet 
de la méditation; or la matinée s'avance, la bonne 
foi de l'économe est encore surprise, ses ordres sont 
oubliés et le prédicateur déjeune comme il a soupe. 
Il faut cependant monter en chaire pour le discours 
de dix heures; le Père dissimule son excessive fai- 
blesse, suppléant si bien les forces physiques par 
l'ardeur de l'âme, qu'on ne put soupçonner sa dé- 
faillance. A midi, on s'aperçut enfin de l'inexplicable 
méprise, où le bon Père ne voulut voir qu'une 
mortification providentielle qui devait profiter à son 



14 CHAPITRE VINGT-UNIÈME. 

ministère. Pour supporter un pénible voyage et une 
journée de prédications, trente-six heures d'un jeûne 
absolu! Nous aussi, nous serions tenté de condamner 
ce pieux excès, si on pouvait blâmer l'héroïsme 
sans s'exposer à le voir glorifier par le Dieu des 
vertus. 

De tels faits sont des exceptions et n'expliqueraient 
pas ce que nous appelons l'éloquence de sa vertu. Sa 
présence était une vivante apparition de la perfection 
sacerdotale ; la candeur angélique et l'humilité com- 
posaient sur son front une auvéole virginale, et, trans- 
pirant de toute sa personne, l'enveloppaient de mo- 
destie comme d'un vêtement; il y avait dans son 
regard une humble douceur, et ses lèvres ne la dé- 
mentaient pas. — « mon Père, lui dit un jour un 
prêtre ingénu, il faut que vous ayez bien des misères, 
puisque vous prêchez si bien sur celles des autres. — 
En effet, répondit-il d'un ton convaincu, vous avez 
mille fois raison; j'en suis une fourmilière. » 

Si l'humilité de sa personne avait un puissant lan- 
gage, son amour de Dieu avait un accent encore plus 
persuasif. Quand il parlait de Jésus-Christ, et il ne 
parlait pour ainsi dire que de lui, l'offrant au prêtre 
comme l'universel modèle, comme l'incomparable 
idéal de sa vie, il semblait avoir dérobé le feu du ciel. 
Il donnait des lumières neuves sur la connaissance et 
l'amour de Jésus-Christ. C'était chose ordinaire d'en- 
tendre les prêtres, au sortir de ses brûlantes exhorta- 
tions, se dire entre eux : — « Jamais nous n'avons 
entendu parler ainsi du divin Maître; enfin, nous 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 15 

commençons à comprendre ce que nous avions à 
peine entrevu de Famour du Sauveur des âmes et de 
la perfection du divin Modèle. » Beaucoup sortaient 
de ces retraites comme d'un cénacle, enivrés de la 
beauté des choses de Dieu. On reconnaissait quelque- 
fois les auditeurs de ses retraites à une manière nou- 
velle et tout onctueuse de parler de Jésus-Christ. 

Après la retraite de Versailles, le clergé vint le 
saluer au départ. Un des prêtres, vénérable vieillard 
blanchi dans le soin des âmes, lui prit les mains, et, 
les serrant avec effusion, les arrosait de larmes. — 
« Ah! mon Père, soyez béni! Que Dieu vous a bien 
inspiré ! Vous m'avez enfin appris à connaître Jésus- 
Christ! n 

Un prêtre du diocèse de Rayonne, la retraite ter- 
minée, eut l'avantage de voyager avec lui. 11 aimait 
à parler du bonheur qu'il eut de passer trois heures 
en diligence avec ce saint homme et de parler avec 
lui des choses de Dieu. Rappelant un des Jésuites les 
plus connus sous la Restauration, le vénérable P. Ron- 
sin : — « Jamais, disait-il, conversations pieuses ne 
m'ont fait un bien si grand que celles du P. Ronsin 
et du P. Barrelle. » 

Nousneparleronsdesa première retraite d'Avignon, 
qui se termina par la plus touchante effusion de gra- 
titude de la part de M^"" Naudot au nom de tout son 
clergé, que pour citer un trait édifiant. Le P. Bar- 
relle avait commenté ce texte de saint Grégoire, que 
les richesses sont un lourd fardeau qui retarde la 
course de l'âme dans son pèlerinage à l'éternité. 



16 CHAPITRE VINGT-UNIÈME. 

Simple et vraie comme toujours, la parole tombait de 
son cœur avec une communication persuasive. Tout 
rempli de cette parole généreuse , un bon prêtre va 
recueillir sa petite épar^jne, tout ce qu'il possédait en 
ce monde, puis revenant auprès du prédicateur : — 
«Tenez, mon père, voilà six mille francs, c'est tout mon 
avoir. Distribuez-le en bonnes œuvres;... désormais 
je serai plus léguer pour m'en aller en paradis. » 

Terminons ce sujet par la retraite pastorale du dio- 
cèse de Paris. En 1826, tandis que le P. Barrelle était 
socius du maître des novices à Avignon, entre les 
ecclésiastiques qui venaient se mettre sous sa direc- 
tion pour faire les exercices de la retraite, se présenta 
un jour un jeune prêtre, né sur la limite du Gomtat- 
Venaissin. Le jeune abbé se livra à la conduite du 
pieux directeur ; la retraite laissa dans son âme une 
impression profonde; le souvenir de son guide éclairé 
ne s'effaça jamais. Ce jeune prêtre était M. Domi- 
nique Sibour. Qui pouvait prévoir alors et l'élévation 
singulière et la catastrophe lugubre à laquelle il était 
réservé? 

A peine élevé sur le siège de Paris , récemment 
empourpré du sang d'un martyr, il voulut procurer à 
son clergé le bonheur d'être évangélisé par un saint. 
Le P. de Ravignan fut chargé de demander le P. Bar- 
relle pour la retraite ecclésiastique. C'était en 1849. 
Etonné qu'on eût pu songer à lui, tout à l'humble 
conviction de son impuissance, le P. Barrelle réclama. 
Mais la modestie du saint jésuite inclinait d'autant 
plus les supérieurs contre ses désirs. Il fallut ob- 



RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES. 17 

tempérer à la demande de l'archevêque de Paris. 

Désolé, mais soumis, il écrivit : « Priez pour moi; 
je vais humilier la Compagnie. J'ai fait mes réflexions 
à mes supérieurs; maintenant je m'abandonne. » 

Il n'est pas, croyons-nous, de vertu plus sujette aux 
déceptions que l'humilité. Elle se cache et on la re- 
cherche, elle aime l'oubli et on la met en évidence, 
elle se défie d'elle-même et Dieu lui donne des triom- 
phes. Celui du P. Barrelle auprès du clergé de Paris 
ne renfermait pas d'enthousiasme et ne ressembla en 
rien à un succès oratoire. Ce fut le triomphe de la 
doctrine, de la piété; ce fut aussi le triomphe du zèle, 
moins, hélas ! que le saint religieux ne l'avait souhaité, 
et c'est à quoi s'en prit son humilité. Il n'en avait pas 
moins conquis un sentiment d'admiration univer- 
selle, et sa vertu n'avait pu faire oublier ses autres 
mérites. 

Voici ce qu'on lisait dans VAmi de la religion, le 
11 octobre 1849 : 

« Il n'est question dans le clergé de Paris que de la 
» manière saintement admirable dont a été prêchée la 
» retraite ecclésiastique qui vient définir. Connaissance 
M parfaite des saintes Ecritures, merveilleuse intelli- 
» gence de leur sens, applications du texte ingénieuses 
M et graves en même temps, débit simple et sévère, 
» rien ne manquait à celui qui remplissait le grand et 
» difficile ministère de prédicateur des prédicateurs. 
» C'est le R. P. Barrelle, de la Compagnie de Jésus, 
» qui a prêché cette retraite. » 

La sobriété de cette note mesure exactement les 



18 CHAPITRE VINGT-UNIÈME. 

qualités du P. Barrelle. Elle prouve surabondamment 
qu'il ne fallait pas le juger sur les appréhensions de 
sa modestie. Et comment aurait-il pu humilier son 
ordre, celui dont on disait ce qu'ont répété souvent 
à ses confrères certains dignitaires du clergé : — 
« Si tous les membres de votre Compagnie étaient 
des hommes aussi intérieurs, aussi dévoués, aussi 
morts à eux-mêmes que le R. P. Barrelle, elle ne 
renfermerait vraiment que des apôtres, elle serait une 
société de saints. » 

Des deux ou trois retraites pastorales qu'il avait 
composées avec soin , mesurant son application à 
l'importance de l'œuvre et à son respect pour la 
dignité sacerdotale, il ne nous est rien parvenu; sauf 
les notes incomplètes mais remarquablement exactes 
d'un de ses confrères. Par quelle industrie d'humilité 
ou de charité nous a-t-il dérobé ce trésor? Il a , nous 
le savons, anéanti ce travail, ainsi que tant d'autres 
écrits précieux, sans doute comme pouvant tourner 
à son honneur. Ce n'était pas assez pour lui de vivre 
dans l'humilité, il voulait s'y ensevelir. 



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LE PÈRE BARBELLE A LYON. 19 



CHAPITRE XXII. 



LE PERE BARRELLE A LYON. 

Aperçu généraL — Le mois de Marie à Saint-Nizier. — 1848 : Dis- 
persion. — Carême à la Charité. — Le P. Earrelle et les Dames 
du Sacré-Cœur. — Mois de Marie à la Ferrandièrc : Paraphrase 
du Magnificat. 

En 1846, le cercle annuel des retraites pastorales 
devait s'achever pour le P. Barrelle par la retraite du 
clergé de Lyon. Cette ville allait être désormais sa 
résidence. Le départ de Marseille fut ce que l'on put 
conjecturer de la part d'un homme qui aimait le 
sacrifice et l'oubli. Il eut lieu discrètement, sans bruit; 
personne ne fut prévenu. Quelques intimes disciples 
pressentirent une séparation. Ils furent suppliés de 
garder le plus entier silence. Le cœur navré, ils com- 
primèrent l'expression de leur douleur; n'était-ce pas 
encore un gage d'affection, un dernier témoignage de 
dévouement d'épargner à leur Père une e.iplosion de 
regrets, de ménager tout ensemble sa sensibilité et sa 
vertu? Par quelles paroles aurait-il répondu aux déso- 
lations sincères et universelles de tant d'âmes auprès 
desquelles il avait été l'ange de l'espérance et de la 
paix? 

Ailleurs, en Portugal par exemple, le Seigneur 



20 CHAPITRE VINGT-DEUXIEME. 

avait donne plus d'éclat à son ministère; nulle part 
autant qu'à Marseille, durant ces quatre années d'apo- 
stolat, il n'avait répandu sur son zèle une plus riche 
fécondité. Là le saint homme était devenu, selon la 
grâce, le père de plusieurs familles spirituelles. Le 
cercle rehgieux et les membres qu'il comptait déjà par 
centaines; la congrégation de Sainte-Anne avec son 
millier d'associées; le noyau, petit encore mais fervent, 
de la conférence de Saint-Joseph ; la florissante con- 
grégation de la Sainte-Enfance et la couronne de 
parents qu'elle entraînait avec elle ; tant d'âmes pla- 
cées sous sa direction dévouée ; les prêtres qui se 
confiaient en sa prudence surnaturelle; tous ceux 
enfin que sa parole avait remués et rendus meilleurs, 
confirmés et soutenus, voilà ce que le docile instru- 
ment de la grâce laissait aux mains de Dieu, premier 
auteur de tout bien. 

Aussi plein du sentiment de son insuffisance que 
confiant aux soins et aux prévoyances divines , il s'en 
allait, laissant la succession de ses œuvres à la pater- 
nelle Providence. Ce dépôt si bien placé, depuis vingt 
ans, Dieu l'a gardé prospère et toujours béni. 

La maison de Lyon où le P. Barrelle allait se re- 
trouver après quatre ans d'absence, est le chef-lieu de 
la province. Père spirituel de la communauté pendant 
les trois années de ce nouveau séjour, et en même 
temps, à partir de la seconde année, consulteur de la 
province : telle était la situation du religieux vis-à-vis 
de ses frères. 

Restait vis-à-vis des âmes le rôle de l'apôtre. Il 



LE PÈRE BARRELLE A LYON. 21 

n'aura guère d'autre variété que celle des personnes 
auxquelles l'adressera la divine miséricorde. Donner 
des instructions détachées ou des retraites suivies, 
dans les pensionnats ou dans les communautés reli- 
gieuses; en été, évangéliser le clergé; tout le long de 
l'année, diriger les consciences, de près par le saint 
tribunal, de loin par une correspondance spirituelle, 
qui n'est pas la moindre portion de cet apostglat obscur 
et sans bruit; voilà la vie, active sans agitation et 
remplie sans événements, menée, trois années durant, 
parle P. Barrelle, dans l'humble et silencieuse maison 
de la rue Sala. 

Là , jusqu'alors, point d'église qui fût, comme à la 
Mission de France, le théâtre d'œuvres quotidiennes 
et de prédications incessantes. Le Père allait là où 
l'appelaient tantôt les demandes du clergé parois- 
sial, tantôt les désirs des âmes religieuses, semeur 
vraiment évangélique de la bonne parole et de 
l'édification. 

Les religieuses du Sacré-Cœur à la Ferrandière, à 
la rue Boissac et aux Anglais; les sœurs de Saint- 
Charles, notamment dans leur pensionnat de Charly 
et de Briguais ; le couvent des Carmélites de Four- 
vières; le pensionnat des Dames de Nazareth; voilà 
quelques-uns des théâtres ordinaires de son zèle. 

La première année, à l'époque du Carême, il fut, 
nous l'avons dit, appelé à Marseille pour prêcher le 
jubilé à la Mission de France \ Mais Saint-Nizier de 

* C'est le jubilé qui fut accordé par Sa Sainteté Pie IX à l'occa- 
sion de son avènement. 



22 CHAPITRE VINGT-DEUXIEME. 

Lyon le garda pour les exercices solennels du mois de 

Marie. 

Plusieurs fois déjà Lyon avait entendu le P. Barrelle 
dans les grandes stations, notamment en 1842, pour 
la station du Carême, dans l'église de Saint-Louis. 
Nous n'avons pas appris que son succès y ait eu 
de l'éclat. 

En 1847, le mois de Marie de Saint-Nizier eut 
plus de retentissement. Par son institution et sa place 
dans l'année chrétienne, la station de Carême a un 
caractère doctrinal et un but de conversion. Le mois 
de Marie tient de son origine, de sa pensée inspira- 
trice et même de son nom, un caractère de piété 
qu'il ne faut pas facilement lui ravir. En faisant la 
part des besoins exceptionnels, indiqués au zèle du 
prédicateur par la composition de l'auditoire , le 
mois de Marie, croyons-nous, doit demeurer un se- 
cours à la dévotion, un aliment à la piété chrétienne. 
Il nous paraît s'adresser aux cœurs fidèles plus qu'aux 
âmes égarées, aux dévots enfants de la Vierge plus 
qu'aux pécheurs et aux indifférents. Toutefois , s'il a 
pour but immédiat la sanctification des âmes ver- 
tueuses, en les renouvelant dans l'amour et dans la 
confiance à la Mère des miséricordes , il procure aussi 
par son influence le retour des âmes qui sont loin de 
Dieu. 

Le P. Barrelle conservait toujours à cette station 
son caractère spécial. A Saint-Nizier, il prit pour 
sujet unique la vie de la très-sainte Vierge, modèle 
de la vie chrétienne. Avec quelle grâce, avec quel 



LE PERE BARRELLE A LYON. 23 

charme d'expression, chaque soir, il déroulait quelque 
trait de cette céleste et incomparable existence ! avec 
quel tact il décalquait sur ce modèle idéal la conduite 
du vrai fidèle dans le mouvement de la vie humaine! 
Les industrieux artifices de Tamour-propre féminin, 
les habiles recherches delà mondanité étaient savam- 
ment dévoilés ; les ridicules de la vanité dépeints , 
déconsidérés, flétris. En regard apparaissaient les 
chastes beautés et les solides douceurs de la vertu , 
relevées par des exemples de Marie , la plus parfaite 
des créatures. Dans la parole de son dévot panégy- 
riste, elle revivait sous les yeux de la piété attentive 
avec un luxe de pieux détails, avec une précision de 
vérité qui la faisait suivre pas à pas , aux clartés de 
l'Evangile et de la tradition. 

A ces discours si fervents et si vrais s'ajoutait une 
certaine saveur caustique, mêlée comme toujours 
d'une sainte onction. On écoutait sans lassitude, au 
fond de la conscience on se sentait des désirs meil- 
leurs, des ferveurs de vraie conversion qui renouve- 
laient l'âme entière. 

Disons-le : ce mois de Marie eut un immense succès* 
Tous les jours , la vaste église de Saint-Nizier vit dé- 
border son enceinte. Les âmes avaient de -plus sûrs 
indices. Telle jeune fille éprise du monde, aujourd'hui 
éprise de l'Evangile, emporta alors gravées en sa 
pensée les leçons qui sont devenues la règle de 
sa vie. 

Les événements de 1848 eurent à Lyon un carac- 
tère exceptionnel de désordre et d'anarchie. Des 



Û CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME. 

bandes de femmes en délire promenaient dans la ville 
le dévergfondag^e et la menace. Sous le nom cynique 
de voraces , des hordes formidables , sortie des bas- 
fonds de la démagogie socialiste , et traînant après 
elles des ouvriers trompés, parcouraient les rues en 
vociférant des hymnes où respiraient le sang et le pil- 
lage. L'émeute était partout, partout révélant les 
instincts triomphants d'une cupidité sanguinaire. Il y 
avait de l'effroi dans les prévisions les plus sages, des 
catastrophes dans les calculs des plus avisés. 

Or, c'est le fait des natures impressionnables de 
voir toutes vivantes dans les principes funestes leurs 
conséquences les plus éloignées. Heureusement la 
logique des événements est moins soudaine que celle 
de la pensée, et mille circonstances éloignent ou font 
avorter les effets qui semblaient éclore du sein de la 
perversité. Facilement donc, avec son imagination de 
feu, au milieu des sourds craquements de l'ordre so- 
cial , parmi les secousses qui renversaient les antiques 
bases de l'ordre et de la justice, le P. Barrelle pres- 
sentait des abîmes. Nous le disons ici une fois pour 
toutes, car, depuis cette époque, assistant chaque jour 
à de nouveaux triomphes de l'iniquité , il garda ces 
noirs pressentiments, justifiés chaque jour davantage, 
et dont son amour pour la sainte Eglise lui fit un 
incessant martyre. 

Si vive cependant qu'ait été l'impression produite 
en son esprit, il conserva toujours une noble con- 
stance. Ses confrères dispersés lurent obligés de se 
déguiser, seul il n'y voulut ])oint consentir. 11 alla 



LE PÈRE BARRELLE A LYON. 25 

simplement établir sa demeure dans l'hospice de la 
Charité, tout auprès de l'habitation religieuse qu'il lui 
fallait abandonner. Là, vivant avec les aumôniers de 
l'hospice, il établit son confessionnal dans l'éghse de 
la Charité, et il y ouvrit tranquillement les prédica- 
tions du Carême. 

Au confessionnal, c'était toujours la même paix, et 
il savait transporter à sa suite dans les régions se- 
reines de l'ordre surhumain des âmes qui recouraient 
à lui. Souvent l'émeute grondait si fort que le bruit 
s'en élevait jusqu'à la tribune où il confessait; les 
chants, le tumulte couvraient sa parole, mais ne 
changeaient en rien la paisible sécurité de ses exhor- 
tations. Il arrivait à son heure au confessionnal et ne 
le quittait qu'au son de Y Angélus, pour y revenir 
deux heures après. Ses avis devaient-ils porter sur 
quelques points relatifs aux tristes circonstances du 
moment , sans dissimuler les périls qui lui semblaient 
imminents , il relevait les courages par les considéra- 
tions de la foi, et ses conseils étaient toujours em- 
preints de la sagesse d'en haut, d'une prudence 
pleine de fermeté; on y sentait l'homme de Dieu qui 

domine tout sentiment humain. 

Il prêchait trois fois la semaine. La vie de Notre- 

Seigneur Jésus -Christ fut le thème de ses discours. 

« Notre-Seigneur n'est pas connu, disait-il; qui donc 
» parle à présent de Jésus-Christ, même dans les 
« chaires chrétiennes? On traite tous les sujets, et 
» l'on ne dit rien ou presque rien du divin Maître! 
» Eh ! comment serait-il aimé puisqu'on ne le con- 



26 CHAPITRE VINGT-DEUXIEME. 

» naît pas? Ah! je veux le faire connaître, afin de le 
» faire aimer. » 

Le vendredi saint, au moment où il prêchait la 
Passion , une double émeute éclatait dans les chan- 
tiers des travailleurs de Saint-Irénée et dans ceux des 
Brotteaux. L'émeute roulait en g^rondant à travers la 
ville. Tout s'agitait au dehors. Le Père, tout absorbé 
par les souffrances du Sauveur et par son amour, 
parut ne pas s'apercevoir du tumulte extérieur qui 
dominait par moments sa parole. Il ne voyait, il n'en- 
tendait autre chose que l'excessif et incomparable 
amour de Jésus crucifié. 

Le Carême achevé, le P. Barrelle se rendit à la 
Ferrandiére, chez les Dames du Sacré-Cœur. C'est 
dans une occasion semblable, cette même année, 
mais un peu plus tard, qu'il courut danger de la vie. 
On l'attendait pour une conférence à la Ferrandiére. 
Lui, si ponctuel d'habitude que le timbre des heures 
n'était pas plus exact, ce jour-là arriva trop tard. Il 
entre, récite, absorbé dans son recueillement ordi- 
naire, le Veni, Sancte Spiritus; puis il dit d'un air 
serein : — « J'ai failli prendre un bain dans le Rhône. 
Une troupe de misérables m'ont sans doute reconnu 
pour un jésuite ; ils parlaient de me faire un mauvais 
parti, et s'acharnaient après moi en m'appelant vo- 
leur. Ils disaient trop vrai : Je suis un grand voleur 
de la gloire de mon Dieu ! » 

Cette fois-ci, le P. Barrelle ne venait pas pour une 
simple apparition de quelques instants et pour un 
service passager; il venait, à la grande joie de la 



LE PERE BARRELLE A LYON. 27 

communauté, pour lui consacrer ses soins, en atten- 
dant que l^apaisement du dehors lui permît de re- 
prendre sa tranquille cellule de la rue Sala. 

Pâques, cette annëe-là, tombale 23 avril. Il n'y 
avait donc que huit jours entre le Carême et le mois 
de mai. Les exercices du mois de Marie furent inau- 
gurés sans retard et saintement célébrés par des 
prédications quotidiennes. 

Avec quel bonheur il entrait dans cette retraite 
cliarmante! Un dévouement généreux l'y attendait 
pour l'entourer de gratitude. Il retrouvait là, pour 
ainsi dire, sa famille. Parmi les Dames du Sacré-Cœur, 
il pouvait déjà compter en grand nombre celles que 
l'Esprit-Saint lui avait donné de diriger dans la su- 
prême résolution de leur vie, dans le choix qui les avait 
marquées pour être les épouses du Cœur de Jésus. 
Plusieurs étaient là retrouvant leur perte selon la vie 
parfaite; un plus grand nombre le guide qui si sou- 
vent, de la vigueur assurée de sa doctrine et des con- 
descendances de son cœur, avait tantôt affermi leur 
élan, tantôt éclairé leurs doutes, tantôt soulagé leurs 
épreuves. 

Là, pour gouverner l'importante communauté avec 
son nombreux noviciat et son pensionnat florissant, 
la même supérieure d'Amiens qui, il y avait un quart 
de siècle , lui avait été confiée de Dieu , comme les 
prémices de son ministère dans la conduite des âmes. 
Depuis lors , partout où il passait la congrégation du 
Sacré-Cœur avait profité de ses lumières. Souvent 
déjà la Ferrandière avait eu ses soins. Cette maison 



28 CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME. 

était devenue comme la halte ordinaire de son zèle, 
surtout depuis que, fixé à Lyon par la Providence, 
il se donnait à loisir au ministère évangélique. dans 
les communautés. Sept ou huit fois, sans parler 
des prédications isolées, il avait donné des triduum 
et des retraites spirituelles, soit à la communauté, soit 
au pensionnat de la Ferrandière. Aussi les élèves mêmes 
étaient loin de lui être étrangères. Mais si en le rappro- 
chant de cette maison sainte la bonne Providence ser- 
vait ses inclinations, elle se montrait bienveillante 
surtout pour la maison qui lui donnait asile. 

Sa joie à lui, en y rentrant, c'était la ferveur sin- 
gulière qui y régnait, grâce en grande partie à son 
zèle; sa joie était de se trouver dans la maison du 
Sacré-Cœur. A l'ombre, pour ainsi dire, du Cœur de 
Jésus, sa dévotion prenait ses délices. Un instant il 
se croyait échappé à la terre, au spectacle de ses va- 
nités, à la captivité de ses misères; c'était comme le 
creux du rocher, comme l'enfoncement caché dans 
les ruines solitaires ', où l'amour de Dieu se fait un 
refuge inviolable. A cause de la sainte ardeur de per- 
fection qu'il y avait admirée et spécialement de la 
soumission religieuse , il avait surnommé cette mai- 
son : Béthanie, ou demeure de l'obéissance. C'est 
sous ce nom qu'il la désigna toujours dans ses lettres 
et dans ses écrits. 

Le P. Barrelle prêcha donc à Béthanie pendant le 
mois de Marie de cette année 1848. Tous les jours, 

* In foraminibus petra?, iti caverna maceriae. 



LE PÈRE RARRELLE A LYON. 29 

le matin, il parlait à la communauté sur Notre-Sei- 
^neur Jésus-Christ ; le soir, à toute la maison réunie, 
sur la vie de la très-sainte Vierge. 

Il préluda aux prédications du soir par un discours 
d'ensemble sur l'incomparable grandeur de Marie. Il 
entra ensuite dans le développement détaillé des mys- 
tères de la Vierge, à partir de sa naissance. Il expli- 
qua la gloire de son nom; il dépeignit son enfance. 
Sa vie dans le temple de Jérusalem lui fournit six dis- 
cours pleins et abondants. Le mystère de l'Incarnation 
ne fut pas moins fécond. Arrivé à celui de la Visita- 
tion , sa piété s'étendit avec complaisance et s'oublia 
pour ainsi dire dans la paraphrase du Magnificat. Les 
quatre discours où il s'abandonne aux saintes harmo- 
nies de ce cantique le plus divin de tous, devant cet 
auditoire de jeunes filles, présentent des considérations 
profondes sur l'humilité, sa vertu de prédilection, 
mais différentes des élévations que nous retrouvons 
dans un de ses manuscrits, sous ce titre : Paraphrase 
du Magnificat. 

Composée pour l'édification d'une âme confiée à sa 
conduite, cette paraphrase date de 1825. Le jour de 
Pâques de cette année-là, la supérieure des Dames du 
Sacré-Cœur à Amiens se sentit intérieurement pressée 
de demander au P. Barrelle, qui avait la direction de 
son âme, l'explication au Magnificat. — «Moi-même, 
répondit le Père, à la même heure j'entendais chanter 
le Magnificat, et je songeais à en écrire le commen- 
taire et à vous l'envoyer. » 

Il fit dès lors, tel que nous l'avons aujourd'hui de 

2. 



30 CHAPITRE VINGT-DEUXI M E. 

sa main, le travail qu'il avait conçu. C'est la grande 
doctrine de l'humilité et de la confiance, ces deux 
vertus jumelles, comme il les nomme, exprimée de ce 
que l'auteur appelle le sublime cantique de l'abjec- 
tion, et développée avec ampleur pour dissiper les 
pusillanimités trop communes où de nobles âmes ris- 
quent souvent d'ensevelir de grands dons et un grand 
courage. 

L'été de 1848 eut son labeur accoutumé. Le pré- 
dicateur des Saints Exercices reprit sa course évan- 
gélique à travers nos diocèses de France , partageant 
ses fatigues entre le clergé et les communautés reli- 
gieuses. Ici, jusqu'en novembre 1849, nous perdons 
la trace exacte de son itinéraire apostolique; le jour- 
nal de la résidence de Lyon, par suite des mesures 
vexatoires du commissaire de la république et de la 
dispersion plus ou moins complète qui en fut le résul- 
tat, ayant été interrompu. 

Au surplus, nous n'avions point la pensée de suivre 
le saint homme pas à pas. Si rapide que fût notre 
coup d'œil sur cette suite continue de voyages et de 
retraites, notre marche en serait encore ralentie. 
Nous aimons mieux étudier sommairement les pro- 
cédés du prédicateur de retraites lorsque nous aurons 
à expliquer ce qui caractérisait sa direction spirituelle. 
Mais nous ne quitterons pas Lyon sans avoir rap- 
pelé une touchante et gracieuse institution de son 
zèle et de ses prédilections pour l'enfance. Ce sera 
le sujet du chapitre suivant. 

^ — — c«c»eoôO@00©' 



LE PÈRE BARRELLE ET L'ENFANCE. 31 



CHAPITRE XXIII. 

LE PÈRE BARRELLE ET L'ENFANCE. 

Congrégation de la Sainte-Enfance. — Congrégation de la 
Sainte- Adolescence . — Gracieuse correspondance. 

Il semblait que Notre-Seigneur eût communiqué 
au P. Ban elle sa tendresse pour les petits enfants. 
C'est au milieu d'eux surtout qu'il était admirable de 
bonté , se diminuant pour ainsi dire à leur mesure et 
se mettant aisément au niveau*de ces naïves intelli- 
gences, parce qu'il sentait vivre Jésus-Christ en ces 
jeunes âmes, et qu'il lui était doux d'en dilater la 
connaissance et l'amour dans des cœurs neufs et fa- 
ciles à la divine grâce. 

Il dirigeait, à Charly et à Briguais, dans le pen- 
sionnat des Dames de Saint-Charles , une congréga- 
tion de la Sainte -Enfance. Puis, pour compléter 
l'œuvre, il avait commencé des réunions pour les 
anciennes élèves de ces deux communautés. Chaque 
mois il leur faisait une instruction chez les rehgieuses 
de Saint-Joseph, de la rue de Bourbon. Les événe- 
ments de 1848 le surprirent même au miheu de la re- 
traite qu'il donnait à cette chère association. 

Mais nous devons j^ai'ler surtout des deux petites 
congrégations des enfants et des adolescents qu'il éta- 



32 CHAPITRE VINGT-TROISIÈME. 

blit en novembre 1848, à la rue Boissac , chez les 
Dames du Sacré-Cœur. 

Il n'est pas possible de rendre compte de ces déli- 
cieuses réunions. Le catéchisme des petits enfants 
avait lieu tous les jeudis. L'âge de cinq ans à dix ans 
avait été fixé pour les admissions. Mais les instances 
des mères, trop heureuses de voir leurs jeunes en- 
fants formés à une telle école, avaient obtenu des 
concessions; et des personnages de trois ans vinrent 
prendre place dans ce charmant auditoire. 

La chapelle était partagée, de droit, entre les pe- 
tites filles d'un côté et les petits garçons de l'autre; 
mais derrière eux les mères trouvaient une place ré- 
servée, et elles rivalisaient d'empressement avec eux, 
comme si l'ingénuité de la sainte parole lui donnait 
un charme plus puissant. 

Une gracieuse statue de l'Enfant Jésus, placée sur 
un fauteuil , faisait face à l'auditoire et semblait pré- 
sider l'assemblée, tandis que le Père, se promenant 
au milieu du double rang de petites filles et de petits 
garçons, adressait un mot à chacun et ne manquait 
pas de les interroger tous les uns après les autres , de 
peur de susciter par l'oubli quelque gros chagrin. 

Une corbeille était placée devant le petit Jésus. En 
arrivant, chaque enfant y déposait une note où était 
inscrit par sa mère ce qu'il avait fait de mieux pen- 
dant la semaine en l'honneur du divin Enfant. Le 
Père dépouillait ces précieux bulletins, et l'émulation 
stimulait la générosité précoce de ces imitateurs du 
bon Jésus. Pour plaire au petit Jésus, l'un a fait le 



LE PÈRE RARRELLE ET L'ENFANCE. 33 

sacrifice d'un joujou afin d'en donner le prix aux pau- 
vres, l'autre s'est privé d'un bonbon, celui-ci a appris 
sa leçon avec ardeur, celui-là s'est laisse habiller sans 
pleurer, celui-ci pour se mortifier n'a point voulu de 
sucre dans son café au lait... Alors, s'approchant de 
ces petits anges , le bon Père les félicitait l'un après 
l'autre, les encourageait et leur donnait de tendres 
conseils pour contenter toujours davantage le petit 
Jésus. 

Le règlement, tracé de la main du Père, portait 
qu'on écrirait ces actes de vertu sur le Livre d'or de 
la congrégation, afin qu'on pût s'en souvenir plus 
tard , en remercier le bon Dieu et distribuer de temps 
en temps des récompenses aux plus sages. 

L'aveu des petites fautes avait aussi son lour : une 
tape échappée à l'impatience, un moment de paresse, 
une désobéissance, une gourmandise, avoir frappé du 
pied avec colère, avoir refusé de se lever, avoir dit 
un mensonge... tout cela, candidement avoué avec 
regret dans le bulletin hebdomadaire, fournissait ma- 
tière à réflexions. Le Père montrait la gravité de ces 
petits méfaits, comment l'enfant Jésus avait fait pour 
n'en jamais commettre, comment il fallait lui en de- 
mander pardon et s'efforcer d'être toujours sage 
comme lui. 

Qu'il était touchant de voir ce prêtre majestueux 
et vénérable inclinant sa tête blanchie par les années 
et couronnée de l'auréole des saints, au milieu de ces 
petites têtes de chérubins, et, avec la même gravité 
qu'il portait dans les retraites pastorales aux plus su- 



34 CHAPITRE VINGT-TROISIEME. 

blimes enseignements du zèle, parmi ses frères dans 
le sacerdoce, s'appliquer- à façonner les vertus nais- 
santes de ces enfants et hâter en leur cœur la matu- 
rité du divin amour ! 

Racontons naïvement, si on nous le permet, dans 
un sujet si naïf. Un jour le bulletin d'une petite fille 
de trois ans portait qu'elle n'avait pas été sage à 
table. Le bon Père, pour se faire tout petit et moins 
effaroucher ses aveux, se met à genoux près d'elle; 
puis il demande comment Laurette a fait pour n'être 
point sage. — « J'ai fait la moue, répond l'enfant 
toute confuse. — Je ne sais point ce que c'est, dit le 
Père ; que Laurette me le fasse voir. — Alors Lau- 
rette ayant fait une petite grimace enfantine : — C'est 
bien laid , reprit le Père ; le petit Jésus était toujours 
gracieux, jamais il ne pleurait, jamais il ne faisait la 
grimace... Si Laurette ne lui ressemblait pas, Jésus 
ne pourrait point l'aimer. Mais elle lui demandera 
pardon, et demain et toujours elle sera sage pour 
l'amour du petit Jésus. » 

De quelle admiration on était saisi en voyant l'ac- 
complissement littéral de ces paroles de l'Apôtre : 
Omnibus omnia factus sum, je me suis fait tout à 
tous afin d'opérer le salut de tous. Cet homme si sé- 
rieux, si grave, dont nul n'approchait qu'avec véné- 
ration, se faisant enfant avec l'enfance, retrouvant la 
langue naïve et au besoin les diminutifs dont on use 
avec le premier âge... c'était un spectacle charmant , 
qui causait une profonde édification. Mais le Verbe de 
Dieu ramené ainsi, comme au jour de la crèche, à la 



LE PÈRE BARRELLE ET L'ENFANCE. 35 

forme enfantine, entrait facilement dans ces âmes 
candides et y naturalisait sa doctrine et ses vertus. 

Quant au jeune auditoire, aisément captivé, il ne 
sentait point s'écouler les heures, et son attention 
n'était jamais lassée. Les jeux n'avaient plus de sé- 
duction quand approchait l'heure du catéchisme, 
nulle récompense ne valait le bonheur d'y assister. 

Que de paternelles industries venaient , toujours 
nouvelles, donner l'assaisonnement à ces réunions! 
Chaque année devaient se faire trois petites neu- 
vaines , composées de trois réunions pendant trois 
jours, la première en l'honneur de Jésus, la seconde 
en l'honneur de Marie, la troisième en l'honneur de 
Joseph. Elles se terminaient par une procession et 
une consécration. Il y avait aussi une petite retraite , 
dont le cadre est sous nos yeux. 

Aux environs de Noël , il y eut donc neuvaine so- 
lennelle à la bonne Maman du ciel. — La pureté de 
Marie, sa sagesse, son amour pour Jésus , la perfec- 
tion de sa conduite à l'âge de trois ans, ses mérites , 
son trésor qui fut Jésus, enfin sa bonté, firent le fond 
des entretiens. Le neuvième jour, on s'occupa de la 
consécration de tous les cœurs à Marie. Ensuite, à 
l'occasion du premier jour de l'an, une séance de 
clôture offrit un intérêt particulier. 

Une charmante procession à la crèche commença 
la séance; on lut selon l'habitude et on commenta 
quelques-uns des bulletins de la semaine. Vint ensuite 
la distribution des dons offerts au petit Jésus. — A 
son tour , le petit Jésus distribua ses étrennes à tous 



36 CHAPITRE VIIN GT-TROIS lEME. 

ses petits frères et ses petites sœurs. C'étaient des 
bonbons qui contenaient des devises composées par 
le Père. On y lisait les vertus de l'Enfant Jésus, avec 
des pratiques pieuses proportionnées au jeune âge. 

Enfin les souhaits de bonne année au petit Jésus 
eurent lieu, en forme de prière, de la manière sui- 
vante : 

« Nous vous remercions, aimable petit Jésus, des 
)) étrennes que vous nous avez données, et surtout de 
» la bonne volonté que vous avez mise eu notre cœur, 
» pour vous offrir pendant cette neuvaine beaucoup 
» d'actes de sagesse et de vertu. 

M Daignez maintenant recevoir nos souhaits de 
» bonne année avec les cadeaux que nous allons vous 
» offrir. 

» Nous vous souhaitons, bon petit Jésus, beaucoup 
» de joie, beaucoup de consolations sur la terre. Nous 
» voudrions bien que personne ne vous enfonçât plus 
» d'épines dans le cœur. Nous voudrions bien que 
» tous, petits et grands, vous obéissent, vous servis- 
» sent , vous aimassent beaucoup. Nous voudrions 
» bien que les mauvaises gens se convertissent et que 
» tout le monde vous fît plaisir. Nous voudrions aussi 
» que la très-sainte Vierge, votre mère, fût aimée et 
» servie encore plus qu'elle ne l'est. — Voilà les sou- 
» haits de vos petits frères et de vos petites sœurs, 
» qui vous aiment de toute leur âme. 

» Mais ils veulent aussi vous donner leurs étrennes. 
» Daignez les agréer, aimable petit Jésus. 

M Recevez notre cœur tout entier , nous vous le 



LE PERE BAURELLE ET L'EiNFAINGE. 37 

)5 donnons. Recevez notre langue, pour qu'elle ne dise 
» plus rien de vilain. Recevez notre tête, pour qu'elle 
« ne soit plus mauvaise. Recevez notre bouche, pour 
» qu'elle ne soit plus (gourmande. Recevez nos mains, 
» pour qu'elles ne battent plus personne et qu'elles 
» travaillent bien. Recevez nos pieds, pour qu'ils ne 
» tapent.plus de colère. Recevez notre volonté, pour 
» c|u'elle ne soit plus désobéissante ou paresseuse. 
« Recevez notre visage , pour qu'il ne soit plus ni 
)) boudeur ni grognon. 

» Nous faisons la résolution d'être toujours bien 
» sages, et nous vous demandons votre bénédic- 
» tion. » 

C'est dans ces fêtes de la Nativité que, exhortant 
son petit monde à aimer Notre-Seigneur, il leur mon- 
trait ainsi sa tendresse : 

— « Ghers enfants, disait-il, le bon Jésus vous 
» aime tant, qu'il a voulu, lui qui est si grand, se faire 
» petit comme vous, plus petit que le plus petit d'entre 
» vous. Votre papa vous aime bien, n'est-ce pas? Eh 
» bien , dites-lui : — Papa , vous êtes trop grand 
» comme ça, faites-vous petit pour me faire plaisir, 
» afin que je sois comme vous. Voyez s'il le fera. Il 
» vous aime tant, le bon Jésus, que pour se faire sem- 
» blable à vous il s'est fait muet; oui, muet pour être 
«comme vous, ma toute petite, qui ne parlez pas 
«encore. Certes, vos mamans vous aiment bien ; mais 
» quelle est celle qui, par amour pour vous, consen- 
» tirait à devenir muette? « 

La fête de la Présentation de Jésus au temple eut 

TOM. II. 3 



38 CHAPITRE VINGT-TROTSIEME. 

sa procession solennelle. Une salle pompeusement 
ornée représentait le temple de Jérusalem. Le divin 
Enfant y fut transporté sur un trône qu'environnaient 
de plus près ceux qui avaient brillé par la sagesse, 
ayant en leurs mains des oriflammes. On s'offrit au 
bon Dieu avec le divin Enfant; consécration toucbante, 
dont le bon Père leur fit sentir l'importance et que 
plusieurs de cette troupe innocente ratifièrent plus 
tard par les engagements de la vie religieuse. 

Le jeudi saint, la Passion fut racontée au charmant 
auditoire. Pas un mot qui ne fût compris des plus 
jeunes , et de leurs cœurs émus s'échappaient les 
larmes. La chapelle aussi redisait la douleur et le 
deuil; le trône de Jésus, c'était la croix, et la Mère 
de Jésus était voilée de noir. 

L'instruction de l'Ascension fut le commentaire des 
quatre derniers versets du psaume xxiii : «Ouvrez-vous, 
portes éternelles! » Notre-Seigneur se présentait à la 
porte du paradis, fermée par nos péchés. De sa croix 
il la frappait à coups redoublés pour la faire ouvrir. 
Puis le Père leur montrait ce Roi invincible couronné 
de gloire et faisant, à la tête de l'innombrable armée 
des élus, son entrée dans le ciel, dont il déroulait à 
leurs regards les beautés et les joies qui n'auront 
point de fin. 

Prenons au hasard dans les cinquante petits cadres 
que le Père nous a laissés de ces entretiens ingénus 
avec l'innocence. Avec elle, écoulons un instant le 
prêtre vénérable devenu petit avec les petits, à Taise 
dans la simplicité du langage enfantin, noblement 



LE PERE BARRELLE ET L'EM'ANGE. 39 

descendu au niveau du jeune âge pour lui enseigner 
Jésus-Christ. 

Vingtième entretien : Jésus à Nazareth. 

« Je poursuis toujours, chers entants, l'histoire du 
» petit Jésus, parce que je trouve qu'il nous fait très- 
» bien la leçon. 

» Quand donc ses parents l'eurent trouvé dans le 
» temple, comme nous l'avons vu la dernière fois, ils 
» lui dirent de venir avec eux dans la petite ville où 
» ils demeuraient... et quoique Jésus aimât beaucoup 
» à se trouver à l'église, qui est la maison du bon Dieu, 

» il ne dit pas : Laissez-moi ici, je suis bien Il ne Ht 

5> pas le maussade, et sortit au mén)e instant avec la 
» sainte Vierge et saint Joseph, qui partirent pour leur 
» pays. 

» Je vais vous raconter comment ils firent cette 
» longue promenade. 

» Il y avait bien loin de la ville de Jérusalem à celle 
» de Nazareth. Il fallait plusieurs jours pour arriver * 
» Or, Joseph et Marie n'étaient pas riches.... Ils 

» n'avaient point de voiture, point de cheval Ils 

» s'en allaient donc à pied. 

n Et le petit Jésus, comment fit-il? — Il marchait 
5) comme saint Joseph et la sainte Vierge. 

) Tout ce qu'ils faisaient, lui aussi le faisait.... 
» Quand ses parents s'arrêtaient, il s'arrêtait...; quand 
» ils entraient quelque part, il y entrait...; quand ils 
» sortaient, il sortait avec eux.... Jamais il ne leur 
"disait : Vous^ voulez maintenant ceci... et moi je 



AO CHAPITRE VI^s'GT-TROISlÈME. 

» veux une autre cliose; il était enfin tiès-oljéissant et 
'.' très-soumis. 

» Jamais donc ni saint Joseph ni la sainte Viorfje 
» n'avaient à lui faire de reproches... Jamais iîs 
w n'étaient obligés de courir après lui ou de lui crier 
» de venir; ils étaient sûrs, après lui avoir dit une 
» chose, qu'il n'en ferait pas une autre. p]t c'était 
« toujours comme cela. 

» Je suis sur que bien des papas et bien des mamans 
» voudraient que leurs enfants fussent comme le petit 
» Jésus. Mais il y en a peu qui aient ce plaisir, puisque 
» beaucoup d'enfants aiment mieux faire à leur tête. 

» Est-ce donc qu'ils Font meilleure, que le petit Jé- 
» sus?... Lui qui avait plus d'esprit non-seulemer.t que 
» tous les enfants, mais encore que tous les papas, 
» toutes les mamans, et que tous les homuics qui sont 
» au monde. 

» C'est égal, ils feront les têtus et ils ne comprcn- 
» dront pas qu'alors ils sont comme ceux qui. pouvant 
M avoir un beau visage... aiment mieux l'avoir laid; 
» qui, pouvant être riches... aiment mieux n'avoir pas 
>' un sou; qui pouvaut se faire les amis d'un grand 
» prince, d'une grande reine, aiment mieux rester avec 
« des vilains. 

» Vous ne comprenez peut-être pas ça. Mais qui est 
)> beau? — Jésus et tous ceux qui lui ressemblent... 
» Qui est grand? — Jésus et tous ceux qui lui ressem- 
» blent — Qui est roi? — Jésus et tous ceux qui sont 
w connue lui. 

» Et tous ceux qui ne lui sont pas semblables, que 



LE PERE r.AllIlELLE ET L'ENEA.NGE. 41 

» sont-ils? — Ils sont laids..., petits..., pauvres..., 
» vilains... 

» Si l'on restait sans lumière la nuit... il ferait noir... 
» et l'on aurait peur... Si le soleil ne se levait pas... le 
» jour serait la nuit... et l'on aurait peur. Or Jésus 
» est la lumière et nous sommes la nuit. Ouand nous 
» ne ressemblons pas à Jésus, nous sonmies noirs 
» comme elle. Mais quand nous lui ressemblons, nous 
yj sommes beaux comme le jour. 

» Jésus ne faisait point à sa tète Si nous faisons à 

"la nôtre, nous ne lui ressemblons pas, et au lieu 
» d'être beaux comme lui, nous sommes laids à faire 
» peur. 

» Eh bien, mes enfants, voulez-vous encore faire à 
» votre tète? Non, vous voulez faire comme Jésus. 

» Alors, quand vos parents ou vos bonnes vous di- 
» ront de partir d'un endroit où vous vous trouvez 
» l)ien...; de laisser une chose qui vous amuse beau- 
» coup...; d'aller là où vous ne voudriez pas aller, vous 
» ne direz plus : Je veux rester ici...; je ne veux pas 
5' aller là; laissez-moi encore un peu m'amuser avec ce 
"joujou..., avec cette poupée... 

» Alors, quand on vous mènera à la promenade, à 
» la campagne, chez quelqu'un..., vous ferez non point 
» comme vous le voudrez, mais comme voudront ceux 
» qui vous conduisent. Vous regarderez papa , ma- 
» man..., et vous ferez comme eux, et vous leur obéi- 
» rez en toute chose. 

» Tant qu'ils voudront rester vous resterez ; quand 

M ils voudront partir..., vous partirez. 



42 CHAPITRE VINGT-TROISIEME. 

» S'ils vous disent : Ne va pas en tel endroit. .., vous 
» n'irez pas; ne monte pas sur cette chaise..., sur ce 
Msofa..., vous n'y monterez pas; ne touche pas à 
» ceci, à cela..., vous n'y toucherez pas. Vous serez 
» soumis, dociles, comme l'était Jésus; gentils et beaux 
» comme Jésus. 

M Vous n'aimez pas les reproches, les grondes, les 
» pénitences..., on ne vous en donnera pas. 

M Vous aimez au contraire à être caressés, chéris...; 
» on vous caressera, on vous aimera beaucoup. 

» Et vous serez heureux, bénis de Jésus et de Ma- 
» rie..., qui vous donneront ensuite le paradis. » 

Cette trame, nue et dépouillée, se remplissait de vie 
et de beauté quand l'imagination du Provençal et la 
pieuse sensibilité de l'homme de Dieu la déroulaient 
devant son innocent auditoire. Telle quelle, elle a du 
charme encore; combien plus alors pour ce petit 
peuple ouvrant son âme fraîche et pure aux sympa- 
thiques épanchements de la foi et du saint amour! 
Alors chacun pouvait reconnaître la puissance de 
ces affinités mystérieuses qui rapprochent la can- 
deur de l'enfance et la sublime ingénuité des 
saints. 

Si les mères prenaient leurs délices à écouter ces 
naïfs développements de TEvangile, toujours bon et 
profitable, même sous une forme enfantine, toujours 
onctueux dans la bouche d'un saint, et quelquefois 
émailléde profondes pensées ; combien plus ces tendres 
enfants qui, de leur cœur et de leur esprit, suivaient 
le divin Jésus sous la conduite du religieux vénérable! 



LE PÈRE BAP.RELLE ET L'ENFANCE. i3 

Une Jiiéme affection réunissait en leur âme le petit 
Jésus et son dévot prédicateur. 

Comme autrefois à Marseille, quand il arrivait pour 
le catéchisme, quelques-uns, tendant leurs bras, lui 
disaient : « Père, je veux vous faire une caresse... » 
Et souvent, sans attendre la réponse, ils enlaçaient 
de leurs petites mains le cou du bon Père. Il était oblig^é 
de s'en défendre, de peur d'attrister les petites fdles, 
qui se seraient crues moins aimées. 

D'ordinaire, le P. Barrelle se plaçait sur un prie- 
Dieu retourné vers l'auditoire enfantin. Un jour, il 
venait de parler avec son ardeur accoutumée sur 
l'amour que nous devons au petit Jésus. Pour s'assurer 
qu'il avait porté juste et que ces cœurs innocents 
l'avaient compris, il s'adresse à un de ses petits audi- 
teurs, enfant de quatre ans, devenu depuis défenseur 
de l'Eglise parmi les zouaves pontificaux : — « Voyons, 
cher enfant, qui est-ce que tu aimes bien? Qui est-ce 
que tu aimeras toujours? » L'enfant se lève gracieuse- 
ment et répond : — u Toi, toi! Je t'aime, toi! » Et 
comme il était près du prie-Dieu, il se jette dans les 
bras du bon Père. Celui-ci se mit à sourire et reprit 
d'un ton paternel : — « Allons, allons, il faut aimer 
le petit Jésus. » 

Depuis plusieurs mois florissait la congrégation de 
la Sainte-Enfance, quand, frappé des périls qui me- 
naçaient leur jeunesse, le P. Barrelle se décida à 
créer pour les jeunes personnes une organisation ana- 
logue. Dans ce but il forma la congrégation de la 
Sainte- Adolescence de Jésus et de Marie. Elle fut 



44. CHAPITRE VINGT-TROISIÈME. 

inaugurée le 25 janvier Î849. Jusqu'à leur quinzième 
année et à partir de leur première conmiunion, les 
jeunes filles pouvaient y être admises. Elle avait pour 
objet de former leur esprit, leur cœur et leur conduite 
dans râ(je périlleux de l'adolescence. Une direction 
adaptée à leurs besoins et des instructions appropriées 
à cet âge de transition et d'inexpérience n'avaient- 
elles pas une souveraine importance? En rendant un 
bonneur particulier aux jeunes années de Jésus et de 
Marie, les membres de l'association devaient aussi 
concourir de leurs prières et de leurs mérites à la 
sanctification de toutes les personnes de leur âge. 

Ce nouveau cbamp offrait plus d'obstacles à la cul- 
ture. Parmi ces jeunes fdles, les unes étaient encore 
des enfants, les autres entraient dans le travail de la 
première maturité, et, déjà raisonnables, demandaient 
d'autres soins. 

Se mettre par une même parole à la portée de 
toutes, et du même coup faire du bien aux mères et 
aux institutrices qui étaient présentes, fut au tact ex- 
périmenté du Père une tàclie facile. 

« Il détaillait avec la précision de l'observateur at- 
tentif, nous dit une de ces enfants, et avec la délica- 
tesse du cœur, les petites luttes de notre âge. Il nous 
donnait, sous des comparaisons cbarmantes, des leçons 
de générosité qu'il était impossible d'oublier. Pour 
encourager notre ardeur, il consentait à revoir nos 
résumés d'instruction, les récompensait par des gra- 
vures cboisies, et nous formait enfin à la guerre contre 
nous-mêmes en nous faisant rendre compte de nos 



LE PÊ1{E BATIRELLE ET L'ENFANCE. 45 

premières victoires. Il fallait les écrire, bien entendu 
sans sigjnature. Il les commentait en public et nous 
initiait à l'esprit de sacrifice. Il avait composé une 
prière pour nos réunions. Par elle, il demandait sur 
toute chose à Jésus et à Marie de nous délivrer des 
illusions de notre imagination , de notre cœur et de 
nos sens. » 

Les congréganistes étaient autorisées à lui deman- 
der par écrit des éclaircissements sur les points de 
doctrine, ou des avis conformes à leurs besoins per- 
sonnels pour éviter les écueils de leur âge ou pour 
avancer dans la vertu. Le Père répondait en public 
avec une prudence et une adresse qui, sans laisser 
soupçonner à qui s'adressait la réponse , éclairaient 
exactement ses doutes, en instruisant cependant tous 
les auditeurs. 

Ces précieuses réunions s'interrompirent au mois 
de juin 1849, par le cours accoutumé des retraites. 
Quand le bon Père revint de sa tournée évangélique, 
une nouvelle destination l'attendait. Il partit le 
10 novembre 1849 pour le noviciat d'Avignon, où il 
allait exercer la charge de recteur. 

Mais nous ne quitterons pas ces gracieuses et si 
utiles relations du saint religieux avec l'enfance sans 
en compléter le tableau. Dans'un grand nombre de 
maisons d'éducation qu'a évangélisées son zèle, il 
s'occupa avec un pieux intérêt de la congrégation du 
Saint Enfant Jésus. Gomme s'il avait pu accomplir à 
la lettre l'enseignement du Sauveur et redevenir en- 
fant, il ambitionnait d'être comme l'un d'eux, et, 

3. 



46 CHAPITRE VINGT-TROISIEME, 

par amour pour l'innocence, il voulait s'unir à leurs 
mérites et se présenter, ce semble, au divin Maître 
escorté des candides hommages de cet âge ingénu. 

C'est pourquoi à Lyon, à la Ferrandière, à Avi- 
gnon, à Toulouse et ailleurs, il s'était fait admettre 
parmi les membres de cette angélique congrégation. 
Il n'entendait pas être des moins fervents. On le 
tenait au courant des pratiques saintes, et dans les 
occasions importantes, la neuvaine de Noël, le mois 
de Marie, la neuvaine à saint Joseph, etc., il était 
convenu qu'il mériterait par sa fidélité les privilèges 
qui en étaient la récompense. C'était, par exemple, 
un agneau qui s'approchait chaque jour de la crèche 
selon la sagesse de celui dont il portait le nom, une 
colombe qui montait d'un échelon vers le trône de 
Marie, une fleur offerte à la Vierge et placée dans sa 
main par la sagesse la plus exemplaire , un cierge 
qu'elle donnait le droit de faire brûler devant le petit 
oratoire. La fidélité du Père était toujours supposée; 
que si, par circonstance, il n'avait pu remplir la 
pratique commune, il avait promis d'en avertir. Mais 
nul n'était aussi ponctuel, et la colombe du bon Père 
ne manquait pas d'être la plus rapprochée de la 
Vierge ou du divin Enfant. 

Présidait-il une réunion, il portait, lui aussi, 
l'insigne du congréganiste, et l'on voyait sur sa poi- 
trine, suspendue au ruban rose, la médaille de l'Enfant 
Jésus. 

Par honneur, on lui avait partout décerné la pré- 
sidence de la congrégation. Un jour, au renouvelle- 



LE PÈRE BARRELLE ET L'EiNFANGE. kl 
ment des charges, la petite congrégation de la Fer- 
randiére, ne voyant rien au-dessus du saint religieux, 
avait eu cette naïve pensée. Ces jeunes enfants lui 
écrivirent donc qu'après avoir bien examiné, elles 
n'avaient trouvé parmi elles personne qui fût plus 
digne de la présidence, que la plus sage tiendrait sa 
place comme assistante. Sa condescendance fut une 
grande joie. Mais l'exemple donné ne fut point perdu, 
et d'autres scrutins le nommèrent président. A ce 
titre, il adressait à ses chères associées de \Me voix 
et par écrit des exhortations délicieuses. Ces petites 
lettres ne seront pas, entre ses pieux écrits, le joyau 
le moins précieux. Qu'on en juge par quelques échan- 
tillons. 

« Aux enfants de la congrégation de la Sainte- 
Enfance, à Béthanie^. 

» Merci de votre souvenir filial et de la présidence 
dont vous m'honorez, mes bonnes petites sœurs, 

» Je suis heureux de vos joies, et j'assiste de cœur 
à vos fêtes. Si j'étais ange, oh! que je me transporte- 
rais souvent au milieu de vous et dans notre petite 
chapelle ! Et savez-vous de quoi nous causerions ? De 
Jésus, de notre frère Jésus, de notre ami Jésus. Puis 
je vous montrerais encore ce bon saint Stanislas, ce 
novice de l'amour de Jésus, dès l'âge de quatre ans, 
et je vous dirais : « Gomment ne pourrions-nous pas, 

1 On se souvient que Béthanie désigne le pensionnat de la Fer- 
randière. 



48 CHAPITRE VINGT-TROISIEME. 

» plus âgés que lui pourtant, aimer Jésus au moins 
» autant qu'il l'aimait à ses quatre ans?» 

» Jésus, il n'était pas alors plus aimable ni plus 
aimant qu'aujourd'hui, et les cœurs ne sont pas au- 
jourd'hui plus insensibles à l'amour de Jésus qu'ils ne 
l'étaient alors. Aimons-le donc comme l'aimait Sta- 
nislas. 

M Et le moyen, mes bonnes petites soeurs, c'est, si 
vous travaillez, de travailler pour plaire à Jésus; si 
vous vous récréez, de vous récréer sans déplaire à 
Jésus; si vous souffrez quelque chose, de le souffrir 
par amour pour Jésus. Si vous avez quelque joie, de 
la faire partager à Jésus. Et quoi que vous fassiez, de 
le faire de manière à contenter Jésus. 

» Exercez-vous ainsi, mes petites sœurs, dans le 
noviciat de l'amour de cet aimable enfant, que nous 
allons bientôt retrouver sur la paille de sa crèche. 
Oh ! qu'il s'y plaira si vous lui faites d'avance un 
duvet délicat de vos mille actes d'amour ! 

» Je vous bénis déjà pour ces beaux jours. Je me 
rangerai avec vous auprès de la pauvre mais délicieuse 
crèche de Bethléhem, à Béthanie. 

» Joseph S, J. » 
Et deux mois plus tard : 

« A la sous-présidente de la congrécjation de la Sainte- 
Enfance et à toutes mes petites sœurs. 

» Ainsi tout s'écoule, mes enfants, et ce qu'il y a 
de plus consolant, et ce qu'il y a de plus triste. 



LE PERE BARRELLE ET L'ENFANCE. 49 
Une seule chose reste à jamais : c'est ce que l'on a 
fait et que l'on ne cesse de faire pour plaire à Jésus, 

» Où sont les beaux jours que vous venez de fêter? 
où sont ces douces et touchantes cérémonies? Il vous 
reste bien encore quelque chose à recueillir de leurs 

débris et un peu de miel à tirer de la crèche Puis, 

adieu, charmant petit enfant! Adieu, délicieuse 
étable! Adieu, saint Jean, le bien-aimé de Jésus!... 
Adieu, saints Innocents, dont je dois être l'imitatrice 
et la copie ! Il me faut passer de Bethléhem, où j'étais 
si bien, là où je ne trouverai plus mes délicieuses 
jouissances. 

» Voilà comment les objets mêmes qui nous font 
goûter une joie plus pure disparaissent enfin , et lais- 
sent à peine quelque lointain souvenir. Mais il n'en 
est jamais ainsi des actes de vertu que l'on fait pour 
plaire à Jésus. Aucun d'eux ne passe; tous sans ex- 
ception restent et vivent dans la mémoire du cœur 
du bon Sauveur. 

» Oui, ce feu que j'ai allumé pour le réchauffer, 
ce duvet que je lui ai donné pour couche, ces efforts, 
cette obéissance, cette douceur, ce travail, cette ap- 
plication à la prière, Jésus a tout cela toujours devant 
les yeux de son Cœur, et il le contemple afin de m'en 
conserver l'éternelle récompense. 

» Qu'il fait bon par conséc[uent, mes bonnes petites 
sœurs, à mesure que les fêtes s'envolent loin de nous, 
d'en retenir les fruits les plus précieux, ceux qui nous 
rendent plus sages, plus obéissantes, plus amies du 
silence, plus ferventes à bien prier Jésus ! 



50 CHAPITRE VINGT-TROISIEME. 

» C'est à cela que je vous exhorte aujourd'hui. 
Soyez fidèles à le faire, et vous serez la joie et la cou- 
ronne non-seulement de votre président, mais encore 
de Jésus et de Marie. 

» Je vous remercie beaucoup des étrennes que vous 
m'avez envoyées. Pour les miennes, je célébrerai la 
sainte messe à votre intention le jour de sainte Agnès, 
cette jeune vierge et martyre qui aimait si ardemment 
notre bon Jésus. Elle tombe un lundi, 21 de ce mois, 
le lendemain du Saint Nom de Jésus. Demandez ce 
jour-là à notre petit Ami tout ce que vous jugerez le 
plus utile à votre âme. C'est ce que je mettrai sur 
l'autel; puis, assistez à la sainte messe avec beaucoup 
de ferveur. 

» Je recommande toutes mes petites sœurs à la 
sous-présidente; qu'elle en ait bien soin. Son ruban 
et son médaillon ' m'ont fait beaucoup d'honneur et 
un grand plaisir. Elle m'en fera encore davantage si 
elle est toujours humble, et, en même temps, bien, 
bien aimante envers notre tout aimable Jésus, devant 
lequel toutes les créatures ne sont qu'une vile pous- 
sière. 

» Je vous bénis toutes du fond de mon cœur. 

)) Joseph S. J. » 

On nous permettra une dernière citation. Quand le 
bon Père eut quitté Lyon , une petite fille de quatre 



* Le ruban et le médaillon sont des récompenses de sagesse 
dans les pensionnats du Sacré-Cœur. 



LE PÈRE BARRELLE ET L'ENFANCE. 51 

ans et demi, toute pleine de l'amour qu'il avait 
allumé pour le Dieu enfant dans son âme candide , 
lui écrivit pour lui dire que depuis son départ elle 
cherchait toujours le petit Jésus , qu'elle l'appelait la 
nuit quand elle se réveillait, et qu'elle espérait bien 
le trouver un jour, comme la petite sainte dont il leur 
avait raconté l'histoire. 

Voici la réponse du Père : 

« Ma petite sœur, j'ai été fort content de la jolie 
lettre que vous m'avez écrite, et je vous en remercie 
de bien bon cœur. Cherchez toujours le bon Jésus, 
priez-le bien, obéissez vite, vite à tout ce que de- 
mandent vos bonnes maîtresses, et demandçz-leur ce 
qu'il faut que vous fassiez pour que Jésus soit con- 
tent de vous, et que vous l'aimiez tous les jours da- 
vantage. 

» Quand vous verrez les poissons du bassin, et que 
vous entendrez chanter les oiseaux , vous leur direz 
de ma part : Petits poissons, petits oiseaux, bénissez 
Jésus qui vous a faits! Vous le direz aussi aux fleurs 
et aux bonnes choses que vous mangez, parce que 
c'est Jésus qui a fait tout cela pour vous. 

» Adieu, ma petite sœur; ne faites jamais de péché, 
et aimez toujours Jésus de tout votre cœur. 

» Je vous donne une grande bénédiction. 

» Joseph S. J. » 



■ 9 000©OOOC8» 



UECTORAT A AVIGNON 



CHAPITRE XXIV, 



TiECTORAT A AVIGNON. 

Le P. Rarrelle recteur du noviciat d'Avignon. — Ce que c'est qu'un 
supérieur dans la Compagnie. — Le collège Saint-Joseph pré- 
curseur de la liberté d'enseignement; sa fondation. — Double 
rectorat.— La crypte de la rue Saint-Marc. 

Le 3 novembre 1849, au moment d'entrer en 
chargée comme recteur du noviciat, dans cette maison 
d'Avignon où s'écoula le temps fortune de sa troi- 
sième probation , le P. Barrelle écrivait les paroles 
suivantes : 

« La volonté divine me retire de Lyon pour me 
placer dans une position nouvelle. La chose est main- 
tenant définitivement arrêtée, et je pars samedi. Vous 
m'aiderez, je l'espère, de vos bonnes prières, pour 
que dans cette position, si justement appelée par 
saint Grégoire le lieu de l'humilité, je sois, comme 
mon maître, le serviteur de tous, et rien autre. » 

A qui, mieux qu'à notre humble religieux, pouvait 
convenir celte position du conmiandement, ce lieu de 
l'humilité, ainsi excellemment défini par saint Gré- 
goire, parce que l'humilité , qui seule peut en rendre 
digne, doit en être le principal exercice et en assai- 
sonner tous les mérites? Si nous l'appelons le lieu 



ÔV CHAPITRE VT^aT-Ol'ATRTEME. 

des Immbles, sous une expression à peine differenle, 
nous n'aurons fait que traduire la pensée du saint 
docteur. 

Oui, que les humbles seuls puissent dignement 
occuper la première place et représenter l'autorité 
de Jésus-Christ, c'est une de ces évidences de la foi 
qui s'offrent toutes vives aux esprits attentifs. Aussi 
la règle de saint Ignace, parmi les qualités indispen- 
sables que suppose la délégation de l'autorité, marque 
l'humilité entre les plus nécessaires. 

Cette vertu désignait donc le P. Barrelle au choix 
de la Compagnie ; et les répulsions mêmes qu'elle 
nourrissait en son cœur pour tout ce qui sentait le 
premier rang, bien loin de l'affaiblir, confirmaient 
davantage le choix de ses supérieurs. C'est pourquoi, 
si nous exceptons quelques mois, qui furent moins 
une interruption que l'attente d'une destination pré- 
vue, une fois le fardeau de la supériorité imposé au 
saint homme, il devra le subir désormais jusqu'à 
l'heure où il déposera en même temps le fardeau de 
la vie terrestre. 

Le noviciat et le collège d'Avignon, tantôt isolé- 
ment , tantôt ensemble , la résidence de Lyon , en 
dernier lieu le noviciat de Clermont, occupèrent les 
quatorze dernières années d'une vie toute sainte, et 
cette période admirable fit briller , dans ce supérieur 
selon l'esprit de saint Ignace, les mérites requis par 
son institut de tous ceux qui doivent y exercer le dif- 
ficile devoir de la supériorité. 

Pour faire le portrait du P. Barrelle sous ce nouvel 



RECTORAT A AVIGNON. 55 

aspect de sa vie, il nous sufiirait d'emprunter quel- 
ques traits à l'idëal d'évan/J^élique sa(jesse offert par 
la Compagnie de Jésus aux religieux qui, à divers 
titres, exercent dans son sein une portion du com- 
mandement, 

Quel noble représentant de l'autorité ne serait pas 
cet homme « dont la première sollicitude est de sou- 
tenir de sa prière , de porter pour ainsi dire , par la 
puissance de ses célestes désirs, la communauté re- 
mise en sa garde ' » ; cet homme « qui fait consister 
sa prééminence dans une plus grande ardeur pour la 
vie spirituelle^; dans une obéissance exemplaire à 
ceux qui lui représentent Jésus-Christ^ » ; cet homme 
« qui copie en son gouvernement la charité et la man- 
suétude du Sauveur, se dépouillant de tout esprit de 
domination, afin d'être par la vertu le modèle de ses 
frères, et qui les anime à la perfection plus encore de 
son exemple que de sa parole ^' » ; qui, « non content 
d'abonder avec ses inférieurs en paroles et en témoi- 
gnages de profonde affectiotî, pourvoit avec sollici- 
tude à tous leurs besoins corporels et spirituels ^ » ; 
cet homme enfin « qui tempère à propos l'une par 
l'autre la douceur et la sévérité , qui corrobore son 
autorité par les vertus solides , les tendres soins , la 
modestie et la circonspection du commandement, en 

1 Reg. rectoris 1. 

2 Reg. provincialis 1, 

3 Reg. rect. 20. 
* Reg. prov. 3. 
^ Reg. rect. 25, 



56 CHAPITRE VINGT-QUATRIEME. 

sorte que, aimnl)]e à chacun, il provoque la confiance 
de tous \ » 

Ce supérieur prédestiné par saint Ignace à ses en- 
fants , cet idéal fut, dans le P. Barrelle, une réalité 
vivante pendant les quatorze années qu'il exerça le 
commandement. 

La ferveur de l'esprit, Imperfection de l'obéissance, 
l'amour pratique de ses inférieurs, Thumilité dans le 
commandement, on trouva tout en lui, et en tel dé- 
féré qu'il sembla souvent trop parfait pour être imi- 
taljle; sa vertu allait toujours au delà de ses exhorta- 
tions; si quelquefois , prenant par devoir la forme de 
la sévérité, elle paraissait austère, elle était notoire- 
ment à ral)ri de tout motif humain, si subtil qu'il pût 
être, et l'on reconnaissait qu'elle s'inspirait exclusi- 
vement des convictions surnaturelles. 

Outre les ouvriers apostoliques qui composaient la 
résidence, la communauté d'Avignon comprenait 
alors un noviciat nombreux et déjeunes religieux qui 
se perfectionnaient dans les connaissances littéraires. 
Le P. Barrelle réunit tous les religieux dans la salle 
commune , et sa première parole de bienvenue fut cette 
profession de foi : qu'il venait, non pour commander, 
mais pour servir; pour être, à l'imitation du Sauveur, 
le serviteur de tous. Le développement de cette pen- 
sée gagna naturellement les cœurs à la confiance. 

Une entreprise délicate et d'une haute gravité ré- 
clama la première attention du nouveau supérieur. 
. Nous voulons parler de la création du collège catho- 

* Reg. prov. 4. 



REGTOUAT A AVIG.NON. 57 

liqiie d'AvJpnon, œuvre de zèle déjà bien avancée 
sous riieureuse influence du R. P. Ribeaux, prédé- 
cesseur du P. Barrelle. 

Vers les dernières années du rè(5ne de Louis-Phi- 
lippe, une lutte ardente s'était élevée contre l'omni- 
potence universitaire; l'apparition du Monopole^ 
avait amené, de la part de Fépiscopat, des réclama- 
tions unanimes en faveur de la liberté d'enseignement. 
La France entière s'émut à leur voix, s'étonnant d'a- 
voir pu porter si longtemps un joug repoussé aussi 
clairement par la constitution de Juillet que par la 
religion et le bon sens. Survint la révolution de 1848. 
De cette révolution et de ses propres luttes, la liberté 
d'enseignement sortit enfin victorieuse, sinon sans 
blessure. 

Avignon s'était distingué par son initiative. Les 
pères de famiUe s'y coalisant pour la cause de l'édu- 
cation chrétienne, osent prendre, ainsi s'expriment- 
ils, la liberté qu'on leur refuse. En janvier 1850, 
plusieurs mois avant que l'Assemblée nationale rou- 
vrît par une loi les collèges catholiques, ils inaugu- 
rent le premier collège libre que la France ait vu 
naître depuis 1828. 

1 Le monopole universitaire deslructeur de la religion et dea lois. 
Cet ouvra{;e puisait ses preuves dans les livres mômrs de l'ensei- 
ffnement olliciel. Il y montrait, avec une authenticité ijrécusalde, 
l'assemblage compacte de toutes les hérésies, de toutes les erreurs. 
Ne pouvant répondre à son écrasante logique, on put se plaindre 
que le rude lutteur se fût servi dans le comliat d'un gantelet de fer ; 
mais il avait préparé une grande victoire à la religion et à la 
liberté. 



58 CHAPITRE VKNGT-OU ATRIÈME. 

C'est à la Compagnie de Jésus que les pères de 
famille voulurent en confier le soin. 

Homme de cœur et de zèle, le R. P. Louis Ribeaux 
avait chaleureusement embrassé le généreux projet 
de nos amis. Le P. Barrelle, en entrant en charge, 
apportait d'autres idées et naturellement moins d'ar- 
deur à un dessein qu'il recevait en héritage et qui 
avait ses périls. Il n'était pas homme à s'aventurer 
dans l'inconnu. Tout d'abord il mesura froidement 
l'entreprise; il confronta les résultats probables avec 
les ressources et les difficultés du moment. Certes, il 
n'en était pas à faire ses preuves de dévouement per- 
sonnel. N'eùt-il fallu que se commettre lui-même, il 
n'aurait pas hésilé; mais il n'aurait eu garde, par 
une démarche précipitée, de compromettre la Com- 
pagnie et peut-être même la cause qu'il fallait servir. 
Quel était donc l'état des choses et des esprits? 

Il y avait quelques mois à peine, dans cette même 
ville, ces mêmes Jésuites qui devaient aujourd'hui se 
mettre en avant, on les avait brutalement et sans 
cause arrachés de leur demeure et expulsés sans res- 
sources hors des limites du département. Les orages 
qui avaient rendu possible une telle violation du droit 
et, de l'humanité n'étaient pas encore bien éloignés; 
ils grondaient encore, à peine assoupis, dans les agi- 
tations de l'Assemblée nationale. Au reste, pourquoi 
se hâter? La loi était annoncée, promise; elle allait 
être discutée; l'essai qu'on voulait' tenter en la pré- 
venant ne lui deviendrait-il pas fatal? En se mettant 
en évidence, les Jésuites n'allaient-ils pas réveiller 



RECTORAT A AVIGKON. 59 

des animosités mal endormies? ne provoqueraient-ils 
pas une exclusion directe qui mettrait une fois de plus 
la Compagnie de Jésus en dehors du bénéfice de la 
liberté commune? La plus légitime impatience ne 
pouvait-elle attendre quelques mois encore? Et ces 
quelques mois disputés à un monopole expirant, était- 
ce bien là un intérêt assez grave pour justifier une 
entreprise hasardeuse ? 

Ces pensées ne manquaient pas de sagesse. Mais le 
comité des pères de famille avait une confiance iné- 
branlable dans le bon droit. Las de le voir méconnu, 
il leur tardait de le sauver en l'affirmant avec éclat à 
la face de la France. Ils pressentaient l'influence 
décisive que devait exercer leur salutaire impatience 
sur les délibérations de l'Assemblée. Quant aux Pères 
de la Compagnie, le comité couvrait leur responsa- 
bilité. En cédant au vœu des familles, ils ne faisaient 
que reconnaître et mériter de plus en plus, par ce 
nouveau service, l'affection traditionnelle que leur 
gardent depuis des siècles les habitants d'Avignon. 

La joie du peuple à l'ouverture du nouveau col- 
lège fut le premier triomphe de ces généreuses 
prévisions. 

M"' Debelay, archevêque d'Avignon, fit l'inaugura- 
tion solennelle des classes dans l'église de Saint-Didier, 
par la messe du Saint-Esprit et par un discours qu'a- 
nimaient d'éloquentes espérances. Il posait un acte 
d'une portée incalculable pour l'avenir de la liberté 
religieuse; et, tout rempli de glorieux pressentiments, 
son cœur revendiquait avec joie la paternité de l'œu- 



60 CHAPITRE VI^GT-OU ATR lEME. 

vre nouvelle. Nous l'avons entendu souvent rappeler 
ce souvenir et se plaire à dater de ce jour mémorable 
la tendresse protectrice dont il couvrit toujours, de- 
puis, le collège Saint-Joseph. 

Peu après, les députés de Yaucluse obtenaient du 
Président de la république l'abolition du certificat 
d'études; et enfin l'un d'eux, répondant à cette ob- 
jection que la France n'était pas en mesure de se 
servir de la liberté d'enseignement, put dire à l'As- 
semblée nationale : — «^îessieurs, ce que vous dis- 
cutez ici se pratique à Avignon. Nous avons là un 
externat lil)re et gratuit d'enseignement secondaire, 
sous la protection des pères de famille. » 

Ainsi avait pris naissance le collège Saint-Joseph, 
au milieu même des résistances de celui qui devait 
en être le premier supérieur. Le R. P. Louis Ribeaux, 
qui avait eu l'avantage de prêter à la commission son 
concours ardent et efficace, eut aussi la consolation 
de désigner saint Joseph comme patron du nouvel 
étidjlissement. Ce patronage fut une des délicatesses 
de la Providence pour attacher le cœur du P. Barrelle 
à cette seconde famille qui venait s'abriter à l'ombre 
de la première. 

Les jours de classe, les jeunes professeurs partaient 
de la maison du noviciat, portant sous le bras le petit 
bagage des livres classiques, et se rendaient à Saint- 
Pierre de Luxembourg, où des salles bien modestes 
recevaient les maîtres et les élèves. Ilien de touchant 
comme ce rendez-vous quotidien, où chacun aj^portait 
fidèlement sa part, les maîlres un dévouement afièc- 



HECTOR AT A AVI GIN ON. 61 

tueux, les élèves une filiale confiance. Rien de simple 
et de (gracieux comme ce iiaïf abandon des enfants à 
ces instituteurs qu'ils nommaient leurs pères. Cette 
première année scolaire eut un charme particulier. 
Elle a laissé dans le cœur de ceux qui ont eu leur 
part de ses travaux ou de ses avantages, quelque 
chose de ce souvenir embaumé qui tient de la fraîcheur 
du jeune âge. 

Pas d'or(}anisation plus simple, pas de mouvement 
plus facile que celui de cet externat naissant. Le 
supérieur pouvait se contenter de présider de loin 
aux intérêts des études et accorder une partie de son 
temps aux travaux accoutumés du saint ministère. Il 
visitait quelquefois cette chère jeunesse, et venait aux 
occasions solennelles prendre part à ses succès nais- 
sants. Le 27 mai 1850, il écrit : 

" Nous avons eu tout à Fhcure séance académique 
à l'externat. M^' Tarchevêque et la fleur de la ville 
nous ont honorés de leur présence. Et que pensez- 
vous (]ue nous ayons fait? Toute la séance a été con- 
sacrée à fêter notre bonne Mère. Puisse-t-elîe nous 
bénir du haut des cieux! » 

Cependant la loi du 15 mars 1850, en rendant aux 
familles la liberté de l'éducation, vint chaup^er nota- 
blement la face des choses. Il fallut donner du déve- 
loppement à des commencements timides, satisfaire 
le vœu (général en acceptant des pensionnaires, créer 
une maison nouvelle, improviser, en un mot, tout le 
matériel d'un grand collège, dans un local disposé 
jusqu'alors pour un petit nombre de pauvres orphelins. 

TOM. II. 4 



62 CHAPITRE VK\GT-0 U ATRIÈME. 

La loi sur l'enseignement n'avait que huit jours 
de date, et déjà le P. Barrelle écrivait, le 22 mars 
1850 : 

« Je vous remercie du vif intérêt que vous voulez 
bien porter en Notre-Seigneur à l'œuvre commencée 
ici. Elle va bien; nos enfants contentent leurs maî- 
tres; leur front s'éclaire et leur cœur s'ouvre à l'esprit 
de famille. Point de tracasseries de la part du serpent 
jusqu'à ce jour, sinon en menaces lointaines qui ne 
nous font pas grand'peur. Saint Joseph, dont nous 
avons donné le nom à l'externat, nous défendra, je 
l'espère, et même nous fera grandir pour la gloire 
de Jésus et pour le bien des pauvres âmes. C'est une 
œuvre toute de providence, pour laquelle il nous 
faut d'abord chercher le rovaume de Dieu et sa jus- 
tice, afin que tout le reste nous soit ajouté. Elle ne 
nous a point fait défaut jusqu'ici ; c'est ce qui redouble 
notre confiance. Puissions-nous la conserver intacte 
dans les jours d'épreuve qui, sans doute, ne manque- 
ront pas d'arriver ! 

» Nous pensons joindre un pensionnat à l'externat, 
afin de donner aux villes voisines le moyen de profiter 
des cours, sans exposer leurs enfants à la corruption 
qui circule ici comme partout ailleurs. Je recommande 
tout ceci à vos prières. » 

Bientôt affluèrent de toutes parts les demandes 
d'admission. L'activité des Jésuites fut au niveau des 
besoins, et l'ouverture des classes réunit dans le col- 
lège Saint-Joseph une jeunesse nombreuse accourue 
de tous les départements environnants. 



RECTORAT A AVIG^sO;. 63 

A ce moinent-là même, le 1**' novembre 1850, le 
Très-Révérend Père Général nomma le R. P. Barrelle 
recteur des deux maisons d'Avignon. 

Des devoirs nouveaux, nés de la situation nouvelle, 
attachèrent plus spécialement le P. Barrelle aux 
besoins du collège naissant. Il dut sevrer en partie 
son zèle des fatigues du ministère extérieur, sacrifier 
ses goûts et ses habitudes, et, après dix années d'apo- 
stolique activité, enchaîner toute cette ardeur dans les 
étroites limites d'un pensionnat, au service des enfants 
qu'on lui confiait. 

Le saint religieux n'hésita pas. Il prit au sérieux sa 
charge et se dévoua à son œuvre. En sa personne, la 
Compagnie prenait en main la direction des hommes 
et des choses; il en revendiqua la responsabilité tout 
entière. Jusqu'alors un conseil d'administration laïque 
avait pu s'immiscer dans la direction de l'externat. 
Mais les circonstances avaient régularisé la situation ; 
le conseil pouvait et devait se retirer. Il avait eu son 
heure providentielle et bien mérité de la religion et de 
la Compagnie de Jésus. Mais sa mission protectrice 
était terminée dès que la Compagnie pouvait se pré- 
senter en son propre nom. Pénétré de l'esprit et des 
traditions de l'Institut, le P. Barrelle tint ferme pour 
dégagerl'autorité dont il était dépositaire. Les membres 
du conseil d'administration comprirent qu'il n'était 
pas dans l'ordre que des laïques, même dévoués, se 
mêlassent de l'administration intérieure d'un établis- 
sement religieux. Ils donnèrent, en se retirant sans 
bruit, une preuve de dévouement et de sagesse non 



()4 CHAPITRE YJ.NGT-OUATRIEME. 

moins appréciable que lorsqu'ils avaient couraoeu.se- 
ment pationé la naissance du collège. 

Nous aurions à rappeler ici la vénération et la con- 
fiance sans égale qui amenait les parents auprès du 
R. P. Barrelle. Il faudrait prendre sur le fait une de 
ces scènes charmantes où, placé entre l'enfant et la 
mère, il fascinait l'un et l'autre par cet air de gravité 
si affable qui caractérisait son accueil, par ce regard 
doux et profond qui enveloppait l'àme du petit enFant 
et l'attirait irrésistiblement. 11 j^ossédait à merveille 
la langue enfantine des mères., ramenait à des formes 
naïves et imagées les conseils destinés à ces intel- 
ligences toutes neuves; et se faisait si bien h leur 
mesure, que, malgré sa majesté toute patriarcale, 
leurs cœurs allaient à lui comme à un ami. C'est qu'en 
effet cbacun semblait l'occuper tout entier; nulle 
occasion n'était oubliée. Un regard expressif, un mot 
venait à propos stimuler, encourager, relever ces 
petites âmes et surtout inculquer les souvenirs de foi 
et les sentiments de la piété. 

Aussi quel délicieux esprit de famille il sut inspirer 
à ces enfants! La simplicité, la piété, la docilité sem- 
blaient en eux être la nature. Un Père avait-il parlé? 
il ne venait pas en pensée au plus étourdi qu'on pût 
hésiter à obéir; un autre se montrait-il? on courait à 
lui avec abandon; le collège, en un mot, c'était encore 
la famille. 

Ces jeunes enfants de dix à douze ans, dans ces 
petits récits naïfs que renfermait leur correspondance, 
parlaient de leur collège comme d'un autre fover 



RECTORAT A AVIGNOX: 05 

domestique, d'une seconde maison paternelle dont ils 
épousaient les joies et les intérêts. Là se reflétait le 
bonheur de leur âme s' épanouissant à la charité du 
saint Recteur, au sein de cette vie de famille dont le 
souvenir déjà lointain les touche encore jusqu'aux 
larmes. Que de fois depuis ils ont redit ce candide éloge 
d'un temps qui leur sera toujours cher : — « Que nous 
étions heureux alors ! » 

Le P. Barrelle en parlait avec simplicité et réserve 
dans les épanchements de la conOdence. A la date du 
19 mars 1851, il s'exprimait ainsi : 

«Vous me demandez des nouvelles de notre collège. 
Il va , béni de Dieu , grandissant peu à peu et nous 
amenant plus d'une espérance. Nous sommes mainte- 
nant en bâtisse pour l'an prochain, avec une confiance 
qui n'a à peu près rien à attendre que de la bonté de 
notre Père tout-puissant. Mais cela ne vaut-il pas mieux 
que toute autre chose? La piété, du reste, la simpli- 
cité, le travail, le bon esprit, animent nos enfants, et 
notre cœur en est tout consolé. » 

Lorsque le R. P. Maillard, juge expérimenté s'il en 
fut, vint, en qualité de Provincial faire la première 
visite du collège Saint-Joseph, il vit s'empresser autour 
de soi cette jeunesse pure et joyeuse, et il dit avec 
admiration : — «Le collège Saint-Joseph possède dès 
le début cet excellent esprit qui est la perfection des 
autres. » 

Présider à d'aussi heureux commencements, c'était 
avoir beaucoup fait pour l'avenir. Le P. Barrelle com- 
prit que là devait, pour le moment, se borner son 



C6 CHAPITRE VINGT-0 tJATRIÈME. 

action. L'impulsion était donnée. Pour la suivre et la 
développer, il fallait un homme tout entier. Pour lui, 
partagé qu'il était par devoir entre la résidence et le 
collège, il ne pouvait se donner qu'à demi. Souvent 
des œuvres importantes l'arrachaient à ses enfants. Il 
sentait que leur bien devait en souffrir autant que son 
cœur; il supplia qu'on voulût bien le décharger d'une 
partie de son fardeau. On finit par se rendre à ses 
désirs, et le 11 mai 1851, huit mois après l'ouverture 
des classes, il remit ce collège aux mains d'un 
Père que, depuis longues années, la ville d'Avignon 
aimait et estimait pour le charme de son éloquence et 
pour la prudence de ses conseils. Cinq ans plus tard, 
nul n'eût su prévoir ce retour, cinq ans plus tard le 
P. Barrelle reprendra de ces mêmes mains le précieux 
trésor qu'il vient de leur confier. 

A la résidence, son rôle est tout différent. Le supé- 
rieur religieux et l'ouvrier apostolique retrouvent en 
sa personne leur modèle et leur perfection. Placé sur 
le chandelier pour être la lumière de ses inférieurs, il 
éclairait encore plus par son exemple que par sa 
parole. Souvent en course pour des retraites spiri- 
tuelles , il ne passait que fort peu de mois au milieu 
des siens ; mais quand il revenait des extrémités de la 
France où sa réputation l'avait appelé , il rappor- 
tait toujours plus admirable la vivante personnification 
du recueillement et de la ferveur, de la douceur et 
de la gravité, de la régularité et du zèle. 

Au dehors, il partageait ses soins entre les commu- 
nautés religieuses, les pensionnats et le clergé, auquel 



RECTORAT A AVIGNON. s C)7 

il continuait à donner régulièrement chaque année 
cinq ou six retraites pastorales. Dans la ville, à part 
les exercices de communauté et les confessions dans 
la chapelle, il consacrait son temps aux divers couvents 
qui réclamaient son secours , spécialement au Sacré- 
Cœur, à la Bienfaisance et à l'Aumône, asile de vieil- 
lards et d'orphelins, où il aimait à catéchiser les 
pauvres et les enfants. 

Il était réservé à sa piété d'ouvrir enfin dans notre 
résidence un petit sanctuaire public, que depuis trente 
années les circonstances nous avaient réduits à désirer 
toujours. Dieu! quel sanctuaire ou quel Bethléhem! 
Une sorte de cave voûtée, emprisonnée dans de vieux 
piliers massifs qui lui mesuraient quelques mètres 
d'espace, et dont le goût le plus habile ne pouvait 
faire qu'une crypte presque funèbre. Aussi l'élégance 
et le bon goût n'eurent point là leur triomphe. La 
pauvreté décora ce sanctuaire souterrain dédié au 
Sacré-Cœur de Jésus. 

Tout heureux d'avoir pu offrir à ce divin Cœur, 
sous son toit, un lieu où venait le chercher la dévotion 
populaire, la tendre piété du bon Père l'orna de ces 
mille riens, devises, fleurs et symboles, qui, réunis 
et groupés , finirent par attacher les regards et par 
gagner les cœurs. Au fond de la crypte une grande 
et belle peinture surmontait l'autel. C'était Notre- 
Seigneur Jésus-Christ présentant son cœur. Ce cœur 
paraissait faire entendre ses invitations et ses plaintes 
, divines par les inscriptions pieuses empruntées à la 
sainte Ecriture qui parsemaient les murailles. Tout 



68 CHAPITRE Virs'GT-vl UATRIÉME. 

cet ensemjjle, flans la demi-clarté du lieu, portait 
tbrcémeut au recueillement et à la prière. Le con- 
fessionnal du saint homme se trouvait dans un enfon- 
cement. Tout auprès, et pour exciter les pénitents à 
la contrition de leurs péchés, il plaça une ima^^e dou- 
loureuse et sanglante de Jésus crucifié, selonle modèle 
attrihué à la Solitaire des rochers. 

L'humble sanctuaire du Cœur de Jésus ne s'honorait 
pas en vain de ce doux patronage. Que de grâces 
semblaient attachées à ces pauvres murs , à ces em- 
blèmes naïfs , à cette obscurité recueiUie ! quels pieux 
empressements venaient y goûter les purs attraits du 
saint amour, y recueillir les divines miséricordes! Le 
P. Recteur convoqua les fidèles à une instruction 
régulière le premier vendredi de chaque mois. Il s'en 
acquitta lui-même la première année avec autant de 
bonheur que de zèle. L'année suivante, il céda la 
parole au Père maître àes novices. Or, il arrivait 
quelquefois à celui-ci, tout en parlant à la gloire du 
Sacré-Cœur, d'insister sur certains mystères qui coïn- 
cidaient avec le premier vendredi. Le bon Recteur 
faisait alors de gracieuses doléances au prédicateur et 
lui reprochait en souriant d'avoir laissé dans Tombre 
soîi pauvre Sacré-Cœur. Un jour que, mieux inspiré 
et plus fidèle à son pieux désir, l'orateur s'était appli- 
qué à bien faire connaître le Cœur divin, le P. Bar- 
relle s'empressa de le remercier avec un sentiment de 
joie touchante. 

La crypte bien-aimée entendit souvent les saintes 
exhortations de l'homme de Dieu. Il y prêchait les 



RECTORAT A AVIGNON. C9 

fêtes et les mystères , il y donnait des retraites et 
même des stations, laissant sortir des profondeurs de 
sa foi le trop-plein du zèle qui le dévorait. En 1854, 
— le Père avait alors soixante ans, — - il y donna la 
station de Carême. Les préoccupations de la sainte 
Eglise à cette e'poque de l'année lui désignèrent sou 
sujet. Le Cénacle, Gethsémani , les tribunaux, Judas 
et le Sanhédrin , Pilate et la flagellation , se parta- 
gèrent les cinq premières semaines; et ce cours de 
dévotes élévations s'acheva par les douleurs de Marie, 
la dévotion à la Passion et la dévotion à la Croix, 
Nous exprimerions mal ce soufile de dévotion brû- 
lante qui emportait sans fatigue le pieux auditoire 
aux pieds de Jésus crucifié. 

La morte-saison se passait ainsi en j)rédications et 
en retraites, soit dans la chapelle de la rue Saint- 
Marc, soit dans les divers couvents de la ville, ou 
bien dans l'ombre laboiieuse du confessionnal. L'été 
et l'automne ramenaient les retraites lointaines au 
clergé, aux pensionnats et aux communautés reli- 
gieuses. 

Avant de parler de ce dernier ministère, un instant 
considérons le supérieiu^ dans sa maison , le Père au 
milieu de ses enfants. 



««oooo^oeoce 



IIECTORAT A AVIGNON. 71 



CHAPITRE XXV. 

RECTORAT A AVIGNON. 

Le père dans la famille reli{ïieuse. — Habitudes contemplatives. — 
La vertu en action. — Supériorité à la rue Sala. — Retour. 

Les novices étaient comme les Benjamins de la fa- 
mille. Mais le prudent Recteur n'avait garde, malgré 
sa prédilection pour eux à cause de leur ferveur et 
des espérances qui reposaient en leur vertu naissante, 
de dépasser les limites d'un haut patronage et de 
mêler trop directement son action à celle du Maître 
des novices. 

« Je n'ai jamais pu le déterminer, nous dit le Père 
maître, à faire une conférence à nos novices. Cepen- 
dant il ne négligeait aucune occasion de les porter à 
Dieu par quelque bonne parole. Cette parole, dite aux 
novices ou à d'autres , était presque toujours pour les 
porter à une plus grande humilité, à une parfaite 
obéissance, ou au complet détachement du cœur. 
Tel était également F objet ordinaire de ses paternelles 
allocutions à la communauté, la veille de sa fête ou 
le 1'' janvier. » 

Mais il voulait la joie dans l'humilité et la dilatation 
dans le sacrifice. — «Bien! bien! mes bons frères, 
disait-il un jour, à la maison de campagne, aujour- 



72 CIIAPITUE VINGT-CIAOUIEME. 

d'iiui les visages sont épanouis, tout le monde a l'air 
joyeux... Il ("aut être modeste, sans doute, mais aussi 
aimable et ouvert. 

» Ah! le novice se tient dans son petit coin, comme 
la colomhette qui bat un peu des ailes pour se tenir 
au frais, et cpii montre le bec si on la de'ranjje. Il faut, 
mes chers frères novices, acquérir une vertu robuste, 
avoir une modestie pleine de vigilance, sans doute, 
mais large en même temps. Par-dessus tout, il ne 
faut rien faire par contrainte; tout par amour. Sans 
ce principe suave et fort, plus tard on n'y tient 
pas. Que d'occasions, en effet, dans les collèges, 
par exemple! Formez-vous donc à cet esprit. » 

« Je me souviens, ajoute le témoin, d'un autre en- 
tretien qu'il eut avec nous à la maison de campagne; 
car c'était là surtout que nous avions occasion de le 
voir. — « Oh! le bon Maître! oh! le bon Maître que 
» nous servons! quand le servirons-nous comme il le 
» mérite! — Et il répétait : Oh ! le bon Maître! ah! 
» cju'il me tarde d'aller le rejoindre ! quand me sera-t-il 
» donné de mourir? Nous sommes d'âge, nous deux, 
» pourtant, ajoutait-il en s'adressant au P. Rigaud. — 
» Ah! mon Piévérend Pérc, lui dit celui-ci, c'est qu'il 
» faut auparavant mourir à soi-même. — Pour ceci, 
55 reprit vivement le P. Barrelle, désormais c'est plus 
55 l'affaire du bon Dieu que la nôtre. 55 

« Quelque temps après soniîa l'examen; le P. Bar- 
relle se retira dans la rotonde dédiée à saint Joseph. 
Je l'entendis plein er et sangloter jusqu'au moment où, 
peu avant le dîner, pour calmer ses émotions, sans 



RECTORAT A AVIGNON. 73 

doute, il quitta la rotonde, et alla achever sou 
examen dans le jardin. » 

Cette jeunesse, à son seul aspect, était frappée de 
respect et attirée par un charme secret. Avant de le 
voir elle n'avait pas l'idée d'une figure aussi calme et 
aussi souriante, aussi bienveillante et aussi élevée, 
d'une modestie aussi grave et aussi douce tout 
ensemble. 

A leur tour, nos jeunes étudiants, quand il les vi- 
sitait à l'heure des récréations, étaient vivement 
intéressés par sa gaieté, sa diction piquante et ima- 
gée, mais surtout ils se sentaient gagnés progressive- 
ment par une chaleur de piété qui émanait de son 
ton , de ses réflexions , de ses maximes et des traits 
édifiants dont il émaillait le discours. A peine les 
avait-il quittés, une même exclamation sortait de 
toutes les bouches : « Le Père Recteur est un saint!» 

Aux époques où ces jeunes religieux devaient ou- 
vrir leur conscience au Supérieur pour recevoir ses 
avis et sa direction, en peu de minutes, il compre- 
nait toute leur âme , et il devinait si juste leur besoin 
qu'ils croyaient sans hésiter à une lumière sur- 
naturelle. 

Il se plaisait à parler avec nos frères coadjuteurs. 
Lorsqu'il passait devant eux, après la première ré- 
création, il ne manquait pas de leur faire un char- 
mant sourire et de la main un grand et paternel 
salut. Souvent il se mêlait à eux, se montrant gra- 
cieux et répandant la gaieté. Les choses du ciel 
venaient naturellement sur ses lèvres , et il ne man- 

TOM. II. 5 



74 CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME. 

quait guère de dire* aux bons Frères un mot de saint 
Joseph, à cause de l'analogie de son existence avec 
leur vie de travail et d'obscurité. 

Nul ne fut jamais j)lus ponctuel aux exercices de la 
vie commune. Il était, entre autres , d'une assiduité 
merveilleuse aux récréations. Y entretenir la joie lui 
paraissait un des plus heureux moyens de dilater la 
charité fraternelle. Toujours présent aux souvenirs du 
ciel , il avait de la peine à descendre des hauteurs 
surnaturelles où vivaient ses pensées et son cœur; 
« aussi était-il sobre de paroles, dit le Père maître 
des novices, excepté lorsque la conversation prétait 
davantage à insinuer quelque réflexion pieuse. Mais, 
alors même qu'il gardait le silence, il suivait les 
entretiens, il aimait à nous voir joyeux et gais, il 
prenait sincèrement part à la joie commune, riant 
lui-même de tout son cœur, avec une naïveté 
presque enfantine. » 

Mais, comme cet élément éthéré qui s'élève par 
sa pente naturelle vers les sphères supérieures, l'àme 
du saint religieux remontait par une inclination in- 
stinctive dans les régions de l'esprit. Alors son regard 
et ses soupirs cherchaient le ciel, et sa pensée suivait 
avec peine le courant capricieux et plus terre à terre 
de la conversation commune. Tel de nos Pères , 
homme de charmant esprit et de saillies joviales, 
s'était donné la mission de ramener le bon PiCcteur à 
la réalité vulgaire. Il interrompait à dessein ses éléva- 
tions de cœur et ses soupirs , le forçant , par un trait 
spirituel, à redescendre au niveau terrestre. Or, 



RECTORAT A AVIGNON. Yo 

c'était toujours avec un franc sourire que le saint 
homme répondait à ces saillies joyeuses; il accueillait 
avec une grâce charmante ces interruptions pré- 
méditées. 

Rendu à sa chère cellule, il s'y perdait en Dieu. 
On peut dire que son corps seul habitait la terre, 
encore s'efforçait-il de lui créer comme un milieu sur- 
naturel dans l'ordre sensible , afin qu'au lieu de 
l'appesantir vers le monde terrestre, il aidât son être 
spirituel à prendre son essor dans le sein de Dieu. 
Gomme il avait semé dans la crypte de pieux em- 
blèmes , comme il avait multiplié dans la maison les 
symboles de la piété , dans sa chambre il avait rendu 
visible le dépouillement religieux, la solitude et la 
croix. Isolé sur sa table toute pauvre , mais splendide 
de propreté , un crucifix où s'attachaient son regard 
et son cœur, une Bible, à certaines époques son re- 
liquaire, et de loin en loin, selon l'occasion, c'est- 
à-dire suivant l'exigence de sa dévotion, une dévote 
gravure. Nous nous souvenons d'y avoir vu la ressem- 
blance de ce Christ sanglant et déchiré attribué à la 
Solitaire des rochers. Son âme habitait pour ainsi dire 
dans ces plaies et s'y enivrait d'émotions puissantes, 
où s'exaltait le saint amour. Toutes les vertus vivaient 
dans sa cellule dépouillée, silencieuse et recueillie 
comme un sanctuaire; la pauvreté parfaite en faisait 
toute l'opulence , l'oraison vraiment ininterrompue 
du saint Recteur y répandait une plénitude de 
paix qui rendait Dieu sensible comme dans un lieu 
sanctifié. 



76 CHAPITRE VINGT-CIINOUIEME. 

« Quand il n'était pas occupé par quelque mi- 
nistère, dit encore le Père maîhe, on le trouvait à 
coup sur ou devant le saint Sacrement, ou mo- 
destement assis devant sa table, en face de son cru- 
cifix. Il a toujours produit en moi l'impression d'un 
homme qui voit tout en Dieu, d'un homme qui inva- 
riablement apprécie toute chose au point de vue sur- 
naturel. Son état de santé exigeant des ména/jements, 
il en profitait pour se tenir uni à Dieu dans le silence 
et la prière. » 

Rien ne chang^ea jamais à ses habitudes contem- 
])latives. Trois heures du matin le trouvaient toujours 
sur pied; l'oraison le préparait au saint sacrifice, 
qu'il célébrait à quatre heures et demie , l'oraison le 
recevait au sortir de Fautel et le renfermait jusqu'à 
huit heures dans l'intimité avec l'hôte divin de son 
cœur. Sa journée , nous l'avons vu , n'était qu'une 
prière, et souvent ses soupirs et ses gémissements 
éclataient hors de sa cellule , trahissant les secrets 
tourments de l'amour divin. Avant le repas du soir, 
qui n'était d'ordinaire qu'un simple potage , il allait 
prendre longuement, dans un coin retiré près du 
saint Tabernacle, sa réfection spirituelle. Chaque 
vendredi il faisait ce qu'on appelle l'heure sainte, 
heure passée en esprit avec Jésus au jardin de l'ago- 
nie, en présence du saint autel où se continuent ses 
délaissements. 

Il croyait devoir accorder deux retraites chaque 
aunée aux besoins de son âme, et chaque mois im 
jour de solitude pour se préparer à la mort. Ce jour-là 



RECTO Ux\T A AVIGNON. 77 

le Frère portier avait le mot d'ordre : le P. Recteur 
n'était visible pour personne. 

Une de ses coutumes était d'envoyer le jeudi saint 
tout le monde prendre le repos ordinaire; pour lui, 
il se réservait de représenter la communauté auprès 
de Jésus souffrant. Cette nuit passée entière devant le 
saint Sacrement lui était le plus doux des repos. 

Mais sa suprême joie était la célébration du saint 
sacrifice. Nous voyons encore cette tenue si humble 
et si pénétrée, lorsqu'il récitait au bas des de(}rés le 
psaume Judica me, ces re^jards brillants jetés sur 
l'bostie et qui semblaient s'adresser à Jésus-Christ 
même sensiblement visible, ce front chauve appuyé 
sur l'autel , pour ainsi dire sur la divine hostie au 
moment où il allait s'en communier, cette tendre 
adoration lorsque , allant distribuer son Jésus aux 
fidèles, il pressait le ciboire dans ses mains et presque 
sur sa poitrine. Ce qui sortait de tout cela, c'était la 
pensée que, pour lui, la foi c'était déjà la vision; 
l'amour, c'était déjà la possession et la jouissance. 

Un jour, c'était pour la Fête-Dieu , la procession 
descendait la rue Saint-Marc, s' avançant vers notre 
maison, où toute la communauté réunie autour du 
reposoir attendait l'arrivée du saint Sacrement. Le 
P. Barrelle, tourné vers le sommet de la rue, con- 
templait avec bonheur la foule pieuse qui accompa- 
gnait le Sauveur ou qui s'agenouillait sur son passage. 
Après quelques instants , les yeux baissés et le visage 
rayonnant de joie, son cœur fondit en pieuses larmes 
qui coulèrent lentement sur ses joues tout le temps 



78 CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME, 

que dura la cérémonie. Pour lui, il demeura ainsi 
immobile, absorbé en Dieu et comme en extase. Mais 
les spectateurs, mal>;ré leur recueillement, ne pou- 
vaient s'empêcher de remarquer, cette dévotion si 
tendre et si pénétrée. Plusieurs de nos jeunes reli- 
gieux en furent les témoins émerveillés et s'en entre- 
tinrent ensuite avec admiration. 

Nous nous oublions à parler des vertus person- 
nelles du saint religieux; nous aurons à y revenir. 
Ici il convient de prendre sur le fait la vertu du 
supérieur. 

L'humilité, croyons-nous, en caractérisait les actes, 
et il avait pris au sérieux et à la lettre l'enseignement 
de saint Grégoire. Pour lui, la supériorité était prati- 
quement le lieu de l'humilité. 

Un novice, admis de la veille, balayait pour la 
première fois les corridors de la maison. Assez embar- 
rassé dans son apprentissage, il ne savait comment 
ramasser les derniers restes de la poussière. Le 
P. Recteur vient à passer, il devine l'embarras du 
jeune Frère, prend en main le balai, achève en sou- 
riant la besogne du novice et se retire. Quelqu'un 
plaisantait plus tard le bon Frère sur son embarras ; 
le P. Barrelle en prit occasion de faire ressortir le 
mérite caché dans les petites choses et la divine 
excellence que leur communique l'intention de plaire 
à Dieu et de faire en perfection ce que l'on fait 
pour lui. 

Une autre fois, Vordo qui indique l'office du jour 
désignait à tort la couleur de l'ornement. Le Frère 



RECTORAT A AVIGNON. 79 

sacristain place sur la crëdence la couleur indiquée. 
Le P. Barrelle reconnaît une erreur, l'attribue au bon 
Frère et le gronde d'un ton paternel. Mais comme 
il s'agissait de FEglise et des régies de la liturgie, 
pour laquelle il professait un souverain respect, il 
mêle à son avertissement une parole sévère. Le len- 
demain, à la maison de campagne, il prend à part le 
bon Frère : «Mon cher Frère, lui dit-il, je vous ai 
grondé hier; vous n'étiez pas en faute, je vous de- 
mande pardon. — A moi! mon Révérend Père? dit 
le sacristain confus. — Oui, bon Frère, c'est moi qui 
avais tort; car vous avez suivi Yordo et c'était votre 
devoir. » 

Mal renseigné sur le compte d'un Frère coadjuteur, 
le P. Barrelle lui avait imposé de faire, selon l'usage, 
une accusation publique. Plus tard, mieux informé, 
il saisit une occasion solennelle pour disculper publi- 
quement le religieux. Devant toute la communauté, 
il s'accusa de s'être laissé prévenir sur un de ses infé- 
rieurs. — a J'aurais dû, ajouta-t-il , m'éclairer davan- 
tage. » Puis il engagea celui qui l'avait induit en erreur 
à faire réparation. 

Plus d'une année après, ce souvenir pénible le 
poursuivait encore. Gomme il rencontra le même 
Frère dans une autre maison, il le serra affectueuse- 
ment dans ses bras et lui dit : « Mon cher Frère, 
vous me pardonnez, n'est-ce pas? — Eh! que puis-je 
vous pardonner, mon Père, moi qui aurais bien 
plutôt à vous demander mille fois pardon! — Non, 
cher Frère, non; vous savez bien? Oh! vous me par- 



80 CHAPITRE VIIN GT-CINQUIÈME. 

donnez, n'est-ce pas? Oui, je vois votre cœur et cela 
me suffît. » 

Quelle délicatesse de charité ! 

Alors que, pour la seconde fois, le P. Barrelle 
était recteur du collège Saint-Joseph, un Père de la 
résidence vint le visiter en compagnie d'un novice 
qui, ce jour-là, avait prononcé ses premiers vœux. Le 
P. Barrelle l'ignorait, et les deux visiteurs se reti- 
rèrent sans qu'il eût adressé un mot de félicitation au 
nouveau religieux. 11 apprend bientôt que ce Frère 
qu'il a laissé passer ainsi inaperçu a fait ses vœux le 
matin même. Aussitôt , confus et vivement peiné de 
son oubli involontaire , il députe à Ja maison du no- 
viciat un Père du collège , chargé de faire en son 
nom ses excuses au religieux oublié. 

Deux frères se trouvaient ensemble au noviciat de 
la rue Saint-Marc. Une de leurs sœurs arrive de loin, 
se rendant à Aix pour y rejoindre une autre de ses 
sœurs, déjà admise dans une communauté religieuse. 
Il était tard; le bon Père s'occupe de la faire accom- 
pagner dans une maison du même ordre, où elle 
passe la nuit. Au départ, le matin, quand elle prend 
congé de ses frères , le Père Recteur découvre que 
cette bonne fille est à jeun , et elle a devant elle une 
journée de voyage. L'oubli de la bonne communauté 
est à l'instant réparé ; une table est dressée au parloir, 
et la pauvre fille déjeune en compagnie d'un de ses 
frères. Ce n'est pas tout. Ce jour-là , une heure excep- 
tionnelle de récréation est accordée à tout le novi- 
ciat, en l'honneur de cette famille bénie qui donnait 



RECTORAT A' AVIGNON. 81 

à Notre-Seigiieur deux religieuses et deux Jésuites. Le 
bon Frère, après seize années, est encore tout ému 
de ce trait de bonté. 

Quoi d'étonnant que les fautes contre la cbarité 
fraternelle ne trouvassent point grâce devant les yeux 
du saint Recteur? 

Un Frère coadjuteur avait traité un autre Frère 
avec trop de rigueur. Sa faute fut proclamée publi- 
quement au réfectoire devant toute la communauté. 

Exact défenseur de la règle, le P. Barrelle avait en 
même temps de douces condescendances. 

Par un oubli du Frère sacristain , les hosties 
consacrées vinrent un jour à manquer pour la com- 
munion. — « Mon cher Frère, dit l'équitable Rec- 
teur, plusieurs, par votre faute, n'ont pas eu le 
bonheur de communier; vous serez privé demain du 
même bonheur. » Le bon Frère, fort affligé de cette 
privation , eut la pieuse industrie de demander par- 
don. C'était prendre le Supérieur par son faible que 
de s'humilier franchement d'une faute. Le P. Barrelle 
oublie son sérieux et sa rigueur, il sourit et rend au 
sacristain la permission de communier; puis, en signe 
de parfait oubli, il lui présente familièrement à baiser 
sa petite statue de saint Joseph. 

Le héros de l'anecdote suivante nous en fait lui- 
même le récit. 

Au fort de l'été, par suite d'une accumulation de 
fumier et d'autres immondices autour de la porcherie, 
elle était devenue tellement dégoûtante qu'un novice 
coadjuteur, plusieurs fois averti d'y rétablir la pro- 



82 CHAPITRE VI^GT-GIWQUIÈME. 

prêté , ne pouvait se résoudre à entreprendre ce tra- 
vail répugnant. Le P. Barrelle informé prend un 
tablier de travail, s'arme des instruments nécessaires, 
et, accompagné du novice, se dirige vers la porche- 
rie. Là, les manches retroussées et suant à grosses 
gouttes, il achève la difficile tâche. — « Je n'avais 
jamais fait cela, mon cher Frère, vous voyez cepen- 
dant comment il faut s'y prendre ; une autre fois vous 
ne serez pas embarrassé. » Ainsi avait-il donné une 
leçon plus salutaire que s'il eût imposé sa volonté par 
un ordre formel. 

Le nom de Jésus fut toujours pour le P. Barrelle 
l'objet d'une vénération profonde. Le lecteur se sou- 
vient de l'accent d'amour que ce nom adorable don- 
nait à la prédication de l'homme de Dieu. Nous avons 
entre les mains plus de quinze mille pages de son 
écriture , et dans chacune de ces pages ce nom divin 
revient souvent, car pas une qui ne s'occupe de Jésus 
et des âmes. Or ce nom , plus de cent mille fois tracé 
de la main du fervent religieux, il est toujours en 
relief dans ses écrits, marqué en lettres majuscules, 
et pas une exception ne se rencontre à cette loi de 
vénération. Il souffrait donc si le nom divin n'était 
pas environné du plus profond respect. Un jour il 
s'approche tout aflligé d'un de nos bons Frères : — 
« Mon cher Frère , lui dit-il , je suis vivement peiné. 
Eh quoi! vous n'inclinez pas la tète quand nous réci- 
tons les grâces , au Su nonien Domini henedictum! » 
Il y a quinze ans de cela, le bon Frère n'a plus oublié 
la dévote inclination. 



RECTORAT A AVIGNON. 83 

Encore deux traits qui, chacun en son genre, 
montreront les lumières et la sainteté du Recteur 
d'Avignon. 

Avant d'entrer au noviciat, un jeune homme avait 
eu l'occasion d'apprendre à fond la langue italienne. 
Grâce à cette connaissance et à l'ardent dësir qu'il 
avait des missions, on l'adjoignit à deux missionnaires 
qu'on destinait à la Syrie. Un soir que les novices 
allaient en promenade, le P. Barrelle, qui était au 
parloir, arrête la bande où se trouvait le jeune no- 
vice , et s' adressant à lui : — « Il est donc décidé que 
vous allez en Syrie, cher Frère? Tout n'est pas rose 
en mission... vous aurez de grandes tentations, vous 
passerez par de rudes épreuves. Armez-vous donc 
puissamment... Et puis, ajouta-t-il en portant le doigt 
sur le cœur du novice, ici, dans votre cœur, ayez tou- 
ours votre lampe allumée devant le bon Dieu. Si elle 
venait à s'éteindre, vous quitteriez la Syrie... et la 
Compagnie de Jésus. » De ce moment, les novices 
comprirent que le Frère ne persisterait pas dans sa 
vocation. Il quitta la Compagnie six mois après. 

Celui à qui est arrivé le second fait, aujourd'hui 
missionnaire intrépide à Beyrouth, va nous le raconter 
lui-même. 

« Après avoir, pendant dix-huit années, cherché la 
véritable religion, je reçus tout à coup le don de la 
foi, et ce fut comme par une infusion miraculeuse. 
En cet état je fus inspiré d'entrer en religion; je 
choisis la Compagnie et j'entrai au noviciat d'Avignon, 
où le P. Barrelle exerçait la charge de recteur. Il 



84 CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME. 

y avait trois jours à peine que j'étais revêtu de l'habit 
religieux, quand je fus attaqué de la manière la plus 
violente de tentations contre la foi. La souffrance que 
j'éprouvais ne saurait se décrire; les personnes qui 
l'ont expérimentée peuvent seules la comprendre, 
encore faut-il que leur épreuve ait atteint le même 
degré d'intensité. Or, telle était chez moi sa violence, 
que j'en avais une fièvre brûlante et que je ne pouvais 
prendre aucune nourriture. 

» Nous étions alors à la campagne du noviciat. 
Deux fois je descendis à la ville pour aller déposer 
mes peines dans le sein du P. Barrelle. Mais elles 
étaient si extrêmes que je demeurai sans consolation. 
Une troisième fois je revins de la maison de cam- 
pagne, bien résolu à quitter la vie religieuse et à me 
retirer dans un heu solitaire pour m'y laisser mourir 
de faim , en protestation de ma foi. 

» Arrivé chez le bon Père, je lui exposai mon état. 
Après quelques paroles encourageantes , il me dit : 
— « J'espère que le bon Dieu aura pitié de vous et 
)' vous fera miséricorde. » Je me retirai dans ma 
chambre , convaincu que je ne pourrais vivre encore 
vingt-quatre heures, tant ma j^eine était excessive. Ma 
seule consolation était de me dire : Au moins je mour- 
rai au milieu de ces braves gens ! car j'étais tout à 
fait un homme du monde. 

» Après quelques instants, la pensée me vint de 
réciter encore un dernier chapelet; je ne sais com- 
ment ni pourquoi f car mon intelligence était comme 
égarée et tout sentiment de foi était éteint dans mon 



RECTORAT A AVIGNON. 85 

cœur. Cette suprême prière était à peine commencée 
qu'un mieux se fit sentir, et plus le chapelet avançait 
plus le calme se faisait en moi; si bien que, le cha- 
pelet fini, la tentation avait disparu, et je me trouvai 
rempli d'un sentiment de foi si vif que si Notre- 
Seigneur était alors visiblement apparu quelque part 
et qu'on m'eût invité à aller le contempler, j'aurais 
refusé de m'en convaincre par moi-même, tellement 
ma foi se trouvait tout à coup ferme et assurée. 

» Je dis confidemment ces choses à deux jeunes 
scolastiques , qui me répondirent : — « Certainement 
» le P. Barrelle a prié pour vous. » Le lendemain, 
étant en leur compagnie , je rencontrai ce bon Père 
dans le jardin. Il s'informa de mon état. — « Tout 
est passé, lui répondis-je, et je suis entièrement 
guéri. » J'ajoutai : — «Ah! mon Père, vous avez 
prié pour moi. » A ces jnots, il se détourna un 
peu pour n'être pas vu de mes compagnons, et 
d'un air sévère et plein d'autorité, il^ me fit signe de 
me taire. 

M Quelque temps après, la tentation revint plus vio- 
lente que jamais. J'eus recours à mon consolateur. Ce 
bon Père m'annonça alors que cette épreuve durerait 
un an. La prophétie s'accomplit à la lettre. Je subis, 
durant l'année entière, les assauts du tentateur; 
mais l'année une fois écoulée , je fus délivré pour 
toujours. » 

Ija maladie semblait obéir comme la tentation à ce 
pouvoir mystérieux exercé [)ar le saint Recteur. Le ré- 
cit d' un Frère coadjuteur va nous en fournir la preuve : 



86 CHAPITRE VINGT-CINQUIEME. 

« Le souvenir de la guérison miraculeuse que je 
dois à l'intercession du P. Barrelle s'étant réveillé en 
moi d'une manière toute particulière au moment de 
quitter la ville de Clermont où reposent les restes 
vénérés de ce bon Père, j'ai senti un vif désir de faire 
connaître celte grande grâce qu'il m'a obtenue du 
Sacré Cœur de Jésus. Je ne ferai jamais assez pour lui 
en témoigner ma reconnaissance. 

» En 1855, j'étais à Avignon, novice de la Compa- 
gnie de Jésus depuis dix mois environ. Je fus attaqué 
d'une fièvre typhoïde qui, au bout de quarante jours, 
me réduisit à la dernière extrémité. Dans cet état, je 
manifestai le désir de recevoir une dernière fois le 
sacrement de pénitence pour achever de me purifier; 
mais avant d'avoir pu satisfaire ce désir je tombai dans 
un assoupissement avant-coureur de la dernière ago- 
nie. Deux médecins qui avaient suivi le cours de la 
maladie déclarèrent que j'allais bientôt rendre le der- 
nier soupir. L'extréme-onction me fut administrée, 
et l'on récita sur moi les prières des agonisants. 

» Alors le P. Barrelle s'approcha de moi, jeta sur 
moi un dernier regard et sortit; mais il ne m'aban- 
donnait pas; car, prenant pitié de mon état, il adres- 
sait au Sacré Cœur une fervente prière. Dans ce même 
moment je sentais que j'allais mourir et j'en éprouvais 
une grande peine, jugeant que je n'étais point assez 
préparé; lorsque, par une grâce particulière, j'ai pu 
adresser intérieurement à Dieu cette dernière prière : 
Moji Dieu, encore un peu...; laissez-moi jusqu'à de- 
main! Au même instant je sentis s'opérer en moi 



RECTORAT A AVIGNON. 87 

comme une résurrection, je me sentis revivre ; bientôt 
après je repris connaissance , et au bout de quelques 
jours mes forces étaient entièrement revenues. 

» J'étais sauvé; mais ce n'était point tout : il me 
resta de ma maladie une douleur de tête qui, par sa 
continuité , m'empêchait de vaquer aux travaux et 
aux exercices de la maison. Aussi fut-il bientôt ques- 
tion de me renvoyer dans ma famille, comme impropre 
à remplir aucun emploi dans la Compagnie. Les Pères 
de la maison furent consultés , et la plupart furent 
d'avis que l'on ne pouvait pas me garder. Mais le bon 
Père Barrelle demanda un délai, disant qu'il ne fallait 
rien précipiter, qu'il lui semblait que j'étais appelé de 
Dieu à la Compagnie , et que, dans ce cas, Dieu sau- 
rait bien me guérir. Ainsi fut fait; et ce fut encore à 
lui que je fus redevable du bienfait d'être reçu dans la 
Compagnie de Jésus. 

» Depuis lors il me témoigna une tendresse toute 
particulière, et quelque temps après, comme j'allais 
partir pour l'Afrique, il me fit venir seul dans sa 
chambre. Là, il me déclara et me répéta à plusieurs 
reprises avec une entière assurance que c'était au 
Sacré Cœur de Jésus que j'étais redevable de ma gué- 
rison , que je devais en retour l'aimer et le faire aimer 
autant qu'il me serait possible. Il me dit aussi que je 
ne serais jamais renvoyé de la Compagnie; que, 
quoique je ne fusse point savant , je m'y rendrais 
utile; enfin que, malgré la faiblesse, la migraine et 
les douleurs que m'avait laissées la maladie , le Sacré 
Cœur me voulait dans la Compagnie, et qu'il me guéri- 



88 CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME. 

rait. Enfin il me recommanda le plus grand secret sur 
tout ce qu'il venait de me dire. 

» Tout ce qu'il m'a dit s'est parfaitement réalisé. 
Sur ses instances j'en ai toujours gardé le secret, 
jusqu'à aujourd'hui, où la sainte obéissance m'oblige 
à le dévoiler. 

» Clcnnont, 14 octobre 18G6. » 

On peut commencer à se faire une idée du gou- 
vernement d'un tel supérieur : le Ciel était de com- 
plicité avec lui et lui prétait sa puissance ; d'en haut 
il recevait les inspirations de son cœur, d'en haut 
descendait sa sagesse, d'en haut même venaient à 
propos les secours réclamés par les nécessités tempo- 
relles. 

La sainte Vierge et saint Joseph étaient établis par 
sa naïve confiance comme ses pourvoyeurs d'office. On 
ne sait quelles conventions existaient entre eux et lui, 
mais on prenait quelquefois sur le fait ces touchants 
rapports de confiance et de bienfaits. 

Pendant qu'il s'occupait des premières constructions 
du collège, un soir il était en prière devant la statue 
de IMarie, dans cette chapelle souterraine que nous 
avons décrite, et se croyant seul il disait à la sainte 
A^ierge : — « Vous ne m'avez encore rien envoyé 
d'aujourd'hui. » C'est que, depuis le commencement 
des travaux , chaque jour la Vierge fidèle lui avait en- 
voyé une aumône. Mais Marie n'avait pas oublié son 
serviteur. L'heure du sommeil n'était pas venue que 
le secours espéré récompensait sa confiance. 



RECTORAT A AVIGINON. 89 

Quant à saint Joseph , tous les mercredis une messe 
e'tait célébrée en son honneur, pour qu'il fut le pre- 
mier économe de la maison. — « Ah! disait un soir 
le P. Barrelle, ce bon saint se fait encore bien tirer 
le manteau; aujourd'hui il est en retard. » Mais à 
peine avait-il porté sa candide accusation contre son 
bien-aimé protecteur, que le procureur de la maison 
reçoit une aumône de cinq cents francs. — « Ah! 
reprit le bon Père en racontant cette générosité nou- 
velle, je suis bien obligé de m'en dédire , et de toute 
mon âme je fais bien à saint Joseph réparation d'hon- 
neur. » 

Au fait, saint Joseph se devait à lui-même de mon- 
trer sa protection. N'avait-il pas été établi le patron 
de la maison , n'était-il pas le modèle officiellement 
accepté par le saint Recteur, le refuge par lui proposé 
à toute sa famille religieuse? 

Répondant aux souhaits de la nouvelle année que 
la comnmnauté venait de lui offrir, selon l'usage, il 
dit : — « Entre autres considérations qui encouragent 
ma faiblesse dans la charge de supérieur, je place au 
premier rang le souvenir du bon saint Joseph, le 
dernier, sans doute, par le mérite dans la sainte 
Famille, et qui pourtant, par le choix de la volonté 
divine, était le premier dans la maison de Dieu. » 

Dans une autre occasion , c'était précisément le 
jour de sa fête, la communauté étant réunie autour 
de lui dans la salle commune, il commença par quel- 
ques épanchements de foi et de tendresse sur saint 
Joseph, son patron. Puis, se tournant vers une sta- 



90 CHAPITRE \ INGT-CKN OUIÈME. 

tuette du saint, qui tenait en ses bras caressants l'En- 
fant Jésus endormi sur son cœur : — « Quel plus excel- 
lent modèle, dit-il, vous pourrais-je donner en ce 
moment, que le Dieu enfant reposant avec abandon 
sur la poitrine de Joseph? Il lui confie son corps, ses 
intérêts, sa vie... et il semble nous dire : Ah! qne je 
suis bien dans ses bras! Reposez-vous ainsi sur le 
cœur de mon père. » 

Le séjour du P. Barrelle à Avignon subit une inter- 
ruption d'une année. La division de la province de 
Lyon en deux provinces amena des changements dans 
l'administration intérieure, et le P. Barrelle fut dési- 
gné comme supérieur de la maison de Lyon. .Yoici 
comment il parle de ce renoncement, imposé à la fois 
à son cœur et à son humilité; à son cœur, par la 
séparation de la famille aimée, à son humilité, par 
une nouvelle responsabilité. Il écrit le 1*"^ novem- 
bre 1852 : 

« Me voici à Lyon, Incertain depuis deux mois 
environ sur ma destination future, je fus enfin appelé, 
du fond d'une retraite à peine commencée, pour venir 
me baisser ici sous le faix d'une supériorité nouvelle; 
et voilà quinze jours qu'elle m'a saisi et qu'elle 
m'étreint. Oh ! la bonne et douce chose que de ne 
tenir à rien, en aimant cependant ce que la charité 
de Jésus veut que nous aimions comme il aime ! » 

Installé le 16 octobre comme Supérieur au chef- 
lieu, il entrait en même temps et de nouveau dans les 
conseils de la province. A l'âge de cinquante-neuf 
ans, il ne pouvait guère être, comme autrefois, 



KECÏOKAT A AVIGNOlN. 91 

l'homme de l'initiative; et nous serions tenté de le 
regretter, en conside'rant la mission dévolue naturel- 
lement au Supérieur d'être l'àme des œuvres et l'in- 
spirateur de l'action, comme il doit être au dedans 
l'organe vital de la régularité religieuse et de la cha- 
rité fraternelle. Mais Dieu avait choisi l'homme de 
l'heure présente. La fm de 1852 et Tannée 1853 ren- 
fermaient les incertitudes de toute transition de gou- 
vernement dans un grand pays; l'esprit de conser- 
vation et d'expectative prudente qui animait alors le 
P. Barrelle convenait donc mieux à la situation que 
l'ardeur des saintes entreprises. Ses ministères habi- 
tuels auprès des âmes, plusieurs crises de santé, et enfin 
sa députation à Rome, au nom de la province de Lyon, 
pour l'élection d'un nouveau Général, voilà le simple 
résumé de l'année. 

Cet ouvrier diligent avait sur son travail et sur sa 
vie de bien humbles pensées. Il parle ainsi le 14 fé- 
vrier 1853 : 

« Etes-vous au courant de mes petites œuvres? Je 
les recommande à vos charités, pour que le Maître 
de la vigne ne perde rien en se servant d'un ouvrier 
comme moi, et quejelui donne, vers la onzième heure 
de ma vie, ce que les heures précédentes n'ont cessé 
de lui enlever ou de lui disputer. » 

Ce n'est pas la première fois que, dans sa corres- 
pondance comme dans sa conversation, le P. Bar- 
relle pressent le déclin. L'humilité lui révélait une 
vérité que peu d'hommes savent comprendre à temps, 
c'est que, par deux mouvements simultanés, en mon- 



«2 CHAPITRE YI^GT-GI^'QUIEME. 

tant vers sa plénitude l'homme descend déjà vers son 
déclin. Ce qui est force, sagesse, vertu, s'achève et 
se complète longtemps encore, que déjà nous con- 
tractons une sorte de vieillesse. Elle tient moins à 
nous qu'au milieu renouvelé qui nous entoure et qui, 
nous faisant de sa nouveauté un contraste saisissant, 
nous classe, à notre insu , dans un monde ancien, et 
ne se laisse bien atteindre que par ce qui se rapproche 
davantage de sa propre jeunesse. Il nous donne sa 
confiance dans toute la mesure que comporte l'es- 
time, mais il aime à trouver une ardeur plus vive 
pour en recevoir l'impulsion. 

Cette situation créée par la nature n'échappa point 
au P. Barrelle. Quand, après la mort du 11. P. Bon', il 
fut désigné pour diriger la congrégation des Enfants 
de Marie, il comprit bientôt f[ue sa maturité même et 
une sorte d'austérité dans la vertu le rendaient moins 
puissant pour le bien au sein d'une réunion où des 
formes vives et une certaine fraîcheur de pensées 

1 Dans la Heur de son âge et de ses espérances, trois mois seule- 
ment après son installation , venait de nous être enlevé le premier 
supérieur provincial de notre nouvelle province de Lyon : le 
Pi. P. Joseph Bon, l'homme au cœur noble et séduisant, aux vastes 
pensées de zèle, l'ardent ami, le directeur puissant par le dévoue- 
ment et les lumières, qui savait le cœur humain et qui connaissait 
son siècle, en un mot l'homme qui semblait né, tout à la fois, pour 
faire éclore sous sa main les œuvres saintes et pour épanouir à ces 
œuvres les âmes {généreuses. 

Mais il dévorait en peu de jours trop remplis les lonjjues années, 
et un héroïque sacrifice, sanctionné de Dieu sur la tombe encore 
ouverte de huit de nos Frèies, nous a dérobé ce grand avenir. 

Le typhus sévissait dans le midi de la France. Le noviciat 
d'Avignon semblait désigné tout entier au fléau destructeur. Déjà 



RECTORAT A AVIGNON. 93 

donnent naturellement plus d'empire. Il annonça 
humblement qu'il se retirait. 

Parmi les œuvres qu'il aida, à Lyon, de ses encou- 
ragements, nous nommerons une association qui se 
fondait pour fournir le luminaire du saint Sacrement 
dans la chapelle des Dames de la Réparation. Il 
exhorta plusieurs personnes à s'occuper de cette 
œuvre, et à sa parole on eut bientôt recueilli plus de 
mille francs d'annuités. Cependant jamais rien au 
dehors ne put faire présumer que le vénéré Père se 
fût occupé de cette œuvre, tant il savait disparaître 
en faisant le bien. 

Le T. R. P. Roothaan étant mort, la congrégation 
provinciale de la province de Lyon députa le P. Bar- 
relle à Rome pour l'élection du Général de la Com- 
pagnie. Ce vote avait eu lieu le 4 mai 1853. Le 
6 juin, le P. Barrelle prit sa route vers Rome. 

Ce fut un vovage pénible, et le séjour à Rome au 
fort de l'été éprouva beaucoup la santé du Père. Les 

huit novices de la Compagnie avaient succombé avec une rapidité 
qui ajoutait à la désolation. Le P. Provincial accourt, il rassemble 
la communauté, mêle ses pleurs aux pleurs des enfants, et dans 
l'élan de sa douleur paternelle, il termine par ces mots la prière 
tout émue qui sortait de son cœur : — « Et s'il faut encore, Sei- 
gneur, une dernière victime, fi'appez-moi ; mais épai^gnez mes 
enfants! w 

Ce fut, dans une même parole, une sentence de vie et de mort. 
Dès cet instant tous les malades entrèrent en convalescence. Le 
P. Bon partit pour l'Afrique; un choc reçu à la tête détermina 
une congestion séreuse, et, le 4 décembre 1852, le bon Père allait 
chercher sa couronne. Il n'avait que quarante-cinq ans. 

C'est lui qui, pénétré de vénération pour le P. Barrelle, l'avait 
appelé à Lyon , à ses côtés, comme Supérieur de la Résidence. 



94 CHAPITRE VINGT-GIINQUIEME. 

joies de l'âme heureusement apportaient leur com- 
pensation aux fatigues corporelles. Parmi ces joies il 
faut compter la douceur de se retrouver auprès du 
tombeau de notre bienheureux Père Ignace. Une 
lettre du 25 juillet exprime bien ce sentiment : 

« Au moins vous enverrai-je une salutation qui se 
ressente de la proximité du tombeau de mon saint 
Père Ignace. Vous ne sauriez croire tout ce que ce 
tombeau dit au cœur, quoique toujours silencieux. Il 
s'en exhale quelque chose qui remplit Tàme, qui l'attire 
vers ces restes sacrés, et qui lui fait désirer l'esprit 
par lequel ils furent vivifiés pendant tant d'années. Je 
le sollicite cet esprit pour moi si pauvre et pour 
tant d'âmes que m'a confiées Notre-Seigneur. Si ma 
prière est exaucée, savez-vous quel en sera le résultat? 
— Ce qu'exprimait ce bon saint dans l'offrande de tout 
lui-même à son Dieu : « Votre amour seul avec votre 
» grâce, ô mon Dieu ! et je suis assez riche , et je n'ai 
» plus rien autre à vous demander. » 

Selon sa coutume, le P. Barrelle sacrifia aux dou- 
ceurs du recueillement toutes les satisfactions, môme 
les plus saintes, auxquelles la curiosité pouvait avoir 
quelque part. Etant allé rendre visite aux religieuses 
du Sacré-Cœur à la villa Lante, d'où l'on jouit d'un 
coup d'œil splendide, tandis que d'autres religieux 
contemplaient avec admiration le spectacle qui s'éten^ 
dait sous leurs regards, il s'échappa furtivement, et 
on le retrouva disant son bréviaire dans un coin retiré 
d'où l'on ne pouvait rien voir. 

Une petite aventure qui peint bien son humble 



^' RECTORAT A AVIGNON. 95 

vertu mérite d'être rapportée. Nous transcrivons le 
récit d'un témoin : 

« Le R. P. Barrelle se trouvait à Rome à l'époque 
de la congrégation générale, en 1853. Voyant que 
notre maison de la Trinité du Mont était fréquentée 
par les RR. PP. Provinciaux, il s'abstint modeste- 
ment d'y paraître. Nos Mères lui en firent des plaintes 
qu'il accueillit par une douce plaisanterie, afin de 
couvrir le sentiment d'humilité qui l'avait retenu. 
Pressé plus vivement, il consentit à venir le premier 
vendredi du mois, et, dans l'espérance de passer plus 
inaperçu, il dit qu'il partirait du Gesù à cinq heures 
du matin. Or, nous avions alors au pensionnat les 
filles de l'ambassadeur de Portugal ; il nous était fort 
dévoué et mettait volontiers sa voiture à notre dispo- 
sition. Gomme l'heure désignée par le P. Barrelle ne 
pouvait le déranger, il envoya son équipage pour 
épargner au Père la fatigue du trajet. Mais l'humble 
religieux, à la vue de ce beau carrosse et des domes- 
tiques en livrée, ne put se résigner à y monter; il 
partit donc à pied, persuadé qu'il échappait ainsi à 
tous les regards. Il comptait sans la ponctualité des 
domestiques; ils voulurent exécuter les ordres de leur 
maître et suivirent au pas le P. Barrelle jusqu'à la 
Trinité du Mont, ce qui excita la curiosité publique^ 
On se demandait quel pouvait être ce grand prélat 
que l'ambassade de Portugal honorait ainsi à une 
heure si matinale. « 

La Congrégation générale, par la nomination d'un 
nouvel assistant d'Italie, permit à la province de Lyon 



96 CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME. X 

de faire une acquisition pre'cieuse. Le R. P. Fran- 
cesco Pellico, le frère du célèbre Silvio Pellico, nous 
fut donné parle T. R. P. Général. La place de cet 
éminent religieux se trouvait naturellement indiquée 
au chef-lieu de la province. Il fut nommé supérieur à 
la rue Sala, et le P. Barrelle fut rendu en qualité de 
Recteur au noviciat d'Avig^non. 

A cette occasion, il explique ses sentiments dans la 
lettre suivante : 

a On m'a renvoyé votre lettre à Avi(}non, où il a plu 
à Notre-Seigneur de me replanter encore, à mon 
grand contentement, malgré les épines qui n'ont cessé 
de croître pour moi aussi longtemps que je l'ai habité, 
pendant mon premier Rectorat. Le second est com- 
mencé depuis le jour de l'Exaltation de la sainte 
Croix. Que me présage cela? Je l'ignore. Mais il est 
doux et consolant toujours de se plier à la volonté 
d'un ami; et quand cet ami est Jésus, vraiment les 
épines deviennent ce qu'il y a de plus délicat entre 
les fleurs. Je le bénis de ma position, où du reste le 
travail ne manque pas. » 

C'est le moment d'étudier de plus près ce travail 
sur les âmes, accompli par les retraites spirituelles, 
la correspondance et le saint Tribunal; travail auquel 
l'homme de Dieu , avant d'être repris une dernière fois 
par les sollicitudes de l'éducation, peut encore se livrer 
en toute liberté. Cette étude sera l'objet des chapitres 
suivants. 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 97 



CHAPITRE XXVI 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 



Le P. Rairello prédicateur des pensionnats et des comniunaïuéa 
relijjieuses. — Il puise ses inspirations près des saints taberna- 
cles. — Son prestige surnaturel sur l'enfance. — Sa manière et 
son succès. — Le prédicateur de la vie parfaite. — Méthode du 
P. Rarrelle dans les retraites spirituelles. 



En avançant dans l'esquisse biographique du R. P. 
Barrelle, peu à peu nous nous replions avec lui du 
mouvement des choses extérieures à l'action de plus 
en plus intime de l'instrument de la grâce sur les 
âmes; jusqu'à ce que nous le retrouvions placé pres- 
que exclusivement en face de Dieu et de soi-même, 
achevant, du fond de sa cellule, son fécond aposto- 
lat, par l'influence de ses conseils et de son oraison. 

En ce moment, il faut le voir à l'œuvre auprès de 
cette portion choisie du troupeau de Jésus-Christ qui 
abrite sa ferveur au sanctuaire du cloître, ou des 
jeunes âmes confiées à leurs exemples et à leur soli- 
tude recueillie. Nous avons nommé les communautés 
religieuses et les pensionnats. Nous allons étudier 
l'homme de Dieu dans l'œuvre des retraites spiri- 
tuelles, plus excellente, croyons-nous, à mesure 
qu'elle s'adresse à des âmes plus rapprochées de Dieu, 

TOAr. II. 



98 CHAPITRE VIIN GT-SIXIEME. 

soit par la générosité de la vertu, soit par la délica- 
tesse de l'innocence. 

Ensuite nous essayerons d'entrevoir discrètement 
les rapports étroits et immédiats de la direction des 
consciences, par le saint tribunal et par les conseils 
qui en continuent l'action toute surnaturelle. 

Le P. Barrelle a été un des hommes les plus re- 
cherchés de notre temps pour ces deux ministères des 
retraites et de la direction. En vingt ans, on compte 
par centaines les retraites qu'il a préchées. Nul ne 
nous demandera de le suivre dans le détail de cette 
apostolique activité. Nous présenterons un précis de 
sa manière et une appréciation historique des utiles 
résultats qu'il obtint. 

C'était quelque chose assurément chez un homme 
si dégagé de tout intérêt personnel, que de ressentir 
une prédilection singulière pour les âmes consacrées 
à Dieu. Il y avait là un indice de la grâce reçue pour 
leur bien. Ce don se révélait à l'œuvre et s'expliquait 
suffisamment par la vertu de l'instrument, éminem- 
ment propre à répandre la grâce dans les âmes ([ui 
n'aspirent elles-mêmes qu'à la perfection. On ne pou- 
vait s'empêcher de remarquer le don éminent du saint 
religieux pour inspirer l\amour de Dieu et pour porter 
les âmes à l'imitation du modèle divin, qui est Jésus- 
Christ. Son cœur n'était-il pas la ferveur même? ne 
le tenait-il pas constamment appliqué et pour ainsi 
dire collé aux sources du saint atnour? 

Entre ses instructions, en dehors du confessionnal, 
on ne Fa jamais vu qu'aupre.^ du saint tabernacle si 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 99 

fort eiichainé par l'amour aux pieds de son divin 
Ami, que ni sollicitations charitables, ni gracieux 
reproches ne pouvaient l'en arracher un instant. Il 
allait de Je'sus-Christ à Jésus-Christ, de J'autel où il 
réside aux âmes dont il fait sa demeure. Il alléguait 
que la prière était sa mission principale, et si, pour 
s'être moins répandu, il devait encourir le blâme, 
« Il est des circonstances, disait-il, où il faut s'élever 
au-dessus des jugements humains. » 

La journée ne mesurait pas les heures de ses entre- 
tiens avec Dieu. Tantôt après un court repos, tantôt 
sans avoir pris un instant de sommeil, il revenait au 
tabernacle. Là, à genoux, la tète appuyée sur l'autel, 
ou quelquefois prosterné, il priait avec une telle 
véhémence qu'à son insu ses gémissements d'amour 
retentissaient au loin. Bien souvent aussi on l'enten- 
dait se flageller longuement dans le silence de la nuit. 

Nous avons sur ces choses de nombreux témoi- 
gnages. Nous en citerons un seul. C'est une religieuse 
qui parle : 

« Un soir, retenue par mes occupations jusqu'après 
le coucher de la communauté, j'allai faire ma prière 
et mon examen dans une chapelle assez voisine de la 
chambre du Père, qui donnait à cette époque une 
retraite à nos enfants. Au bout de quelques instants 
j'entendis, dans la direction de cette chambre, des 
gémissements, des sanglots, des paroles entrecoupées. 
Mon premier mouvement fut d'appeler le domestique 
pour porter secours au Père, que je supposais souf- 
frant. 



iOO CHAPITRE VI^'GT-SIX1ÈME. 

M Je me souvins à propos de sa confusion et de son 
chagrin lorsque, dans une autre de nos maisons, il 
fut surpris dans ses oraisons et dans ses monolog"ues 
nocturnes par une personne qui l'avait cru malade. 
Je tenais aussi d'un domestique qui avait couché non 
loin de lui, que pendant ses retraites il en était de 
même à peu près chaque nuit. Retenue par ce motif, 
je respectai ce qui se passait entre son âme et Dieu, 
et craignant presque quelque apparition surnaturelle, 
je me retirai. 

» Mais le lendemain j'examinai le Père avec une 
curieuse attention. Il n'y paraissait plus. Sa sérénité 
habituelle se montrait sur son visage; j'avais seule- 
ment surpris un des secrets de sa parole. » 

Que de précautions délicates n'employait-il pas 
cependant pour n'être pas surpris! que de saintes 
ruses pour s'assurer qu'il ne serait ni vu ni entendu! 
Il s'informait avec soin si personne ne demeurait au- 
près de la chapelle, il demandait si on avait soin de 
se conformer à la règle liturgique de ne placer 
aucune chambre à coucher au-dessus du sanctuaire 
où repose Notre-Seigneur; il ne voulait pas qu'aucun 
domestique fût mis à proximité de sa chambre pour 
lui rendre service au besoin, prétextant ou sa pré- 
dilection pour un parfait silence ou sa peine d'être 
un dérangement pour personne. Bien sûr alors de sa 
complète solitude, il allait en liberté adorer son bon 
Maître et laissait aller son cœur en sa présence, l'in- 
terpellant de ses protestations d'amour ou de ses 
supplications, comme s'il l'eût vu des regards du 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 101 

corps. Puis, le matin venu, il prévenait l'heure du 
réveil et rentrait dans sa cellule. 

Rempli des inspirations recueillies à la source de 
toute lumière, il allait vers ses chères âmes; c'était 
son vocatif habituel dans les instructions aux reli- 
gieuses. « Je ne connais personne, disait-il, je ne vois 
que des âmes. » Il leur parlait tout possédé de la 
charité divine. L'amour éclatait dans ses discours. Il 
y avait comme des éclairs qui en trahissaient l'ardeur, 
et telles exclamations échappant tout à coup en don- 
naient la mesure : « Pour vous, bon Maître, que ne 
ferais-je pas ! Je m'ensevelirais dans un cloaque, dans 
un égout ! » 

L'oraison était encore son refuge contre l'impuis- 
sance. Dieu permettait, en effet, pour donner, par 
le sacrifice, plus de mérite à ses discours et plus d'ef- 
ficacité, qu'il se trouvât souvent comme un désert 
sans eau. Alors il s'humiliait dans la prière, et sou- 
dain, à une heure inattendue, arrivait la lumière de 
Dieu. 

« Il souffrait beaucoup durant les retraites qu'il 
nous donnait, dit un de ses auditeurs, et tandis que 
nos cœurs d'enfants s'ouvraient avec bonheur à l'a- 
mour de ce Jésus qu'il nous montrait sous de ravis- 
santes couleurs, notre bon Père était en proie à une 
pression d'âme fort pénible. Quelquefois même l'en- 
nemi se portait contre lui à des voies de fait assez 
visibles. Il disait une fois à l'une de nos Mères : — 
«Il m'en fait bien, mais que m'importe! » Jésus 
connu et aimé le consolait de tout. Au retour d'une 

6. 



102 CHAPITRE VINGT-SIXIÈME. 

de ces retraites , il disait : — « Je reviens le cœur 
content; voilà de petits cœurs qui ne connaissaient 
pas encore Jésus-Christ; ils ont été tout étonnés... 
Ce ne sont pas encore des fournaises d'amour, mais 
de petits foyers en attendant mieux. » 

« Le bon Père était réputé pour sa haine contre le 
monde. Ceci lui attirait beaucoup de critiques et bien 
des contradicteurs. Il le savait, et comme il s'appli- 
quait à nous inculquer sur le monde les sentiments 
de Jésus-Christ, un jour il nous dit à ce sujet le 
secret de son cœur. C'était précisément dans une 
instruction contre l'esprit mondain. — « On se plaint 
beaucoup, dit-il, de ce P. Barrelle, qui tonne tou- 
jours contre le monde, et l'on dit: Le monde! le 
monde! que lui a-t-il donc fait? Ah! mes enfants, 
reprit-il avec l'accent de l'amour blessé, ce qu'il m'a 
fait, ce monde, pour que je le déteste! ce qu'il m'a 
fait, ce monde! Il a tué mon Jésus! » 

Sur tous les enfants il exerçait un empire extraor- 
dinaire. Sa personne était saisissante comme sa 
parole ; or il disait des choses comme nul ne pourrait 
les redire, le ton, le regard, le geste, tout en lui 
parlait une langue incisive, ardente et colorée; les 
enfants étaient électrisés. 

« Je me souviens, ainsi parle une religieuse, d'avoir 
vu, dans une de nos maisons, le petit pensionnat 
assister aux instructions d'une retraite donnée pour 
nos grandes jeunes filles. Se laissant aller à parler de 
Notre-Seigneur, le Père avait dit des choses ravis- 
santes, mais, ce semble, fort élevées pour l'auditoire. 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 103 

Nos petites filles écoutaient dans un profond silence. 

Il s'arrêta Toutes alors, levant spontane'ment les 

mains, s'écrièrent : — «Que c'est joli ! » On eût dit 
qu'elles avaient entrevu le ciel. » 

Gela nous rappelle ce que nous ont écrit les 
religieuses du Saint-Nom de Jésus, du couvent de la 
Giotat : 

«Au mois de janvier 1846, le bon Père fit une 
retraite à nos élèves. Il leur parla avec tant d'onction, 
et se mit si merveilleusement à la portée de tous les 
âges, que les plus jeunes enfants, retenant leur res- 
piration, se hissaient sur la pointe des pieds pour 
mieux le voir et pour ne pas perdre une seule de ses 
paroles. » 

Partout c'était le même empressement sous l'action 
du même zèle. 

« Quand il commençait à parler de Notre-Seigneur, 
il ne dépendait pas de lui de se modérer. Nous crai- 
gnions alors pour sa poitrine, nous craignions que 1^ 
chaire péltative d'où il parlait ne vînt à perdll^&on 
équilibre. La manière dont il disait les choses ^^ait 
passer dans les âmes une partie du feu qui le possé- 
dait. Aussi nos élèves aimaient-elles Notre-Seigneur 
comme un frère, comme un ami. L'une d'elles étant 
allée pour quelques jours dans sa famille, écrivait: 
— « Voilà quatre jours que je n'ai entendu parler de 
Jésus! Que c'est long! » 

» Le bon Père interrompait la gravité de son dis- 
cours pour adresser la parole aux plus jeunes enfants ; 
leur attention se tenait alors si bien éveillée qu'elles 



104 CHAPITRE VINGT-SIXIÈME. 

faisaient de ses instructions des résumés pleins de 
justesse et d'une ravissante simplicité. » 

Il fallait à tout prix qu'il répandît le feu de la 
charité dans ces jeunes âmes. 

Un triduum, dans un nombreux pensionnat, ne 
donnait pas les fruits attendus. On écoutait, mais je 
ne sais quoi de frivole disputait la victoire à la grâce; 
les cœurs n'étaient pas pénétrés. Le P. Barrelle en 
tomba malade de chagrin la veille de la clôture, et ne 
put venir la présider. Les enfants en furent informées, 
profondément émues, et l'effet de la retraite fut pro- 
duit. 

Dans un pensionnat important, par suite de cir- 
constances malheureuses, un esprit de mondanité 
s'était emparé de la masse. Ces jeunes fdies, préoc- 
cupées de rêves frivoles, étaient pour ainsi dire 
inaccessibles aux influences de la piété. Notre-Sei- 
gneur et ses divins mystères n'avaient point d'attrait 
pour ces jeunes cœurs. Le P. Barrelle commença 
la retraite. Il fit entendre les grandes vérités de la 
foi. Or, autant il était onctueux quand il parlait de 
l'amour de Dieu, autant il terrifiait quand il traitait 
des divines justices. Ces enfants furent écrasées 
sous ces vérités foudroyantes. Elles cédèrent à la 
grâce et firent de fervents retours sur le passé. 

Le quatrième jour au soir, le Père parlait encore 
des jugements de Dieu, quand s'interrompant tout 
à coup, et le visage rayonnant d'une joie céleste : 
— « Mais le vide est fait, la place est nettoyée, le 
temple est prêt! Paraissez, Seigneur Jésus! venez, il 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 105 

est temps, faites-vous sentir, et on vous aimera. Vous 
êtes si ravissant de beauté! » On eût dit que le Sei- 
gneur Jésus se rendait visible à son serviteur et qu'il 
lui découvrait les dispositions de ceux qui l'entou- 
raient. Quoi qu'il en soit, la grâce se rendit telle- 
ment sensible, que les sanglots obligèrent le prédi- 
cateur à s'interrompre, et tout le monde tombant 
à genoux ouvrit son cœur à Jésus-Glnist. 

Les suites ont prouvé que ce n'était point là une 
ferveur d'imagination. Ce pensionnat est devenu une 
maison modèle. Plusieurs enfants, connaissant leur 
faiblesse et redoutant les dangers du dehors, de- 
mandèrent à passer leurs vacances dans la maison. 
Le bon Père trouva le temps de leur écrire de pré- 
cieux encouragements. 

Sa manière nous parait exactement tracée dans le 
témoignage suivant : « Une grande jeune fdle disait 
un jour : « Ce Père commence par nous ôter tout, 
» puis quand on n'a plus rien, il montre Notre- 
» Seigneur et tout avec lui.» C'est là un résumé fidèle 
de sa méthode dans ces pieux exercices. Qu'ils fussent 
de huit jours, de sept ou même de trois jours, jamais 
d'autre marche. 

« 11 éveillait dans ces jeunes âmes les idées de bon- 
heur, de gloire, de grandeur, de possession. Puis, 
lorsqu'il avait dit : « Toutes ces choses sont pour vous, 
» vous y aspirez légitimement » , les grandes vérités de 
la foi lui servaient à foudroyer ces convoitises arrêtées 
aux proportions de ce bas monde; il détruisait ce que 
l'on croyait avoir, il rtn'nait les espérances, c'est là 



106 CHAPITRE VIINGT-SIXIEME. 

qu'il ôtait tout : la mort, l'éternité, ne laissaient rien. 
Après avoir tout anéanti devant elles, il relevait ces 
âmes, il les mettait en présence de i^otre-Sei^neur, 
en qui il montiait la réalisation de tous leurs désirs, 
dévoyés dans les choses liumaines. Ouel effet il pro- 
duisait alors, lai qui avait à un point surhumain le 
don de parler de notre Maître adoré! ,)'ai vu après 
ces exhortations embrasées, les entants haleter et 
comme éperdues, n'avoir plu^ en quelque sorte sen- 
timent des choses de la vie matérielle. Le P. Barreile 
montrait d'une manière si sensible les beautés de 
Notre-Seigneur, que tout ce que l'imagination peut 
accumuler de plus brillant palissait à ce Thabor. 

» J'ai entendu beaucoup de prédicateurs éloquents; 
non , jamais un seul qui ait approché de la chaleur de 
ce séraphin. Il allait prendre le ieu sacré au foyer 
divin; on eut dit qu'il venait du ciel pour parler aux 
hommes. 

M Je dois mentionner dans une retraite, c'était en 
1854, un caractère qui n'avait pas encore paru d'une 
manière aussi saillante et qui finissait par tout absor- 
ber en notre bon Père : le désir du ciel. Il eut à plu- 
sieurs reprises des élans vers cette terre des bien- 
heureux, élans qui bcmblaient devoir le briser, et qui 
l'épuisaient. Son àme ne tenait plus dans son corps, 
on eût dit un lion bondissant contre les barrières de 
sa prison. A la lettre, j'ai eu, nous avons eu plusieurs 
lois la crainte qu'il ne parvînt à rompre ses liens, et 
que son àme dégagée ne s'échappât pour tendre 
l'espace jusqu'au paradis. Alors il parlait de Notre- 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 107 

Sei(jneur comme s'il en avait eu dans le moment la 
ciaire vision, et sa voix était comme perdue. 

» Aussi, outre les élèves actuelles, bon nomlDre 
d'anciennes étaient-elles accourues à cette retraite. .îe 
me rappelle les émotions de l'une d'elles. Elle était 
venue en dispositions bien éloignées de s'attacber à 
Jésus seul , car son cœur était bien empâté dans des 
amitiés bumaines ; mais après avoir lutté les premiers 
jours, renversée par la force de la vérité en même 
temps que gagnée par une grâce victorieuse, elle 
avait cédé à Dieu; et quand je la voyais seule dans sa 
cbaml)re, elle était comme ravie, sous un charme qui 
lui ôtait la parole. 

» Cette retraite coïncidait avec la proclamation du 
dogme de l'Immaculée Conception. Plusieur%fois il 
revint sur cette pensée qui le transportait de joie ; le 
jour de la fête, on voyait qu'il ne quittait pas Rome 
et le triomphe de la sainte Vierge. 

» Admirable de confiance en Dieu , il recevait avec 
une paix inaltérable, quelquefois joyeuse, les contra- 
dictions et les erreurs qui le lésaient. Il ne souffrait 
que d'une chose : c'était de ne pouvoir déployer plus 
de puissance pour faire aimer Dieu. Ainsi pendant le 
mois de mars, il venait tous les mercredis faire une 
méditation au pensionnat sur saint Jose[)h. Je me 
rappelle comment il nous parla de la douleur qu'eut 
ce bon saint, dont Famour était si ardent, de se voir 
confiné dans son atelier, sans pouvoir faire connaître 
à l'univers le Dieu caché dans son réduit. On voyait 
qu'il exprin>ait ce qu'il éprouvait lui-même. 



108 CHAPITRE VINGT-SIXIEME. 

» Il n'en était pas pour cela plus disposé à se faire 
bienvenir du monde par des concessions sur les prin- 
cipes. Il était toujours davantage ce juste en qui le 
prince de ce monde ne pouvait rien trouver qui lui 
appartînt, et sa doctrine n'en devenait que plus haute. 
Il avait à ce sujet des saillies qui faisaient mémoire. 
Ainsi, un jour, il avait établi certaines vérités évan- 
(jéliques à propos des droits de Dieu sur les âmes : 
— » Oui, mes enfants, dit-il vivement, il en est 
» ainsi, et si dans le monde, dans vos familles on vous 
» demande qui vous a enseigné de tels do(}mes, 
» envoyez-les-moi, je leur répondrai, rue Saint-Marc, 
» numéro 14. » 

» J'ai retrouvé à Paris une de nos religieuses, 
morte^idepuis connue une sainte. Elle avait suivi une 
retraite du bon Père. Il n'en avait pas fallu davantage 
pour tourner son âme à l'amour passionné de Nôtre- 
Seigneur. Lorsque je la rencontrai plusieurs années 
après, déjà la flamme sacrée commençait à prendre 
une intensité qui devait la consumer en peu de temps. 
Dans nos causeries intimes sur les choses de l'âme, 
elle me demandait ce que le P. Barrelle disait de 
Notre-Seigneur, comment il entendait ce que c'est 
que l'aimer. Je lui communiquais tout ce que je sa- 
vais , et elle en profitait mieux que moi ; car, trois ans 
après, elle était mûre pour le ciel. En la revoyant, 
après une séparation, je fus frappée des progrès 
qu'elle avait faits. Elle semblait consommée dans 
toutes les vertus et parlait du ciel et du bonheur de 
voir Notre-Seigneur avec des transports séraphiques. 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 109 

Elle a ainsi quitté la terre neuf mois avant le l)on 
Père , qui, sans doute, aura été bien surpris en para- 
dis du bien qu'il avait fait à cette âme. » 

Plaçons maintenant ce prédicateur de la vie par- 
faite au fort de l'action, lorsqu'il paraît au milieu des 
âmes consacrées à Dieu, comme Tenvové du ciel. Ici 
le mot est exact, non-seulement pour la foi et par la 
mystérieuse vérité des choses, mais encore pour les 
sens, pour l'oreille et pour le reg^ard, qui allaient 
jusqu'à l'illusion. On croyait entendre, on croyait 
voir un personnage céleste, Jésus lui-même; comme 
il arriva au premier monastère de la Visitation de 
Marseille, quand, après l'avoir entendu quelques 
instants au parloir, devisant de la vertu, les religieuses 
se disaient l'une à l'autre, sous une même impression 
d'admiration : « Ce n'est pas un homme, c'est Jésus 
lui-même. » 

Elles ajoutent ces paroles : «Au mois de décembre 
1845, pour l'Immaculée Conception, le P. Barrelle 
voulut bien donner une retraite à nos élèves. Il nous 
retraçait d'une manièie touchante la sainte humanité 
du Sauveur; tout en lui nous la rappelait de même, 
lorsqu'il vint pour d'autres instructions à la commu- 
nauté ; si bien que nous croyions entendre Jésus en 
personne. » 

Citons encore en témoignage une religieuse d'une 
éminente vertu; une âme, comme on disait dans sa 
communauté, de l'école du P. Barrelle, ayant l'esprit, 
le style et les vertus du maître. 

a J'ai commencé à connaître le saint P. Barrelle 

TOM. II. ' 7 



110 CHAPITRE VINGT-SIXIÈME. 

par une de ses instructions sur l'amour du divin 
Cœur, que j'entendis au noviciat. Nouvelle novice de 
deux mois , je reçus de cette lecture une telle impres- 
sion que, ne pouvant soupçonner que celui qui 
l'avait faite pût vivre encore, je croyais avoir entendu 
les dernières paroles d'un cœur trop embrasé d'amour 
pour battre encore dans une poitrine. J'allai inconti- 
nent trouver la Maîtresse des novices, pour lui de- 
mander le nom du saint qui avait si bien parlé. 

» Mon intention était de m'adresser à lui dans une 
neuvaine , pour obtenir un peu de cet amour qui 
l'avait consumé. Je le croyais si bien au ciel! Ab ! que 
c'eût été trop tôt, et pour nous et pour tout le bien 
qu'il devait faire encore! Quelle fut ma surprise et 
mon cri de joie quand la Mère maîtresse me répon- 
dit : — « Mais il vit, ce saint, g^râce à Dieu, et vous 
M pourrez le voir un jour; c'est même une faveur que 
» je vous soubaite vivement! » 

M II y eut pour moi dans cette réponse comme 
une assurance de salut et un gage de persévérance 
dans ma vocation, qui avait été un peu ébranlée. 
Je sentis à ce moment que le Seigneur, dans son infi- 
nie miséricorde, m'avait ménagé de toute éternité ce 
bien si grand de parler de mon âme à un saint que je 
croyais au ciel et qui, à vrai dire, devait pour tou- 
jours m'en laisser le parfum salutaire. Oui, je puis le 
dire , c'était comme du ciel que tout me venait de lui 
et par lui. Notre-Seigneur en soit mille fois béni et 
remercié! 

» Jamais je n'ai rencontré tant de force unie à 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 111 

une si parfaite mansuétude. On peut dire qu'il insi- 
nuait dans les âmes les vérités qu'il prêchait, non- 
seulement par sa parole forte, animée et brûlante, 
mais encore par toute sa personne ; son regard , ses 
gestes, tout en lui était une prédication persuasive, 
entraînante. » 

Sa méthode dans les retraites était de s'emparer 
d'une idée unique, d'une formule qui la présentait 
en relief. Alors portant obstinément tout l'effort de 
Fâme sur un même point, il burinait plus profon- 
dément en elle la vérité, et inoculait, pour ainsi 
dire à coup sûr, la vertu comme dans la moelle de la 
volonté. 

Si dans la prédication ordinaire, s'adressant à un 
auditoire intermittent, à une assemblée multiple par 
la variété et le contraste, soit des dispositions mo- 
rales, soit de la science chrétienne, une doctrine 
substantielle, une éloquence insoucieuse des prestiges 
humains pouvait avoir une réussite inégale ; il n'en 
était plus de même devant un auditoire plein de foi, 
placé sans interruption pendant plusieurs jours sous 
le flot d'une parole qui jaillissait imperturbablement 
sur un même point, toute débordante de surnaturel et 
d'amour divin. Parmi les innombrables retraites qu'a 
données le P. Barrelle dans les communautés, à peine 
s'en pourrait-il rencontrer une ou deux dont le succès 
ait été médiocre. 

Dans ces conférences religieuses, sa parole n'était 
plus la même que lorsqu'elle s'adressait à des sécu- 
liers. Plus sobre, plus austère de formes, elle donnait 



112 CHAPITRE VI.NGT-SIXIÈME. 

la vérité sans façon, sans ménagements. Tous les 
esprits n'étaient pas également capables de ce hardi 
regard sur la lumière. Tandis qu'à leurs yeux s'étalait 
sans adoucissement l'austère clarté de l'abnégation, 
quelques-uns, un moment éblouis, perdaient ensuite 
peu à peu cet enivrement passager de la vérité. Son 
souvenir allait s'affaiblissant , et l'élan de l'admiration 
s'évanouissait. Communément au contraire, n'eût-on 
entendu qu'un discours, on en gardait l'immortelle 
empreinte, on revenait vingt ans, trente ans plus 
tard à cet impérissable souvenir; comme certains 
privilégiés de la grâce reviennent aux réminiscences 
toujours fraîches d'une apparition surnaturelle. 

Le P. Barrelle se répétait rarement. Il lui était plus 
facile de puiser une suite nouvelle de pensées dans le 
trésor de son cœur, que de ranimer sous son regard 
l'étincelle endormie dans la trame écrite d'une retraite. 

D'un jet sa plume répandait sans efforts le projet 
développé d'une retraite entière, abondant de pen- 
sées, ordonné comme un plan de bataille, plein de 
l'inspiration des Ecritures; son cœur s'emparait de ce 
thème, et lui donnait cette vie qu'il fallait recueillir 
sur l'heure descendant des hauteurs du saint amour; 
semblable à la manne que nul ne pouvait goûter s'il 
ne la recueillait descendant des cieux avant le pre- 
mier soleil. 

Pour ne parler que des communautés religieuses, 
il nous reste une quarantaine de ces projets de re- 
traites, développés de la main du P. Barrelle. Ils se 
présentent presque tous avec leur idée mère carac- 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 113 

tërisée dans le titre. Parmi les triduum , c'est le grain 
de sénevé, petite semence qui doit mourir en terre 
afin de fructifier. C'est Lazare, ou connaissance et 
mépris de soi. C'est Zacliée, modèle de l'âme reli- 
gieuse ainsi que des prévenances gratuites dont elle 
est l'objet. C'est le commentaire de ces paroles : Il 
faut que Jésus croisse et que je diminue. D'autres sur 
l'esprit de sacrifice, sur la sainteté religieuse, sur la 
ferveur, sur la fidélité; enfin sur ces paroles : Renou- 
velez-vous dans l'esprit de votre esprit. 

Le triduum intitulé Des dettes, a pour texte ces 
mots : Reddite omnibus debitiun. 

L'âme religieuse est établie en face du divin Créan- 
cier, qui revendique ses droits. Jésus apparaît d'abord, 
comme modèle, acquittant ses dettes en toute rigueur, 
d'une manière digne d'admiration. En parallèle, 
l'âme, appelée à rendre compte, pèse la multitude 
de ses obligations. A son tour elle est requise d'ac- 
quitter envers Jésus-Christ ses dettes nombreuses avec 
simplicité de vue, véhémence de désir, plénitude 
d'amour, constanbe de volonté et délicatesse d'action. 

Le P. Barrelle s'adresse-t-il aux filles de sainte 
•Thérèse, c'est l'esprit du Carmel qui fournit le sujet 
de son triduum. 

Parle-t-il aux religieuses de la Visitation, il s'em- 
pare d'une parole de leur mère, sainte Chantai : 

« Toute votre nécessité est de vous aftermir dans le 
train d'une entière et totale dépendance de Dieu, et 
ceci sans exception, et d'élever votre cœur au-dessus 
de tout par cette unique pratique de regarder Dieu, 



114 CHAPITRE VINGT-SIXIEME. 

vous contentant de ce qu'il vous donne; car enfin une 
seule chose est nécessaire, qui est d'avoir Dieu. » 

Ce dernier mot l'arrête : Avoir Dieu! La dépen- 
dance de Dieu, voilà le but. Elever son cœur à Dieu, 
regarder Dieu, se contenter de ce que Dieu donne, 
voilà les trois moyens. 

' En passant, notons une particularité. Cette re- 
traite, comme beaucoup d'autres, est tracée en en- 
tier sur le revers d'enveloppes de lettres qui [)ortent 
le timbre des jours précédents. Il faut que le pauvre 
de Jésus-Christ se retrouve dans les plus menus détails. 

S'agit-il des retraites de huit jours? L'une a pour 
tftre : Dieu seul est bon. L'autre : Jésus victime. 
Une troisième : Vouloir faire et souffrir tout ce que 
Dieu veut. Celle-ci est intitulée : La recherche de 
Dieu. Celle-là développe la maxime évangélique porro 
unum est necessarium, sous ce titre : Jésus-Christ ou 
l'unique nécessaire. Celle qui a pour formule : Tout 
doit être à Jésus-Christ, commence par établir le droit 
fondamental du Sauveur; puis elle dénonce plusieurs 
esprits hostiles à l'esprit de Jésus-Christ. Première- 
ment l'esprit mauvais, secondement l'esprit mondain, 
troisièmement l'esprit charnel, en dernier lieu l'es- 
prit propre. La nature de celui-ci, son origine, ses ré- 
sultats, savoir le ravage et le trouble intérieur, tout 
est analysé avec une fine ironie. 

Ecoutons un instant : 

« L'esprit propre habite dans le fin fond de notre 
être ; une très-petite place suffit pour le loger, lui et 
tout son cortège; car, d'une taille svelte et souple, il 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 115 

possède une des qualités des corps glorieux , la sub- 
tilité. Oui, il se glisse, il s'insinue partout avec une 
admirable aisance. On le croit à cent lieues, mais il 
est là , alors qu'il est le moins attendu ; il est là avec 
la plénitude de son mérite, toujours frais et dispos, 
vermeil à faire plaisir. 

M Ne vous effrayez pas, pauvres âmes! mais, en 
vous épargnant vous-mêmes, je voudrais massacrer 
cet infernal composé d'astuce et d'amour de soi qu'on 
appelle l'esprit propre. 

» Il porte l'homme à se considérer, à se consulter, 
à s'écouter en tout, à détruire par une lutte acharnée 
tout ce qui lui est contraire , ou du moins à s'y déro- 
ber. L'orgueil fait son fond et son caractère distinctif; 
le mot latin l'indique : superbia, qui se place au- 
dessus de ce qui lui est dû. En effet , ramenant tout 
à soi, n'envisageant les choses que par rapport à soi, 
l'esprit propre se met au-dessus de tout. 

» Mon prochain parle, je n'estime ses pensées 
qu'autant qu'elles sont conformes aux miennes ; pour 
peu qu'elles ne s'y ajustent pas , je les rejette sans 
plus d'examen. Mon prochain agit, je méprise ou 
j'aime son action, selon qu'elle est en plus ou moins 
parfaite harmonie avec mes idées. Je veux bien avoir 
des supérieurs ; oh! oui , j'ai le respect et l'amour des 
supériorités, à une condition pourtant, c'est qu'elles 
ne me heurteront pas, moi. 

w Vous le voyez, l'esprit propre monte, monte 
toujours, il escalade toutes les hauteurs, même les 
hauteurs divines. Au fond, le péché n'est que cela : 



116 CHAPITRE VINGT-SIXIÈME. 

Dieu commande telle chose, elle me déplaît, à moi; 
je n'obéirai pas ! C'est un tribunal intérieur où tout est 
pesé, mesuré, rogné à la mesure du moi humain. 
Que les intérêts personnels ne soient point compromis, 
on accepte tout ; sont-ils tant soit peu froissés , on se 
cabre ou on se retire. 

» Telle est la tendance humaine : la pleine et pre- 
mière supériorité , c'est moi ; en moi , ce qui est beau 
et bien; rien de bon en ce monde que selon moi; le 
moi en un mot est la règle, la raison dernière, et 
tout ce qui dépasse sera éliminé sans miséricorde. » 
Ces lignes suffisent à faire apprécier la finesse inci- 
sive du moraliste. Il faut de plus pour connaitre ce 
prédicateur des saints exercices, lire attentivement 
quelqu'une de ses retraites spirituelles; elles sont 
pleines de substance, de nerf et de simplicité. 

Pareil à ces terres fertiles en froment , auxquelles 
on ne demande pas volontiers une récolte moins no- 
ble, l'esprit du P. Barrelle gardait une riche unifor- 
mité dans ses productions. Il nourrissait les âmes d'un 
petit nombre de vérités substantielles, toujours les 
mêmes sous la variété constante de la forme. 

Se servait-il par exception de cadres déjà déve- 
loppés dans quelque autre enceinte, alors même sa 
parole se modifiait selon les âmes. Sa marche était 
libre. Il lui arrivait de la changer soudain d'une in- 
struction à l'autre, comme un pilote qui modifie la 
manœuvre selon le vent. Quelque thème qu'il choisit, 
quelque forme qu'il employât, c'était toujours une 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 117 

même doctrine; il en maniait le fond avec une sou- 
plesse étonnante. 

A envisager superficiellement les choses, on pou- 
vait ne pas retrouver du premier coup d'œil la méthode 
de saint Ignace; mais le P. Barrelle a anticipé de 
trente ans sa réponse à une objection peu réfléchie; 
il suffit de consulter le septième chapitre de cette his- 
toire pour comprendre combien cette méthode lui 
était chère. 

Quiconque a l'intelligence des Saints Exercices re- 
connaît bientôt que le P. Barrelle y ajuste sa pensée; 
mais avec l'ampleur et la souplesse que donne une 
connaissance approfondie de leur esprit. Toujours, 
avec l'allure appropriée aux âmes qui l'écoutent, on 
retrouve la vérité fondamentale, et c'est sa forme et 
sa physionomie qui donnent un caractère distinct à 
chaque retraite : toujours les grandes vérités de la 
première semaine; toujours le Règne de Notre-Sei- 
gneur et les mystères de sa vie , toujours de ces mys- 
tères il fait jaillir, par la contemplation ou par l'analyse 
surnaturelle, les vertus du divin Modèle, moule cé- 
leste sur lequel doivent se façonner nos vertus. 

Nous laisserons les yeux inexpérimentés ne recon- 
naître les personnes qu'au vêtement qui les couvre. 
Pour nous, sous la variété des costumes, nous retrou- 
verons toujours la pensée mère des Saints Exercices. 
Heureuse liberté d'allure qui écarte le danger de la 
routine, et qui épargne aux esprits peu profonds une 
fastidieuse monotonie. 

« Il faut que vous ayez patience avec moi , chères 

7. 



118 CHAPITRE VINGT-SIXrÈME. 

âmes, disait-il dans une retraite/ car je reviens tou- 
jours sur les mêmes choses, ou plutôt sur un seul 
objet, Jésus-Christ! Jésus-Christ! Mais le Saint-Esprit 
le veut ainsi. Il veut que je bâtisse en vous par la 
base sur ce fondement solide. Ainsi, supportez-moi 
encore un peu, ou plutôt supportez Dieu qui vous 
parle par la bouche de son pauvre serviteur. » 

Oui, Jésus-Christ, c'était son fond , c'était comme 
la substance de son cœur, c'était la plénitude de ses 
discours, c'était la passion de son zèle, c'était son don 
et sa grâce ; et nous ne sachons pas qu'une autre 
bouche ait jamais eu la sainte fortune de parler plus 
souvent de Jésus-Christ. 

Jésus-Christ était son unique discours aux hommes, 
c'était tout son discours quand il parlait à Dieu, toute 
sa prière. Le soir d'un jour de fête, comme il avait 
paru tout plein d'une même pensée tout le long du 
jour, il ne put contenir son cœur et il dit : — « Ce 
matin j'avais beaucoup à dire à mon Dieu : j'avais à 
remercier, j'avais à demander pardon, j'avais à obte- 
nir des grâces; alors je n'ai dit qu'un mot : Jésus- 
Christ! et j'ai senti que ma prière était terminée. » 



•«900O®OOe»««*» 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 119 



CHAPITRE XXVII. 

LES RETRAITES SPIRITUELLES. 

Mission spéciale pour la congrégation du Sacré-Cœur. — Admirable 
esprit d'obéissance. — Tendresses paternelles. — Les influences 
du Saint-Esprit. — Vertus du prédicateur. — Efficacité de sa 
parole. 

Laissant de côté tant d'autres horizons de la vie 
parfaite, savamment explorés par le P. Barrelle dans 
un long apostolat près des âmes religieuses , nous 
mentionnerons seulement la retraite sur la vie inté- 
rieure. Elle fut donnée en 1842 aux Mères conseil- 
lères des Dames du Sacré-Cœur, réunies aux Anglais^ . 
On sent que l'homme de Dieu parlait à des âmes 
fortes. Jamais cœurs g^énéreux ne furent placés d'une 
main plus virile sous l'inexorable logique de la grâce 
et de la vocation ; jamais plus impitoyable lumière ne 
fut portée dans les détours du cœur , ni plus avide- 
ment reçue. 

Le bon Père savait à qui s'adressaient ses vigou- 
reux enseignements. Depuis tantôt trente ans, à cette 
époque, qu'il s'occupait des Dames du Sacré-Cœur, il 
exerçait sur elles , dans une assez large mesure , une 
espèce de paternité. En bien des maisons, comme à 

* Ce nom désigne une ancienne maison de campagne située der- 
rière la colline de Fourvières, où se trouve aujourd'hui un pen- 
sionnat du Sacré-Cœur. 



120 CHAPITRE VINGT-SEPTIEME. 

Avi(}non, par exemple, ou comme à la Ferranclière, 
on rappelait tout simplement le Père, par antono- 
mase; à Gonflans, qui est le noviciat principal de la 
Congrégation, on l'avait surnommé V Apôtre du Sacré- 
Cœur. 

Ce n'est pas qu'on ne rendît au zèle dévoué de tant 
d'autres religieux éminents l'hommage d'estime et de 
reconnaissance qu'ils savaient si bien mériter; mais 
une sorte de désignation providentielle avait mêlé de 
plus près l'action du P. Barrelle aux progrès et pres- 
que aux origines de la Société. 

Un don d'en haut lui avait été accordé, soit pour 
discerner les âmes réservées parla grâce à la Congré- 
gation du Sacré-Cœur, soit pour répandre et déve- 
lopper dans ses membres l'esprit de la Société ; un 
don et un prestige surnaturels pour appeler à soi leur 
plus entière confiance, mêlée d'une vénération crain- 
tive pour la sublimité de sa direction. 

Le P. Barrelle n'ignorait pas ce don du ciel. Après 
une retraite ecclésiastique suivie d'un éclatant succès, 
la supérieure d'un pensionnat s'étonnait qu'au lieu de 
se livrer exclusivement à ce genre de ministère, plus 
universel et plus digne de son talent, il condescendît 
à évangéliser des communautés religieuses et des en- 
fants. — « Mère! Mère! répliqua-t-il, on me blâmera 
peut-être, on me condamnera, mais je le sais, je le 
sais : j'ai reçu de Dieu une mission pour le Sacré- 
Cœur. Il faut que je l'accomplisse fidèlement pour la 
gloire de Jésus-Christ. » 

De fait, la supérieure générale, la Très-Révérende 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 121 

Mère Barrât, fondatrice "de la Congrégation, ayant 
apprécié personnellement, soit par les retraites où 
elle assista, soit par ses autres rapports de direction 
avec le saint homme, le don qu'il avait reçu pour sa 
société, sollicita, à son insu, et obtint du Très-Révé- 
rend Père Général de la Compagnie l'autorisation 
écrite d'employer le P. Barrelle, partout où cela se 
pourrait, au bien de sa Congrégatiou. 

Jamais le bon religieux ne se prévalut, même une 
fois, auprès de ses supérieurs immédiats de cet assen- 
timent de son Général. Alors même qu'il se sentait 
au cœur l'inclination de la grâce pour le bien de telle 
ou telle communauté, il n'aurait eu garde d'influen- 
cer par une parole les déterminations de l'obéissance. 
Un mot lui aurait suffi ; ce mot ne sortit jamais de sa 
bouche. Il faisait taire aussi bien les inclinations du 
zèle que toute autre tendance du cœur, pour écouter 
le pur instinct de l'obéissance. II exposait ingénument 
les demandes dont il était l'objet, se tenant en esprit 
de foi dans les limites de la plus scrupuleuse réserve 
sur des motifs quelquefois décisifs. Il interrogeait la 
volonté de son Provincial, il ne faisait pas de demande ; 
jamais de préférence exprimée, bien moins une in- 
stance. Dieu ne saurait-il pas inspirer, à ceux qui 
devaient décider en son nom, ce qui serait selon ses 
divins conseils? 

Ainsi abandonna-t-il souvent des œuvres vivement 
désirées. Ainsi le vit-on demeurer des années, à deux 
pas de telle communauté où le poussait l'Esprit de 
Dieu, où l'appelaient d'ardents désirs, quelquefois 



122 CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME. 

des besoins spirituels impérieux, attendant, sans la 
provoquer, l'impulsion de l'obéissance. La sagesse sur- 
naturelle n'était-elle pas le lot assuré de ses supé- 
rieurs? Ce qu'ils faisaient était bien fait. Sa prudence 
à lui c'était la simplicité des enfants. Politique à 
rebours , ayant pour toute finesse la candeur , pour 
ressorts cachés l'humble foi et l'aveugle amour de la 
divine volonté. 

En 1853, les supérieurs provinciaux de la Com- 
pagnie en France convinrent de certaines mesures 
d'administration intérieure propres à maintenir la 
mutuelle harmonie des rapports dans leur juridiction 
religieuse. Alors recteur du noviciat d'Avignon , le 
vertueux Jésuite, écrivant à une communauté située 
dans le nord de la France , se fait ainsi l'application 
de la mesure adoptée. 

« Vous me parlez de la retraite de vos chères en- 
fants. Mon cœur n'a point tardé de se mettre en 
rapport avec vous. Mais d'après des conventions faites 
entre Provinciaux, il faut aujourd'hui quelque chose 
de plus ; le consentement, je veux dire et du Supérieur 
local et, par son entremise s'il a la bonté de s'en 
charger, du R. P. Provincial. Je présenterai ensuite 
votre demande, ainsi autorisée, à notre R. P. Pro- 
vincial, et nous connaîtrons par là le bon plaisir divin , 
pour lequel seul il nous faut vivre, parler, confesser 
et aussi souffrir, ma Mère! Ah! quel bonheur de 
n'avoir point d'autre but à envisager, et de se voir 
dans la douce nécessité de ne jamais s'écarter de cette 
ligne toute sainte ! » 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 123 

Cependant les supérieurs ont témoigné leur désir 
que la retraite en question soit donnée ; avec quelle 
délicate réserve il en exprime sa satisfaction : 

« J'ai reçu hier la nouvelle que j'attendais pour 
vous et aussi pour mon cœur, qui , croyez-le bien , ne 
s'est pas détaché de Kientzheim , par la raison qu'il 
doit aimer toujours Jésus et tout ce qui est étroite- 
ment uni à Jésus. Or, c'est sous cet aspect seulement 
que j'envisage cette maison, qui m'a été, qui m'est, 
qui me sera toujours bien chère. Jugez si je puis re- 
garder comme une faute ou une imperfection cette 
attache que j'ai et que je me plais à avoir. Nous nous 
retrouverons donc encore, si rien n'y met plus obstacle, 
ni de la part de Notre-Seigneur, ni de la part des 
créatures. 

» Le bon P. Provincial suppose que le P. supérieur 

de N voit sans peine mon excursion chez vous; et 

il me semble que vous me l'avez écrit. Oh ! la sainte 
charité avant tout, et jamais de bien cherché ou ac- 
quis avec lésion d'autrui. » 

Et toutefois c'était cette maison si chère à son 
cœur d'apôtre au sujet de laquelle, quatre ans plus 
tôt, il écrivait ces lignes : 

u Je sens, ma bonne Mère, toutes les fois que je 
parle de votre maison et que j'en reçois des nou- 
velles , ce je ne sais quoi de paternel qui remue le 
cœur. C'est vous dire que j'ai emporté de là des im- 
pressions bien profondes, et qu'il sera bien difficile au 
temps, qui cependant efface tout, de mordre assez 
avant dans mon cœur pour y détruire ce qu'y a incrusté 
notre bon Sauveur. 



124 CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME. 

» Goninient cela s'est-il fait? Par le bien que j'ai vu 
opérer là par l'esprit de Notre-Seigneur d'une ma- 
nière plus sensible qu'ailleurs. C'est ainsi du moins 
que je me l'explique, ne voyant pas d'autre raison de 
ce que j'ai et porte au fond du cœur. " 

S'il y a des bénédictions célestes pour la vertu , il 
est aisé de deviner celles qui tombaient sur un zèle si 
humble et si pur. Tantôt c'est le bon religieux lui- 
même qui le confesse à demi-mot, tantôt c'est la 
grâce qui éclate et qui le trahit : 

« Mon cœur ne se tourne jamais vers votre bonne 
maison sans ressentir de la joie d'y avoir laissé tomber 
quelques grâces et moissonné de bien douces consola- 
tions. Notre-Seigneur a daigné être bien bon là pour 
son pauvre serviteur, w 

L'allusion va s'expliquer en partie par le témoignage 
de la supérieure actuelle : 

« C'était le jour de clôture de la retraite pour le 
pensionnat. On conduisit au Père une de nos enfants 
qui, précisément ce jour-là, avait abjuré le protes- 
tantisme et reçu le baptême. Elle trouva le bon Père 
prosterné et anéanti dans son antichambre, qui avait 
une petite fenêtre sur le sanctuaire : il n'entendit pas 
même ouvrir la porte, et ce ne fut qu'après qu'on lui 
eut adressé la parole à plusieurs reprises, que le 
Père se leva; mais il ne put proférer un seul mot; il 
se contenta de montrer le tabernacle, la statue de la 
sainte Vierge, et de donner sa bénédiction à l'heu- 
reuse enfant de l'Eglise. Cette statue de Marie que le 
Père montra, la représentait à l'âge de trois ou quatre 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 125 

ans, priant, à genoux, dans le temple, les mains 
croisées sur la poitrine; elle faisait les délices du bon 
Père, et nous l'avons vu plusieurs fois, à son arrivée 
dans la maison, témoigner une grande joie de re- 
trouver sa petite Marie, lui baiser les mains, avec 
cette douce et tendre piété qui lui était particulière. 

« C'était auprès du tabernacle que le bon Père 
passait tout le temps que lui laissaient les instructions 
et les confessions; le calme de notre solitude favorisait 
singulièrement son attrait pour le silence et l'oraison. » 

Ainsi le pieux apôtre conservait son âme sous l'ac- 
tion directe du Saint-Esprit. Il en subissait si fortement 
la direction et l'influence, que de mystérieuses impuis- 
sances l'arrachant aux pensées qu'il avait préparées , 
la grâce l'emportait irrésistiblement et soudain à des 
considérations tout autres, nous allions dire tout 
opposées. La Ferrandière, la maison des Anglais, 
Marmoutier, Conflans, Saint-Joseph de Marseifle, 
ont vu ces revirements subits. Le Père avait quelque- 
fois sous les yeux les notes de l'instruction préméditée. 
Le discours fini, il disait avec surprise : — « Je n'ai 
pas pu m'en servir; le Saint-Esprit n'a pas voulu. 
Notre-Seigneur me change en cinq minutes tout ce 
que j'ai préparé. » 

Souvent aussi, dominé par le même Esprit, il chan- 
geait de genre d'un discours à l'autre, tournant sa 
voile au souffle de la grâce. Le matin on eût dit ce 
vent doux et léger qui se lève avec l'aube; le soir 
c'était l'esprit des tempêtes faisant entendre les éclats 
de la redoutable justice. Le résultat prouvait la sûreté 



126 CHAPITRE V INGT-^SEPTIEME. 

de ce divin instinct. — « Mon Père, lui disait-on, 
vous avez été terrible. — Que voulez-vous, dans ces 
moments-là ce n'est plus moi qui suis maître. Dieu 
fait ce qu'il veut. » Et quand il arrivait au saint tri- 
bunal, il voyait à ne s'y point méprendre que le Sei- 
gneur avait adapté sa parole au besoin des âmes. Il 
sentait même sortir de ses lèvres comme une vertu 
surnaturelle qui pénétrait les cœurs. 

« Telle pensée que vous avez exprimée est allée 
droit à mon âme, mon Père. — Oui, j'ai senti qu'elle 
sortait de moi et entrait en vous profondément. » 

Quelquefois sans dessein préconçu il allait à une 
communauté religieuse, poussé par un mouvement 
intérieur. Et il se rencontrait que le pensionnat s'était 
mis en prière pour obtenir sa visite ; que la commu- 
nauté avait importuné le bon Dieu pour avoir le bon- 
heur de Fentendre. Il était donc là, il faisait son oeuvre 
dans les âmes, sa mission finie, il reprenait sa route. 

Empruntons quelques lignes au journal deConflans : 

« 8 juin 1854. — Nous recevons aujourd'hui, par 
un heureux malentendu ou plutôt par une secrète 
disposition de la Providence, la visite du R. P. Bar- 
relle : au lieu de se rendre de Strasbourg à Lyon, 
ainsi que le voulait son itinéraire, le bon Père se 
trompe de convoi et se voit avec étonnement trans- 
porté à toute vitesse vers Paris. Nous devons à cette 
méprise le bonheur de le posséder presque toute la 
journée. Une autre circonstance se rattache à cette 
visite inattendue : une de nos novices après avoir fait 
une confession générale au R. P. Barrelle lors de son 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 127 

dernier passage à Gonflans,, conservait un vif désir de 
le revoir pour lui communiquer encore certaines choses 
de son intérieur, sans pouvoir néanmoins conserver 
aucun espoir fondé à cet égard , puisque rien ne fai- 
sait présumer la prochaine visite du bon Père , elle 
priait toutefois avec une ferme confiance, et c'est 
précisément alors que le Révérend Père, poussé sans 
doute par son bon ange, vint nous surprendre et 
exaucer les vœux de notre sœur. » 

Voici maintenant le prédicateur de retraite dans la 
simplicité des actions quotidiennes. Une sœur coadju- 
trice nous dicte ses observations, nous les reprodui- 
sons fidèlement : 

K Tout, dans le P. Barrelle, avait quelque chose 
de si digne et de si modeste, qu'en le voyant on se 
sentait porté vers Dieu; sa bonté cependant imposait 
le respect, tant son maintien était grave et religieux. 
Chargée de faire ses commissions et de veiller à son 
service , je le trouvais toujours dans le même recueil- 
lement. Mais c'est surtout en le vovant dire la messe 
que j'étais frappée de sa dévotion au moment de la 
consécration. Un jour, il arriva à la chapelle des 
étrangers lorsque le salut venait de commencer ; je 
lui proposai d'entrer dans le sanctuaire, mais il me 
répondit : — a Je suis bien ici, » et se mit à genoux dans 
un endroit écarté, où il se tint tout le temps immobile 
et sans appui. 

» Le R. P. Barrelle avait un ordre parfait et don- 
nait peu à faire aux personnes chargées de son ser- 
vice. Les moindres attentions étaient reçues par lui 



128 CHAPITRE VINGT-SEPTIEME. 

avec une reconnaissance qui confondait. Il prenait un 
soin remarquable des objets à son usa(je, et prouvait 
ainsi Testime qu'il faisait de la pauvreté. Ses effets 
les plus usés avaient un air de propreté qui cbarmait. 
Un jour on lui mit des mouchoirs de poche en bon 
état à la place des siens ; mais il en eut une véritable 
peine, et l'obéissance seule put les lui faire accepter. 
Il me fallut aussi lui donner du papier très-commun 
pour prendre ses notes ; il trouva contraire à la pau- 
vreté de se servir de celui qu'on lui avait préparé. 

» Jamais il ne touchait, même dans les plus grandes 
chaleurs, aux petits rafraîchissements qu'on lui offrait 
ou qu'on déposait dans sa chambre, et plus d'une 
fois il me fit dire à la sœur cuisinière que deux plats 
lui suffisaient et qu'il voulait en tout être servi comme 
la communauté. Cependant lorsque sa santé exigeait 
quelques soins, il se laissait faire comme un enfant, 
et sa réponse était toujours : — « Eh bien , bonne 
» sœur, puisqu'on le désire, je le veux bien aussi. » 

» Un soir, en sortant d'une de ses instructions de 
retraite, il fut arrêté dans la cour par une de nos 
sœurs coadjutrices qui le retint assez longtemps; le 
bon Père avait très-chaud, et le serein tombait. Je 
pris sur moi de m' approcher de lui et de lui en faire 
l'observation. Aussitôt il congédia la sœur, mais il le 
fit avec un air de bonté que je n'oublierai jamais. 

w Lorsque je lui faisais une commission, j'avais 
l'habitude de lui demander sa bénédiction , et le bon 
Père se levait aussitôt pour me la donner. Je craignais 
bien , d'une part, de le déranger et d'être importune; 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 129 

mais de l'autre, je sentais que je me priverais d'une 
grande (;ràce en ne la lui demandant pas. Enfin, je 
lui dis un jour ma pensée là-dessus, et depuis lors, 
le bon Père, dès que je me présentais devant lui, me 
bénissait de lui-même. » 

Ces dehors simples et bons ont un charme qui sied 
bien aux instruments de la vertu divine. Ils en relèvent 
le mérite , quand on les rapproche des grands effets 
surnaturels qu'elle sait produire. 

Bien souvent un progrès important se décidait au 
contact de cette parole qui ne proposait rien de mé- 
diocre, qui, à force d'être généreuse, semblait dilater 
les courages. Un état nouveau s'établissait dans les 
âmes, et l'effet produit n'avait rien de fugitif; il avait 
quelquefois une portée lointaine et décidait d'une 
vie; car si toute parole n'est pas excellente à tout 
besoin, celle-ci avait communément un retentissement 
efficace. 

Elle laissait si bien la place à Dieu seul ! Quelque- 
fois même Dieu éclatait sensiblement et laissait les 
esprits sous le saisissement. 

En 1851, le P. Barrelle était allé donner à la Fer- 
randière le triduum de fin d'année sur Jésus premier 
et Jésus dernier. Au milieu d'une instruction, en- 
flammé peu à peu par l'ardeur du discours, hors de 
lui de saint amour et de besoin de le répandre, il se 
leva tout à coup de son fauteuil, comme saisi par 
l'inspiration , et daus son transport il s'écria : — 
«Mes enfants, Alphonse Ratisbonne a vu la sainte 
Yierge et il a tout compris! Eh bien, moi je vous 



130 CHAPITRE VINGT-SEPTIEME. 

dis : J'ai vu Notre-Seigneur et j'ai tout compris ! » 
Et il retomba sur son fauteuil, se cacha le visage dans 
les mains , comme anéanti par cette explosion pas- 
sionnée du divin amour. Il resta sous cette impression 
plusieurs minutes. 

Voici une conversion. C'est le retour d'une âme à 
la ferveur : 

« J'étais religieuse depuis bien des années , mais 
bien loin de ma première ferveur. Diverses circon- 
stances et plus encore le manque de fidélité à la 
grâce m'avaient tellement dé^;OLitée de ma vocation, 
que je n'y persévérais que par un reste de foi, et j'en 
trouvais le joug insupportable ! Connaissant ces dis- 
positions, mes supérieures jugèrent devoir me faire 
suivre une retraite donnée par le R. P. Barrelle. Je 
n'en avais nullement envie; lîien persuadée que cette 
nouvelle grâce n'aurait, comme tant d'autres déjà 
reçues, que le triste résultat de me rendre plus cou- 
pable devant Dieu. D'ailleurs j'étais peu désireuse des 
exercices spirituels, et j'aimais mieux m'étourdir que 
d'examiner mon triste état. 

» Il fallut obéir néanmoins, car on ne me laissa 
pas le choix. Je ne connaissais pas le P. Barrelle, 
et dés que je le vis, je fus singulièrement frappée; son 
air de bonté et en même temps la gravité religieuse qui 
se peignait sur tout son extérieur, me fireiit une grande 
impression. En l'entendant parler, la finesse de ses 
pensées, la profondeur de son regard, un mélange de 
grande douceur et de mordant dans ses expressions, 
tout m'intéressa; et je me dis en sortant de la pre- 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 131 

mière instruction : Au moins cette retraite ne m'en- 
nuiera pas. 

M Mais bientôt ces dispositions si imparfaites durent 
céder à la grâce puissante attachée aux paroles de 
cet apôtre du cœur de Jésus! La vérité se montrait 
à mon esprit comme jamais je ne l'avais comprise. 
Jamais je n'avais rien entendu de si persuasif, jamais 
rien de si entraînant n'avait saisi mon cœur! 

» De plus, je demeurais parfois stupéfaite en enten- 
dant le Père répondre à mes pensées intimes. Je me 
rappelle qu'une fois, entre autres, j'avais le cœur 
serré de crainte à l'exposé terrible qu'il faisait du juge- 
ment de l'âme religieuse infidèle; mais aucun signe 
extérieur ne pouvait me trahir. — « Pourquoi ce 
trouble? » dit le Révérend Père en fixant les yeux sur 
moi; et parlant alors de la bonté extrême du juge, 
jusqu'à ce que cette crainte eût fait place à la con- 
fiance , il ajouta : — « A la bonne heure! » Je me 
souciais fort peu qu'on s'aperçût de ces apostrophes; 
aussi je me composai comme si je n'avais nullement 
compris qu'elle me fussent adressées; mais au fond 
j'étais bouleversée, car je ne pouvais douter que Dieu 
ne donnât au Père la connaissance intime de ce qui 
se passait dans mon âmCi Chacune de ses instructions 
y faisait entrer l'humiliation à pleins bords, tandis 
que dans les entretiens particuliers il savait rendre la 
confiance, la paix, la joie même non moins sura- 
bondantes. 

» Le souvenir de ces impressions me les rend aussi 
vives qu'elles l'étaient alors, malgré les longues années 



132 CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME. 

qui se sont écoulées depuis. Et plus tard, qaand je 
rendais compte de ma conscience à ce Père vénéré, 
j'étais si convaincue que Dieu l'éclairait lui-même, 
que cette conviction m'aurait empêchée de prendre 
aucun détour et de faire la moindre restriction, sup- 
posé que ma confiance n'eût pas été sans bornes. 

« Dans cette retraite il m'eût été comme impossible 
de ne pas me rendre. Les sacrifices que je devais 
m'imposer ne pouvaient m'arrêter, car les décisions 
du Père donnaient à ma volonté une force incroyable ! 
Klle ne savait plus rien mesurer! Et cependant, 
jamais de violence; mais, au contraire, une douceur 
qui surpassait tout ce que j'avais trouvé dans les per- 
sonnes les plus remplies de charité. Les réponses du 
Père étaient si suaves, qu'il me semblait entendre la 
voix de Notre-Seigneur lui-même;» et elles étaient si 
claires et si positives , qu'elles m'ouvraient une route 
où je ne voyais pas la moindre obscurité ni le plus 
léger doute. 

» Ces saints exercices furent donc pour mon âme le 
début de grâces sans nombre, dont ce Père vénéré a 
été constamment le canal. Aussi est-ce avec les senti- 
ments du respect le plus profond et de la reconnais- 
sance la plus filiale que j'aime à redire qu'après Dieu 
je lui dois la persévérance dans ma vocation et l'espé- 
rance de mon bonheur éternel. » 

Que pouvait-il manquer au crédit de l'ouvrier évan- 
gélique, alors que d'aussi puissantes opérations de la 
grâce étaient encore soutenues par le soulagement 
des infirmités corporelles? Or, pour nous borner à un 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 133 

ou deux exemples, la Giotat, son pays natal, va nous 
les fournir. 

En 1845, le P. Barrelle prêchait la retraite aux 
religieuses du Saint-Nom de Jésus. « Ses paroles 
tombaient en nos cœurs, nous dit l'une d'elles, comme 
des perles précieuses que l'on conserve en un trésor 
séparé et qui demeurent inaltérables à l'action du 
temps. Il avait l'art d'humilier sans froisser ni décou- 
rager. En nous détachant de nous-mêmes, il s'effor- 
çait de nous unir étroitement à Jésus-Christ , et nous 
sentions son action d'une manière irrésistible et inex- 
plicable. 

» Parlait-il de la sainte humanité du Sauveur, alors 
surtout s'enflammait son visage; sa parole s'animait 
de plus en plus, et c'est avec de vrais transports qu'il 
nous disait : « Allons, chères âmes! nourrissez-vous 
» de Jésus, mangez de ce pain délicieux; le jour, dans 
» vos travaux, pour vous soutenir; la nuit, dans vos 
«insomnies, pour les charmer; mangez, mangez, 
» nourrissez-vous de Jésus! » Il nous dit des choses 
sublimes dans une méditation sur la flagellation du 
divin Maître. Il nous montrait l'adorable Victime, 
couverte seulement de ses plaies et de son sang; dé- 
barrassée des liens qui l'avaient attachée à la colonne, 
et ne pouvant se tenir debout à cause de son épuise- 
ment, elle se traînait à genoux dans son propre sang 
pour reprendre ses vêtements et en couvrir son corps 
virginal... Là, comme au spectacle de la croix, quand 
il nous montra Jésus-Christ abîmé dans la souffrance, 
auprès de lui sa très-sainte Mère et Marie-Madeleine 

TOM. II. 8 



134 CHAPITRE VINGT-SEPTIEME. 

représentant les pauvres pécheurs, ce fut avec tant 
d'onction que nos cœurs en furent brisés ; il y en eut 
même qui ne purent tarir leurs larmes de plusieurs 
heures, quelque effort qu'elles fissent pour les retenir. 

» La croix, les souffrances, les humiliations, toutes 
ces choses si contraires à la nature , en passant par sa 
bouche prenaient un attrait irrésistible et captivaient 
nos cœurs. 

M Mais sa parole opérait d'autres merveilles : Une 
sœur conseillère était malade depuis plusieurs mois. 
Le bon Père , après avoir traité les affaires de son 
âme, lui demanda des nouvelles de sa santé. — 
«J'éprouve, répondit la sœur, un dégoût insurmon- 
» table pour toute espèce de nourriture. — Allez, 
» reprit le Père, et dites à votre bon ange, de ma 
» part, qu'il vous ouvre l'estomac. » En toute simpli- 
cité, la bonne sœur obéit. De ce jour-là l'appétit lui 
revint, et la santé se rétablit insensiblement d'une 
manière inespérée. 

» Une bonne sœur, malade depuis plusieurs mois, 
touchait au terme de sa vie. Souvent elle était tra- 
vaillée par la crainte de la mort. Le Père lui apporta 
des paroles de confiance si persuasives qu'elles l'éta- 
blirent dans une paix délicieuse, qui ne l'abandonna 
pas jusqu'à son dernier soupir. — « Ah ! depuis que le 
» P. Barrelle est venu me voir, disait-elle, je n'ai plus 
» peur. Je n'ai qu'un désir : la sainte volonté de Dieu. » 

» Une postulante éprouvée par des tourments inté- 
rieurs lui confia ses peines. Après quelques paroles de 
consolation, le Père lui dit : — « Ma fille, allez au 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 135 

» chœur; vous chanterez les litanies de la sainte Vierge, 
» et votre peine sera dissipée. » C'était précisément 
l'heure de l'exercice. La voyant entrer au chœur, la 
Su[)érieure lui fait signe d'approcher et lui dit : — 
« Ma sœur, chantez les litanies. » Or, jusqu'alors on 
ne lui avait jamais confié ce soin. Etonnée, la postu- 
lante obéit; mais les litanies n'étaient pas achevées 
que sa peine s'était évanouie. 

» La même sœur fut interrogée sur les origines de 
sa vocation. Elle indiqua, sans sonder le passé, quel- 
ques indices récents de la grâce divine. Mais le Père 
ramenant ses souvenirs aux jours de son enfance , 
elle rappelait seulement les pieux désirs de sa première 
communion. Alors il la reconduisit comme par la 
main à une époque un peu plus rapprochée : — 
«Oui, mon Père, dit-elle enfin, vers quatorze ans 
» j'ai eu un songe mystérieux qui m'impressionna 
M vivement. » Le P. Barrelle lui en fit remarquer les 
circonstances frappantes; puis il ajouta d'un ton per- 
suasif : — i( Ma fille, souvent Dieu s'est manifesté 
» aux âmes durant le sommeil. Si votre directeur eût 
» arrêté son attention sur le songe que vous venez de 
» me raconter, nul doute que cette époque n'eût été 
» celle de votre donation à Dieu. Heureusement le 
V Seigneur ne vous a jamais perdue de vue. Mais, dé- 
» sormais, n'approchez jamais de la sainte table sans 
» faire au bon Maître la prière que vous lui adressâtes 
» dans votre songe : Jésus, fils de David, ayez pitié 
» de moi! » Depuis plus de vingt ans cette pratique 
n'a jamais été oubliée.» 



136 CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME. 

Le P. Bairelle parlant de cette postulante à la su- 
périeure de la maison, lui dit : — «Ma Mère, prenez 
de cette sœur un soin tout particulier, je vous la re- 
commande. Soignez-la, soignez-la, » répéta-t-il à 
plusieurs reprises. Etait-ce intuition des desseins de 
Dieu, connaissance surnaturelle de l'avenir? Le fait 
est que quinze ans plus tard la postulante de 1845 
devint supérieure générale de sa Congrégation. 

On aurait dit que la grâce et la puissance divines ai- 
maient à passer par les mains du P. Barrelle. Pour 
lui, il ne savait que s'en étonner, et plus il opérait le 
bien, plus il se déplaisait à lui-même. Après les plus 
heureux succès, il osait bien écrire, avec une entière 
bonne foi, des paroles comme celles-ci : « Nous venons 
de terminer notre retraite à Gonflans. Tout le monde 
y a fort contenté Notre-Seigneur, excepté moi , qui ai 
été ennuyeux au possible. » Ou bien encore : « Je 
suis une croix toujours à qui me fait la charité de ne 
pas dédaigner mon humble ministère. » 

Ainsi c'est une charité d'accepter ses services; il ne 
veut pas qu'on se gène pour les laisser de côté : 
«Dites-moi en simplicité, car je suis votre frère et 
servileur, si l'arrangement proposé pour votre retraite 
ne vous dérange pas. Avec un misérable tel que moi, 
il ne faut pas craindre; car il n'y a pas plus à perdre 
qu'à gagner. » 

Cependant la vérité lui arracbe des aveux sur les 
consolants résultats de ses efforts : « Que de consola- 
tions Notre-Seigneur m'a données cette année, dans 
les diverses maisons religieuses que j'ai parcourues ! 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 137 

Que de grâces je l'y ai vu répandre! Qu'il en soit mille 
fois béni! » 

Il écrivait le 1" avril 1852 : « Ce que j'ai dit de 
nos chères enfants de Kientzheim à mes autres enfants 
de la Ferrandière a contribué au succès parfait de 
leur retraite, qui s'est terminée le jour de saint Joseph. 
Il fallait voir l'entrain de ces petites à s'humilier. Elles 
fouillaient toutes dans leur vie pour acquérir la vraie 
connaissance d'elles-mêmes et le mépris de soi qui en 
est le fruit. C'a été comme le cachet de ces saints 
exercices, qui m'ont beaucoup consolé, quoique un 
peu fatigué. » 

Sous cette atténuation, nous retrouvons ici l'indice 
des fatigues excessives qu'il amoncelait dans ses courses 
apostoliques. Peu d'années, depuis 1849, où sa santé 
n'éprouvât des secousses violentes. 11 luttait contre la 
faiblesse; si le mal prenait le dessus, il subissait la 
croix et reprenait de plus belle son labeur apostolique. 
C'est donc en toute vérité, au physique comme au 
moral, que le Seigneur lui faisait « gagner son pain 
apostolique à la sueur de son front » . 

«Dans sa conduite envers mon âme, Notre-Sei- 
gneur se contente de laisser tomber sur le sol de mon 
intérieur quelques petits grains de sénevé qui me 
semblent attendre là le jour et l'heure de leur dé- 
veloppement. C'est ce qui me force de gagner mon 
pain apostolique à la sueur de mon front, et dans la 
peine d'un travail continuel et dans l'état d'une 
indigente pauvreté habituelle. On ne peut et on ne 
veut pas le croire; c'est la vérité pourtant; Dieu le 

8. 



138 CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME. 

sait. Je dois y ajouter cependant que la charité de ce 
bon Père ne m'a jamais fait défaut, sauf quand mon 
peu de foi et ma trop grande pusillanimité m'en ont 
rendu indigne, ce qui a été rare et bien rare de la 
part de cet admirable Père, à qui actions de grâces 
en soient rendues. » 

Quelle rapidité dans ses courses, quelle activité 
dans son apostolat! On lui demande son itinéraire, 
afin de savoir où le prendre; il répond : 

«Mon itinéraire! Eh! pauvre enfant, je traverse 
tant de pays que le tracé en serait un peu long. Je 
suis tantôt au Nord et tantôt au Midi. De Lyon, je 
courus à Ghâlons-sur-Marne; de là je poussai une 
pointe sur Conflans, pour me reposer dans deux con- 
fessionnaux, là et rue de Varennes. Je revins dans la 
même direction, quarante-huit heures après, pour 
me rendre à Reims, qui me retint une quinzaine de 
jours. Les deux retraites que j'y donnai me causèrent 
des sueurs abondantes, vrai remède contre les mau- 
vaises humeurs ; mais ma gorge ! Dieu sait en quel 
état elle se trouva. Je vins alors à Tours, où je passai 
trois jours auprès de la très-digne Mère Générale, 
donnant l'oreille à qui me fut adressé, et distribuant 
quelques paroles d'édification. Ainsi reposé, je courus 
vers Périgueux, d'où j'eus de la peine à me tirer sain 
et sauf. Dieu cependant est venu à mon secours, et je 
suis une seconde fois à Tours, sur le point de partir 
pour Blois, qui me jettera comme une balle jusqu'à 
Montauban, et par contre-coup jusqu'à Niort, et par 
ricochet jusqu'à Gap, qui, ne voulant pas plus de 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 139 

moi que les autres endroits, me fera sauter à Kientz- 
heim, lequel, plus charitable, me rendra à Bétlianie, 
pour aller de là je ne sais où, mais bien sûr où 
Notre-Seigneur voudra. 

» Suis-je un être singulier au monde, mon enfant? 
On m'appelle çà et là; j'y vais, et puis, quelques 
jours écoulés, on me fait, nous nous faisons la révé- 
rence ; heureux quand le cœur peut se dire : Nous 
nous quittons bons amis!... Car la doctrine que je 
prêche n'est et ne saurait être nulle part du goût de 
la sainte nature; d'où il suit que les âmes qui lui ont 
dévotion n'aiment guère l'ennuyeux et martelant pré- 
dicateur. Cependant, grâce à Notre-Seigneur, je n'ai 
point encore trouvé de grands rebelles sur ma route. 
C'est de la bonne pâte que celle qu'on m'a mise 
jusqu'à présent entre les mains. Les impressions ont 
été reçues avec docilité. Plaise au Seigneur du ciel 
de donner l'accroissement à mon labourage et arro- 
sage tel quel ! » 

Quelques jours après, le 13 août 1852, s' adressant 
à une autre personne : 

« Je pars de suite pour Montauban, pour remonter 
à Niort et redescendre à Gap. Ce sont comme les zig- 
zags de la foudre; seulement je vais avec un peu plus 
de lenteur, surtout quand il faut passer des rapides 
chemins de fer sur les lourdes diligences en pays 
montagneux. Si j'étais fait à la façon des touristes 
anglais, je me distrairais en admirant tout ce qui 
borde ma route à droite et à gauche, de près et de 
loin. Mais le temps de l'admiration semble passé pour 



140 GriAPITRE VINGT-SEPTIÈME. 

moi, et je suis Ijaljilué à ne trouver partout que les 
mêmes choses. terre insipide! et d'autant plus 
insipide que l'art veut rivaliser davantage avec la 
simple nature, pur ouvrage de mon Dieu. Mon enfant, 
un jour viendra où tout cela entrera pour nous dans 
le domaine du néant, lorsque nous entrerons nous- 
mêmes dans le royaume de la vérité et de la lumière 
éternelle. Les saints en avaient quelque écoulement, 
quand ils s'écriaient avec saint Ignace, mon Père : 
Que la terre me parait vile et dégoûtante à l'aspect 
du ciel! Oh! je voudrais que nous nous étudiassions 
pendant notre vie fugitive à juger de tout ce qui est 
ici-bas comme ils en jugeaient eux-mêmes à la clarté 
de leur vive foi. Croyez-vous que nous en serions 
moins heureux, pour en être plus pauvres de ces 
misérables fascinations, qui ne font qu'ensorceler le 
cœur et jeter le désordre dans ses affections?... 

» Encore un peu, encore un peu, mon enfant, et 
nous aurons passé... vérité! ô vérité! saisis-nous 
déjà, et que tout devant toi nous paraisse folie et 
vanité des vanités, hormis la connaissance, l'amour 
et la fervente imitation de Jésus, le modèle, le sau- 
veur, l'ami passionné et l'époux de ijos âmes. » 

Ainsi, durant ses voyages il se plongeait en Dieu, 
des spectacles fugitifs du dehors élevant son âme aux 
saintes contemplations de l'amour divin; et ses courses 
«étaient sans ennui, parce que Notre-Seigneur dai- 
gnait l'attirer à lui pendant ce temps-là. » 11 s'unissait 
d'intention aux courses évangéliques de son adorable 
modèle, et se félicitait de cette douce ressemblance : 



LES RETRAITES SPIRITUELLES. 141 

« Me voici , faisant en ce moment ce que faisait 
notre bon Maître, allant, venant, s'arrétant un peu, 
puis reprenant ses courses. Je le remercie de ce 
petit trait de ressemblance exte'rieure qu'il daigne 
me donner avec lui, et je le prie de me donner les 
autres, qui sont autrement essentiels; car que sert 
de courir le monde, même en évangélisant, si l'esprit 
et le cœur ne sont unis à Celui qui envoie, et si la vie 
ne correspond fidèlement à la sienne? Demandez-lui 
qu'à tant de charités qu'il a eu la grande miséricorde 
de me faire, il joigne encore celle-ci, et que je me 
rattache d'autant plus à lui que je vagabonde davan- 
tage au milieu des créatures. » 

Cependant la pente du désir ramenait le P. Barrelle 
aux heureuses thébaïdes qu'habite le recueillement 
et qu'anime la sainte prière. S'il en rencontrait 
quelqu'une en sa route, de célestes envies renaissaient 
eu son cœur, et lui offraient l'occasion d'un sacrifice 
pour les âmes. 

Il s'exprimait ainsi le 10 juillet 1855 : 

« Il y a quelques jours que j'étais sur de saintes 
montagnes. Dans mon excursion j'assistai à la consé- 
cration d'une église du Sacré-Cœur. Annonay et la 
Louvesc ont partagé mon temps. 

» Trouvant sur mon chemin, dans les montagnes 
que j'avais à gravir, la plus petite et la plus isolée 
de nos résidences, située à environ deux lieues de 
celle de Saint-Régis, dans une assez riante soli- 
tude, au milieu de quelques rares maisonnettes, 
auprès d'un modeste pèlerinage de notre bonne Mère, 



142 CHAPITRE VINGT-SEPTIEME. 

Notre-Dame d'Ay, je me suis comme senti pris au 
cœur, et il m'est échappé de dire : Oh! que je serais 
bien ici!... Mais c'était trop penser à moi, et il m'a 
bien vite fallu ajouter : Seigneur, non point ma vo- 
lonté, mais la vôtre. En elle seule, en effet, est la 
vraie et parfaite solitude... En elle le vrai et parfait 
repos. Qu'elle soit donc à vous , votre Amérique avec 
ses profondeurs, et à moi Notre-Dame d'Ay avec son 
silence, ses vallées étroites, son torrent et sa pieuse 
solitude. Que si, plus tard, ce doux sort nous était 
fait par cette unique volonté, oh! alors nous en se- 
rions doublement heureux, et parce que nous n'au- 
rions voulu que ce que Notre-Seigneur voulait, et 
parce qu'il ferait, en nous isolant, sa volonté infini- 
ment aimable en toute chose. Attendons patieniment, 
et, en attendant, agissons généreusement. « 

L'heure n'était pas encore venue. Au lieu de la 
douce solitude de Notre-Dame d'Ay, la bruyante de- 
meure d'un pensionnat nombreux allait ramener une 
dernière fois le P. Barrelle à l'apostolat de sa jeunesse 
et de sa maturité. Pour la septième fois, l'éducation 
lui sera redevable. Il lui aura consacré pendant un 
quart de siècle sa sagesse et son dévouement. 

Mais, avant de traverser cette nouvelle période, 
arrêtons-nous un instant à étudier dans le P. Barrelle 
l'éminent directeur des âmes. 



900O®OO0»»«»— — 



LE DIRECTEUR DES AMES. 143 



CHAPITRE XXVIII 



LE DIRECTEUR DES AMES. 

Ce que c'est que la direction. — Un idéal : Amour de Dieu jusqu'à 
l'abjection de soi. — Dieu veut bâtir sur des ruines. — Se laisser 
faire et se laisser défaire. — Que l'Esprit-Saint va petitement 
avec les petites âmes. — Comment l'âme qui sait mourir reçoit 
la divine empreinte de Jésus-Gbrist. — Rien ne peut retarder 
l'âme de bonne volonté. — Exploiter les infidélités passées au 
profit des vertus. — La crainte corrigée par la confiance. — La 
tentation nous jette au sein de Dieu. — Les jouissances de la 
maladie. 

Dans les retraites spirituelles, si la prédication com- 
mence puissamment l'œuvre de la grâce, il appartient 
à la direction des consciences de poursuivre cette œuvre 
jusqu'au terme. La direction a une action plus in- 
time; elle possède de Dieu une lumière spéciale pour 
connaître Tâme, pour lui parler; elle proportionne 
la vérité aux dispositions personnelles, et elle porte 
jusqu'au sein de la volonté, selon les besoins du mo- 
ment, les impulsions immédiates du Saint-Esprit. Le 
prêtre n'a pas reçu de pouvoir plus efficace et plus 
salutaire. 

Le P. Barrelle fut un directeur éminent. Une ou 
deux fois dans la suite de cette histoire, nos lecteurs 
ont pu entrevoir son mérite ; nous avons à dire ici 
quelles qualités il déploya dans la conduite des âmes. 



144 CHAPITRE VINGT-HUITIÈME. 

La direction a pour objet de conduire les âmes 
dans les voies de Dieu. On pourrait la définir la science 
des âmes et de la perfection ; puisque les voies de Dieu 
ne sont autre chose que la marche du Saint-Esprit 
pour perfectionner les âmes. 

La plupart des chrétiens n'ont besoin de direction 
que par intervalles. Les enseignements communs de 
la religion leur apprennent tout ce qui est habituelle- 
ment nécessaire pour éviter le mal et faire le bien; ils 
ne vont chercher d'ordinaire, au saint tribunal, Que 
Ja guérison de leurs infirmités spirituelles ou la récon- 
ciliation avec Dieu, et, pour les douleurs inséparables 
de la vie humaine, les consolations de la foi. 

Que si l'on passe par certains états d'âme plus pé- 
nibles , ou si l'on aspire à la vie spirituelle, on sent 
alors le besoin d'un protecteur et d'un guide. Les 
tentations, le scrupule, l'appel de la grâce à un état 
de vie plus parfait que la vie des chrétiens ordinaires, 
sont des circonstances difficiles qui ne sauraient man- 
quer sans péril de conseils éclairés. Que sera-ce s'il 
s'agit de s'adonner à la vie intérieure ou de suivre les 
voies difficiles de l'oraison et de la contemplation! 

Heureuse l'âme alors si elle trouve un homme spi- 
rituel, un homme versé dans la théologie mystique, 
celte partie la plus haute de la théologie morale, qui 
enseigne les sentiers de la perfection et conduit l'âme 
jusqu'aux plus liants sommets de l'union divine. 

Le P. Barrelle possédait excellemment les trois 
conditions qui font le directeur habile : des principes 
solides qui assuraient sa conduite; un ardent amour 



LE DlREGTEaH DES AMES. 145 

des âmes, où sa direclion puisait de la suite et de la 
constance ; enfin un discernement éclairé des con- 
sciences. 

Avant toute chose, il faut des principes sûrs pour 
donner de la sagesse à la direction. 

Il en est de la direction comme de la sainteté; le 
Saint-Esprit les inspire l'une et l'autre, et il répand 
dans ses mystérieuses opérations une variété merveil- 
leuse. Le soleil ne donne pas aux fleurs la même 
nuance, les astres n'ont pas tous le même éclat, et 
l'étoile, dit l'Ecriture, diffère de l'étoile en clarté. 
Ainsi la grâce de Dieu se diversifie en mille manières, 
selon les âmes qu'elle doit remplir et selon les divins 
desseins. 

Toute sage direction participe de la grâce qui l'in- 
spire cette ampleur, cette flexibilité, d'où procède 
dans la société des saints la splendide variété de leur 
vertu et de leur gloire. Plus parfaitement elle s'éclaire 
au flambeau de la Sagesse infinie, plus aisément aussi 
elle s'harmonise aux multiples impressions de la 
grâce. Le fidèle organe de l'Esprit sanctificateur doit 
s'appliquer à discerner son action au secret des con- 
sciences, et son plus grand mérite est d'y seconder 
l'impulsion divine. 

Gela n'empêche pas les maîtres de la vie spirituelle 
d'être caractérisés par un esprit distinctif. Si nous 
nommons l'esprit de pénitence ou l'esprit de zèle, 
l'humilité, la contemplation, la suavité du saint amour, 
quel lecteur ne trouvera aussitôt dans sa pensée le 
nom de saint Jérôme et de saint Ignace, de saint Jean 

TÛM. II. 9 



Î46 CHAPITRE VINGT-HUlïIÈME, 

de la Croix et de sainte Thérèse, et celui de saint 
Bernard ou de saint François de Sales! Mais tous 
n'ont qu'un seul emploi : seconder le Saint-Esprit. 
C'est qu'au fond, sous des noms divers, l'esprit qui 
les anime, c'est toujours l'Esprit de Dieu, inl-aillible- 
ment d'accord avec lui-même dans la variété de ses 
manifestations. 

Oui, sous la bannière d'une vertu, toute vertu garde 
son allure ; de même toute vertu se retrouve en toute 
vie parfaite, car les vertus sont inséparables. Parmi 
elles cependant, il en est toujours une qui éclate da- 
vantage, quia la prédilection du cœur, et qui tient, 
pour ainsi dire, le sceptre de la perfection. Or, l'esprit 
d'un directeur des âmes tient d'ordinaire aux ten- 
dances de sa vertu. Il possède un idéal conforme à 
ses inclinations surnatureiles ; cet idéal est la boussole 
qui marque sa route, le phare lointain qui dirige le 
pilote vers les rivages de la perfection, alors qu'il 
écoute fidèlement dans chaque àme quel est le souffle 
de l'Esprit de Dieu. 

S'il fallait caractériser d'un mot la direction du 
P. Barrelle , nous dirions que l'amour de Dieu en fut 
le ressort, mais que l'abjection de soi en résuma le 
secret. On peut la définir d'un mot à la fois doux et 
austère : s'anéantir devant Dieu par amour. 

La formule de la vraie vie et de la perfection véri^ 
table nous est donnée par saint Paul quand il dit : « Je 
ne vis plus, mais c'est Jésus qui vit en moi » ; mourir 
pour vivre; mourir à soi pour vivre à Jésus-Christ, 
voilà en deux mots la perfection. Comment, en effets 



LE DIRECTEUR DE8 AMES. J47 

la vie divine pourra-t-elle s'emparer de tout Tétre 
humain? Comment le chrétien pourra-t-il dire en toute 
vérité : Ma vie à moi, c'est Jésus-Christ, mihi vivere 
Christus est? Pour cela, toute vie qui ne serait point 
assujettie à la vie divine devra disparaître et mourir. 

Mourir à soi pour vivre à Jésus-Christ, oui, c'est 
bien là le double travail de la perfection. 

Telle est la doctrine du P. Barrelle. Détruire les 
obstacles à la vie divine, afin de préparer la place 
au Maître des cœurs ; à son avis , c'est le vrai point 
de départ de la perfection, c'est la grande loi de la 
sainteté. 

« Se vider de soi-même pour se remplir de Jésus- 
» Christ, se quitter pour courir à la suite du Sauveur; 
» se perdre pour trouver le Seigneur Jésus; mourir à 
» soi pour vivre à Dieu seul; descendre dans son 
» néant, s'y construire une demeure fixe, et là atten- 
M dre les visites, les lumières, les impulsions du divin 
» Régulateur, vivre alors de fidélité » ; voilà la doc- 
trine répandue partout dans les écrits spirituels du 
P. Barrelle. 

Ecoutons-le, sans oublier qu'il s'adresse à des âmes 
désireuses de la perfection. 

« Vous avez jusqu'à présent trop vécu vous-même; 
et il était temps, oui, qu'arrivât le moment de mourir. 
Mort mille fois plus précieuse que votre première 
vie ! mort renfermant mille fois plus de vrai amour 
que tout ce que vous aviez auparavant témoigné à 
Jésus et à son cœui:! Ne savez-vous donc pas, chère 
enfant, qu'il a plu à son Père et à Lui de tout bâtir 



148 Cllx^PITRE VIiNGT-IiUITIEME. 

sur les ruines et la mort?... Aussi j'aime déjà ren- 
contrer en vous les premières, qui sont les préludes 
de la seconde. Vous voyez dans votre intérieur comme 
dans votre conduite extérieure, dans l'esprit, dans la 
volonté, dans le sentiment, dans l'action, dans le 
langage, dans la position, dans l'isolement, comme 
des débris d'un bel édifice qui n'est plus, et vous 
ressemblez à ce cher Fils de l'homme qui n'a plus 
même où reposer sa tête ni son cœur. 

» Mais à force d'en souFfrir, n'allez-vous pas à en 
mourir? — Tout juste. Et de ces ruines ainsi que de 
cette mort surgiront la résurrection et la vie... et 
voilà encoie Jésus-Christ, mais .Tésus-Christ seul, sans 
vous et sans rien de vous, sans votre propre vie. 
Meure, meure tout cela, pour n'avoir plus que Jésus 
et son Cœur, ma véritable et unique vie ! Amen mille 
fois. » 

Une autre fois : 

« Chère enfant, mourez, mourez chaque jour da- 
vantage, mais par le seul motif de vivre enfin, par 
celte mort incessante, à l'amour vrai de Jésus-Christ. 
Oh! quel terme! Si nous pouvions seulement avoir 
l'avant-goût de ce qu'il y a de délicieux, nous nous 
donnerions mille morts à toute heure. Mourez donc 
autant que vous pourrez, et allez de sacrifice de 
vous-même en sacrifice, et d'actes d'humilité, de 
douceur et de patience eu actes semblables. C'est un 
chapelet qui nous fait gagner plus d'indulgences que 
tous les autres. ^) 

11 parle ainsi à une autre âme : 



LE DIRECTEUR DES AMES. ih9 

u On ne peut arriver au règne de Jésus-Christ sur 
l'àme sans aimer et sans détruire. Aimez donc et dé- 
truisez. Mais l'amour est moins dans ce qui se sent 
délicieusement que dans ce qui se fait avec énergie 
dans la vue de contenter l'Epoux. Détruisez et tenez- 
vous sans cesse armée pour détruire. Des milliers de 
coups portés sur nos ennemis chaque jour ne suffi- 
raient pas à leur arracher la vie, si nous leur donnions 
par notre relâchement le temps de ressusciter. » 

Au surplus, selon le P. Barrelle, faire mourir la 
nature et vivre par la charité ne sont pas deux opé- 
rations successives. « La mort intérieure elle-même 
fournit un aliment à la vie de Jésus-Christ en nous. » 

« Mon enfant, démolissez d'une main et hàtissez de 
l'autre, haïssez et aimez tout à la fois. Unissez la 
guerre à la paix, l'activité et le repos de l'âme, une 
constante défiance de vous-même en tout, et une 
espérance au Seigneur qui ne s'impose jamais de 
limite. » 

Le grand ohstacle à la vie de Jésus-Christ c'est 
l'esprit propre, la propre volonté, ce mof humain qui 
centralise toutes les forces de la nature, qui veut 
paraître et s'étendre, et tout ramener à soi. Le ré- 
duire devant Dieu à ce qu'il est de son fond, ramener 
l'homme à son néant; voilà la grande destruction 
que doit opérer l'âme sous l'effort de la grâce. Le 
P. Barrelle prenait donc à partie le moi humain, il 
faisait descendre l'âme dans la vérité de son impuis- 
sance, de son néant; il la ramenait sans cesse au 
même point, il y revenait sans relâche, afin que, vide 



150 CHAPITRE VINGT-HUITIEME. 

enfin d'elle-même, elle pût être remplie de Jésus- 
Christ. 

« C'est un grand pas que d'entrer dans sa propre 
vérité, un plus grand que d'agir d'après la conviction 
de sa propre vérité; et le plus grand de tous que de 
vouloir de plein cœur que tous, au-dessus et autour 
de nous, jugent, parlent de nous, et nous traitent 
selon cette même vérité. » 

Cette vérité, c'est notre néant, dont la connais- 
sance et l'amour pratique constituent l'humilité. Le 
P. Barrelle a sur cette vertu une suite de conférences. 
Nous en tirons quelques pensées. En commençant, le 
P. Barrelle compare l'œuvre de la grâce dans les 
âmes à l'œuvre de la Toute-puissance dans la créa- 
tion. 

« Qui est comme notre Dieu? Il habite des hau- 
teurs inaccessibles, et il voit en bas toute chose». 
Quand donc il s'agit de créer, voyez-le regardant en 
bas. Il ne peut rien voir au-dessus de soi; il ne peut 
regarder à son propre niveau puisqu'il est sans égal, 
« et il n'y a pas d'autre Dieu que lui. » Son regard 
plonge donc en bas jusque dans le néant. De même 
toutes les fois que le Seigneur veut commencer un 
ouvrage, il s'établit dans le néant comme dans 
l'atelier le plus convenable à son œuvre; il choisit là 
son laboratoire, et, parce qu'il a toujours à faire, 
usque modo operatur, il s'y établit pour ainsi dire à 
demeure. 

" De là, comprenez l'admirable conduite de Dieu 
sur ses saints : il les pousse, il les pousse sans cesse à 



LE DIRECTEUR DES AMES. 151 

devenir rien, rien, à se traiter et à se laisser traiter 
comme rien..., il leur enlève tout ce qu'ils ont..., il 
les dépouille, il les réduit à néant. S'il nous appelle 
à faire quelque bien dans les âmes, c'est toujours par 
le même moyen. Il vous faut pour cela descendre 
jusqu'aux dernières limites du rien, vous établir dans 
votre néant. Oh ! le bon laboratoire, où vous devien- 
drez dignes de Dieu! 

» L'humilité nous présente ce fonds où nous de- 
vons semer, planter, arroser pour avoir des fleurs et 
plus tard des fruits qui demeurent. Si après vous 
être mis dans la disposition de vouloir, de faire et de 
souffrir tout ce que Dieu veut, et dans l'acte effectif 
et total d'un vrai et éternel dégagement de tout, vous 
vous appliquez à ensemencer vos diverses plantes, 
c'est-à-dire les vertus que vous devez pratiquer, dans 
le terrain de l'humilité, et à les y cultiver avec soin, 
tout est gagné pour vous; car, vous ne l'ignorez pas, 
ce sont les vallées qui sont le plus richement fertiles. 
Pourquoi cela? C'est qu'elles reçoivent à elles seules 
tout ce que ne peuvent contenir les hauteurs. Celles- 
ci, en effet, ne gardent jamais rien : la pluie, les 
rosées, toutes les eaux du ciel ne font que les ef- 
fleurer; aussi, voyez comme leur sommet est aride! 
et c'est à juste raison qu'on les compare à l'orgueil. 

» Quand on a compris l'excellence de l'humilité on 
fait hardiment les actes qui découlent de cette vertu, 
et on les porte comme des joyaux sur son front... 
C'est là le signe de la noblesse chrétienne, de la 
noblesse évangélique , qui va toujours à l'inverse du 



152 CHAPITRE VINGT-HUITIÈME. 

monde. Ce qu'il y a de plus petit, de plus abject, de 
plus bas, c'est ce qui fait la noblesse de Jésus-Christ. 
Lorsque les nobles mondains veulent une noblesse 
au-dessus de la leur, ils humilient leur noblesse ex- 
térieure afin de conquérir la noblesse évangélique. 
Combien n'en voit-on pas qui, dépouillant les rayons 
de leur gloire mondaine, ne veulent pour échange 
que la petitesse et l'humilité de Jésus!... 

» L'humilité vous* laisse à l'influence de toutes les 
vertus. Le plus souvent elles ne sont paralysées que 
par ce moi qui leur est opposé et souverainement 
rebelle. 

» Ainsi l'obéissance vient et dit : Fais telle chose; 
l'âme qui est humble répond : Je le veux bien. La 
charité vient et dit : Rends-moi ce service; l'âme qui 
est humble lui répond : De tout mon cœur. La pa- 
tience vient et dit : Il faut souffrir et se résigner; 
l'âme qui est humble répond : Bien volontiers, j'y 
consens. La mortification arrive avec ses rigueurs : 
Il faut frapper un peu ferme, dit-elle; et l'âme 
humble de répondre : Très-bien ; je ne demande pas 
mieux. 

» Aussi Dieu a-t-il rencontré une âme vraiment 
humble, il abaisse ses yeux sur elle et envoie toutes 
les vertus frapper à sa porte, sûr qu'elle leur sera 
promptement ouverte et qu'elle leur fera un gracieux 
accueil. Il n'en est pas de même quand le moi habite 
les appartements intérieurs. Une vertu, l'obéissance 
par exemple, vient-elle lui demander le sacrifice du 
jugement et de la volonté propre, aussitôt la porte lui 



LE DIRECTEUR DES AMES. 153 

est fermée. Mais enlevez ce moi qui cause toutes ces 
révoltes, brisez-lui la tète sous le marteau de la sainte 
humilité, et aussitôt toutes les vertus trouveront cette 
âme accueillante, prévenante; l'humilité façonne et 
prépare tout; c'est délicieux, c'est divin ! 

» Grand travail, chères aines, que celui de la 
destruction de soi; c'est le préliminaire obligée de la 
reconstruction. N'est-il pas clair qu'il faut vider 
pour remplir, qu'il faut renverser pour recon- 
struire ! » 

C'est la doctrine catholique que, dans l'ordre du 
salut , l'homme de soi-même est impuissant. Si mi- 
nime que paraisse une œuvre surnaturelle , il ne peut 
tirer de son fond ni la force pour l'accomplir, ni la 
volonté qui l'embrasse, ni même la pensée qui la con- 
çoit. Ainsi, dans les œuvres de la grâce, aussi bien 
l'initiative que l'impulsion appartiennent à l'Esprit- 
Saint. A quelque degré de lumière et de perfection 
que l'élève jamais la grâce, la part de l'âme c'est la 
docilité. Elle doit céder à l'action divine et coopérer 
ainsi sans jamais mêler à l'impulsion surnaturelle 
l'empressement de sa propre activité. Sa coopération 
consiste toujours à suivre les prévenances delà grâce, 
à écarter les obstacles volontaires au règne souverain 
de la divine charité. A mesure que l'âme s'épure et 
avance dans la vertu , se laisser faire aux divines opé- 
rations et ne les contrarier en rien est d'autant plus 
indispensable que ces opérations sont plus parfaites et 
que, sous peine de déchoir, il ne faut pas laisser à 
l'esprit propre l'occasion de reprendre vie. Volon- 

9. 



154 CHAPITRE VINGT-HUITIÈME. 

tiers, auprès des âmes qui aspirent à la perfection, 
le P. Carrelle insiste sur ce principe. 

« Toute la science de l'amour, dit-il, est renfermée 
dans ce grain de sénevé : se laisser faire par Jésus 
et aussi s'en laisser défaire. Y a-t-il rien de plus déli- 
cieux que de l'introduire et de le maintenir envers et 
contre tous , en qualité de dominateur unique et sou- 
verain, dans l'infiniment petit domaine de notre être, 
auquel sa miséricorde veut donner une telle extension? 
Ah! liberté et puissance à Jésus-Cbrist! Qu'il anéan- 
tisse autant qu'il lui plaira! L'acte de Celui qui est 
vie et éternelle vie ne saurait prodmre autre chose 
que ce qu'il est. « 

« Oui , mon enfant , dit-il à une autre , laissez-vous 
faire... Laissez-vous dépouiller quand on vous dé- 
pouille , obscurcir quand on éteint autour de vous 
toute lumière , enrichir quand on vous donne , illumi- 
ner quand on vous éclaire , élever quand on vous 
élève, et jeter, abîmer dans toutes les profondeurs, 
quand on vous y jette et l'on vous y abîme. Que 
voulez -vous? C'est la part de la créature, et son 
unique part. Tout le reste est à Dieu et aux instru- 
ments dont il se sert pour opérer à son gré dans 
nos âmes. 

» Oh! nous réfléchissons trop, nous considérons 
par trop de faces et de côtés la conduite de Notre- 
Seigneur sur nous, ^ous tendons trop par le fond de 
notre esprit à nous rendre compte de ce qui se fait en 
nous et ce qui ne s'y fait pas ; de la manière dont 
Notre-Seigneur opère, des moyens qu'il emploie, des 



LE DIRECTEUR DES AME^ 155 

résultats qu'ils obtiennent, des lumières qu'ils nous 
apportent, des consolations qu'ils amènent, et de 
mille autres circonstances qui s'y rattachent ou qui 
en découlent. 

» Ah! qu'il faut plus de simplicité sur la voie où 
vous êtes! Recevez, et c'est tout. Vous avez besoin 
de préparation? c'est Dieu qui prépare. De fidélité? 
c'est de Dieu que vous devez l'attendre. De lumière? 
elle vous viendra de lui. Ce bon Maître ne vous lais- 
sera manquer de rien, et plus vous serez pauvre, 
plus il vous donnera de ses richesses. Laissez-vous 
donc là, vous, et laissez-le faire, lui. De grâce, 
consentez enfin à ne présenter que votre pauvreté 
infinie à l'infini de la miséricorde de Notre-Seigneur.» 

De tous les écrits spirituels du pieux directeur, on 
peut dire que le résumé substantiel est dans cette for- 
mule : Amour de Dieu jusqu'à l'entière abjection 
de soi. 

Lors donc que le P. Barrelle entreprenait la con- 
duite d'une âme, tout d'abord il la jugeait. D'un œil 
sûr il marquait le point décisif, c'est-à-dire la forme 
particulière sous laquelle se déguisait et tout ensemble 
se trahissait en elle l'esprit propre. Quand il l'avait 
saisi, il s'appliquait à le détruire, et, sous les trans- 
formations successives que venait à subir cette âme 
dans le progrès de sa vertu , il poursuivait avec con- 
stance cet unique ennemi. L'âme pouvait passer par 
divers états intérieurs; cette variété ne déconcertait 
pas le persévérant directeur. A dessein il négligeait 
certains défauts secondaires, des imperfections qui 



J56 CHAPITRE VINGT-HUITIÈME, 

semblaient provoquer Fattention , appeler un avis 
ou un reproche, et, revenant droit au point ca- 
pital, sous le regard de l'âme surprise, il replaçait le 
but oublié. 

Qu'on ne s'imagine pas que cette unité de vue, 
cet idéal fixe, dont le P. Barrelle projetait toujours 
la lumière sur la route réservée aux volontés géné- 
reuses, pût gêner les libres allures de la grâce; à 
moins que la boussole en indiquant le pôle au naviga- 
teur n'enchaîne tous les navires sur un même sillage. 

La plus parfaite abnégation de soi par amour 
pour Jésus-Christ, celte formule pouvait convenir à 
toutes les âmes, se plier à tous les besoins. 8e laisser 
faire et défaire à la grâce, cette maxime si fréquente 
sous la plume du saint homme, de quel mérite n'est- 
elle pas pour établir le cœur dans la liberté des 
enfants de Dieu! Dans cette unité de vue, que d'am- 
pleur! et dans un principe unique, quelle largeur, 
quelle fécondité! 

On comprend l'importance de ce principe, surtout 
pour les âmes entièrement adonnées au travail de la 
perfection. Leur ardeur à la vertu peut facilement 
dégénérer en empressement, devancer la grâce di- 
vine , usurper même sur son action par l'initiative 
personnelle, au détriment de la paix intérieure et du 
vrai progrès. Or, c'était un des principes du prudent 
directeur : «Il ne faut jamais devancer la grâce, mais la 
suivre; jamais hâter le pas de la grâce, mais se tenir 
à ses côtés et se contenter d aller le pas dont elle va; 
jamais dépasser la grâce, mais se borner à la seconder. " 



LE DIRECTEUR DES AMES. 15T 

Le P. Barrelle apprenait donc aux âmes l'oubli 
d'elles-mêmes et la docilité à la direction extérieure et 
à l'esprit de Dieu : 

« Oh! je le vois bien, mon enfant, nous n'aimons 
point naturellement nous perdre, ne plus nous voir 
et mourir. 11 nous semble par moments que la main 
et la sagesse du céleste Epoux seront insuffisantes à 
nous mener au terme, si nous ne distinguons claire- 
ment la part d'activité que nous mettons à nous 
sanctifier. Gela, nous le touchons au moins; nous en 
recevons une sorte de certitude et nous nous complai- 
sons à nous y reposer. Or, qu'y a-t-il là, sinon de la 
confiance cherchée, non en Dieu, mais en nous- 
mêmes? Oui , ainsi je suis sûre et sûre par moi-même, 
par des preuves palpables pour moi, que je suis dans 
le vrai , etc. Hélas ! si nous ne sommes jamais et en 
tout que néant, toute preuve reposant sur nous que 
peut-elle être? Faisons donc, mon enfant, ce que 
nous avons à faire, ensuivant l'obéissance et la direc- 
tion , seule lumière vraie, seule source de cette cer- 
titude morale qui repose sur la foi et sur les attributs 
divins; puis, sans examiner autre chose, sinon si 
nous avons manqué à cette obéissance et à cette 
direction, allons à l'aventure de l'Esprit de Dieu, 
nous confiant en lui et en lui seul, et puisant dans le 
fonds de notre éternelle misère des motifs incessants 
de nous humilier toujours et toujours plus. Voilà 
l'état par excellence, la voie des sages ou des insen- 
sés selon la foi. Faisons-nous un plaisir d'y vivre et un 
bonheur d'y mourir. » 



158 CHAPITRE VINGT- HUITIEME. 

Pareille leçon se retrouve souvent sous la plume 
du P. Barrelle : 

» Patience! restons livrée, abandonnée et parfai- 
tement dépendante. Que tout en nous fasse pâte argi- 
leuse entre les mains du Père divin. Il a son temps et 
ses heures. Il les attend pour agir. Attendons -les 
aussi nous-mêmes. En cela consiste une partie de 
notre fidélité. L'autre partie, vous savez en quoi 
elle consiste. Toute girouette vous la dit, de la hau- 
teur où elle est placée... Oh! qu'elle est éloquente 
par sa mobilité au moindre souffle de tous les vents 
célestes! Il n'v a nulle autre chose à faire avec vous, 
ô Esprit de mon Jésus ! Gela est tout. » 

Et ailleurs : 

« L'abandon, l'abandon, le plus complet abandon 
entre les mains de Notre-Seigneur , pour tout ce qui 
regarde nos progrés sensibles sur la route de la per- 
fection. Dieu! quand comprendrons-nous cela, et 
jusques à quand, par nos subtiles réflexions et notre 
esprit tenace, voudrons-nous ajouter, je ne dis pas 
une coudée, mais une ligne seulement à la stature de 
nôtre âme? C'est pitié vraiment que cette obstination 
de quelques âmes, qui s'appliquent sans, cesse à elles- 
mêmes, comme les mondains et les mondaines s'ap- 
pliquent à leur miroir, pour voir où en est leur 
toilette. « J'ai élevé , dit David, mes yeux vers la 
M montagne d'où me viendra mon secours. Mes yeux 
» sont toujours fixés vers le Seigneur.. . C'est qu'il me 
» délivrera » , lui, et non pas moi, des pièges qui me 
sont tendus, soit par mes ennemis du dehors, soit 



LE DIRECTEUR DES AMES. 159 

par mes ennemis domestiques. Oh! imitons-le, mon 
enfant, et nous serons plus fidèles, plus rapides sur la 
voie de la perfection, parce que nous obtiendrons 
plus de grâces; et nous tiendrons Notre-Seigneur 
plus appliqué, à nous, qu'il ne l'est quand il nous 
trouve appliqués à nous-mêmes. » 

Une autre s'enchaîne trop à des sacrifices de suré- 
rogation, qui préoccupent son cœur : 

« Je vous engage, mon enfant, à ne pas sacrifier la 
liberté intérieure à toutes ces minutieuses exigences 
qui vous fatiguent par leurs continuelles importu- 
nités. Quand vous ferez librement, avec joie, par 
amour, faites; sinon liberté. Mieux vaut faire moins 
et avoir le cœur à l'aise, que d'embrasser plus et se 
tenir le cœur à l'étroit. » 

Si l'on s'étonne d'avancer lentement, le P. Bar- 
relle répond : 

« Il faut un temps ou du temps pour tout, et ce 
n'est jamais, sans de rares exceptions, d'un trait et 
tout d'un coup que s'achèvent en nous les œuvres de 
la grâce. L'Esprit-Saint va petitement avec les petites 
âmes ; il se proportionne à leur faiblesse ; il ménage 
leur tendreté ; mais ensuite , les trouvant grandies , il 
leur donne plus et il les rend capables de rendre et 
plus et mieux. Patience donc, vous dirai-je avec l'a- 
pôtre saint Jacques, mais activité. Fomentez d'abord 
dans votre cœur les saints désirs qui s'y trouvent... 
Demandez ensuite à Notre-Seigneur une grâce tou- 
jours croissante pour vous aider à rendre vos œuvres 
conformes à vos désirs. Tenez-vous, en même temps, 



160 CHAPITRE VINGT-HUITIEME. 

vigilante, pour n'être pas surprise et renversée dans 
les occasions. Mais si vous l'êtes encore, hâtez-vous 
de réparer vos torts et de vous encourager à une vigi- 
lance et à une fidélité plus grandes. Je vous pro- 
mets qu'en suivant cette marche avec persévérance, 
le succès ne vous manquera pas. Notre-Seigneur, 
touché de votre constance, exaucera tous vos vœux. » 

Le P. Barrelle instruit l'âme à patienter avec Dieu et 
avec soi-même ; il veut de l'ardeur sans empressement : 

«Jusqu'à ce qu'il plaise au Seigneur de nous renou- 
veler pleinement, humilions-nous, prenons patience 
avec Dieu et avec nous-mêmes, espérons et ne ces- 
sons d'espérer. Jamais de dépit, pas même contre 
soi... Il faut savoir mâcher son absinthe sans sour- 
ciller, et trouver bon selon Dieu ce qui ne l'est pas à 
notre amour-propre et à ses désirs impatients. Pauvre 
enfant, trop de faim vous épuise, et trop d'ardeur à 
avancer sensiblement vous fait reculer. » 

» Ame ardente ! dit-il à une autre, vous vous ima- 
ginez un peu que dans le perfectionnement de votre 
âme peut se réaliser cette parole : Aussitôt dit, aus- 
sitôt fait. Il n'en va pas ainsi, mais piano! piano! 
doucement, doucement, pour aller solidement! » 

«Il faut un perfectionnement successif, mais sans 
aucune impatience ni empressement. Il faut des désirs 
ardents d'être pleinement à Jésus, mais en se conten- 
tant de la part qu'il nous fait, et en confessant hum- 
blement qu'il nous la fait plus abondante mille fois 
que nous ne le méritons. C'est ainsi que nous maîtri- 
sons notre imagination et notre cœur trop avide, et 



LE DIRECTEUR DES AMES. 161 

que nous établissons notre demeure intérieure dans la 
paix. » 

Le P. Barrelle n'aimait pas ces retours intérieurs 
par lesquels l'âme veut se faire des certitudes sur son 
passé, des assurances sur la satisfaction qu'elle a 
donnée à Dieu dans ses repentirs ou dans sa fidélité; 
le besoin de retrouver en sa propre conduite des 
points d'appui, au lieu de laisser le cœur plus à 
l'abandon aux divines miséricordes , après avoir 
accompli avec droiture ce qu'elle sait que Dieu lui 
demande. 

C'est pourquoi il rappelait volontiers à l'esprit 
d'enfance et enseignait la simplicité intérieure, qui 
fait à l'âme une incomparable paix. 

« Je me contente de vous dire de rester enfant, de 
vous perfectionner dans cet esprit d'enfance, et ne 
plus vous faire de système, chose que les vrais enfants 
ne connaissent pas et ne connurent jamais, et oubliant, 
comme dit l'Apôtre, tout ce qui est derrière vous, 
mais tout, sans en rien excepter, d'aller devant vous, 
à la suite de la divine miséricorde, n'espérant, n'atten- 
dant rien que d'elle, c'est-à-dire tout! « Elle me con- 
duit, » elle me porte, devez-vous incessamment dire 
avec David, « et rien ne me manquera. « 

Dans l'âme qui sait mourir, qui se quitte elle-même 
pour se livrer en tout abandon à l'Esprit du Seigneur, 
une œuvre de vie et de plénitude s'accomplit chaque 
jour, une incessante transformation la fait d'heure en 
heure plus semblable à Celui qui est la vraie vie, la 
parfaite plénitude. Tout appliquée à Jésus-Christ, le 



162 CHAPITRE VINGT-HUITIEME. 

type éternel, la vraie beauté des prédestinés, elle en 
prend la divine empreinte sous l'action du saint amour, 
« Jésus , notre Père du ciel , doit recevoir ses créa- 
tures dans le moule de son cœur. Il faut donc que la 
fonte se fasse, et elle ne peut avoir lieu que dans le 
creuset et sous le feu de l'amour... puis, la fusion 
dans le moule, et une fusion qui s'étende à tout ce 
qu'il y a de plis et de replis dans le moule divin. On 
laisse ensuite le tout se refroidir pour qu'il y ait pleine 
consistance... et le moule s' ouvrant alors, la nouvelle 
créature paraît. Oh! qu'elle est belle et gracieuse 
quand elle porte avec une exacte fidélité tous les 
traits de ce moule divin ! « 

C'est là une charmante image des effets que doit 
produire l'étude et l'imitation de Jésus-Christ. La 
lettre suivante, datée du 4 novembre 1858, contient 
un ensemble de doctrine sur cette indispensable imi- 
tation du divin Modèle : 

« La sainteté, l'héroïsme de la perfection, c'est- 
à-dire la perfection poussée et conduite à son plus 
haut degré, mais toujours selon la capacité de la per- 
sonne; car il y a des âmes qui sont plus capables 
d'une perfection héroïque que ne le sont bien d'autres. 
C'est ainsi que dans le ciel , où chacun est parfait, il 
y a cependant des anges et des saints dont la perfec- 
tion est plus grande, plus excellente que celle de plu- 
sieurs autres, soit anges, soit saints. Et l'exemplaire 
de cette perfection, dont l'héroïsme, c'est-à-dire la 
plus grande hauteur, est la sainteté, est Dieu le Père 
et Jésus-Christ son Fils unique, qui avec leur Esprit 



LE DIRECTEUR DES AMES. 163 

sont la sainteté infinie, ou l'immense plénitude el l'in- 
fini de toutes les perfections. 

» Voilà pourquoi, appelés que sont tous les hommes 
à être saints, comme leur Père céleste est saint, à être 
parfaits comme il est parfait, ils doivent contempler, 
en l'étudiant, Dieu le Père, et l'étudier pour imprimer 
sur eux-mêmes la sainteté qui est en lui. 

» Mais comme l'immense majorité n'en était point 
capable, Dieu a envoyé dans la chair son Fils unique, 
pour présenter à tous sa sainteté et ses perfections en 
relief et en bosse dans la personne admirable de son 
Verbe, en nous ordonnant de l'écouter, c'est-à-dire de 
nous former sur ce que nous entendrions de sa bouche 
et ce que nous verrions en lui. 

» Notre sainteté et notre perfection se trouvent donc 
non pas seulement dans la connaissance et dans l'a- 
mour de ce cher Maître, mais dans l'imitation de sa 
personne en tout, imitation qui produit la ressem- 
blance et qui nous amène naturellement à être comme 
lui. C'est ainsi que nous commençons à entrer, quoi- 
que vivant encore sur la terre, dans le paradis, dont il 
est écrit : Nous serons semblal^les à lui, parce que 
nous le verrons comme il est. A l'œuvre donc, à 
l'œuvre sans interruption , sans lâcheté , sans négli- 
gence ; advienne que pourra, ne nous dessaisissons 
pas de ce divin objet, et poursuivons sur nous-mêmes 
la copie intérieure et extérieure de ce divin et unique 
modèle. 

» Les diverses positions dans lesquelles nous nous 
trouvons par la conduite de la divine Providence 



164 CMAPÎTRE VINGT-HUITIÈME. 

nous indiquent en rpoi surtout nous devons nous 
appliquer à cette ressemblance aussi parfaite que 
possible avec notre aimable Seigneur. Mais il faut que 
nous nous revêtions des mêmes pensées, des mêmes 
sentiments, des mêmes mouvements d'âme et de 
volonté que notre divin Ami ; il faut, si nous parlons, 
que nous parlions comme il parlait; si nous jugeons, 
que nous jugions comme il jugeait, etc. ; et aussi que 
nous ne manifestions pas sur notre extérieur d'autres 
traits que les siens propres. Nous serons alors sur les 
voies de la perfection et de la sainteté. » 

Au fur et à mesure des difficultés renaissantes sur 
la route de la perfection, le directeur habile éclaire 
l'âme et rassure sa marche. Le passé et ses fautes, le 
présent et ses défaillances, les craintes et les tristesses, 
les souffrances, les combats, les contradictions du 
dehors, les désolations intérieures, il faut qu'il ait à 
tout la réponse de la grâce, une réponse persuasive. 
Le P. Earrelle avait à souhait cette réponse oppor- 
tune et insinuante. 

Avant toute chose, est-il un état intérieur qui puisse 
retarder une âme de bonne volonté? Le P. Barrelle 
répond : 

« Ce n'est pas la nature quelconque d'un état inté- 
rieur qui peut nous être un obstacle en fait de perfec- 
tion, mais seulement le peu de conformité que, dans 
nos divers états, nous avons avec la main qui nous y 
introduit et nous y fait passer. Nulle route plus isolée, 
plus abondante en fatigues, en privations, en amer- 
tumes, en difficultés de toute sorte que celle du dé- 



LE DIREGTEUll DES AMES. 165 

sert. Et cependant les Hébreux arrivèrent par elle à 
la terre promise et aux biens qui les y attendaient. 
Ainsi arrive- t-il à nos âmes dans le désert de la vie. » 

Nos imperfections, nos défaillances passées, ont- 
elles le pouvoir de retenir notre course? — Non, re- 
prend le P. Barrelle. « Rien ne nuit à une âme qui, 
en dépit de tout ce qu'elle rencontre de déficit en soi, 
sur soi , autour de soi , va son chemin en avant , sans 
regarder jamais derrière, et porte en sa volonté la dé- 
termination immortelle de ne s'arrêter que quand elle 
aura trouvé son Sauveur. » 

Une autre fois il dit : 

« Ce n'est point l'absence de nos misères qui nous 
rend parfaits et qui glorifie davantage Notre-Seigneur, 
mais la manière dont nous les traitons, dont nous les 
portons, dont nous en faisons usage en présence de 
notre Créateur et Seigneur. Exploitez-les au profit des 
vertus solides; forcez-les à vous rapprocher davantage 
de cet aima])le médecin, et à vous éloigner toujours 
plus de vous-même; servez-vous-en comme le postillon 
se sert de son fouet, pour vous faire avancer sur votre 
chemin; et elles seront, ne leur en déplaise, une 
source abondante de biens et de joies. » 

Nos misères? Elles sont « l'huile qui entretient la 
lampe de l'humilité dans le sanctuaire intérieur; « 
elles sont aux mains du Sauveur une industrie pour 
nous attirer à soi. 

" Vous êtes faible, dites-vous, lâche et infidèle! 
Vous n'êtes rien, vous n'avez rien, vous ne faites rien, 
vous ne vous sentez capable de rien ! Hé ! tant mieux; 



166 CHAPITRE Vl^ GT-HUITIEME. 

allez vers Celui qui peut tout, qui vous aime, qui 
A'ous attend, qui tient sans cesse son cœur largement 
ouvert, afin de remplir tout vase vide qui se présente 
pour avoir de sa plénitude; et il se plaira à vous em- 
plir l'àme et à la combler. Ah! pourquoi, cher 
amour, mon Dieu! les âmes oublient-elles et ce que 
vous voulez leur être, et ce qu'elles vous sont? — 
Tout, tout, est la réponse à ces deux choses ; et voilà 
pourquoi il tient tant à ce que nous ne soyons i^i'en, 
et n'ayons rien en nous-mêmes. Force leur sera, 
dit-il, de venir à moi, et moi je ferai mes délices de 
partager avec elles ce que je possède. 

M Voyez la ruse aimable de notre amour! Les âmes 
qui l'ont devinée ne sont plus en peine de quoi que 
ce 5»oit. Dans leur immense pauvreté, elles vont et 
viennent sans cesse des créatures à Jésus et de Jésus 
aux créatures, comme l'abeille de sa ruche aux fleurs 
et des fleurs à sa ruche. Ce qu'elle ne trouve pas 
dans sa demeure, elle le cherche et le trouve ailleurs, 
et puis le porte à son gîte. Imitons-la; Jésus est notre 
fleur issue de la virginale Marie. Là, pompons, sus- 
tentons-nous, rassasions-nous, enivrons-nous; Jésus 
est tout nôtre. Si nous le savions ! si nous le savions !.. 4 
Dieu! quels torrents de grâce et de bonheur débou- 
cheraient dans notre pauvre âme ! » 

Au reste, ajoute-t-il, que sont nos misères dès que 
nous les détestons? Un stimulant à la générosité di- 
vine. 

Toutes les misères quelles qu'elles soient, pourvu 
qu'on les déteste et qu'on prenne les moyens de les 



LE DIRECTEUR DES AMES. 167 

affaiblir, au lieu d'éteindre l'amour d'un Dieu ne font 
que le rendre plus généreux. Il vient, il s'y applique 
comme un remède au mal, et quand la confiance s'y 
joint, ou ces misères disparaissent, ou, en restant en- 
core, s'il plaît à Notre-Seigneur qu'il en soit ainsi, 
elles ne font que contribuer à notre plus grande 
sanctification. 

Il est donc juste de corriger l'excès de la crainte par 
une plus abondante confiance : le P. Barrelle lui-même 
va tirer cette conclusion. 

«Oui, il nous faut craindre pendant la vie...; 
craindre pour vivre en dehors de tout péché; craindre 
pour ne point s'endormir dans la tiédeur et dans la 
négligence; craindre pour tenir l'orgueil en échec, et 
empêcher la présomption de s'asseoir dans nos âmes. 
Mais cette crainte, qui est de Dieu, ne saurait nuire 
à la confiance, qui vient aussi de Dieu , et à laquelle 
cette crainte prépare, en quelque sorte, la place, 
selon ce qui est écrit : « Ceux qui craignent le Sei- 
» gneur ont espéré en lui, et il se fait leur aide et 
» leur protecteur. » Si donc nous devons craindre de 
nos misères, nous devons aussi et infiniment plus en- 
core nouSi confier dans l'immense miséricorde de 
notre bon Sauveur, qui, par sa plénitude infinie, 
submerge et engloutit en un clin d'œil ce très-court 
et très-petit passé, qu'elle rencontre en ses déborde- 
ments sur l'extrémité des plages de notre vie. 

Bien moins faut-il écouter les terreurs imaginaires^ 
Avec quelle paternelle ironie le P. Barrelle en dissipe 
le fantôme ! 



168 CHAPITRE VKNGT-HUITIEME. 

« J'en viens donc à votre lettre, dans laquelle un 
sentiment de terrible mais de fausse crainte me sem- 
ble dominer... Et de quoi s'agit-il, pauvre enfant? De 
damnation, de réprobation! Gomme vous y allez! En 
vérité, s'il est une route où le pas de tortue soit à 
désirer, c'est bien dans celle-ci. Or, vous m'avez tout 
l'air de ne pas v entendre, et vous voulez être damnée 
et réprouvée, même, qui le croirait? avant le terme ! 
Si vous l'étiez déjà et qu'il vous fût possible de ne pas 
l'être, à l'instant même vous sortiriez de l'enfer. Et 
maintenant que vous avez le bonbeur, non-seulement 
de n'y point être, mais de vous trouver, au contraire, 
et sur la route du ciel et bien près du ciel, vous vous 
damnez et vous vous réprouvez vous-même ! 

» Mon enfant, vous n'y pensez donc pas? Oli ! 
laissez-moi jeter à côté de vous toutes ces noires 
imaginations, et s'évanouir dés leur naissance ces 
épouvantails de moineaux... Jamais vous n'aurez rien 
à voir avec ces damnations et ces réprobations, si 
vous savez d'abord en secouer la vaine et imaginaire 
terreur, et ensuite porter pour l'amour de Jésus en 
vous renonçant vous-même, toutes les croix, grandes 
ou petites, lourdes ou légères, qu'il lui plaira de dé- 
poser sur vos épaules. » 

Le P. Barrelie veut qu'on envisage la tentation 
sans effroi, et la peine qu'on en ressent comme une 
assurance de fidélité. 

« Nous sommes pendant la vie sur un champ de 
bataille; quoi d'étonnant que le canon gronde et que 
les balles sifflent? Quoi de merveilleux qu'alors des 



LE DIRECTEUR DES AMES. 169 

tourbillons de fumée nous empêchent de voir clair et 
de bien di'scerner les objets qui vont et viennent dans 
notre esprit? C'est l'effet, comme vous le voyez, de 
votre position, heureusement transitoire, dans cette 
triste vallée de larmes. Il ne faut donc pas tant s'a- 
larmer, s'effrayer, mais en recourant à Jésus et à 
Marie, en s'humiliant profondément, rejeter sur les 
vils tentateurs la boue de leurs misérables suggestions. 

» La vive peine que vous éprouvez dans ces com- 
bats me rassure et doit vous tranquilliser vous-même. 
On ne souffre point tant, mon enfant, lorsqu'on se 
plaît dans les misères que le démon présente à notre 
imagination, pour en blesser notre cœur. Courage 
donc ! et plus de ces noirs désespérants qui vous met- 
tent aux champs, cœur et tête. » 

Le P. Barrelle prémunit aussi contre les jouissances 
de la paix, aussi fatales que les vains effrois du com- 
bat : 

«Vous voilà donc transportée, mon enfant, d'un 
lit d'épines sur un lit de roses... et cela par la grâce 
et par la volonté de Notre-Seigneur. Tout ce qu'il 
fait est bon. Usez donc de la paix qu'il vous donne 
après la guerre. Usez-en, dis-je, mais gardez-vous 
d'en jouir. Il y aurait à craindre de la jouissance ; 
l'usage suffira pour rendre votre cœur reconnaissant 
et pour vous aiguillonner à rendre fructueuse pour 
Dieu votre position actuelle. » 

La tourmente vient-elle des créatures, le sage direc- 
teur veut que, le regard au ciel, on laisse couler le 
torrent : 

TO.M. II. 10 



170 CHAPITRE VIAGT- HUITIEME. . 

« Je voudrais qu'une fois pour toutes vous ressem- 
blassiez à ces rochers le lonp desquels coulent les 
eaux d'un torrent, et qui ne bougent jamais, eux, de 
place, ne cessant de recevoir sur leurs sommets les 
rayons du soleil. Votre position leur est semblable. 
Que de choses, de paroles, de jugements et de mou- 
vements autour de vous! Ce sont les eaux du torrent; 
laissez aller. Vous, affermie dans l'humilité, dans la 
patience, dans la sainte charité, restez inébranlable, 
ne cessez de faire et de bien faire ce que Notre- 
Seigneur demande de vous. Limitez-vous là, sans 
vouloir ni désirer autre chose, et tenez sans cesse vos 
yeux en haut pour voir, au soleil de la divine Provi- 
dence, tout ce qui se pense, se dit et se fait pour ou 
contre vous, comme autant de dispositions du Sei- 
gneur pour amener votre âme au point où il la veut 
et que vous ignorez, que vous ne devez pas même 
chercher à savoir; car c'est là son secret et votre 
mystère. » 

Si la tempête semble surgir du cœur, le P. Barrelle 
remet en mémoire que les orages intérieurs sont de 
permission divine. Il instruit l'âme à reconnaître 
Satan aux impressions de la défiance et du désespoir : 

« Oui , c'est Notre-Seigneur qui , en conservant 
dans votre âme la conformité avec son bon plaisir, 
permet le soulèvement de tant de répugnances dans 
la partie sensible. Et ce qu'il permet, ne le permet-il 
point par amour? C'est lui qui laisse souffler sur 
vous cette bise noire de la réprobation , pour vous 
faire faire des actes plus véhéments et plus méritoires 



LE DIRECTEUR DES AMES. 171 

d'une confiance sans bornes en sa miséricordieuse 
charité. Le démon voit les desseins amoureux de 
Jésus sur votre âme; il en enrage; il accumule les 
mensonges pour vous empêcher de les distinguer, 
comme ces idées que vous êtes une âme trompeuse 
et trompée. Il en a menti ; c'est Notre-Seigneur qui 
me charge de vous le dire. Je dis de même de la 
disgrâce divine , dans laquelle il voudrait vous per- 
suader que vous êtes. Mensonge encore dont vous 
ne devez faire nul cas. 

» En général, mon enfant, et une fois pour toutes, 
ne croyez rien de ce qui se présente à vous en noir- 
cissant votre âme et en vous poussant vers la défiance 
et le désespoir. A ces signes reconnaissez Satan et 
méprisez-le. » 

Généreux pour sa part, et même ht5roïque en face 
de la souffrance, comme on le verra surabondamment 
dans les derniers chapitres de cette histoire ; persuadé 
que « au jugement de la foi il n'y a de vrai Thabor 
que sur le Calvaire et entre les bras de la croix; >> le 
P. Barrelle se montre compatissant aux appréhen- 
sions inspirées par l'approche de la souffrance. 

« Sans doute il serait beaucoup plus parfait d'abon- 
der tellement en confiance et en mort à soi-même 
qu'aucun mal physique ne pût jamais nous imprimer 
une frayeur quelconque. Mais nous savons pourtant 
que les plus parfaits eux-mêmes ont été soumis, par 
une disposition- spéciale de Notre-Seigneur, à ces 
craintes et à ces vives frayeurs. C'est que toute humi- 
liation est bonne, excellente même, et qu'elle amène 



172 CHAPITRE VINGT- H UITIÊME. 

de si heureux résultats que Notre-Seigneur n'hésite 
point à préférer l'imperfection de nature qui humilie, 
à la perfection qui nous priverait du gain solide et 
parfait de l'humiliation. 

» Et puis, qu'a éprouvé notre divin Époux au jar- 
din des Olives? La frayeur n'a-t-elle pas été une des 
sources de l'agonie de son âme très-parfaite? Ne vous 
alarmez donc point; et, acceptant le calice de Dieu 
tel qu'il est présenté, unissez-vous par tout votre être 
avec ce qu'il a de bon et de mauvais, à tout ce qui 
fut et est dans le Cœur de Jésus, afin qu'il perfec- 
tionne ce qui lui plaît et qu'il vous délivre de ce qui 
peut lui déplaire. » 

Quelles bonnes paroles coulent de la plume du 
P. Barrelle pour montrer que la maladie « ne manque 
pas de jouissances! » 

« Je compatis, chère enfant, à ce que vous souf- 
frez. Mais la foi nous montrant dans la souffrance un 
bien du plus haut prix, je me réjouis en même temps 
avec vous de l'occasion que votre divin Epoux vous 
donne d'acquérir pendant ce saint temps un peu plus 
de ressemblance avec lui, par la participation de sa 
croix. Cette position ne manque pas, ce me semble, 
de jouissance. Elle tient les créatures à certaine dis- 
tance de nous ; elle nous entoure de silence ; elle nous 
• facilite un doux commerce avec Dieu , et nous est un 
gage certain de cette opération secrète par laquelle 
Notre-Seigneur, à l'aide de plusieurs souffrances com- 
binées, épure notre intérieur, affaiblit le vieil homme, 
ouvre les voies à des grâces plus abondantes, et nous 



LE DIRECTEUR DES AMES. 173 

'fait, par là même, thésauriser davantage pour notre 
bienheureuse éternité. 

» Profitez donc de ce temps aussi largement que 
vous le pourrez. Qu'il soit pour nous un temps de 
repos et de doux entretien avec le bien-aimé de notre 
âme. Ce n'est pas en lui parlant beaucoup, mais en 
le regardant, en l'appelant, en vous ramassant hum- 
blement et amoureusement à ses pieds, dans ses plaies, 
dans son cœur, et en vous y tenant silencieuse, 
aimante, abandonnée, que vous devez vous mettre et 
vous tenir en rapport avec lui. Cette manière de pro- 
céder dans le secret de l'âme ne fatigue pas, ne tend 
ni l'esprit ni le corps, mais les délasse au contraire, 
les nourrit et les fortifie. Elle est en vérité la santé 
des malades. Par elle, les malades, sans même guérir, 
arrivent à se porter fort bien. » 

S'il veut que l'on accepte généreusement les déso- 
lations spirituelles, le bon Père ne laisse pas que de 
montrer les péripéties providentielles ménagées pour 
leur bien aux vrais fils de la grâce. Mais il faut aussi 
que le cœur s'élève au-dessus des flots amers, atten- 
dant dans l'avenir le retour prochain de la paix. La 
paix est-elle revenue, il faut goûter alors la bénignité 
du Seigneur : 

« Que Notre-Seigneur est bon et admirable dans 
ses voies, ma fille! D'abord les bouleversements, les 
humiliations, les contrariétés affligeantes, les pertes 
même, et un commencement en quelque sorte de 
désespoir de cause... Et puis, et soudain, tout change 
de face, les fronts humiliés se relèvent, l'ordre repa- 

10. 



174 CHAPITRÉ VINGT-HUITIÈME, 

raît, les ennemis sont vaincus, ce qui était perdu se 
retrouve, et la joie éclate dans les cœurs. Nul autre 
que Jésus ne peut opérer d'aussi consolantes mer- 
veilles. » 

Enfin le P. Barrelle instruit Tâme à profiter de 
tous les états intérieurs sans abattement comme sans 
présomption; tel est, à son avis, le secret de la paix 
parmi les variations les plus contraires : 

« Il ne faut point vous tant tourmenter, mon en- 
fant, pour les mille variations auxquelles votre inté- 
rieur se voit assujetti. Vous pensez peut-être que vous 
êtes l'unique en votre genre. Pas du tout : votre his- 
toire est celle de tous les cœurs qui se sont trouvés et 
se trouveront jamais sous le soleil physique et moral. 
Rien de constant, ma fille, dans la terre de l'incon- 
stance. La mer reste dans son bassin, et cependant 
quoi de plus inégal dans son assiette? Les arbres res- 
tent dans le sol où on les a plantés ; et cependant 
quoi de plus variable que l'état de leurs rameaux! Il 
en est ainsi de nos âmes. Elles sont et restent dans le 
délicieux domaine de Notre-Seigneur, et cependant 
rien de plus inconstant que les sentiments qu'elles 
éprouvent. Elles passent de la joie à la tristesse, et 
de celle-ci à la joie. Elles ont leur été, leur hiver, 
leur printemps et leur automne. Elles paraissent tan- 
tôt calmes et tantôt agitées ; tantôt ardentes et tantôt 
froides; tantôt fructueuses et tantôt stériles; tantôt 
portant comme sur leurs branches des oiseaux du 
ciel, et tantôt sillonnées par des chenilles qui les 
souillent, par des insectes qui les rongent, et par 



LE DIRECTEUR DES AMES. 175 

des crevasses qui les rendent plus ou moins dif- 
formes. 

» Il faut profiter de tous les états où il plaît à 
Notre-Seigneur Jésus de les faire passer, mais non 
permettre que le cœur s'en resserre ou en conçoive de 
la présomption; nous demandant toujours quelle est 
la vertu que tel ou tel état d'âme demande que nous 
pratiquions, et nous y exerçant autant que dure cet 
état, pour que pure et entière gloire revienne à Notre- 
Seigneur, de tous les états par lesquels sa divine sa- 
gesse veut que nous passions. Si vous vous en tenez 
à cette règle de conduite, vous aurez enfin la paix, 
et les mille variations de l'âme ne serviront qu'à la 
rendre de jour en jour moins imparfaite et plus unie 
par là même à l'aimable Epoux de son cœur. » 

Il n'appartient pas à la biographie d'un saint per- 
sonnage de présenter tout l'ensemble de sa doctrine 
spirituelle. Le recueil choisi de ses œuvres mystiques 
peut répondre en ce point au désir du lecteur ' . Mais 
nous aurions cru frustrer une légitime attente que de 
ne pas faire connaître l'esprit de ce directeur des 
consciences. A le laisser parler lui-même, nous de- 
vions gagner non-seulement de mieux atteindre ce 
but, mais encore, si nous ne nous trompons, de 
procurer au lecteur un charme de plus. 

Maintenant qu'il nous faut exposer la méthode et 
décrire la manière de l'homme de Dieu dans la direc- 



* Nous mettons en ce moment sous presse la correspondance 
spirituelle du P. Barrelle. 



176 CHAPITRE VI^GT-HUITIEME. 

tion, nous conduirons de nouveau le fil du discours ; 
mais nous rendrons volontiers la parole au saint 
religieux, spécialement lorsque nous aurons à dévoiler 
le secret de ses rapports avec Dieu. 



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LE DIRECTEUR DES AMES. 177 



CHAPITRE XXIX 



LE DIRECTEUR DES AMES. 

De la manière du P. Barrelle dans le gouvernement des consciences. 
— Autorité et tendresse. — La paternité de la vertu. — Comment 
le P. Barrelle exigeait la docilité. — Que son cœur était prompt 
à la compassion, inaccessible à la lassitude. — L'homme du monde 
supérieur. — Comment ses lèvres ne s'ouvraient qu'à l'amour de 
Dieu. — Un écho du saint tribunal. — Le P. Barrelle ravi en 
Dieu. 

Celui à qui est confié de Dieu le soin et la conduite 
d'une âme, celui-là est, par excellence, l'ami fidèle 
loué par les saints Livres, auquel rien ne peut être 
comparé. Le vrai directeur reçoit d'en haut le dévoue- 
ment surnaturel pour les âmes; il s'éprend pour elles 
d'un zèle ardent et désintéressé; il poursuit l'œuvre 
de leur sanctification, jusqu'à ce qu'il ait rempli sa 
tâche, dans la mesure providentielle réservée à son 
action. En dehors de ce zèle pur et dévoué, pas de 
paternité spirituelle. 

Le P. Barrelle prenait les âmes au sérieux. Il ne 
considérait pas s'il s'agissait d'une grande personne ou 
d'un enfant, d'une conscience novice à la grâce ou 
d'une âme versée dans les voies surnaturelles. Une 
âme avait besoin de lui; c'est tout ce qu'il voulait 
savoir. Et s'il plaisait au Saint-Esprit de parler à 



178 CHAPITRE VINGT-NEUVIEME. 

cette âme, pourquoi le serviteur ne viendrait-il pas en 
aide au Maître divin et négligerait-il la noble créature 
à qui Dieu ne dédaignait pas de se faire entendre? 

On l'a vu pour une enfant de dix ans , qui avait 
demandé ses conseils, laisser des occupations graves, 
écouter ses confidences, démêler les germes surna- 
turels déposés dans cette terre neuve encore, et y 
préparer la moisson de l'avenir et de la sainteté, 
comme il eût fait pour des cœurs déjà mûrs à la per- 
fection. C'était une âme, une âme à qui Dieu par- 
lait; une âme valait son temps, ses soins et son 
dévouement. 

Le dévouement signifie le don de soi au bien et au 
service d'autrui. Il ne signale pas assez le sentiment 
de douceur paternelle qui marquait dans le P. Bar- 
relle le dévouement lui-même. Passionné pour Jésus- 
Christ, il en découvrait, transparente aux clartés de 
la foi, la ressemblance dans les âmes; et il s'éprenait 
pour leur salut, pour leur vertu, pour leur progrès, 
d'une sainte et infatigable ardeur. Il donnait aux 
âmes quelque chose de la tendresse qu'il portait à 
Jésus-Christ. Mais que de fermeté dans sa charmante 
solHcitude! On nous permettra un mot d'une exacti- 
tude rigoureuse : le P. Barrelle dirigeait les con- 
sciences avec une tendresse impitoyable. 

Tout d'abord on sentait en lui l'autorité d'en haut. 
Les consciences n'ont de directeur qu'à cette condi- 
tion, qu'une volonté autorisée de la grâce s'impose à 
leur conduite. Elles ne doivent pas aller au hasard, 
ni tenir le gouvernail. Elles viennent à l'homme de 



LE DIRECTEUR DES AMES. 179 

la grâce demander la règle surnaturelle de leur vie; 
elles ne progressent qu'en se laissant conduire au 
pilote, et elles ne se livrent point qu'on ne les gou- 
verne. Heureuses si le règne de Dieu en elles a trouvé 
ce ferme et vigilant interprète ; plus heureuses lors- 
qu'à cet empire salutaire s'unit , comme dans le 
P. Barrelle, la tendresse envers les âmes. 

Le P. Barrelle marquait le but, le devoir, la 
marche sûre, avec une volonté irréprochable. Gela 
fait, il ne déviait plus, il ne cédait jamais. Avec les 
faibles, il ne montrait ni dureté ni hâtive impatience, 
il attendait^ l'heure; mais sa longanimité n'oubliait 
pas le but. Si l'on pouvait porter plus de lumière, 
subir généreusement l'aiguillon, il se montrait, à 
dessein, plus exigeant, et volontiers exerçait les âmes 
fortes par une austérité sans ménagement. Parfois il 
terrassait autant sous l'éclat des vérités sévères à la 
nature que sous l'énergie de ses décisions; puis d'un 
mot il relevait, il dilatait l'espérance, il ouvrait l'âme 
à la grâce , au sacrifice , et il la laissait humiliée et 
joyeuse, immolée et reconnaissante. 

« Je n'entre jamais dans le confessionnal du P. Bar- 
relle , disait une de ses pénitentes , sans être prise 
d'une sueur froide; je le crains beaucoup. Mais si 
pour me confesser à lui il me fallait faire quatre lieues 
à pied, je n'hésiterais pas un instant. » 

A cette tactique vigoureuse avec les âmes fortes 
s'applique ce que le P. Barrelle disait un jour de lui- 
même : — « A chacun sa mission; d'autres sont 
médecins, moi je suis chirurgien. » Cette parole était 



180 CHAPITRE TIIS Gl -NEUVIEME. 

vraie encore lorsque la conscience demandait qu'on 
s'exécutât. Il tranchait alors sans hésitation : — 
« Mon enfant, vous voulez le monde? Eh Lien! lais- 
sez-moi; je suis pour l'Evangile! » 

En dehors de ces circonstances, on ne saurait ima- 
giner plus de douceur et de patiente honte. Vigou- 
reuse avec les âmes avancées, sa direction était douce 
et patiente pour celles qui commençaient à s'appro- 
cher de Dieu. Une jeune religieuse allant à lui pour 
la première fois, éprouvait une telle appréhension 
que le frisson parcourait tousses memhres. Le P. Bar- 
relle lui dit d'un ton hien veillant : — « Mon enfant, 
qu'avez-vous? — !Mon Père, j'ai peur de vous... — 
Peur de moi? mais avez-vous peur de Notre-Seigneur? 
— Oui, mon Père. — Quoi d'étonnant alors que son 
petit serviteur vous fasse peur? » Puis il l'interrogea 
avec une telle bonté, l'écouta avec un intérêt si 
tendre, la calma si hien, qu'elle sortit toute ravie de 
sa sainte charité. 

Lorsqu'il voyait de la honne volonté dans une âme, 
cette charité ne connaissait plus de harnes; inépui- 
sable pour en soutenir les efforts, elle les demandait 
au nom du Seigneur avec tant de douceur que la vic- 
toire de la grâce était assurée. 

On voit conmient le pieux directeur exerçait sur 
les âmes que lui avait données la grâce la paternité 
de la vertu. Cette paternité, la plus noble de toutes, 
puise directement dans le Saint-Esprit le juste tempé- 
rament de sa force et de sa mansuétude. On ne peut 
dire de ces deux qualités laquelle caractérisait davan- 



LE DIRECTEUR DES AMES. 181 

tage la direction du P. Barrelle. Si le propre de la 
vigueur est d'être plus en relief, la mansuétude faisait 
le fond de sa vertu et se retrouvait toujours sous les 
démonstrations volontaires de la fermeté paternelle. 
La fermeté exigeait l'entière obéissance, mais elle la 
devait surtout à la suavité de son cœur. 

La première condition imposée à ses enfants spiri- 
tuels par l'homme de Dieu, nous pouvons dire Tunique 
condition, c'était la docilité. Au fait, quel besoin d'un 
guide à celui qui ne veut point se laisser conduire? — 
« Ma fille, disait-il un jour à une personne qui ne sa- 
vait pas se soumettre, vous ne trouverez personne 
pour vous diriger. Tant que vous aurez deux direc- 
teurs, le jugement propre et la volonté propre, le troi- 
sième directeur n'y fera rien. » 

Au reste, la fermeté n'avait pas pour toutes les 
âmes un même langage. 

« Maintenant, mon enfant, que vous dire? Ce n'est 
pas que je ne voie clairement, d'après la connaissance 
que j'ai de votre âme, ce qui vous convient. Mais me 
croirez-vous? ou, si vous me croyez, aurez-vous bien 
le courage de faire ce que je vous dirai? ou si vous le 
faites pour un temps par un effort comme héroïque, 
le ferez-vous toujours? Et cependant je tiens, et forte- 
ment, à ce qu'on m' obéisse, quand je puis m'assurer, 
et assurer les âmes qui s'adressent à moi , que ce que 
je leur dis est l'expression de la volonté divine par 
rapport à elles. Affermissez donc bien votre âme dans 
votre obéissance; puis écoutez, non par l'esprit, mais 
par le cœur. » 

TOM. II. 11 



182 CHAPITRE VINGT-NEUVIEME. 

Ce début fait pressentir d'importants avis à une âme 
réfléchie et qui veut se vaincre. Mais voici la mobile 
et ardente nature d'une jeune fille : 

«Vous m'écrivez, mon enfant, et c'est pour me 
tracer le tableau d'une tète tellement vive, d'un cœur 
tellement impressionnable, que c'est à me faire douter 
plus que jamais du succès de mes paroles. 

» En vérité, je ne sais comment m'y prendre pour 
me rendre utile à votre âme, parce que, j'en suis sûr, 
au premier moment venu, votre âme m'échappera. Je 
la vois comme un oiseau léger qui, vivant de mouve- 
ment et d'inquiétude, est partout sans être nulle part, 
becqueté ici et là, au gré de sa fantaisie, n'aime que 
sa petite liberté, s'agace quand on la lui dispute, et 
s'envole à tire-d'aile pour en jouir autant et si long- 
temps qu'il le pourra. Songeriez-vous à convertir cet 
oisillon?... Vous souririez à cette pensée et vous vous 
diriez : A quoi penses-tu ? 

M Et vous voulez que je le prenne au sérieux, moi! 
Allons, mon enfant, modérez vos ardeurs, ne vous 
tourmentez pas de votre irréflexion naturelle , prenez 
patience avec vous et aussi avec les quelques misères 
d'autrui; cultivez l'amitié de Jésus, Marie et Joseph, 
par votre fidélité journalière aux exercices de la piété. 
Ne vous livrez point aux petites joies que l'on vous 
procure et n'y mettez point votre cœur. Qu'il vous 
suffise de vous délasser innocemment ; revenez ensuite 
à votre simple ordinaire et à ce que, dans la famille, 
Notre-Seigneur demande de vous. Tout ira bien , si 
vous vous étudiez à suivre cette marche. » 



LE DIRECTEUR DES AMES. 183 

Qu'il s'agisse maintenant d'une âme forte, adonnée 
aux vertus généreuses ; la leçon prend un caractère 
bien autrement imposant. 

« Savez-vous, mon enfant, que je n'ai guère trouvé 
que vous dans votre lettre de ce jour ! . . . Prenez garde, 
je vous en prie... Conformez-vous avec plus de soin 
et, en me lisant, appliquez-vous d'une manière plus 
sérieuse et plus intime à la pratique doctrinale de mes 
lettres. Mon Père m'a chargé de travailler à votre 
toilette. Si, poussée par le désir de recevoir de nou- 
velles assurances sur le point que vous avez le plus à 
cœur, vous glissez sur ce que je vous recommande le 
plus, la toilette intérieure n'avancera guère et nous 
retarderons la marche de l'Esprit de Dieu. Je veux 
donc que vous entriez à plein dans ce que je vous dis, 
que vous vous étudiiez davantage à le faire pénétrer 
dans la moelle de votre cœur. » 

Quiconque n'acceptait pas les décisions du P. Bar- 
relle trouvait toujours en lui le ministre du sacrement ; 
il ne recueillait plus du guide spirituel des conseils 
désormais superflus. Une personne avait demandé un 
conseil et ne voulait pas le suivre exactement. Elle 
reçut cette réponse : — «Voulez-vous vous diriger ou 
être dirigée? Si les rôles sont intervertis, je me retire 
et vous laisse agir seule; si, au contraire, vous désirez 
savoir mon avis, acceptez-le sans restriction, j) 

Lors donc que le P. Barrelle rencontrait sur sa 
route l'indocilité de l'orgueil, sa condescendance or- 
dinaire l'abandonnait. Il entrait dans de saintes colères 
contre les âmes qui ne voulaient pas se laisser humi- 



184 CHAPITRE VINGT-NEUVIEME. 

lier; il ne pouvait que les laisser à elles-mêmes 
et prier. 

À la réserve de ces roideurs indociles, l'orgueil lui- 
même n'était plus qu'une infirmité guérissable à la 
grâce et digne de toute charité. Or, le cœur du bon 
Père était souverainement compatissant à toutes les 
faiblesses. Il se sentait une grâce pour les âmes géné- 
reuses, néanmoins il ne se refusait à personne. Pa- 
tiemment il portait des âmes imparfaites pendant de 
longues années , et sans se lasser les soutenait dans 
leurs continuelles alternatives de faiblesse et de bon 
vouloir. 11 en est que, douze et quinze années durant, 
il a secourues de ses patients conseils avec une dou- 
ceur proportionnée à leur indigence. Il ne se rebutait 
point; sous d'innombrables formes il rendait aux fai- 
bles courages d'invariables encouragements, répétant 
à ces âmes languissantes la même doctrine élémen- 
taire, assez payé de sa longanimité paternelle pour 
avoir maintenu ces bonnes volontés défaillantes; et 
dans ces âmes couvertes du sang divin , servi son cher 
maître, Jésus-Christ. 

Hélas! les infirmités spirituelles abondent plus que 
les grands courages; aussi Dieu pétrit le cœur du 
prêtre de plus de mansuétude que de rigueur. Celui 
du P. Barrelle était prompt à la compassion. 

«Vous, mon enfant, craindre de paraître devant 
moi! Vous, vous sentir humiliée de m'écrire comme 
une enfant à son père ! Hé ! vous n'y songez pas. Je 
suis bien misérable sans doute , et plus que vous ne 
sauriez le croire; mais moi, me laisser resserrer le 



LE DIRECTEUR DES AMES. 185 

cœur par les misères de mon enfant ! Il me semble trop 
connaître la volonté du Cœur de Jésus, pour ne pas 
abonder en pitié en proportion d'un surcroît quel- 
conque de misères dans les âmes qu'il aime. 

Comme il était bon, ce vrai Père, quand l'âme était 
aux abois, de luttes pénibles, d'effrois de tout genre 
ou même d'infidélités et de fautes ! Il n'avait alors ni 
sévérités ni réprimandes ; avec lui il y avait toujours 
une ressource, rien n'était jamais perdu, et Jésus 
était toujours l'étoile vers laquelle il reportait l'espé- 
rance. 

Son dévouement n'avait pas de lassitude; il redou- 
blait dans les moments de détresse : 

« Très-bien , mon enfant ; il faut toujours en user 
avec moi comme vous l'avez fait jusqu'ici. Dites-moi, 
si vous voulez, de cesser de vous écrire, pour ne pas 
perdre mon temps. Je comprends trop bien , lorsque 
vous me parlez ainsi , le fond de votre cœur pour 
vous accorder jamais ce qu'il coûterait trop à mon 
cœur paternel de faire. Eh quoi ! serait-ce donc dans 
les moments de crise où vous pouvez passer que je 
cesserais de venir à votre aide? Mais pourquoi vous 
ai-je aidé de mon mieux jusqu'à présent? N'est-ce pas 
pour que Notre-Seigneur règne pleinement sur votre 
âme? Travaillons à cela ensemble, sans jamais nous 
décourager. Le temps passe rapide; mais l'éternité 
est là, fixe devant nous, avec ses deux abîmes. Que 
sa présence nous donne la force de combattre et de 
vaincre nos ennemis et les difficultés que notre posi- 
tion nous suscite. La bataille finie, nous entrerons 



186 CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME. 

dans le repos et nous jouirons des fruits de nos 

victoires. » 

Il voulait avec les âmes de la longanimité : 

« Patientez toujours avec les âmes, tout en les ex- 
citant doucement et constamment. Recourez à leurs 
bons anges, suppliez Notre-Seigneur de les stimuler 
intérieurement. Et s'il ne réalise pas aussitôt que vous 
le voudriez vos bons désirs, confiez-vous en lui plus 
encore. Il a d'autres moyens, qu'à votre insu il peut 
et sait emplover pour vous faire atteindre le but que 
vous cherchez, dans les âmes pour lui. » 

Il sentait de jour en jour son âme croître en man- 
suétude : « Ah! disait-il, plus j'approche du Cœur de 
Jésus, plus je suis porté à la bonté envers les pauvres 
âmes que ce doux Maître a tant aimées. » 

En 1854 il écrivait : « Je ne sais comment, à me- 
sure que j'avance dans ma triste carrière et que je 
m'approche de mon éternité, je me sens porté à une 
plus grande compassion envers les âmes. C'est aussi 
que Notre -Seigneur est si bon, si patient, si indul- 
gent, qu'il entraîne comme de vive force après soi, 
et il est doux vraiment de se laisser aller à cette 
pente, pourvu toutefois que nous ne manquions pas 
au devoir; car la volonté du Père céleste avant 
tout. » 

Le P. Barrelle laissait discrètement l'âme venir à 
soi, et ne faisait pas invasion dans sa confiance, at- 
tendant l'heure où librement elle livrerait ses pensées 
intimes. 

Depuis plusieurs mois une personne s'adressait à 



LE DIRECTEUR DES AMES. 187 

lui, sans que le bon Père eût fait aucune question 
pour provoquer une plus grande ouverture de con- 
science. Un jour qu'elle se trouvait dans de pénibles 
perplexités , ses aveux furent plus communicatifs , et 
le Père dit aussitôt : — « Enfin, vous parlez, mon 
enfant ! — Mais pourquoi , mon Père , vous teniez- 
vous avec moi dans une telle réserve? — Ah! mon 
enfant, j'ai trop de respect envers les âmes pour 
forcer leur confiance. » 

Rarement ce respect délicat avait à attendre long- 
temps la clef des cœurs; le Seigneur lui en livrait 
toutes les issues. 

La première influence du pieux directeur était son 
aspect paisible et sanctifié. Dès qu'il se présentait, sa 
vue inspirait le recueillement et la componction. Il 
répandait autour de soi le surnaturel. Venait ensuite 
sa parole claire, précise, allant droit au besoin du 
cœur, montrant simplement la volonté divine, ren- 
fermant l'âme entière dans un conseil, dans un mot, 
ce mot unique attendu et redouté tout ensemble, qui 
répond à ses dispositions ou qui dénoue son mystère. 
— « Ah ! disait une de ses pénitentes , ce Père , Dieu 
lui a donné des paroles toutes faites pour le pauvre 
cœur humain ! » 

Dans le temps qu'il confessait à Lyon, dans le 
sanctuaire de Fourvières, une bonne femme engageant 
une de ses amies à s'adresser à lui, le dépeignait 
ainsi : — « Va, lui dit-elle, à celui-là, » et elle dési- 
gnait du doigt le confessionnal d'où elle sortait, « va, 
c'est le bon Dieu tout pur ! » 



188 CHAPITRE VINGT->s EU VIÉME. 

En approchant de lui on sentait que la nature était 
absente. C'était l'homme du monde supérieur, par- 
lant sous le regard de Dieu. Il n'y avait pour lui 
que le service du Maître divin et l'avantage des 
âmes. 

Il n'exagérait pas les torts, il ne les diminuait pas; 
il restait dans la simple vérité; cependant il savait 
mieux que personne reprendre avec force ; mais il ne 
faisait pas de plaie sans y répandre le baume. Il pré- 
férait l'indulgence au reproche; son humble douceur 
se retrouvait toujours, même quand il avait humilié, 
à quoi pourtant il excellait. Il savait faire de l'âme 
orgueilleuse, avec des couleurs à lui, une peinture 
écrasante. Il ramenait l'âme à ses vrais mérites, à son 
néant, jusqu'à ce qu'elle consentît à le goûter; il lui 
apprenait à être avare des humiliations providentielles 
comme d'un trésor convoité; il montrait l'humiliation 
comme une source précieuse dont il ne faut pas per- 
dre le moindre filet, et voulait qu'on eût des lèvres 
altérées pour en épuiser la dernière goutte. Chose 
étonnante ! il savait rendre aimable l'humiliation et 
le sacrifice. 

Jésus était toujours sur ses lèvres; elles semblaient 
n'avoir de mouvement que pour parler de son amour. 
Elles ne s'ouvraient que pour en exhaler la flamme, 
et s'il ne rencontrait pas des cœurs disposés à s'en 
laisser consumer, il souffrait étrangement. 

«Je ne sais vraiment pas, disait-il un jour, de 
quelle nature le bon Dieu a fait mon pauvre cœur, 
mais il est tout à la fois d'une sensibilité et d'une 



LE DIRECTEUR DES AMES. 189 

dureté extrêmes, ce qui me fait singulièrement souf- 
frir. D'un côté, tout ce qui touche à mon Jésus m'oc^ 
cupant uniquement, je ne trouve de paix et de repos 
que dans cet élément. Je m'y sens constamment en- 
traîné. Oh! c'est ma respiration que cela! De l'autre 
côté, me trouvant comme étouffé par l'incessant con- 
tact des créatures d'une nature tout à fait en opposi- 
tion avec la mienne, et très-souvent revêtues des 
instincts des ennemis de mon Jésus, cette rencontre 
me fait éprouver de terribles commotions. Comprenez- 
vous comment ce misérable cœur ne voulant et ne 
pouvant recevoir en aucune sorte ce qui n'est pas de 
Jésus, ou propre à y conduire, se ferme, et c'est fini! 
Malgré que je m'étudie sans cesse à le comprimer, il 
reste toujours aussi douloureusement affecté tant que 
cette disposition existe dans les âmes. Gela me fait 
cruellement souffrir parce que je les aime, ces chères 
âmes ! je voudrais les enfermer toutes dans mon cœur 
pour les rendre toutes à Notre-Seigneur. Otez, leur 
dis-je alors, ôtez ce buisson qui nous tient séparés. 
Mais elles ne le veulent pas, et mon cœur à son tour 
ne voulant pas accepter ce bagage qui n'est pas de 
Jésus, mais de la nature et de Satan, se durcit; et 
cette disposition me met sur une rude croix, et y met 
les âmes, sans qu'il me soit possible de faire autre- 
ment. 

» Je ne sais pourquoi il arrive que je ne suis pas 
compris d'un grand nombre d'âmes à qui je veux ce- 
pendant beaucoup de bien , mais qui ne veulent , ni 
pour un motif ni pour un autre, se déprendre de ce 

11. 



190 CHAPITRE VINGT-NEUVIEME, 

malheureux moi qui les tue. Il y a quelque chose en 
moi qui est tellement incompatible avec ce rival de 
mon Jésus, que je voudrais l'anéantir à tout jamais, 
à cause du ravage que ce misérable fait dans la vigne 
du Seigneur, car il paralyse et détruit tout. Malheu- 
reusement les âmes ne veulent pas voir. Pauvres 
âmes ! je voudrais me consumer pour elles et les 
gagner toutes au pur amour de Jésus! Mais le moyen 
de les gagner tant qu'elles ne voudront pas se quitter 
elles-mêmes ! Prions donc que le règne de Dieu arrive 
et que celui du moi prenne fin. » 

Le P. Barrelle trouvait-il des cœurs ouverts au 
saint amour, et tel était le motif de sa prédilection 
pour les communautés religieuses et pour l'âge de 
l'innocence, alors sa parole était de flamme; le mot 
n'est que juste, car on se sentait brûler. On se 
prenait à dire, comme telle pénitente surprise par 
cette parole de feu : — « Mais le confessionnal va 
s'allumer ! » 

Entendons l'écho de ces entretiens avec une âme 
candide, qui en recueillait soigneusement le doux 
souvenir : 

« ^lon bon Père avait une dilatation toute céleste 
qu'il s'efforçait de me communiquer. Tantôt il s'a- 
dressait à mon âme, tantôt il se substituait à ma 
place, et répandait devant Dieu les sentiments qu'il 
voulait voir dans mon cœur, ou s'adressait en mon 
nom au divin Jésus. Il excusait mes fautes et per- 
dait toutes mes misères dans l'amour de Jésus. 
« Cette pauvre enfant est comme un oiseau habitué 



LE DIRECTEUR DES AMES. 191 

» à sa cage ; lorsque la porte est ouverte il met la 
M tête au dehors, puis je ne sais ce qu'il a vu, ce 
» qui l'a effarouché, il la retire tout effrayé. — Vos 
» misères? Oh! tout cela n'est rien; le bon Jésus 
» n'a besoin que d'un souffle, et tout s'évanouira. 

» Ce bon Jésus ! Il faut lui gagner le cœur. Mais 
» déjà il m'aime, Jésus; Jésus m'aimera toujours. 
» Et moi aussi, j'aime Jésus. Que personne ne vienne 
» me dire que je n'aime pas Jésus. Oh! sans doute 
» pas encore assez, et c'est là ce qui me désole. Il 
» me cherche, je le cherche moi aussi; nous fîni- 
» rons bien par nous rencontrer. Ah ! si nous le 
») laissions faire, il viendrait, il ferait l'invasion com- 
» plète. Maintenant je le chercherai si bien, je l'ap- 
» pellerai si souvent, qu'enfin je l'atteindrai. 

» Je n'irai pas chercher auprès des créatures ce 
» qu'elles ne peuvent pas me donner. Où est-il, Jésus? 
)) Où est-il, le cœur de mon Epoux? Après tout, je 
» n'aime que Jésus. Je n'ai que lui! Il est mon père, 
» il est ma mère, il est mon frère, il m'est toute 
» chose. Quand sera-ce, ô mon Jésus, quand sera-ce 
» que vous satisferez le besoin que vous m'avez mis 
» au cœur? Jésus répond : — Mon enfant, ce sera 
» quand tu ne feras plus de retour sur toi-même. 

» Jésus aime son enfant parce qu'elle est misérable. 
» — Oh! voyez comme il est bon!... J'irai à lui après 
» mes fautes, et il me fera une douce croix au cœur. 
5) médecin de mon cœur! ô cœur de mon médecin! 
» voudriez-vous donc me laisser ainsi? 

w Confiance ! car, s'il est le Tout-Puissant, le Tout- 



192 CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME. 

» Aimant, il est aussi le Tout-Faisant. Jésus! à qui 
M irais-je si ce n'est à vous? vous qui avez non-seule- 
» ment les paroles de la vie éternelle, mais encore 
M les opérations qui la produisent? 

» Je me plaignais de ne pouvoir réfléchir pendant 
la méditation : — « Oh ! nous avons assez réfléchi 
» pour être convaincue. Lisez le sujet la veille. Lors- 
» que le moment est venu, si vous n'avez pas d'ailes, 
» vous attendrez que le bon Jésus vous apporte la 
» nourriture du cœur. Vous serez mendiante, comme 
M l'était Lazare à la porte du riche; mais nous, nous 
M sommes à la porte du bon Jésus. Lazare ne quittait 
» pas ses plaies ; portons les nôtres avec humilité et 
» confiance à notre compatissant Jésus. Le père du 
» prodigue n'attendit pas que son cher fils eût 
» quitté ses vils haillons pour l'embrasser avec ten- 
» dresse. 

» Les petits agneaux bondissent dans la prairie ; ils 
M sont tout joyeux. Voilà la joie de nos âmes : elles 
» ont trouvé Jésus pour pâture et pour vie. Cette 
M petite brebis, attachée au milieu de ce carré de 
» verdure, n'en dévorera-t-elle pas jusqu'au dernier 
» brin d'herbe? Et c'est Jésus qui est à la disposition 
» de mon cœur ! Sans doute il faut avoir du respect 
» pour Jésus; mais l'amour, famour surtout! et l'a- 
» mour met dehors la crainte. 

» Mon Dieu! quelle illusion! On n'aime pas Jésus 
M parce que l'on est mauvais. Eh! quand bien même 
» votre âme serait plus noire que le jais, cela n'em- 
» pécherait pas le bon Jésus d'être infiniment beau. 



LE DIRECTEUR DES AMES. 193 

M II est blanc et vermeil; blanc par sa sainteté, ver- 
» meil par le sang qu'il a répandu pour nous. 

» La petite colombe de l'arche était la figure de 
M notre bon Jésus. Son divin Père Fa envoyé en ce 
» monde. Et qu'y fait-il? Il cherche partout où re- 
» poser son cœur, et partout il ne trouve que la 
» triste vase du péché. Voilà qu'il vient à votre cœur. 
« — Oh ! venez, divine Colombe, venez, étendez vos 
» ailes, prenez vos ébats; reposez-vous en moi. 

» Voici le lit et son dur oreiller : le Cœur de Jésus 
M et la croix qui le transperce. Cette croix est encore 
» humide de son sang, appliquez-y votre cœur. — 
» sang de Jésus, lave mon âme, purifie mon cœur, 
» rends-moi petite colombe, afin que je puisse voler 
» jusqu'au Cœur de celui qui est mon bien, mon doux 
M trésor du temps et de l'éternité. » 

» Voici de ses petits mots : « Je ne suis qu'une 
j) maison de boue; mais Jésus sera le ciment romain. 
„ — Oubliez, mon bon Jésus, ce que je viens de faire, 
M et je l'oublierai aussi. — Que Jésus soit content, et 
» je serai contente. Oh! si je pouvais devenir belle à 
» ses yeux ! — Avant la communion pas d'inquiétude ; 
» mais je prendrai la main de Jésus, je la porterai sur 
» mon cœur et je dirai : Mon Jésus, ôtez, ôtez, effa- 
» cez ce qui vous déplaît avant que vous entriez en 
» moi. — Il faut voir Jésus partout, Jésus en tout. 
» Si nous regardions bien , nous verrions le nom de 
» Jésus sur chaque petite fleur. » 

» Mon saint Père ramenait tout à l'amour le plus 
ardent et le plus simple , et il le mettait à notre por- 



194 CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME. 

tée. Il répétait : « Simplifiez-vous! O simplicité! sim- 
» plicité ! si on te connaissait, on reviendrait par l'état 
» de grâce à la familiarité d'Adam avec Dieu. La 
» simplicité est une vertu qui s'acquiert comme les 
» autres, par l'acquiescement à l'action de Notre- 
» Seigneur en nous. >) 

» Le bon Père paraissait toujours sortir d'une in- 
time communication avec Notre-Seigneur; son amour 
ne pouvait se contenir, il s'épanchait... Puis il se fai- 
sait violence pour arrêter ces doux entraînements et 
pour terminer enfin en me bénissant. » 

Un autre de ses enfants spirituels parle ainsi : 

« Ce qui m'a constamment frappée dans la direc- 
tion du P. Barrelle, c'est l'amour ardent de Notre- 
Seigneur qui animait ses paroles. Cet amour leur 
donnait une onction pénétrante. On éprouvait sensi- 
blement que son cœur vivait devant Jésus-Christ, 
qu'il le contemplait sans cesse , qu'il avait besoin de 
lui parler directement, en sorte que bien des fois, au 
lieu de parler à l'âme , il préférait parler d'elle à 
Notre-Seigneur, et les conseils du bon Père étaient 
entremêlés de prières. » 

Un autre ajoute : 

« Tandis qu'il m'entretenait de mon âme ou de 
Dieu au confessionnal ou au parloir, il m'est souvent 
arrivé de ressentir une impression que je ne puis 
rendre, mais qui me portait soudain à le regarder 
pour m'assurer que c'était bien lui que j'entendais. 
C'est que, envahie par un sentiment tout divin, je 
me croyais en rapport direct avec Dieu. » 



LE DIRECTEUR DES AMES. 195 

Semblables surprises n'étaient pas rares. Quelque 
chose de si ému, de si brûlant, passait dans sa voix, 
dans son accent , qu'on se retournait d'instinct pour 
voir si on était avec Un personnage terrestre ou si l'on 
entendait un séraphin. 

Nous négligeons d'autres témoignages pour laisser 
place aux deux traits suivants. Le premier est arrivé 
à la supérieure d'une communauté religieuse, le se- 
cond à une personne du monde. 

« Un jour, pendant ma confession, je fus très- 
étonnée de ce que le P. Barrelle ne me répondait 
pas. Après un moment d'attente, comme j'entendais 
les pulsations de son cœur se précipiter, craignant 
qu'il ne fût fatigué, je me tournai de son côté et je 
regardai à travers la grille. Quelle fut ma surprise 
de voir le Père le visage rayonnant, les yeux fixés 
vers le ciel, et comme transfiguré! Pénétrée d'un 
sentiment de profond respect, je ne savais si je de- 
vais demeurer ou me retirer. Je priai Notre-Seigneur 
de m'inspirer ce que je devais faire, et je restai. Un 
peu après, poussant un soupir prolongé, il diî : — «Ah! 
» la croix! la croix!... Oui, mon bon Jésus, jusqu'à 
» la mort, sans appui, sans consolation. Oh! oui! 
» cher Maître, je vous suivrai partout, partout à 
» jamais !... » 

» Puis reprenant sa morale comme si rien ne se fût 
passé : — «Eh bien, mon enfant, dit-il, voulez-vous 
» venir aussi à la suite de Jésus jusqu'à la mort sur la 
M croix? — Oui, mon Père, » lui répondis-je. Il se 
mit alors à me parler des souffrances qu'il faut embras- 



196 CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME. 

ser pour suivre Jésus-Christ; mais d'une manière si 
merveilleuse que je ne cloutai pas qu'il n'eût reçu 
connaissance de celles qu'il devait endurer lui-même 
le reste de sa vie. » 

Voici le second fait. 

« Un jour, je remarquai dans les paroles d'exhor- 
tation que m'adressait le P. Barrelle quelque chose 
de tout à fait surnaturel. Ma confession finie, il conti- 
nua de parler; j'entendis des paroles sublimes, pleines 
de feu... Je compris que le Père s'entretenait avec 
Dieu. Je me retournai vers lui. Je le vis dans l'atti- 
tude d'une personne qui n'est plus à soi, et ravi en Dieu. 
Je connaissais l'humilité de ce saint Père, et je ne 
savais comment m'y prendre pour m'éloigner, car 
j'étais persuadée qu'il aurait été couvert de confusion 
s'il m'avait trouvée le témoin de ce qui avait lieu. Je 
me glissai donc doucement hors du confessionnal, et 
j'allai me mettre dans un endroit retiré de la chapelle, 
où je ne pouvais être vue. Au reste, l'église était dé- 
serte en ce moment. Quelque temps après, le Père 
sortit du confessionnal. Se croyant seul, il se jeta au 
pied de l'autel, et, la face contre terre, il donna un 
libre cours à ses larmes, demandant pardon à Dieu de 
l'ingratitude des hommes. Ses sanglots étaient entre- 
coupés par les paroles les plus tendres qu'il adressait 
à Jésus. Je me retirai le cœur plein de suavité de ce 
que je venais de voir et d'entendre. » 

Le saint amour ne transpire pas vainement dans la 
parole des amis de Dieu et jusque dans les traits de 
leur visage. Quelle confiance en sa conduite lorsque 



LE DIRECTEUR DES AMES. 197 

ses enfants spirituels voyaient au front de leur Père 
une auréole de sainteté! Quels élans de vertu lors- 
qu'ils recevaient de ses lèvres ardentes le mouvement 
de la charité divine ! Je le veux, pour faire des saints, 
il n'est pas rigoureusement nécessaire d'être soi-même 
un saint, parce que Notre-Seigneur est la vraie source 
d'où, par l'intermédiaire de ses ministres, la sainteté 
coule et se répand dans les âmes. Toutefois, l'ardeur 
du céleste amour ne rayonne pas en vain plus près 
d'elles. Après tout , le baptême a fait nos cœurs émi- 
nemment inflammables à l'amour divin, et c'est, de 
proche en proche , du cœur des vrais amis de Dieu 
que l'incendie se propage. 

Pour eux, comme le P. Barrelle, ils vont puisant 
sans cesse au foyer principal cette contagieuse ardeur. 
Les lignes suivantes renferment son secret : 

« Serrez-vous davantage, mon enfant, contre le 
Cœur du divin Epoux, et augmentez ainsi la chaleur 
de votre âme. Tant de biens sont attachés pour vous 
et pour tout ce qui vous entoure à cette proximité par 
le cœur du Cœur de notre Jésus! On s'y remplit, et 
puis l'on verse, et de là vient la fertilité du sol. C'est 
dans ce sens qu'il nous faut entendre cette parole de 
notre Dieu : Venez, mangez, buvez, enivrez-vous , 
mes bien-aimés ! Elles semblent surtout adressées aux 
âmes apostoliques, qui, sans cette plénitude, ne sau- 
raient jamais donner aux autres ce dont elles ont be- 
soin pour fructifier à la gloire du divin Cœur. La 
méthode à suivre pour cela est bien simple , comme 
vous voyez : T ai ouver^t la bouche du cœur, dit David, 



198 CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME. 

et j'ai attiré à moi l'Esprit de vie qui s'exhale de 
toutes les plaies de mon Sauveur. Ah! quand on se 
tient toujours auprès de lui , rien n'est plus facile. » 

Or, le fervent directeur ne quittait pas cette place 
privilégiée, et c'est ainsi qu'il donnait sans s'épuiser 
de la plénitude du saint Amour. 



eooOQ@)0000» 



LE DIRECTEUR DES AMES. 199 



CHAPITRE XXX 



LÉ DIRECTEUR DES AMES. 



Le discernement des esprits. — Le P. Rarrelle lit dans les replis de 
la conscience. — Il répond à des lettres qu'il n'a pas reçues. — 
Il apparaît en songe et résout les doutes. — Dieu lui amène les 
âmes. — Le P. Barrelle s'attache de préférence aux voies ordi- 
naires et communes. — Il veut de la refile dans la ferveur et de 
la mesure dans la vertu. — Admirables conseils pour la conduite 
des âmes. — Inaltéi^able bonté. — Le P. Barrelle se crée par la 
correspondance un second apostolat. 



Avides que sont instinctivement les cœurs droits de 
rencontrer Dieu , s'ils viennent à trouver en leur che- 
min un homme qui le rende sensible, qui visiblement le 
porte en sa personne et dans ses mains pour le donner 
aux âmes ; en dépit de quelques appréhensions facile- 
ment suscitées en l'âme humaine par l'approche du 
surnaturel , ils sont attirés et ils se confient. Et quand 
ils ont senti ce ferme regard jeté sur leurs misères, 
cette main puissante qui n'est point de l'homme, et 
qui, tout investie de la vertu de Dieu, va droit à 
leurs plaies portant le remède , au besoin le fer et le 
feu; à ce contact, sous cette vertu d'en haut, ils se 
laissent faire, car celui-là c'est l'homme de Dieu. 

Le P. Barrelle était éminemment cet homme qui 
porte en tout son être le surnaturel ; il personnifiait à 



200 CHAPITRE TREîsTlÈME. 

merveille en sa direction la domination persuasive de 
la grâce. 

Tout guide spirituel, c'est-à-dire tout ministiie de 
la grâce établi de Dieu pour conduire les âmes dans 
les voies intérieures, reçoit du Seigneur en un certain 
degré le discernement des esprits , que saint Paul 
place au même rang que le don des miracles, l'esprit 
prophétique et la science infuse des langues, parmi 
les opérations de l'Esprit-Saint '. Sans ce don de pé- 
nétrer les âmes, quand il serait d'ailleurs un homme 
de doctrine , comment pourrait-il les éclairer sur 
elles-mêmes, démêler les mouvements de la grâce, et 
leur appliquer, suivant leurs dispositions présentes, 
les divers principes de la vie spirituelle? Or ce don de 
lire dans les cœurs, le P. Barrelle le possédait à un 
degré exceptionnel. 

Laissons parler une personne qui en a fait une 
longue expérience; c'est une religieuse d'une congré- 
gation importante : 

« Pour l'ordinaire, lorsqu'une âme se plaçait sous 
sa conduite, ou plutôt quand Jésus lui-même lui do7i- 
naît une âme, il la lui dévoilait de suite jusqu'au fond. 
On sentait dés les premières paroles du P. Barrelle 
que son re{jard avait plongé dans le plus intime. 
Toutefois, comme il savait que la lumière de la vérité, 
brillant en tout son jour , effraye certaines âmes , 
dans les commencements surtout, il faisait darder 
quelques rayons seulement de cette divine Vérité sur 
des misères jusqu'alors inconnues. La manière dont 

1 Cor., xn,10, 11. 



LE DIRECTEUR DES AMES. 201 

ces lumières étaient reçues lui donnait en quelque 
sorte la mesure des forces de l'âme. Si le résultat était 
un courage nouveau et un accroissement de bonne 
volonté, le Père allait en avant et recommençait l'ex- 
périence. Si au contraire l'abattement, la tristesse, 
s'emparaient de cette âme , il s'arrêtait. Ce n'étaient 
point les misères, même les grandes misères, qu'il 
redoutait, mais le manque d'énergie et de générosité. 
Il fallait se résoudre avec lui à voir anéantir tous les 
subterfuges de l'amour-propre, toutes les réclamations 
de la nature ; il forçait l'un et l'autre dans leurs 
derniers retranchements. 

» Sa manière était si claire et si précise qu'elle ne 
laissait jamais Tàme dans le doute, et Notre-Seigneur 
donnait une telle autorité à ses paroles qu'on sentait 
que lui résister c'était résister à Jésus-Christ lui-même. 
L'homme disparaissait entièrement, si complètement, 
que l'on ne voyait plus, que l'on n'entendait plus que 
Jésus. Aussi cette direction, quoique forte et vigou- 
reuse, était pleine de suavité. 

M Mais sa compassion, loin de vous amollir, rele- 
vait vos forces, ravivait votre confiance, parce qu'il 
semblait que Notre-Seigneur, personnifié en lui, s'était 
attendri sur nos misères et nous tendait la main. Gom- 
ment en effet ne pas compter sur sa bonté quand il 
nous envoyait un pareil secours! Il était impossible 
de ne pas recouvrer la plus profonde paix. Cet effet 
n'était pas seulement produit par sa présence, ses 
lettres l'opéraient aussi. On était saisi en les lisant 
d'un sentiment de foi si vive, chaque parole entrait si 



202 CHAPITRE TRENTIÈME. 

profondément dans l'âme, qu'on sentait que Jésus 
avait pris la main et la plume du Père pour être l'in- 
prète de son divin Cœur. 

» J'ai dit que le Père lisait jusque dans les replis les 
plus intimes de l'âme; mais cette grâce, si précieuse 
pour la direction, lui était accordée même à une 
grande distance de la personne dirigée. Je me rappelle 
lui avoir écrit une fois dans une disposition d'esprit 
et de cœur fort pénible; mais en relisant ma lettre, je 
la trouvai trop intime pour la confier à la poste. Je 
la déchirai donc et la jetai dans le panier destiné à 
cet usage. Trois jours, après, je reçus à cette lettre 
non envoyée une réponse si claire et si précise que je 
tombai à genoux, et ne pus lire qu'ainsi des paroles 
visiblement dictées par Celui seul qui pénètre les 
pensées. En supputant les jours et les heures, j'ac- 
quis l'évidence qu'au moment même où j'écrivais les 
agitations de mon âme , leurs causes et leurs circon- 
stances, le Père écrivait lui-même pour répondre à 
tout, et cela comme il l'eût fait dans une conversation 
de vive voix : même lucidité, même précision, même 
exactitude. Après de telles preuves de l'intervention 
immédiate de Jésus dans la direction du Père, com- 
ment ne pas avoir en elle, pour soi au moins, une foi 
et une confiance sans limites?... » 

Une supérieure de communauté appartenant à une 
autre congrégation apporte aussi son témoignage : 

« Un fait que je puis attester révèle dans le vénéré 
P. Barrelle une très-particulière assistance de l'Esprit 
de Dieu pour la direction des âmes. 



LE DIRECTEUR DES AMES. 203 

» Depuis que Notre-Seigneur m'avait mise sous la 
direction de ce saint homme , grâce que j'ai toujours 
estimée l'une des plus grandes que j'aie reçues en ma 
vie , chaque fois que je lui écrivais pour lui parler de 
mon intérieur, avant que ma lettre lui arrivât, une 
réponse à ce que je lui exposais se croisait avec la 
mienne. En même temps que je lui parlais de mes 
difficultés, l'Esprit de Dieu lui en donnait connais- 
sance, et, quelque nouvelles qu'elles fussent, lui 
inspirait ce qu'il devait me dire. Ce fut pour moi un 
sujet de grand étonnement dans les commencements , 
à quoi il répondait lorsque j'en faisais l'observation : 
— « Si Notre-Seigneur use envers vous d'une si pro- 
» digieuse charité, c'est à cause de mon ignorance et 
» de mon inénarrable misère. Ne manquez pas d'en 
» témoigner une vive reconnaissance à ce cher Maître, 
» qui veut s'abaisser jusqu'à tracer lui-même sur le 
» papier, à cause de mon incapacité , le remède à vos 
» maux.» Or, ceci a duré jusqu'à la mort du bon Père. 

» Je dois ajouter, pour la plénitude de la vérité et 
pour l'honneur de ce vrai serviteur de Dieu, que très- 
souvent, alors que j'étais auprès de lui, en m'abor- 
dant, il me disait tout ce qui m'était arrivé et s'était 
passé en mon intérieur plusieurs jours auparavant, et 
me reprochait des infidélités que j'avais commises, 
m' exposant d'un seul trait toutes leurs conséquences 
en mon âme, ce qui, tout en me couvrant de confusion, 
me pénétrait de la plus grande vénération pour mon 
saint directeur; car il n'y avait que le Saint-Esprit 
qui pût lui découvrir des choses aussi intimes. » 



204 CHAPITRE TRENTIÈME. 

Une religieuse lui écrivit un jour pour lui rendre 
compte de son âme et lui demander quelques avis. La 
Providence permit que la lettre fût oubliée. Trois 
jours après, la supérieure la retrouve, et, fort con- 
trariée de ce retard involontaire, elle se bâte de l'ex- 
pédier. Il n'y avait de cela que peu d'beures encore , 
lorsque, recevant elle-nîéme la réponse du P. Barrelle 
à quelqu'une de ses lettres , elle y trouve avec sur- 
prise un pli pour la bonne religieuse. La supérieure le 
remet sans explications. — « Cette fois, dit la bonne 
sœur après avoir lu, le P. Barrelle satisfait à toutes 
mes questions, et me répond exactement sur tous les 
points. » Alors la supérieure lui découvrit ce qui était 
arrivé. 

Nous tenons de plusieurs personnes graves un fait 
non moins remarquable, c'est le secours que leur a 
donné le P. Barrelle lorsque, ne pouvant leur être utile 
en personne, il leur apparaissait durant le sommeil 
pour les aider dans leurs difficultés. 

A quelques lieues de la ville où résidait le P. Bar- 
relle était une communauté nombreuse qui lui dut un 
important service. Voici ce que raconte la supérieure 
de la maison : 

« Depuis longtemps, j'étais extrêmement embar- 
rassée pour certaines difficultés de conscience que je 
ne pouvais éclaircir. De plus, une de nos sœurs me 
paraissait le jouet d'une illusion qui pouvait avoir pour 
la communauté de graves conséquences, et ma peine 
était d'autant plus grande que le confesseur semblait 
partager les mêmes idées. Je ne savais de qui prendre 



LE DIRECTEUR DES AMES. 205 

conseil. La réputation de sainteté du P. Barrelle me 
revint alors en mémoire. J'invoquai donc son bon 
ange, afin qu'il lui inspirât de prier pour moi. La 
nuit suivante, le Père m' apparut en son(je. — « Me 
» voici, ma fille, me dit-il avec bonté, que désirez- 
» vous de moi? Je viens éclaircir vos doutes. » Sur- 
prise et joyeuse, j'expose au Père toutes mes inquié- 
tudes. Il me calme, m'indique les moyens à prendre 
pour sortir d'embarras, et me trace des règles de 
conduite : — « Suivez fidèlement ces conseils, ma 
«fille, toutes les difficultés s'aplaniront, et vous 
» maintiendrez dans votre communauté la régularité 
» et la ferveur. » Il me bénit ensuite et disparut. Je 
me réveillai toute pleine de ce que je venais d'en- 
tendre et inondée d'une douce paix. J'ai suivi les 
conseils que le Père venait de me donner, et tout est 
arrivé comme il l'avait annoncé. » 

Une autre religieuse nous écrit ce qui suit : 
« Le P. Barrelle venait de quitter notre ville pour 
habiter une autre résidence. Une de nos sçeurs éprouva 
une peine très-sensible d'être privée de certaines 
règles de perfection que le Père lui avait promises. 
Elle s'en plaignit à Notre-Seigneur avec amertume. 
La nuit même , dans son sommeil , elle crut voir le 
Père. Il lui adressa des reproches sur son défaut d'a- 
bandon à la volonté divine, et lui en fit faire à Notre- 
Seigneur un acte de réparation. Après quoi il lui traça 
les règles qu'elle désirait; mais il lui fit voir en même 
temps ses misères intérieures avec une telle clarté 
que depuis lors elle n'en a jamais perdu le souvenir. » 

TOM. II. 12 



206 CHAPITRE TRENTIEME. 

Quoi qu'il en soit du caractère plus ou moins mer- 
veilleux de ces faits, sa pénétration des consciences 
est, dans la vie du P. Barrelle, un fait général dont 
les témoignages ne pourraient se compter. Le Sei- 
gneur, qui lui découvrait le fond des âmes, les mettait 
souvent entre ses mains par une visible providence. 

En 1845, le P. Barrelle prêchait la retraite pasto- 
rale au clergé de Tours. Le pensionnat des Dames du 
Sacré-Cœur était encore dans la ville. Une religieuse 
fort âgée témoigna le désir de voir le Père, qui, sur 
la demande de la Mère supérieure, consentit à se 
déranger. Au milieu des occupations de la retraite, il 
arrive un jour fort pressé au Sacré-Cœur, et demande 
à la portière la personne pour qui on l'appelait. Il se 
rend sans retard à la chapelle. Madame Nolam, novice 
encore, s'y trouvait en ce moment. Protestante con- 
vertie, âme généreuse et éprouvée par mille traverses, 
elle avait besoin d'un guide pour la soutenir dans des 
luttes encore ardentes, et pour avancer dans cette 
voie de zèle et d'amour où l'entraînait le penchant de 
la grâce. Elle aurait désiré s'adresser au P. Barrelle. 
La discrétion avait dicté à la supérieure un premier 
refus; mais le Père était dans la chapelle, et personne 
ne se présentait. Cette fois , la permission fut accor- 
dée. La bonne sœur en profita en toute liberté. Le 
Père lui donna tout le temps nécessaire, et quand il 
la quitta, la religieuse appelée arrivait enfin. Il était 
trop tard; on attendait le prédicateur au séminaire, 
il dut s'éloigner à l'instant. Mais le Seigneur avait 
fait son œuvre providentielle. 



LE DIRECTEUR DES AMES. 207 

La Mère Nolam a souvent assuré que de ce jour 
avait commencé sa parfaite donation à Dieu ; de ce 
jour date cet immense besoin de l'aimer dont toute 
sa vie ne fut qu'une preuve constante, et dont le 
Père Barrelle soutint d'un cœur dévoué l'infatigable 
ardeur. 

Inutile de multiplier ces exemples, assez ordinaires 
dans une telle vie. 

Le Père Barrelle était un de ces hommes que 
Notre-Seigneur ôte à eux-mêmes pour les prendre à 
soi et les donner aux autres. Tantôt donc il devenait, 
par une série de circonstances qu'on ne pouvait 
éluder, le confesseur inévitable d'une âme effarouchée 
de sa vertu, et, d'un mot, tournait toutes ses appré- 
hensions en confiance et en gratitude. Tantôt ayant 
en ses mains une conscience craintive, il laissait à sa 
timidité ce cher asile du silence, et sans lui laisser la 
peine d'une première parole , déroulait devant elle 
les pages les plus secrètes de son intérieur. 

« Vous étiez à telle place hier, mon enfant, pen- 
dant que je parlais? — Oui, mon Père. — Eh bien, 
je veux vous donner quelques avis profitables, » 
Alors il entrait dans les replis du cœur, faisait l'exposé 
de ses maladies, montrait l'âme à elle-même mieux 
qu'elle n'eût su faire dans un examen attentif, lui 
dépeignait son état, ses souffrances, en expliquait les 
causes; lui enseignait à s'ouvrir, lui faisait accepter 
quelques règles de conduite et prenait pour soi la 
responsabilité de l'avenir. C'était une âme guérie 
pour toujours de ses anxiétés. 



208 CHAPITRE TRENTIÈME. 

Combien nous ont raconté ces choses! Combien 
nous ont parlé de leur étonnement lorsque, soit au 
saint tribunal, soit au parloir, elles étaient abordées 
par une de ces paroles que Dieu seul peut dire. Ce 
qui se passait au sanctuaire de leur âme, ce qu'elles 
ne voulaient pas découvrir : une inspiration secrète, 
un travail de la grâce, des lumières ou des fautes, le 
Père leur en parlait avec une assurance qui prouvait 
à l'évidence une lumière supérieure. 

Ce directeur si réservé, si plein de son incapacité, 
si respectueux pour la liberté des consciences, s'il 
vient à être éclairé d'en haut sur un dessein de la 
grâce dont il doit être l'instrument, il triomphera de 
ses habitudes, et il ira, s'il le faut, au-devant d'une 
âme pour la gagner à Jésus-Christ. Il faut citer cette 
rare exception. 

Une jeune personne n'avait accompli qu'avec tris- 
tesse un acte de dégagement que Dieu demandait. 
Elle reçut du P. Barrelle, qu'elle connaissait à peine, 
la lettre suivante : 

« Me voilà bien osé, mademoiselle , de vous écrire 
quelques lignes sans que vous les ayez provoquées en 
aucune manière; mais je puise la raison de cette 
liberté dans mon dévouement pour votre âme ; mon 
Dieu a donné son sang pour elle , ne lui dois-je pas 
mes pauvres mais consolantes paroles? Je sais que 
vous êtes sous le poids d'un sacrifice causé par le 
départ d'une personne chère; elle vous avait fait du 
bien!... Mais permettez-moi de vous dire que, vous 
attachant trop au canal , vous avez oublié la source ; 



LE DIRECTEUR DES AMES. 209 

c'est Jésus qui vous faisait tout ce bien, et Jésus ne 
vous a point quittée. Que votre cœur si ardent dans 
ses affections s'attache donc à lui! Là seulement il 
trouvera son centre et par conséquent le vrai 
bonheur. 

» Je vous bénis au nom de mon Maître. 

» Joseph S. J. ») ' 

Cette lettre ouvrit une correspondance et une direc- 
tion où le ministre de la grâce acheva son oeuvre. 
Cette jeune personne lui doit, après Dieu, d'avoir 
embrassé la vie parfaite, et dans le creuset laborieux 
des épreuves, le souvenir de cette direction solide l'a 
tenue puissamment attachée à sa sainte vocation. 

On croira peut-être que ce directeur si rempli de 
lumières surnaturelles, si profond dans l'amour de 
Dieu, cet homme favorisé quelquefois et comme 
investi de la joie divine, ainsi qu'on le verra plus am- 
plement vers la fin de cette histoire, devait aime les 
voies extraordinaires. Bien au contraire, il les redou- 
tait, comme le guide expérimenté redoute pour le 
voyageur les cimes périlleuses des monts élevés ; car 
rien n'est plus voisin des abîmes. Lui-même, s'il fut 
ravi parfois sur la montagne de Dieu , s'il put com- 
mencer ainsi dans la lumière « le noviciat de ses siè- 
cles éternels » , c'est toujours cependant à la sueur de 
son front qu'il gravit les pentes difficiles de la vie par- 
faite. Son oraison suivait les sentiers battus , quelque- 
fois Dieu l'attirait doucement à soi, mais le plus sou- 
vent il se plaignait au suprême conducteur de marcher 

12. 



210 CHAPITRE TRENTIÈME. 

dans la sécheresse du désert. Habituellement, « la 
tribulation et l'angoisse le trouvaient sur leur che- 
min », comme le roi-prophète; et pour lui, «il ne 
savait chercher le Thabor que sur le mont du Cal- 
vaire. » 

Peu d'hommes ont reçu aussi libéralement l'instinct 
du divin et la soif du surnaturel; cependant sa pente 
volontaire était à l'obscurité de la foi nue, sa préfé- 
rence à l'amour dépouillé et souffrant. Le Cœur de 
Jésus fut son centre, son trésor, son ardente passion; 
mais il le voulait avec sa blessure, surmonté d'une 
croix où sa place était faite, et qu'embrassaient de 
toutes parts les flammes symboliques de l'amour. 

La voie commune plaisait à sa prudence ; elle avait 
les sympathies de son humilité. 

« La voie commune , toute commune , ma chère 
fdle. Gela toujours , cela en tout jusqu'à la fin. Voilà 
le cri qui retentit pour vous dans mon cœur de père, 
et c'est après la lecture de votre lettre, qui vient de 
m'être remise, que je l'ai entendu, ce cri. 

M Considérez votre Epoux tel que l'Apôtre nous le 
dépeint au moment où il s'incarne. Prenant la forme 
de serviteur, il se fait à la ressemblance des hommes, 
c'est-à-dire de l'universalité des hommes, et on le 
trouve *agissant en tout comme un homme, c'est-à-dire 
comme le commun des hommes. C'est la forme qu'à 
sa suite doit prendre l'épouse de son Cœur, non-seu- 
lement vis-à-vis de toutes les personnes qui l'entou- 
rent, mais encore en traitant avec les supérieures. 
Ainsi, ma fille, dans vos tentations, peines et diffî- 



LE DIRECTEUR DES AMES. 211 

cultes , etc. , demandez-vous ce que ferait la généralité 
des bonnes âmes qui se trouveraient dans la même 
position que vous , et sans vous mettre à part comme 
une exception, rangez-vous à la file de ces âmes, par 
révérence et par amour pour Celui qui vous a donné 
l'exemple de ce divin train commun, » 

Les faits venaient à l'appui de la doctrine. Une âme 
qui était depuis plusieurs années sous la conduite du 
P. Barrelle se trouva prise tout à coup par une pré- 
sence continuelle et sensible de Notre-Seigneur. Elle 
s'en ouvrit au Père, qui en parut fort contrarté. 
— Vous vouliez que j'aimasse Notre-Seigneur, mon 
Père, et maintenant que cela m'est facile vous parais- 
sez peu satisfait; suis-je donc dans l'illusion? — Non , 
ma fille; mais prenez garde, ne me cacbez rien. » Il 
devint dès lors, contre ses habitudes, bref, roide, 
grondeur envers cette âme ; et le jour où elle lui an- 
nonça que tout sentiment avait disparu, il lui en 
exprima toute sa joie. — « Que je suis heureux, mon 
enfant ! Vous m'enlevez un grand poids; les illusions 
sont si faciles sur cette route ! Il ne faut à votre âme 
que la pure foi, bien sèche, bien aride, et j'ai de- 
mandé à Notre-Seigneur que ce soit désormais le pain 
solide et sûr de votre vie entière. » La prophétie s'est 
réalisée. 

Non moins vigilante était la prudence de cet habile 
maître à régler les premiers élans d'une ferveur nou- 
velle. 

Récemment conquise par Notre-Seigneur Jésus- 
Christ sur les brillantes fascinations du monde , une 



212 CHAPITRE TREISTIÉME. 

âme, d'ailleurs généreuse, éprouvait le noble besoin 
de réparer par le sacrifice les illusions de son passé. 
Elle fit part au P. Barrelle , devenu son directeur, de 
l'entraînement nouveau qui la poussait aux exercices 
multipliés de la dévotion et à des mortifications exagé- 
rées. — « Pauvre enfant, répondit le saint homme, 
vous me faites l'effet d'un architecte inexpérimenté. 
Que diriez-vous si , pour construire un bel édifice , il 
commençait par jeter dans les fondations des objets 
de grand prix, des marbres rares , des jaspes, des 
perles fines et des pierres précieuses? Dites-moi, serait- 
ce bien là le moyen d'achever son ouvrage et d'obte- 
nir la solidité désirable? Il en est de même pour vous ; 
commencez donc à construire, vous ornerez ensuite. » 

Il voulait à tout, même à la vertu, de la mesure 
et du loisir. — « Il n'y a jamais de perfection soudaine, 
disait-il. C'est par degrés que l'on s'éloigne des bas- 
fonds et que l'on monte vers les hauteurs de la sain- 
teté religieuse. De plus, il est écrit que « tout bien 
vite amassé se dissipe bientôt. » 

Consulté sur la manière de conduire les âmes qui 
commencent, voici ce qu'il répondit à une Maîtresse 
des novices : 

« Le moyen , me demandez-vous , de conduire les 
âmes? — Ce serait une immense dissertation à faire, 
si je voulais et pouvais aborder le sujet. Mais c'est 
une Maîtresse des novices qui me porte cette question, 
et dès lors elle me paraît plus courte et plus facile à 
résoudre. 

M La première chose est d'acquérir la vraie con- 



LE DIRECTEUR DES AMES. 213 

naissance de ces âmes. Ceci ne se fait ni à première 
vue, ni dans un petit nombre de jours. On serait 
exposé à se tromper grandement. Il faut d'abord les 
laisser aller leur petit pas, en les tenant à l'aise pour 
que leur naturel se révèle... Puis leur recommander 
l'obéissance aux règles et aux usages, pourvoir de 
quel cœur elles s'y mettront. Les faire causer ensuite 
sur leurs impressions , à propos de ce qu'elles voient 
et de ce qu'elles entendent. Ceci fera ressortir ce qui 
est dans leur fond , soit en fait de principes , soit en 
fait de vertus acquises , soit en fait d'inclinations ou 
de répugnances. 

» On acquiert ainsi une première connaissance gé- 
nérale de ce qu'elles sont, et cette connaissance se 
complète par les ouvertures successives de leur inté- 
rieur. Là-dessus l'on base la conduite à tenir avec 
elles, et comme le temps du noviciat est moins destiné 
à l'implantation directe des vertus qu'à l'extirpation 
de leurs contraires , c'est surtout à l'exercice de l'ab- 
négation qu'il faut les appliquer. 

» Mais ne la présentez point dans toute son éten- 
due, ou plutôt dans tous ses détails. Que l'on sache 
en quoi elle consiste et le grand avantage que l'on en 
retire pour la paix et le bonheur de l'âme pendant 
tout le cours de la vie religieuse : or elle est présentée 
par le bon Maître comme le moyen d'arriver jusqu'à 
lui et à la douceur de l'union avec lui. 

» Vous proportionnant ensuite aux forces de cha- 
cune et aux motions diverses du Saint-Esprit, portez- 
les maternellement à s'appliquer à ce qu'il y a de plus 



214 CHAPITRE TRENTIEME. 

saillant dans leurs misères, les encourageant pour 
leurs moindres efforts , et leur insinuant la douce con- 
fiance que si elles marchent de la sorte, Notre-Seigneur 
en leur demandant plus leur donnera aussi facilité de 
lui donner ce qu'il demande. Elles iront ainsi grandis- 
sant et se fortifiant par la volonté et par l'exercice, 
et l'œuvre de Dieu se fera solidement quoique douce- 
ment. Il est écrit : Suhstantia festinata minuitur : ce 
qui vient trop vite ne dure pas longtemps. 

» En attendant que la vigueur se développe dans 
ces âmes, il faut user d'une grande prudence, et ne 
pas les soumettre à des épreuves trop violentes, où 
elles succomberaient; car alors le découragement 
survient. Supportez leurs imperfections ; ne craignez 
pas trop leurs petits écarts. Ne prenez point ombrage 
de leurs quelques attaches ; ayez l'air de ne point vous 
en apercevoir; mais n'y donnez de vous-même aucune 
sorte d'aliment, et qu'elles vous trouvent sans autre 
correspondance que celle d'une charité prudemment 
et religieusement maternelle. Il va sans dire que la 
crainte de ces attaches ne doit jamais vous porter à 
leur retrancher ce que réclament leurs vrais besoins 
spirituels. 

M Voilà les quelques idées qui se sont mises sous 
ma plume, en réponse à vos premières questions. 
Veuillez vous en contenter. » 

Aux enfants spirituels du P. Barrelle il appartien- 
drait de nous parler de la richesse de son cœur. Il n'y 
a pas de paternité sans amour, et , pour être virile et 
céleste tout ensemble, la paternelle tendresse qui se 



LE DIRECTEUR DES AMES. 215 

donne aux âmes ne manque ni d'ardeur ni de suavité. 
C'est Dieu lui-même, c'est son cœur qui inocule les 
nobles affections, filles de la grâce, desquelles à son 
tour la grâce reçoit au sein des âmes d'admirables 
accroissements; or le cœur divin, source de tout 
amour pur, s'entend aux généreuses tendresses. Le 
P. Barrelle s'était fait sur leur modèle, et, par ce côté 
encore, il reproduisait bien le Maître des vertus. 

A peine une âme était en sa garde, il lui dévouait 
tout son zèle, il la suivait avec une bonté persévé- 
rante inaccessible à la lassitude ; il avait des entrailles 
émues pour ses moindres douleurs; de près, de loin, 
son temps, sa parole, ses sueurs, ses veilles, il lui 
donnait tout, comme s'il n'eût eu sur la terre que 
cette enfant de la grâce divine. Dix années, que dis-je? 
vingt et trente ans passaient sur sa généreuse affection 
sans la vieillir d'un jour; elle gardait l'inaltérable 
fraîcheur de sa source immortelle, la charité. 

On en lira avec attendrissement la preuve journa- 
lière dans le recueil de sa correspondance spirituelle, 
intarissable épanchement de ses sollicitudes pour l'in- 
visible beauté des âmes. 

« Je suis heureux quand j'ai pu tirer quelque épine, 
adoucir quelque plaie, raviver la foi, ranimer la con- 
fiance et montrer en Notre-Seigneur le remède efficace 
à tous les maux. » Dans une phrase de ses lettres voilà 
tout entier ce directeur, ce consolateur, qu'on nous 
permette le mot, cet amant passionné du Dieu des 
miséricordes. 

Nous avons entendu des étonnements et presque 



216 CHAPITRE TRENTIEME. 

des blâmes pour cette candide persévérance à donner 
aux moindres âmes la parole secourable avidement 
attendue. Mais négliger une seule âme « de celles qui 
voulaient bien recourir à son immense pauvreté, » 
eût paru au P. Barrelle un déni de justice, une injure 
à la charité. 

Ecoutez-le : 

« Que de feuilles de papier noirci partent aujour- 
d'hui du pauvre laboratoire de mes mains fatiguées !.. 
Mais enfin, dès qu'on le peut, il faut bien donner à 
la belle , à la suave charité , en laquelle Notre-Sei- 
gneur trouve ses délices. » 

Ou bien : 

« A force d'écrire je me suis épuisé ; mais je me 
souviens de Celui qui pour nous faire un bien dont, 
hélas! nous profitons si peu, s'épuisa de sang et de 
vie. » 

« Je suis comme un de ces corps morts dont les 
oiseaux de proie se font à qui mieux mieux une 
pâture. Heureux encore si mes misérables lambeaux 
peuvent être de quelque utilité. Ils ne le seront qu'au- 
tant que la grâce voudra bien les vivifier, et je ne 
vois rien en moi qui plaide auprès de Dieu pour qu'il 
le veuille. Je m'en remets à la foi de qui veut bien 
recourir à mon immense pauvreté. » 

Le P. Barrelle est donc une humble proie livrée 
aux âmes. Il lui plaît d'appartenir au salut de tous, 
et s'il tombe en défaillance, il retrouvera sa force 
auprès de Celui qui s'est fait la première hostie du 
salut. 



LE DIRECTEUR DES AMES. 217 

« Vous ine demandez un mot de réponse. Hélas! 
ma fille, combien d'autres m'en demandent autant 
que vous, tandis que beaucoup d'embarras et de sol- 
licitudes me réclament! Par moments j'ai besoin de 
me distraire de ce qui pleut de tous côtés sur moi, 
afin de ne pas tomber en défaillance. Je laisse alors 
toutes choses, et je vais à Notre-Seigneur, pour le 
supplier de venir en aide à ma faiblesse et de me 
donner l'énergie nécessaire pour suffire à tout ce qui 
m'est demandé. Priez pour moi. » 

Nul ne reçoit à son profit personnel le don d'éclai- 
rer les cœurs, le secret de les mieux donner à Dieu. 
Responsable de cette grâce aux âmes et à Dieu même, 
le P. Barrelle n'aurait eu garde de l'enfouir. Il cède 
par devoir aux sollicitations de la confiance. Ses 
relations épistolaires élargissent son action, répan- 
dent la connaissance et l'amour de Jésus-Christ , 
excitent, soutiennent et augmentent les vertus par- 
faites. Sans l'avoir prémédité, c'était créer à côté de la 
prédication par la parole un second apostolat. Sans 
rien ravir à l'activité extérieure, tout entier aux 
âmes placées à sa portée, l'homme de Dieu se fit une 
seconde vie de zèle parallèle à la première , une vie 
dont l'influence silencieuse étendit la sphère de son 
action sur tout un autre peuple affamé de Dieu ; et, 
si loin que fût cette tribu sainte , disséminée en mille 
endroits divers, il lui servait fidèlement la céleste 
nourriture. 

Bientôt les fragments qui restent de ce pain de la 
consolation ou delà ferveur, réunis pour l'avantage 

TOM. II. 13 



218 CHAPITRE TRENTIEME. 

d'un grand nombre, nourriront encore bien des 
vertus. La parole confidentielle du P. Barrelle, ravi- 
vée pour ceux même qui n'ont pas entendu sa voix, 
et la semence mystique portant des moissons nou- 
velles, justifieront tout à la fois son zèle et ses hum- 
bles désirs ^. 

Ces milliers de lettres, où tout se rapporte unique- 
ment à Jésus et à son amour, méritaient mieux la 
gratitude des âmes que les appréhensions de sa mo- 
destie. 

On lui exprimait un jour cette légitime reconnais- 
sance, il répondit : 

« Que tout retourne à Celui de qui toute miette de 
bien et de vie arrive à notre pauvreté. Vous savez ce 
que dit la sainte Eglise à l'Esprit-Saint : Sans votre 
action, il nest rien dans l'homme qui puisse être 
salutaire soit à son âme, soit à son prochain. Oh! que 
je voudrais donc n'avoir jamais rien dit, rien écrit 
sans sa pure et simple influence! Mes grains alors 
tombant çà et là sur tant de sortes de terrains seraient 
immanquablement fructueux. Mais, hélas! qu'en est- 
il? Voici que bientôt le jour de la manifestation arrive 
pour moi. Je verrai; c'est le Seigneur qui juge. 
Veuillez crier un peu pitié pour moi. » 

En terminant ce chapitre, il nous semble que nous 
ne sommes pas seuls à former un souhait. Plût à Dieu 
que les âmes avides de la vie intérieure rencontrassent 

1 Nous mettons en ce moment sous presse la correspondatice 
spirituelle du P. Barrelle. 



LE DIRECTEUR DES AMES. 219 

plus facilement sur leur chemin une direction dévouée 
à leur progrès spirituel ! Ni la vertu ne manque au 
sacerdoce , ni la lumière d'en haut. Or, sans doute , 
dans l'intérêt des consciences , la sainteté de celui qui 
les dirige est souverainement désirable , car sans elle 
les meilleurs enseignements n'auront point de saveur 
pour l'âme pure qui aime Dieu. Sans doute , c'est 
une condition nécessaire pour la direction que cette 
sagesse plus élevée qui donne le pouvoir de mani- 
fester aux âmes les mystères de Dieu, dans la conduite 
de la perfection ou dans les voies de la contemplation. 
Mais ce qui empêche de se livrer à la direction des 
âmes, ce n'est ni la rareté de la vertu ni l'absence 
des aptitudes surnaturelles, aussi largement départies 
du Seigneur aujourd'hui qu'autrefois; c'est tantôt 
qu'on redoute de s'engager dans les difficultés de ce 
ministère , tantôt qu'on se laisse absorber par les 
œuvres extérieures du zèle et de la dévotion. 

On ne sait point assez ce que peut procurer de 
gloire à Notre-Seigneur une âme conduite dans les 
voies de la perfection. Et cependant celles que Dieu 
y destine n'y marcheront point d'ordinaire qu'elles 
ne soient éclairées et soutenues en ces sentiers diffi- 
ciles par un guide expérimenté. On voit cela dans la 
vie des saints. La conduite des Thérèse, des Chan- 
tai, des Marguerite-Marie, a été confiée de Dieu à des 
ministres de la sainteté selon son esprit et selon son 
cœur. La direction paraissait à ceux-ci une œuvre de 
zèle non moins appréciable que certaines pratiques 
vraiment pieuses, certaines dévotions salutaires ou 



220 CHAPITRE TRENTIÈME. 

même excellentes , lesquelles sont justement à la 
vertu ce que les moyens sont au but. 

Les œuvres extérieures prêtent davantage à Tacti- 
vitê naturelle. Les loisirs qu'exige leur développe- 
ment absorbent la vie, et leur multiplicité, de nos 
jours, influe peut-être sur la rareté des directeurs. 

Pour produire un bien moins apparent, un bien 
caché dans l'obscurité mystérieuse qui enveloppe les 
rapports intimes de Dieu avec les âmes, la direction 
en sera-t-elle estimée moins fructueuse? Sera-t-elle 
moins utile à la gloire du Seigneur, soit présentement 
par l'influence de la sainteté sur l'économie générale 
du monde spirituel, soit à l'heure des manifestations 
dernières qui produiront au grand jour les fruits de 
la Rédemption? 



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LES VOCATIONS. 221 



CHAPITRE XXXI 



LES VOCATIONS. 

Ce que c'est que la vocation. — Rôle du directeur dans la vocation. 

— Que le P. Barrelle portait avec soi des persuasions divines. — 
Son respect pour les desseins de Dieu. — Les péripéties de la vo- 
cation religieuse déroulées dans une correspondance : c'est l'âme 
qui dit à la grâce la parole décisive, — Quels sont les juges légi- 
times de la vocation. — Différence entre les incertitudes du cœur 
et celles de la vocation. — Que la vocation doit subir la loi de 
l'épreuve. — Les tentations ne prouvent rien contre l'appel divin. 

— La vocation et les sopliismes de la sagesse humaine. 

Un aspect important se perd et s'efface dans le 
tableau général que nous avons présenté de la direc- 
tion du P. Barrelle : celui de ses lumières et de son 
influence sur les vocations religieuses. Détacher main- 
tenant de l'ensemble ce point de vue particulier, ce 
sera tout à la fois tenir compte de son importance 
pratique et du don exceptionnel accordé au prudent 
directeur. 

Dieu reconnaîtra un jour ses enfants à l'empreinte 
de sa divine perfection. La perfection est comme le 
signe de sa race. C'est pourquoi il est fait à tous un 
commandement : « Soyez parfaits à l'image de votre 
Père céleste qui est parfait. » De là la grande loi 
de l'amour de Dieu, imposée à tous, car l'amour est 



222 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

tout ensemble le principe de toute perfection et le 
plus haut sommet de toute vertu. « Vous aimerez le 
Seigneur votre Dieu de tout votre cœur. » Toute la 
vie chrétienne trouve dans cette loi de la charité et 
son commencement et sa plénitude ^ La charité est 
la fin de toute la loi ; c'est elle qui est le lien de la 
perfection surnaturelle^. 

Or, il y a, dit saint Thomas, trois voies plus sûres, 
plus promptes et plus excellentes pour arriver à la 
perfection du divin amour. C'est la triple voie des 
conseils divins. En la suivant, nous obtenons avec la 
parfaite charité de ceux qui sont au ciel une certaine 
simihtude^ 

Que ces conseils soient proposés à tous les chré- 
tiens comme si Notre-Seigneur les avait adressés à 
chacun en particulier, c'est l'enseignement du même 
saint Docteur dans son opuscule contre la doctrine 
empoisonnée de ceux qui détournent de la vie reli- 
gieuse *. 

Mais cette bienfaisante clarté des divins conseils, 
qui pourrait profiter à tous, n'arrive pas au cœur de 
tous. C'est une lumière privilégiée qui brille seule- 
ment aux yeux du petit nombre, et que, selon les 
mystérieux desseins de ses prédilections, FEsprit-Saint 
distribue selon son bon plaisir. 

1 Matth. XXII, 38. — Rom. xiii, 10. 

2 I Tnr. i. 5. — CoLoss. in, 14. 

3 De perfect. vitœ spiritualis, Opusc. 18, cap. 7 et seq. 

^ Contra pestiferain doctrinam retrahentium homines a reli- 
gionis ingressu. Opusc. 17, cap. 9. 



LES VOCATIONS. 223 

Cette lumière qui révèle aux esprits les plus droits 
sentiers de la vie parfaite , qui les propose à leur 
ambition, cet attrait qui les sollicite de suivre de près 
le modèle des parfaits dans la pauvreté volontaire, 
dans la pureté d'un cœur dégagé des sens, dans le 
dépouillement de sa propre volonté; cette lumière, 
cet attrait divin, ils ont un nom, on les appelle la 
vocation. C'est là l'appel de Dieu, le langage de sa 
grâce pour tirer une âme de l'ordre commun, pour 
l'introduire dans une plus étroite alliance avec Jésus^ 
Christ. 

On le comprend : pour s'en tenir aux préceptes, 
pour demeurer dans le rang des chrétiens ordinaires, 
il n'est pas besoin d'un appel particulier de la grâce ; 
c'est l'ordre commun de tous ceux qui ont reçu la 
vocation au christianisme et qui n'entendent pas 
l'appel supérieur du sacerdoce ou de la perfection 
religieuse. 

A côté de cet appel exceptionnel de la grâce, in- 
troduisant l'âme dans une voie privilégiée de sancti- 
fication, le Saint-Esprit a d'autres voies pour conduire 
à la vertu parfaite, des desseins particuliers de sagesse 
et des secrets de prédilection. Combien d'âmes d'élite, 
demeurées dans l'ordre commun des obligations chré- 
tiennes, sont parvenues par ces sentiers mystérieux à 
la plus excellente vertu! Dieu sait ménager aussi à 
leur fidélité l'appui dune direction éclairée. En ce 
moment, nous avons plus spécialement à montrer le 
rôle du directeur dans la vocation religieuse. 

Le Saint-Esprit s'en va donc semant dans les âmes 



f- 



11 



2^4 CHAPITRE TRENTE ET UNIEME. 

la parole de la perfection : « Si vous voulez être parfaits, 
allez, dépouillez-vous de ce que vous possédez, et 
suivez Jésus-Christ. » Quel respect du Créateur pour 
la liberté de ses créatures intelligentes, dans cette 
parole intérieure : Si vous voulez! C'est que, du 
côté de Dieu qui la présente, la vocation est un pri- 
vilège, et le privilège ne s'impose pas; c'est que la 
vocation, du côté de ceux qui Tembrassent, est un 
acte généreux, héroïque, et qu'il n'y a ni héroïsme ni 
générosité sans la spontanéité du cœur. 

Il importe de le remarquer pour comprendre le lot 
véritable du directeur des âmes dans la vocation : il 
en est de la vocation comme de toute grâce, la lumière 
divine prévient l'âme, et va jusqu'au cœur solliciter 
son consentement; mais cette illumination de l'intel- 
ligence, cette impulsion secrète du cœur attendent 
l'assentiment intérieur. Si l'âme écoute, si l'âme ac- 
cueille, surtout si elle commence à dire : Je veux! 
c'est alors que la vocation a pris possession ; elle 
n'est plus seulement une sollicitation de FEsprit-Saint, 
une grâce, fugitive peut-être, par le défaut de cor- 
respondance et de générosité; elle est entrée, elle 
tient du consentement de l'âme quelque chose de 
persistant, de ferme, et pour ainsi dire d'achevé. 

Le rôle du P. Barrelle, celui de tout directeur des 
consciences, fut toujours d'écouter la parole de l'Es- 
prit-Saint à travers la parole de l'âme, de démêler ce 
souffle léger comme le zéphyr à l'aurore, sihilus aurœ 
tenuis, que l'âme par eUe-même peut difficilement 
saisir avec certitude , mais que rien ne décèle et ne 



LES VOCATIONS. 225 

démontre comme la pre'paration même de la volonté. 

Le rôle du P. Barrelle fut de démêler la volonté 
souvent ignorée d'elle-même, au milieu «des luttes 
intérieures de la générosité et de la faiblesse, de la 
grâce et de la nature, parmi les émotions venues du 
dehors et les approches du sacrifice. 

Son rôle, quand il avait entendu la voix de Dieu et 
la réponse de l'âme, ce fut d'affermir la générosité au 
milieu des difficultés pratiques qui encombrent d'ordi- 
naire les avenues de la vie parfaite. 

C'est le P. Barrelle qui a écrit les paroles suivantes 
dans une suite de conférences sur la vocation : 

« Quels principes doit suivre un directeur éclairé 
dans une affaire aussi déhcate? — Il ne peut y entrer 
que par voie de lumière et de conseil, et seulement 
pour préserver de toute erreur celui qui la traite face 
à face et, pour ainsi dire, cœur à cœur avec Dieu. Il 
doit laisser agir la grâce seule et l'Esprit , qui la 
donne, sur la volonté et l'intelligence de la personne 
confiée à sa direction; écarter l'influence dangereuse 
de tout autre esprit; aplanir les difficultés; éclaircir 
les doutes, animer la faiblesse, en un mot déblayer le 
chemin par lequel l'âme doit aller à Dieu et Dieu 
venir au-devant de l'âme qui l'appelle. Il se tient 
donc toujours, pour ainsi dire, au pied de la mon- 
tagne et autour du Sinaï, tandis que, vis-à-vis de son 
Dieu et des vérités éternelles , celui qui cherche à 
connaître son état futur fait son choix de lui-même, 
et vient ensuite s'assurer auprès de son directeur si, 
comme il en est persuadé, ce choix n'est fait que 

13. 



226 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

d'après les pures lumières de la raison et de la foi. 

» C'est là le résumé de ce que recommandent les , 
maîtres de la vie spirituelle, et en particulier saint 
Ignace, dans le livre qu'il a composé sur ce sujet, et 
que l'Eglise a sanctionné de son approbation. » 

La pénétration surnaturelle que nous avons recon- 
nue dans le P. Barrelle pour lire au secret des âmes, 
se manifestait avec évidence quand il était question 
de vocation religieuse. Les témoignages en sont 
variés. Tantôt d'une parole il fait tomber le bandeau, 
et le cœur reconnaît sa route; tantôt, contrairement 
au jugement de tous, à travers les apparences de la 
légèreté, les mondaines allures, les entraînements 
frivoles , il reconnaît les poursuites de la grâce , 
indique à l'avance les voies de Dieu, et l'événement 
le justifie. Un jour il passe soudainement des conseils 
de la temporisation, avec toute l'assurance de la cer- 
titude, à une décision nette et pleine de clarté. Une 
autre fois il accueille avec un sourire plein de bonté 
une âme craintive qui, après bien des combats, se 
décidait enfin à s'adresser à lui : — « Mon enfant, 
ne craignez point, je ne vous donnerai pas la voca- 
tion vous l'avez déjà; mais vous êtes jeune, vous 

avez du temps devant vous. » Et cette parole si re- 
doutée remplit de calme l'âme qu'elle devait déses- 
pérer. Souvent la prière lui ouvre une âme, ou 
bien il marque à jour fixe l'heure de la lumière, ou 
bien encore, au jour indiqué d'avance, les obstacles 
s'évanouissent devant une vocation jusque-là sans 
issue, et les cœurs sont changés. 



LES VOCATIONS. ' 227 

Mais ce qu'on redoutait dans un certain monde, 
c'était que le saint homme portait avec soi des per- 
suasions divines ; et, sans autre prestige que l'Evangile, 
et je ne sais quel parfum de vertu répandu dans toute 
sa personne, il suscitait des épouses à l'Esprit-Saint. 

« Que puis-je à cela? disait-il. Les vocations bour- 
geonnent sous mes pas; mais en vérité je n'y suis 
pour rien ; c'est purement l'œuvre de Dieu. Seule- 
ment quand j'ai jeté la ligne évangélique, si quelque 
proie vient mordre à l'hameçon, je tire vigoureuse- 
ment, c'est mon devoir. Notre-Seigneur a fait de nous 
des pécheurs d'hommes. » 

Le P. Barrelle ne parlait presque jaanais directe- 
ment de la vocation religieuse; mais le souffle sorti 
de son cœur allumait si puissamment l'amour de 
Jésus-Christ, que, soulevées par cette flamme du 
paradis , facilement les âmes généreuses perdaient 
terre, et de médiocres vertus ne suffisaient plus à 
leurs ambitions. Le P. Barrelle ne commentait guère 
dans ses prédications cette féconde parole : « Si vous 
voulez être parfait,» cette parole qui a peuplé les 
déserts et dilaté les cloîtres; mais la substance de tous 
ses discours pouvait être ramenée à cette formule : 
— « Ah ! si vous vouliez avoir les prédilections de 
Jésus-Christ! Heureuse Fâme qui a mérité d'être 
choisie entre mille par le Cœur de Jésus-Christ! » Il 
était unique pour persuader à l'âme qu'elle était sou- 
verainement aimée du Sauveur Jésus. Que faire alors? 
Et comment refuser en retour le don de son pauvre 
cœur? 



22B CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

Quel saisissement quand on entendait au «profond 
de la conscience, portée avec toute la persuasion 
d'une parole surnaturelle, cette révélation si éton- 
nante quand elle est comprise : 11 m'a aimé et il s'est 
livré pour moi. Dilexit me et tradidit semetipsum pro 
me ! Lorsque cette invitation semblait interrompre le 
silence du tabernacle : Venez, ma fille, et voyez; 
oubliez la maison de votre père ; et le Roi du ciel 
s'éprendra de votre beauté. Veni, filia, et vide, et 
ohliviscere... domum patris tui, et concupiscet Rex 
décor em tuum ! 

Eh bien, le P. Barrelle était le révélateur de 
l'amour divin; le Saint-Esprit mettait sur ses lèvres 
les confidences de la divine cbarité, rassemblait de- 
vant lui les âmes qu'il prédestinait aux grandes vertus, 
et la grâce multipliait ses triomphes. 

Il nous souvient d'une retraite sur le règne de Jésus 
par l'amour, dans un pensionnat de jeunes filles. 
Douze des anciennes allaient quitter le couvent, le 
monde s'offrait à elles souriant et plein de promesses, 
comme il arrive à cet âge. Telle fut la puissance de 
la sainte doctrine que sur ce tout petit nombre sept 
firent leur choix pour l'abnégation religieuse. 

Dans un autre pensionnat, durant un triduum de 
fin d'année, il se sentit un jour pressé, à la considé- 
ration de l'après-midi, d'abandonner le sujet préparé. 
— « Je n'aime pas, dit-il, parler de la vocation, mais 
cette fois je ne puis résister au mouvement intérieur 
qui me presse. » En effet, il parla de la vocation, de 
la fidélité qu'elle exige, des droits souverains de Dieu 



LES VOCATIONS. 229 

qui dispose des âmes, du bonheur de n'aimer que lui 
seul... et cela en termes si forts, si puissants, que 
l'intervention du Saint-Esprit était visible. Elle eut 
des résultats exceptionnels : plus de la moitié de cet 
auditoire choisi a embrassé la vie parfaite. 

Faut-il ajouter que la prudence du P. Barrelle, 
son respect pour les desseins de Dieu, et le sincère 
désintéressement de la vérité, ne manquaient pas de 
laisser à la vie du monde ceux qui ne montraient pas 
à ses yeux les signes assurés de la vocation , quels que 
fussent d'ailleurs leurs mérites et leurs pressantes 
instances? Une personne de noble famille insistait 
beaucoup pour être admise au couvent. Le Père, 
après mûr examen, se prononça nettement. « Elle est 
pour le monde», disait-il; et il tint ferme. Aujour- 
d'hui c'est une excellente mère de famille, une forte 
chrétienne dont l'exemple est un apostolat. 

Une jeune personne ardente au bien, mais que le 
bon Père ne jugeait pas faite pour la vie du cloître, 
fit auprès de lui de vaines instances. Enfin son avenir 
étant sur le point de se fixer par une alliance hono- 
rable, elle reçut cette paternelle approbation : 

« Avec votre caractère et votre cœur, il vous fallait 
une autre vie que la vie religieuse, et voilà pourquoi 
je n'ai jamais donné dans les pensées qui s'en of- 
fraient à votre esprit. La Providence nous donne en 
ce moment une preuve de la vérité de mon jugement, 
et de plus elle vous donne à vous-même une preuve 
de l'intérêt paternel qu'elle vous porte. » 

Une autre vocation était au contraire indubitable. 



230 CHAPITRE TRENTE ET UNIEME. 

Le père, admirable chrétien, faisait généreusement 
le sacrifice de sa fille. Mais c'était un bon vieillard de 
soixante-treize ans, il n'avait de consolation que les 
soins, d'autre charme à son isolement que la présence 
de son enfant tendrement aimé. Le P. Barrelle n'hé- 
sita pas : — «Vous resterez près de votre père, dit-il, 
vous servirez Jésus-Christ en sa personne ; pour le 
moment votre devoir est auprès de lui. » Une année 
s'était écoulée; la jeune personne accourt pour re- 
tremper son cœur, durant trois jours, dans le recueil- 
lement et les saintes pensées. A peine le Père l'a-t-il 
aperçue : — u Quoi ! vous ici , mon enfant ! » et dans 
son accent il y avait du reproche. Mais il se rassure 
et se radoucit en apprenant avec quelle fidélité la 
jeune fille remplissait le devoir de la piété filiale. Elle 
venait seulement reprendre haleine près de Jésus- 
Christ, afin de remplir joyeusement sa tâche, en 
attendant l'heure de la grâce. L'heure est venue; la 
généreuse enfant est aujourd'hui parmi les épouses 
du Sauveur. 

Qu'on n'oublie pas de quelle prudence s'environ- 
nent les interprètes de la grâce lorsqu'il s'agit de la 
vie religieuse. La circonspection préside à leurs dé- 
cisions ; elle s'applique à démêler au fond de l'âme 
les signes propres de la vocation; elle sonde les qua- 
lités personnelles ; elle pèse les circonstances ; dans 
la correspondance pratique de l'âme au Saint-Esprit, 
elle étudie les conditions de persévérance indispen- 
sables pour d'irrévocables engagements. Que de vel- 
léités de vie religieuse le sage directeur laisse dans le 



LES VOCATIONS. 231 

monde! Nobles aspirations d'un cœur qui pressent, 
au-dessus de la région commune, une sphère à part 
de dégagement et de pureté, une existence réservée 
de ferveur et de sacrifice. Ces lueurs ne sont pas 
encore la claire révélation des desseins de Dieu. Le 
crépuscule aux régions polaires n'annonce pas tou- 
jours que le soleil va paraître ; mais il en signale le 
voisinage, et le regard charmé de ses approches en 
salue de loin la lumière. Ainsi les instincts de la vie 
parfaite sont en certaines âmes un hommage lointain 
à des vertus plus hautes, un élan favorable au déve- 
loppement d'une piété généreuse, et ne sont pas 
toujours destinés à d'effectifs renoncements. 

Le P. Barrelle donc exerçait ^vec soin le discerne- 
ment surnaturel. Mais avait-il une fois reconnu les 
touches divines, alors il parlait nettement et il sou- 
tenait avec vigueur la coopération de l'âme. 

Un précis de la doctrine du P. Barrelle en un point 
si délicat et toujours si pratique, aura de l'intérêt 
pour beaucoup de lecteurs. Les extraits suivants nous 
présenteront le prudent directeur aux prises avec les 
péripéties les plus ordinaires d'unq vocation reli- 
gieuse. 

Voici d'abord comment il appartient à l'âme elle- 
même de décider en présence de la grâce qui l'ap- 
pelle. 

« Je ne vous donne pas encore d'espoir, me dites- 
vous, mon enfant; mais comment voulez-vous que je 
vous donne ce que, seule, vous pouvez mettre dans 
votre cœur et tenir dans vos mains ? 



» Toute la vocation est dans deux choses : 1° dans 
la lumière surnaturelle, qui nous éclaire sur ce meil- 
leur parti à prendre sans contredit, à cause de sa 
connexion évidente avec la pratique des conseils 
évangéliques, pont le plus sûr et le plus direct pour 
nous transmettre au ciel...; :2'' dans un je veux, 
ferme, résolu, inébranlable, qui ne recule et ne fai- 
blit dans aucun des combats à livrer pour s'assurer et 
tenir cette même vocation, grâce insigne entre toutes 
les grâces. La lumière, vous l'avez; ^e je veux avec 
ses qualités, il dépend uniquement de vous de l'avoir, 
si vous ne l'avez pas; de vous, dis-je, fidèle à la 
grâce qui suit toujours la lumière surnaturelle. 

» L'espoir donc vous ne pouvez le moissonner que 
chez vous et non dans le champ d'autrui. C'est pour- 
quoi, voyez ce que vous voulez, comment et jusqu'à 
quel point vous le voulez, et ensuite espérez autant 
que vous trouverez en vous de grammes de cette 
volonté. » 

Dans l'extrait suivant le Père détermine les condi- 
tions de la vocation. 

« Quoi! Notre-Seigneur n'appellerait à soi que des 
parfaits, et l'on n'aurait plus rien à laisser faire, dé- 
faire, corriger, perfectionner à la grâce, dans la vie 
religieuse ! O Dieu ! combien ceci ressemble au monde 
et à son esprit! A ce prix-là, aucune mondaine, au- 
cune pécheresse n'aurait jamais été capable de porter 
le joug de la vie religieuse , ce qui est complètement 
faux. Qu'est donc la vocation? — Une volonté que 
Dieu nous donne de nous séparer de tout pour être 



LES VOCATIONS. ?:î3 

uniquement et à toujours à son Fils unique, et qui 
porte avec elle certains caractères surnaturels aux- 
quels on reconnaît sa divine inspiration. Or, ceci se 
trouvant en vous , la conclusion est facile à tirer. 

» Reste maintenant, de la part de la congrégation 
religieuse à laquelle on veut se donner, une de'clara- 
tion d'aptitude à son institut. Voilà pourquoi il faut 
et se présenter à elle, et, si elle l'agrée, faire un essai 
du genre de vie de cette vocation. » 

Le P. Barrelle enseigne quels sont les juges légi- 
times de la vocation religieuse. 

« On vous a dit que les âmes appelées à la vie reli- 
gieuse ont un cachet visible de prédestination à cet 
état. C'est une assertion gratuite et qui ne se trouve 
nulle part, à moins qu'on n'entende par ce cachet la 
vocation elle-même. Elle a ses signes, oui, et c'est 
parce qu'on les trouve dans une âme et non point au 
dehors, qu'on juge qu'elle est appelée. Mais quels 
sont ces juges? Les personnes du monde? Les parents? 
— Nullement. Ni les premiers ni les seconds n'ont 
reçu mission pour cela; mais les ministres de l'Eglise 
qui ont reçu l'Esprit-Saint à cette fin , comme pour 
tout ce qui a trait à la direction des âmes. Voilà les 
juges et les seuls compétents. Quand leur décision 
est donnée, il n'y en a point d'autre à chercher ou à 
attendre. 

» A une autre objection, celle qui regarde votre 
famille, vous avez hien répondu. La vie religieuse 
perfectionne le respect et l'amour que l'on doit avoir 
et que l'on a pour ses parents, mais n'en dépouille 



234 CHAPITRE TRENTE ET UNIEME. 

pas. Si votre excellent père tremble en pensant à 
votre fixité dans un couvent, qui est pourtant au dire 
de tous les saints une arche de salut, quel ne devrait 
pas être son tremblement en pensant à votre perma- 
nence dans ce monde , qui est la grande route de la 
perdition, parce qu'avec infiniment moins de moyens 
de salut, on y rencontre tous les écueils et tous les 
dangers possibles. » 

Des oppositions surgissent-elles dans les familles, le 
directeur répond sans exagération mais sans faiblesse : 
« Des difficulés s'élèvent, comme il fallait s'y at- 
tendre, dans le sein même de votre famille. On s'é- 
tonne, on ne vous trouve point apte à cette vie 
religieuse; on vous déclare que vous n'aurez point le 
consentement voulu, avant dix ans; et là-dessus vous 
me demandez de fixer l'époque de votre entrée. En 
suis-je donc le maître, pauvre enfant? Il en est pour 
le temps de l'entrée, comme pour la vocation. Tout 
ceci est entre les mains de Dieu seul, et je ne puis que 
vous dire avec un saint docteur de l'Eglise : « Pour 
» ce qui est de vous , le plus tôt sera le mieux ; de 
» telles grâces ne souffrent point de délais dans les 
» personnes qui sont libres. » 

» Mais vos parents s'opposent!... c'est-à-dire qu'ils 
usent du droit que Dieu leur a donné d'éprouver 
votre vocation raisonnablement. Remarquez bien ce 
dernier mot, car, ajourner à dix ans n'est nullement 
raisonnable, et je pense qu'ils ne parlent ainsi que 
pour vous faire peur. Ne vous alarmez donc point. 
Prouvez-leur la vérité de votre détermination par 



LES VOCATIONS. 235 

votre constance, et insistez avec respect pour qu'ils 
accèdent à ce que vous êtes en droit de leur demander 
par la ferme conviction où vous êtes que Dieu vous 
veut, et le plus tôt possible, dans le port de la vie 
religieuse. Joignez à votre insistance toujours ferme 
l'humble recours à Marie et à Jésus , et je pense que 
dans un an à peu près vous accomplirez la volonté 
divine. » 

A une autre personne qui avait perdu la santé dans 
des délais cruels , il fait la réflexion suivante : 

« A vrai dire je ne conçois pas qu'il faille, pour vous 
éprouver, vous faire dépenser plusieurs années de 
votre vie dans des luttes qui altéreront votre santé, et 
vous rendront incapable , peut-être , de satisfaire aux 
exigences d'une vocation qui est laborieuse. Dieu ne 
saurait approuver une telle manière de procéder, et 
vous devez vous-même, ce me semble, en faire à vos 
parents l'observation respectueuse. H y a une mesure 
en tout, et quiconque la dépasse se rend coupable et 
justiciable du sévère tribunal de Dieu, w 

Lorsque l'indécision de caractère se combine avec 
les invitations de la grâce, si la vocation est moins as- 
surée elle est aussi un secours plus nécessaire. 

« Il s'agit donc toujours de vocation trop variable, 
et vous m'exposez le motif principal de votre insis- 
tance à revenir là-dessus. Ce motif, puisé dans votre 
indécision elle-même, a fait sur moi plus d'impression 
que je ne pouvais m'y attendre d'abord. Je vous en 
dirai la raison, si je ne vous l'ai déjà donnée à entendre. 
C'est que la vocation religieuse , ou la vie qui en est 



23G CHAPITRE TRENTE ET UNIEME. 

le terme, ne manquant ni de tribulations, ni de luttes, 
ni de difficultés, il faut nécessairement une volonté 
ferme et résolue pour en supporter les charges jus- 
qu'à la mort. 

» La faiblesse , par conséquent , et l'irrésolution ne 
sauraient convenir à cette vocation , et il faut qu'une 
âme qui y aspire travaille à se dégag^er de l'une et de 
l'autre... Voilà ce qui devait me porter à vous dire : 
Vous êtes faible et indécise par caractère, ne songez 
donc point à l'état religieux, il n'est pas fait pour vous. 

» Mais la pauvre enfant semble avoir prévu ma 
pensée, et me dit qu'avec un tel caractère il lui sera 
bien difficile de se sauver dans le monde, qu'elle y 
courra bien des dangers ; tandis que dans la vie reli- 
gieuse, l'obéissance la fixera, et les moyens de salut 
qui s'y trouvent lui donneront force et courage. 

» Ces pensées me paraissent justes, et je n'ai vrai- 
ment rien à leur opposer, pas même ce qu'on vous a 
dit que la vocation religieuse est une récompense du 
bon Dieu. Oh! cette parole est bien loin d'être 
exacte. La vocation est une grâce et une bien grande 
grâce, qui ne suppose point par conséquent le mérite, 
mais seulement le grand amour que Jésus-Christ 
Notre-Seigneur a pour un certain nombre de ses 
enfants, qu'il veut s'unir plus intimement. Pour ma 
part, je connais quantité de ces âmes vraiment d'élite 
qui, si elles avaient connu et suivi ce faux principe, 
ne seraient pas ce qu'elles sont aujourd'hui, c'est-à- 
dire de très-bonnes, de très-ferventes, de très-dignes 
religieuses. 



LES VOCATIONS, 237 

» Laissons donc cela de côté , et disons : 

M 1° Que si vous avez la conviction de trouver 
dans la vie religieuse des moyens de salut que la vie 
du monde ne vous donnerait pas ; 

» 2° Que si vous sentez fortement la nécessité de 
prendre ces moyens pour assurer votre salut éternel ; 

» 3° Que si vous pouvez vous promettre, et vous 
vous promettez en effet de suivre dans la vie religieuse 
l'étroit sentier de l'humilité , de l'obéissance et de 
l'abnégation de vous-même, malgré ces misères hu- 
maines qui ne nous quittent jamais. . . ; 

» 4° Que si, après avoir réfléchi et prié, vous croyez 
que cette vie religieuse sera vraiment pour vous la 
porte du bonheur éternel, et si vous vous y sentez 
déterminée, je pense que vous y êtes appelée de Dieu. 
Vous pouvez vous ouvrir comme telle à ces Dames, 
et leur demander si elles vous jugent propre à leur 
Institut. 

» C'est là ce qui met le sceau à une vocation : le 
jugement des supérieures appelées à examiner l'apti- 
tude des postulantes. 

» J'ai satisfait, ce me semble, à votre désir, mon 
enfant; mais gardez votre cœur soigneusement. Il 
appartient et il doit être tout, tout, tout à Jésus, à 
tout jamais. 

» Adieu, mon enfant, c'est de tout cœur que je 
vous bénis avec les petites mains de l'Enfant de la 
crèche. 

» Joseph S. J. » 



238 CHAPITRE TRENTE ET UNIEME. 

Ailleurs le P. Barrelle distingue les incertitudes du 
cœur de celles de la vocation, et il les combat. 

« Vous éprouvez encore, me dites-vous, des incer- 
titudes. La chose n'est pas possible. Incertaine, non, 
vous ne l'êtes point. Ma déclaration et votre élection 
ont été trop positives. Mais je vous dirai en quoi con- 
sistent ces incertitudes apparentes. Vous êtes reprise 
par le cœur, vous qui me disiez un jour que, grâce à 
Notre-Seigneur, vous vous étiez toujours affranchie 
de ces sortes de chaînes. Et le cœur étant pris plus 
ou moins, vous êtes devenue lâche, tramante, appe- 
santie. Il vous semble dés lors que vous entreprenez 
une tâche au-dessus de vos forces, que vous n'y tien- 
drez pas, et que vous allez faire un sacrifice dont vous 
aurez à vous repentir bientôt. De là ce vague et cette 
fluctuation que vous appelez incertitude, et qui ne 
sont que la lâcheté en face d'une claire certitude. 
Tel est, mon enfant, le fond de votre âme. 

» Quelle garantie! m'ajoutez-vous, de mon bonheur 
à venir? 

') — Eh! en quoi donc faites-vous consister le 

bonheur? Oh! que vous êtes charnelle encore! Jus- 
ques à quand le verrez-vous dans les grossières jouis- 
sances du cœur? — Elles me plaisent ces créatures, 
et je leur plais; elles me portent un intérêt délicieux 
qui me pénètre et qui m'enchante! Avec elles les ris, 
les amusements , les douceurs de la vie ! — Oh ! voilà 
en effet le bonheur. Pauvrette ! cœur perdu dans 
quelques gouttes d'eau sucrée, délayez- vous-y... 
Combien de temps durera cela? Et ensuite ces créa- 



LES VOCATIONS. 239 

tures cesseront de vous plaire, et vous à elles. L'in- 
térêt n'est plus; l'habitude l'a diminué et fait dis- 
paraître. Cette gaieté, ces ris, ces passe-temps, ne 
sont bientôt plus de saison. Les épines se font sentir 
après les fleurs; celles-ci sont fanées et tombent; 
celles-là restent et engendrent mille cuisantes dou- 
leurs. Venez donc, créatures, et dédommagez cette 
enfant qui a fait pour vous tant de sacrifices, même 
celui de la main du plus aimable, du plus aimant, du 
plus fidèle et du plus opulent des époux... Ces créa- 
tures? elles ont vieilli, elles se sont usées; elles cou- 
rent avec vous vers le froid tombeau! C'est le sauve- 
qui-peut qui se fait entendre... Qu'en est-il de ce 
délicieux passé? La mort arrive enfin... Le juge est 
là. C'est l'Epoux-Dieu dédaigné pour une créature, 
pour un néant! Quelles seront et peuvent être les 
suites d'une pareille position? 

M Je vous envoie matière à réfléchir, mon enfant. 
C'en est assez, peut-être même trop. Alors par- 
donnez-moi. Mais croyez bien que je ne veux vous 
influencer en aucune manière, et qu'une fois encore 
je vous livre à Dieu et à votre liberté. » 

Une âme appelée de Dieu temporisait avec la grâce ; 
elle reçut du P. Barrelle les réflexions suivantes : 

« Hélas ! pauvre enfant , de délais en délais où arri- 
verons-nous? Souvenez-vous des dix vierges. Il n'y en 
eut que cinq qui furent jugées dignes d'entrer dans la 
salle des noces. Pourquoi? Et les autres, d'où leur 
vint l'exclusion? Notre-Seigneur ne parle pas seule- 
ment dans cette parabole du royaume des cieux et de 



240 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

sa gloire éternelle, mais encore de son introduction 
dans la vocation religieuse et dans la perfection. 
Heureuses les âmes qui se trouvent prêtes et qui, à 
l'instant où elles sont appelées» se lèvent et s'avancent 
au-devant de l'Epoux! Il n'en est point ainsi des re- 
tardataires, surtout quand leurs motifs ne sont pas de 
telle valeur que Notre-Seigneur lui-même doive les 
approuver. 

» Oh! réfléchissez, ma pauvre enfant, et ne vous 
contentez plus de ces désirs qui restent sans fruit. 
Que Notre-Seigneur vous corrobore la volonté et vous 
dégage le cœur! » 

Le P. Barrelle inculque volontiers cette doctrine, 
que la vocation doit subir la loi de l'épreuve. 

« Ne faites consister, mon enfant, ni la vérité de 
votre vocation ni votre paix intérieure dans l'absence 
de toute pensée, de tout sentiment et de toute tenta- 
tion qui se contrarient et se combattent, mais plutôt 
dans la bonne guerre que vous ferez à ces obstacles 
tant intérieurs qu'extérieurs. 

» Tout ce qui vient de Dieu , tout ce qui nous rat- 
tache à Dieu, tout ce qui doit le plus efficacement 
concourir à notre sanctification présente et à notre 
salut éternel, est d'ordinaire combattu et parla nature 
mauvaise, au dedans, et par l'esprit de Satan et du 
monde, au dehors. Tantôt ce sont des craintes et des 
terreurs , tantôt ce sont des doutes et des perplexités , 
tantôt ce sont des perspectives agréables et sédui- 
santes, des positions où l'on nous dit et où il nous 
semble que nous trouverons le bonheur (bonheur 



LES VOGATIOINS. 241 

selon les sens ou l'orgueil, bien entendu). Ce sont là 
comme des leviers dont le démon se sert pour mettre 
notre âme en dehors des lumières reçues et de l'ac- 
complissement des volonte's de Dieu connues. Il n'y a 
rien d'étonnant en cela; nous avons à passer par ces 
épreuves; les subir en vainquant nos agresseurs, voilà 
ce que Notre-Seigneur attend et ce que l'intérêt de 
notre âme exige. 

M Ne vous occupez donc point d'autre chose. Ne 
cherchez point à vous affranchir de ces contrariétés, 
à faire que tout, sur votre route, s'aplanisse; mais en 
vous recommandant à Notre-Seigneur et à sa sainte 
Mère, combattez et efforcez-vous de vaincre. C'est 
ce qui confirme et finit par rendre invincible une 
vocation. » 

Les dangers viennent-ils des artifices du monde? 
Avec quelle pénétration le P. Barrelle éclaire ses 
trames perfides : 

« Votre réponse à ma lettre m'a consolé; per- 
mettez-moi d'espérer que vous serez plus ferme dé- 
sormais, et que le monde, cet ennemi déclaré de 
Jésus-Christ Notre-Seigneur et de toute âme de bonne 
volonté, ne trouvera plus rien en vous s'il vient y 
chercher encore. Vous devez, ce me semble, avoir 
bien saisi sa marche dans les combats qu'il vous a 
livrés dernièrement. C'est au cœur qu'il s'adresse 
d'abord par des manières affectueuses, des préve- 
nances délicates , par des signes d'intérêt. Il passe de 
là à l'imagination, et, par des tableaux attendrissants, 
tantôt du propre bonheur, tantôt du bonheur des au- 

TOM. lî. 14 



242 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

très, il lui fait comme parler au cœur, déjà préparé, 
par tout ce qui a précédé , à croire ce qui lui est mon- 
tré. Il y joint en même temps la peinture de la peine 
que l'on causera, des sacrifices que l'on devra faire 
soi-même et des secousses que l'on subira. Le cœur 
est peu à peu ébranlé. 

» C'est alors que le démon se met de la partie. Il 
fait jeter sur la vie un regard rétrograde, afin de 
convaincre peu à peu la volonté qu'elle tente une 
chose très-difficile, si elle n'est impossible. Il repré- 
sente le caractère, le besoin qu'a le cœur d'aimer, les 
défauts dont on a été plus ou moins l'esclave ; il rap- 
pelle ce qui nous a été dit là-dessus , en nous inspirant 
une vive crainte des conséquences qui pourraient en 
résulter. Il applique l'esprit aux anciennes répugnances 
que l'on a eues , en le détournant de la considération 
de ce que Dieu a fait pour amener l'âme à se déter- 
miner au choix d'un état de vie. Il la remplit d'ennui, 
de dégoût, de tristesse, et dans ces moments pénibles 
on écrit comme vous savez que mademoiselle N... l'a 
fait au P. Barrelle. Et encore c'est une grâce bien 
grande quand on ouvre les yeux comme vous l'avez 
fait. Dieu l'accorde à qui se découvre en toute sim- 
plicité avec la volonté de se soumettre. » 

Les tentations ne prouvent rien contre l'appel de 
la grâce. C'est toujours le P. Barrelle qui parle. 

«Non certes, mon enfant, ces tentations ne sont 
point un signe de non-vocation à la vie religieuse, 
Notre-Seigneur envoie souvent de ces sortes de tribu- 
lations pour faire acquérir une certaine expérience, 



LES VOCATIONS. 243 

qui nous rend ensuite plus utiles aux âmes dont nous 
devons procurer le salut. Ne vous effrayez donc pas 
de toutes ces sottises, qui vont et viennent par l'es- 
prit malgré la peine que nous en ressentons. Vous ne 
perdez point la grâce à cause de ces tentations et des 
craintes qui vous surviennent, et que vous appelez 
tourments quand le combat a cessé. Vous devez, ma 
fille, dans les craintes ou dans les doutes de cette 
nature, espérer que Notre-Seigneur vous a rendue 
victorieuse , quoique vous ne le voyiez pas clairement 
et que vous ne puissiez vous en rendre compte. 
C'est la réponse à vos deux questions. » 

L'âme est préparée aux obstacles du dehors par 
ces luttes intérieures. 

« Oui, ma chère enfant, je crois toujours, d'après 
l'exposé que vous m'avez fait, à la vérité de votre 
vocation, et je ne suis pas surpris que vous ayez des 
luttes à subir intérieurement avant que les obstacles 
extérieurs se révèlent. Prenez courage. Il n'y a de 
couronne que pour ceux qui combattent selon la loi; 
mais en même temps priez et priez avec ferveur pour 
que Notre-Seigneur achève ce qu'il a commencé. Les 
Hébreux, vous le savez, avant de prendre possession 
de la terre promise , eurent à traverser , et non sans 
peine, l'interminable longueur d'un pénible désert. 
Vous n'y mettrez pas quarante ans, comme eux; 
mais si Notre-Seigneur daigne se proportionner à 
notre faiblesse , il ne nous accorde pas toujours 
promptement et à notre gré la réalisation de nos 
vœux, même les plus ardents. Ne défaillez pas dans 



244 CHxVPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

cette pensée ; mais plus le terme auquel vous aspirez 
est heureux, plus vous devez vous armer de force 
pour n'en être point détournée. » 

L'épreuve a, de plus, l'avantage de faire apprécier 
la grâce. 

« Il est écrit : Un bien que l'on acquiert en peu de 
temps se dissipe aisément. C'est qu'on estime moins 
ce qui coûte peu; on y tient moins, et il est par là 
même plus facile de le perdre. Or, la grâce réelle qui 
vous a été faite dans l'appel de Notre-Seigneur à votre 
âme, pour qu'elle fut l'épouse de son Cœur, est venue 
tout d'un coup et sans être attendue. Aussi, consul- 
tez vos souvenirs : plus d'une fois vous vous êtes vue 
sur le point de la perdre, non qu'elle se retirât, mais 
parce que vous ne l'estimiez pas encore à sa juste 
valeur. Car le bonheur du monde ou de la famille 
vous paraissait préférable, ce qui vraiment, permettez- 
moi de vous le dire, le dépréciait infiniment... et à la 
suite de cela étaient le doute , le regret , et tous ces 
autres sentiments qui faisaient de votre âme un vrai 
champ de bataille. 

» Sans les renforts que Notre-Seigneur vous a 
donnés alors, où en seriez-vous aujourd'hui? Vous 
auriez été une preuve de plus de la vérité de la 
maxime susdite qui est du Saint-Esprit. Il faut donc 
que vous passiez par l'épreuve, que l'épreuve vous 
fasse apprécier davantage cette grâce , que les efforts 
que vous aurez faits pour l'acquisition de cette pierre 
précieuse avec laquelle on achète le royaume des 
cieux vous la rendent plus chère; ensuite vous la 



LES VOCATIONS. 245 

conserverez avec soin et vous ne vous en laisserez 
pas dépouiller si facilement. Voilà l'explication du 
mvstère. 

» Mais , m'ajoutez-vous , Notre-Seigneur connaît 
mon cœur. — Plus que vous ne pouvez le croire. 
C'est pour cela même qu'il vous laisse encore un 
peu de temps, tout jeune et tout faible arbuste, dar.s 
la pépinière où vous êtes sortie de terre et avez pi is 
vos premiers accroissements. Vous devrez, au milieu 
des saisons diverses qui se succéderont, y continuer 
votre travail intérieur pour grandir et vous fortifier 
encore. Puis viendra le jour de la transplantation. 

» Non, rien de funeste ne vous arrivera si vous ne 
vous abandonnez pas vous-même, si vous ne vous 
détachez pas de votre divin cep, Jésus, si vous tenez 
bon envers et contre les vents et les orages, si vous 
vous remplissez de vérité pour l'opposer à l'illusion 
et aux vanités, si vous mettez bonne garde à la porle 
de votre cœur, afin de n'y laisser rien entrer d'hostile 
à l'amour souverain que vous devez à votre Père et 
à votre Dieu. 

» Vous êtes faible, ajoutez- vous. — Tenez-vous 
appuyée sur le Dieu fort et puissant, et rien ne vous 
renversera, rien ne pourra même vous ébranler. — 
J'aime la liberté, dites-vous encore. — Vous ne sei ez 
donc pas si facile à vous* laisser donner des chaînes 
parle monde, par les créatures, par vous-même, par 
cette même liberté enfin qui alors ne ferait plus de 
vous qu'une esclave. Vous aimez la liberté, conservez 
donc celle de vouloir et d'accomplir, dès que vous le 

14. 



246 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

pourrez, ce que Dieu demande si positivement de vous. 

» Mais ces objets qui sont toujours en face de mon 
cœur! — Dieu y est avec eux. A qui est due la pré- 
férence? » 

Nous plaçons ici la réponse par laquelle le P. Bar- 
relle combat auprès d'un cœur travaillé de la grâce 
les sopliismes d'une sagesse tout buniaine. 

« Oh! que votre lettre m'a causé à la fois de peine 
et de plaisir! De peine, pour la malheureuse guerre 
que l'on vous fait en vous présentant des sophismes 
pour des vérités, et de plaisir, en considérant la fer- 
meté d'âme et l'assurance que vous montrez malgré 
vos luttes intérieures. 

« Un mot maintenant sur les armes dont on se sert 
contre vous. 

» 1° Vos parents ne sont point juges compétents en 
fait de vocation religieuse, mais les seuls ministres de 
Dieu. Ils apprennent de vous la décision donnée par 
qui en a le droit. A eux sans doute de vous éprouver 
raisonnablement. Si vous résistez à leurs épreuves et 
que rien ne change en votre volonté la détermination 
prise, la conscience et l'Eglise leur font un devoir de 
vous donner leur consentement et votre liberté. 

» 2° Votre caractère n'est et ne saurait être une 
raison de non-vocation. Plus d'une fois Dieu appelle 
des loups pour en faire des agneaux. Il suffit qu'il ait 
appelé pour en conclure qu'il veut modifier et changer 
même les caractères , s'il en est besoin , et pour qu'il 
le fasse par sa grâce. Le vôtre a besoin plutôt d'être 
modifié que changé. Il devra être tourné vers la vertu 



LES VOCATIOÏSS. 247 

seule, vers la gloire de Notre-Seigneur et le salut des 
âmes; et dès lors il sera excellent et excellemment 
propre à votre vocation. 

» 3° Votre amour-propre n'est pas plus à opposer à 
cette vocation que tout autre défaut de nature. Eh! 
où en serions-nous s'il fallait d'abord être parfait 
avant d'entrer sur un chemin ouvert et tracé par Notre- 
Seigneur pour s'acheminer par degrés à la perfection, 
en combattant d'abord ces mêmes défauts et en s'ap- 
pliquant ensuite à l'acquisition des vertus? 

» 4° Non, vous n'avez pas une fausse idée de la grâce, 
car elle n'est telle que parce que « Notre-Seigneur la 
w donne gratuitement; autrement, dit saint Paul, si 
» elle était l'effet de nos mérites précédents , elle ne 
» serait plus grâce y rnais une dette de justice. " Vous 
l'aurez donc, parce que Dieu vous appelant, se doit 
à lui-même de vous la donner pour vous rendre apte 
à votre vocation; et il vous la donnera abondante, 
pleine , et telle que l'indique le centuple ou cent pour 
un promis à qui laisse tout pour le suivre. 

» 5° Quiconque entre dans la vie religieuse avec le 
désir vrai de se réformer n'y trouve point un enfer, 
mais un paradis; ne s'expose point à la damnation, 
mais prend le moyen le plus efficace d'assurer sa pré- 
destination. La règle ne lui est pas un joug intolé- 
rable, mais bien un joug doux et léger qui lui rend sa 
course plus facile sur le chemin de toutes les vertus. 

» 6° L'assertion que la vocation religieuse a des 
signes sensibles et certains aux yeux de tous est dé- 
mentie par l'expérience depuis le temps des apôtres. 



248 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

Elle a ses signes seulement pour la personne appele'e 
et pour ceux qui doivent l'éclairer. Il les faut pour 
tous ceux-ci sans exception; mais les autres n'ont 
jamais été et ne seront jamais nécessaires. 

» 7° Les parents, généralement parlant, n'ont 
guère grâce d'état, permettez que j'use de ces mots, 
quoique fort improprement, que pour mettre de Vop- 
position, par forme de raisonnable épreuve, à la voca- 
tion de leurs enfants. Hélas ! il y en a tant aujourd'hui 
qui dissipent en eux la grâce de la vocation! Aussi, 
en exposant leurs enfants à se perdre pour l'éternité, 
ils se préparent pour eux-mêmes la condamnation la 
plus terrible'. 

» G est assez, ma fille. Tenez bon : vous vaincrez. 
Priez et priez avec instance. Appliquez-vous à la pra- 
tique de l'humilité, de la douceur, de la patience et 
de la charité. Soyez pleine de confiance en Notre- 
Seigneur, Sollicitez par votre bon ange les anges gar- 
diens de vos excellents parents de vous venir en aide 
auprès d'eux. 

» Adieu. Je vous bénis de tout cœur. 

M Joseph S. J. » 

1 A ce propos un trait nous revient en mémoire. Une jeune per- 
sonne se disposait à entrer au couvent. Sa mère écrivit au P.Bar- 
relle pour savoir s'il n'était pas de son devoir de produire sa fille 
dans le monde. Il faut bien, disait-elle, éprouver sa vocation, et ne 
point laisser place à de tardifs regrets. — Madame, répondit le pieux 
Jésuite, si vous aviez une parure de prix, l'approcheriez-vous de la 
flamme pour savoir si elle brûlerait? Je ne le pense pas. Sachez 
donc que le cœur de votre enfant est plus inflammable aux ardeurs 
mondaines que vos délicates parures à l'action du feu naturel. 
Voyez, entre les deux, à quoi vous tenez davantage. 



LES VOCATIONS. 249 

Le P. Barrelle explique à une autre âme que le 
malheur ne saurait habiter les maisons religieuses. 

« On n'est malheureuse, mon enfant, en pareil étal, 
que quand on se crée des épines à soi-même pour 
s'en blesser volontairement et gratuitement; car avec 
Jésus, comment voulez-vous que le malheur habite 
dans un cœur qui l'a librement choisi pour époux? 
Impossible, à jamais impossible!... ou il faut dire que 
l'on sera malheureux au ciel, puisqu'on n'y trouvera 
que Jésus et ce qui est de Jésus, et rien du tout de 
tout ce fatras de douceurs prétendues et de plaisirs 
grossiers que présente le monde. 

» Vous comprenez le ridicule de ce grand malheur 
dont on assure que les religieuses sont les victimes. 
Ne craignez point ces menteries, mon enfant, et allez 
votre chemin, pleine de confiance en Dieu et d'énergie 
contre ceux qui en contrarient pour un temps la vo- 
lonté ; point de timidité en pensant que vous serez 
peut-être infidèle. Tous ces peut-être, jetez-les dehors, 
et dites : Vous êtes ma force, Jésus vérité et puis- 
sance ; je ne crains rien , vous serez avec moi. » 

Enfin, l'âme est-elle au port ! Ecoutons le conseil 
du prudent directeur : 

« Je ne puis m'empécher de vous témoigner la satis- 
faction que j'éprouve en vous voyant enfin arrivée au 
port. Que Notre-Seigneur en soit mille fois béni ! 

» Mais, comme vous me le dites fort bien, ce n'est 
là que le commencement, et il faut que le progrès 
s'ensuive. Mon enfant, cela est vrai. Retenez et médi- 
tez pourtant avec consolation cette parole de l'Apôtre : 



250 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

« Celui qui nous a donné de vouloir, nous donnera 
» aussi de faire et de mener à terme ce qu'il nous a 
n fait la grâce de commencer. » 

» De notre part il ne réclame qu'une chose, la fidé- 
lité, et celle-ci renferme deux points : premièrement, 
une volonté qui persiste dans son choix et dans sa dé- 
termination, quelles que soient les luttes à soutenir : 
secondement, l'accomplissement de la volonté divine 
dans la nouvelle position qui nous est faite, et dont 
les règles sont l'expression, ainsi que la direction don- 
née par la sainte obéissance. Or, la chose n'est-elle 
pas faite? Courage donc, ma fille; confiez-vous en 
Notre-Seigneur, prenez patience avec vous-même, 
livrez-vous de cœur à vos exercices de piété, obéissez 
avec simplicité, ouvrez-vous sans nulle crainte, et 
tout ira bien pour vous. » 

Il faut citer encore les félicitations de ce vrai père 
des âmes, lorsqu'une des épouses de Jésus-Christ, 
qu'il a fidèlement accompagnée dans les luttes préli- 
minaires de la vie parfaite, revêt enfin pour la pre- 
mière fois le vêtement religieux. 

« Je regrette, ma chère enfant, de ne vous avoir 
point tracé ces lignes avant votre prise d'habit, dont 
je viens vous féliciter aujourd'hui comme de votre 
prise de possession du vrai paradis terrestre. C'est là 
le mot. La vie religieuse est en effet cela, et pas autre 
chose que cela. Laissons penser le monde comme son 
esprit l'inspire. Cet esprit n'est pas, certes, l'esprit de 
Jésus-Christ. Pournous, la religion est le jardin planté 
de Dieu, où tous les fruits de la grâce nous sont pré- 



LES VOCATIONS. 251 

sentes pour que nous en fassions notre aliment. Bien- 
heureux qui en éprouve la faim ! il en sera rassasié. 
Ne pensons point à autre chose. 

» Vous l'avez tant désiré ce paradis dont je ne sais 
quel chérubin vous défendit si longtemps Feutrée! Le 
glaive est enfin tombé de ses mains. Vous êtes dans 
cette précieuse enceinte. Le Cœur de Jésus est devant 
vous. Regardez maintenant, écoutez et prenez. C'est 
là le modèle qu'il vous faut copier, la douce voix à la- 
quelle il vous faut constamment prêter l'oreille, l'ali- 
ment délicieux dont vous ne devez jamais être rassa- 
siée, quoique vous le deviez prendre toujours. Vous 
êtes ardente, ma fille, appliquez-vous avec ardeur à 
la poursuite de ce cher objet. Vous êtes aimante, re- 
tirez votre cœur de l'amour des créatures et de vous- 
même, pour le livrer en pleine pâture à l'amour de ce 
Cœur d'ami, de ce futur Epoux. Vous avez été lente 
précédemment; aujourd'hui hâtez-vous. Vous avez 
varié par moments, plongez maintenant vos racines 
si avant dans le Cœur de Jésus que vous en deveniez 
à jamais inébranlable, fallût-il rentrer dans l'arène et 
lutter de nouveau contre vos anciens ennemis. Voilà, 
ma chère fille, ce que je me sens porté à vous dire : 
Faites-le, et vous vivrez. 

» Je vous recommande une grande simplicité , une 
étude particulière de Fenfance de Notre-Seigneur, et 
une obéissance toute de foi qui procède en tout d'une 
manière amoureuse. C'est Jésus et Jésus seul qui doit 
en être le modèle et le but. 

y. Je vous bénis de tout mon cœur. 

» Joseph S. J. » 



252 CHAPITRE TRENTE ET UNIÈME. 

Nous nous arrêtons. On a entendu l'infatigable 
auxiliaire de la grâce ; on l'a vu laisser au Saint-Esprit 
Finidative, à l'âme la délibération, et, gardant pour 
soi le rôle de la lumière, dissiper sur la route des 
parfaits les nuages accumulés tantôt par les artifices 
du monde, tantôt par l'esprit de ténèbres ; à côté du 
respect le plus délicat pour la volonté humaine, un 
discernement attentif à démêler l'impulsion divine ou 
le choix de la liberté; puis, lorsque la lumière est 
faite, un dévouement non moins imperturbable à ras- 
surer les timidités qu'à aiguillonner les défaillances. 
Un directeur ordinaire aurait hésité quelquefois là où 
le P. Barrelle affirmait avec assurance; mais les 
hommes de Dieu parlent avec une vigueur peu com- 
nuHie, parce qu'une lumière supérieure affermit le 
zèle dans le cœur et leur conseil dans leurs décisions. 



— ••«««gOOGOOOe»***'^ — 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 233 

CHAPITRE XXXII. 

DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 



Nouveau rectorat au collège Saint-Joseph. — Le dévot oratoire du 
Sacré-Cœur de Jésus. — Pieuses pratiques. — Progrès du saint 
amour. ^- Compassion pour les indigents. — Nihil snrn! — Les 
frères minimes et les frères maximes. — Vivre et souffrir en pau- 
vre. — Persécution du démon. — Le P. Rarrelle et les âmes du 
purgatoire. — Esprit prophétique. — Dernier séjour à Lyon. 



Le p. Bairelle allait ainsi, fidèle dépositaire de la 
grâce, faisant lever sous ses pas la sainte moisson des 
vertus parfaites, quand le Seigneur interrompit ce 
travail si cher à son cœur. De nouveau , au mois de 
mai 1856, il le transplanta dans ce collège d'Avignon 
dont, sept années auparavant, nous l'avons vu protéger 
le berceau. La préparation immédiate à sa profession 
solennelle enlevait momentanément le supérieur du 
collège Saint-Joseph à des enfants qui l'aimaient. 
Pour un temps, il les remettait aux mains qui les lui 
avaient confiées; car le supérieur était encore le 
même Père qui, en 1851, avait succédé au P. Barrelle. 

Tout désignait celui-ci au choix du Père Provin- 
cial; et ses relations anciennes avec le collège, et son 
expérience de l'éducation, et sa présence dans la ville, 
enfin le caractère transitoire de la mesure : on évitait 
TOM. u. 15 



254 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 

ainsi les secousses qu'amènent naturellement des 
mutations si graves au milieu de l'année scolaire. 

Nous suivrons le bon religieux dans sa nouvelle 
demeure. Mais ce ne sera pas pour le voir encore 
une fois à l'œuvre au milieu de l'enfance, pour mon- 
trer sôus un jour nouveau l'instituteur renommé de 
Billom et de Fribourg. Le lecteur l'a vu agir pendant 
plus de vingt années au service de la jeunesse. Nous 
ne voulons point refaire dans la nouvelle histoire de 
son dévouement présent le fidèle tableau de son 
mérite passé. Au surplus, le P. Barrelle avance dans 
sa soixante-deuxième année. Or, l'élan des grandes 
choses appartient à la vigueur de l'âge ; et l'expé- 
rience consommée , qui marche sur ses pas , ne livre 
plus carrière à d'aussi efficaces entraînements. Non, 
on ne renoue pas avec des mains appesanties par 
l'âge l'œuvre longtemps interrompue d'une jeunesse 
glorieuse. 

Le P. Barrelle apportait au collège Saint-Joseph la 
plénitude de l'expérience et de la vertu. On se sentait 
abrité derrière cette double majesté. Pour lui, comme 
si le zèle avait une jeunesse immortelle , il se livra 
tout entier aux sollicitudes de sa nouvelle position. 
Entouré du nombreux cortège des auteurs classiques, 
il semblait évoquer du passé ses années lointaines et 
rallumer l'ardeur littéraire qui si longtemps avait 
rempli sa vie. S'il ne pouvait comme autrefois se 
multiplier à tous les besoins et partout animer de sa 
présence le bon ordre général, du fond de sa cellule 
il gouvernait toute chose, entrait dans tous les détails, 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 255 

étudiait Je progrès de tous dans les notes de conduite 
ou dans le résultat des compositions hebdomadaires, 
en un mot, suivait pas à pas chacun de ses enfants. 
Puis , dans les grandes occasions on le voyait appa- 
raître, et sa présence vénérable ou sa parole toujours 
vive, toujours imposante, qui semblait toujours des- 
cendre des régions du monde supérieur, produisait 
encore de magiques effets. 

Pour une seule chose il n'avait point diminué son 
activité des temps anciens : nous voulons dire pour ce 
qui touchait directement au développement de la foi 
et de la piété. Il ne manquait point, lorsque ses forces 
ne le trahissaient pas, d'aller présider dans quelqu'une 
des classes le cours d'instruction religieuse. Il voulait 
aussi de sa présence et de son exemple, le plus sou- 
vent qu'il pouvait, inspirer ce grand recueillement 
que demande le lieu saint. Son principe était que si 
les obligations envers Dieu sont exactement remplies, 
tous les autres devoirs s'accomplissent, pour ainsi 
dire, d'eux-mêmes. 

C'est tout ce que nous voulons dire de ce gouver- 
nement dont la fermeté et la vigilance surnaturelles 
ont préparé d'heureux jours au collège Saint-Joseph. 
Car la durée en fut plus longue qu'on ne l'avait prévu 
d'abord; par l'effet des circonstances, cette supério- 
rité , qui devait être de peu de mois seulement , se 
prolongea trois ans et demi. 

Pour un homme tel que le P. Barrelle, on com- 
prendra que nous regardions plus que jamais ce côté 
extérieur de son existence comme les dehors de la 



256 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

vie. Ce qui devrait être véritable pour tous, est 
éminemment vrai pour les saints, que leur vie est au 
dedans, et ce for intime de leur être a, par-dessus le 
spectacle des succès humains, de mystérieuses séduc- 
tions. 

Ici s'arrête ce qu'on peut appeler la vie extérieure 
du P. Barrelle. L'iiomme d'action a, pour ainsi dire, 
achevé sa course; mais devant nous demeure encore 
l'homme du monde intérieur, celui-là même qui, par 
son intimité avec Dieu, vivifia durant cette noble 
carrière les utiles influences du zèle, et qui ne perdra 
pas, même quand sera venue la mort, l'immortelle 
influence de la vertu. 

La vertu du P. Barrelle; jusqu'ici avons-nous 
donc parlé d'autre chose? Cependant quelques traits 
restent encore, qui doivent en compléter le tableau. 

Le saint religieux a marqué son passage dans la vie 
par deux vertus caractéristiques, l'amour de Dieu et 
le mépris de soi. Il a vécu d'humilité et de charité. 
Ce sont ces deux mêmes vertus qui ont marqué sa 
trace au collège Saint-Joseph. 

On voit encore au haut du petit pavillon délabré 
qui est en face de l'entrée, au collège Saint-Joseph, 
une chambre transformée en chapelle. Quand le bon 
Père reprit le gouvernement du collège, cet oratoire 
n'était qu'un supplément de la chapelle principale, 
insuffisante pour les messes nombreuses qui se disaient 
chaque jour. Après l'avoir orné de cette façon pieuse 
et naïve que nous rappelle la crypte de la rue Saint- 
Marc, il y fit mettre à demeure le saint Sacrement. 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 257 

En peu de jours fut transformé le petit sanctuaire. 
Quelques offrandes suggérées par Notre-Seigneur à 
des âmes pieuses firent tous les frais de l'ornementa- 
tion. Sur un fond décoré avec plus de libéralité que 
d'élégance, des statuettes dévotes avec leurs fleurs et 
leurs girandoles, des sentences de l'Ecriture faisant 
entendre les plaintes du Sauveur délaissé, dont l'image 
se voyait au centre, dominant l'autel; en avant, près 
de la table de communion, de petites colonnes sup- 
portant des veilleuses toujours allumées, tout cela 
dans le demi-jour silencieux d'épais rideaux rouges, 
derrière lesquels se dissimulaient des fenêtres irrégu- 
lières, formait un ensemble recueilli, que le goût 
n'avait pas le loisir de désapprouver tant la dévotion 
était satisfaite. 

Le vertueux Recteur cédait sans doute au désir 
d'honorer d'un culte particulier le Cœur de Jésus, au 
besoin d'attirer sur sa nouvelle famille les bienveil- 
lances divines. Il ne cédait pas moins aux impérieux 
instincts du saint amour. Vivre cœur à cœur avec 
Jésus-Christ, tout près de lui, à quelques pas de son 
amoureuse présence, et comme dans une même en- 
ceinte avec lui! couler ainsi familièrement sa vie avec 
le divin Ami des cœurs, dans une douce et constante 
cohabitation ! il tromperait ainsi son triste et lan- 
guissant exil. 

Sa chambre fut donc établie au second étage, au 
niveau du petit oratoire, dont elle n'était séparée que 
par un étroit espace d'un mètre environ de largeur. 
Une petite lucarne vitrée fut pratiquée dans la cloison 



258 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME, 

de la chapelle. Tantôt à genoux dans l'étroit réduit, 
tantôt de sa table, il contemplait le saint tabernacle 
et ne perdait pas un instant la douceur de ce face à 
face avec Jésus-Christ. D'ordinaire, même à sa table, 
il se tenait à geiioux; mais venait-on à frapper à sa 
porte, il s'asseyait tout aussitôt, pour ne point trahir 
ses pratiques saintes aux regards des visiteurs. 

Il était le premier sacristain de sa chapelle du 
Sacré-Cœur; il aimait à disposer de ses mains les 
objets à son usage, et quand il arrangeait l'autel, il 
avait vis-à-vis du tabernacle de ces regards parlants 
et radieux que la foi toute seule semble ne pouvoir 
donner. 

Le jour, par discrétion pour la piété de ses frères, 
il s'imposait d'adorer à distance son cher Maître. 
Ses soupirs seuls, ses gémissements, transpiraient 
jusqu'à l'autel et trahissaient la blessure de son 
cœur. Mais la nuit il pouvait écouter ses secrets 
empressements; il s'approchait du tabernacle et 
parlait de plus près à Tadorable Captif qu'y retient 
l'amour. 

« Une nuit, dit un de nos missionnaires de Syrie, 
je crus entendre la cloche du réveil. Je me levai 
et j'allai faire une visite au saint Sacrement. Je 
ne manquai pas de trouver le P. Barrelle en adora- 
tion. » 

A certains jours, pendant la messe, il faisait allu- 
mer trois cierges devant le tableau du Sacré-Cœur, 
Tun pour la sainte Eglise, l'autre au nom de la Com- 
pagnie, et le troisième pour la maison. Tous les ven- 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. .259 

dredis, accompagné d'un Scolastique et d'un Frère 
coadjuteur qui nous ont raconté cette pieuse prati- 
que, il allait faire dans le petit oratoire une amende 
honorable au Sacré-Cœur, et répandait l'encens 
devant lui , en réparation des outrages et des ingra- 
titudes de tant de chrétiens égarés. Une nuit de 
vendredi, un de nos Pères le surprit devant le saint 
Sacrement offrant au divin Sauveur un culte d'ex- 
piation. Des cierges brûlaient sur l'autel; auprès du 
Père était un petit réchaud allumé, une cassolette de 
parfum exhalait son encens, tandis que l'homme de 
Dieu épanchait son cœur en pieux colloques. 

A bon droit il préférait pour ses communications 
avec Jésus-Christ l'ombre et le secret; cependant, 
par un sentiment de zèle et d'édification, chaque soir 
invariablement, un quart d'heure avant le souper de 
la communauté, il laissait là son cher petit oratoire 
et il allait faire son adoration dans la chapelle du 
collège. 

C'était la pratique quotidienne du P. Barrelle de 
réciter le rosaire en entier. Environ quinze ans avant 
sa mort, il faisait précéder chaque Patei^ de ces 
paroles du saint précurseur : «Il faut que Jésus croisse 
et que je diminue. » 

Chaque matm, après son oraison, sa messe et les 
petites heures, il commençait sa journée par la réci- 
tation du chapelet à l'intention de sa communauté. Il 
récitait en outre, tous les jours, depuis une trentaine 
d'années, le chapelet de Notre-Dame des Sept dou- 
leurs, celui des Cinq plaies ou de la Passion, le cha- 



260 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

pelet des saints Anges, la couronne de saint Joseph 
et la couronne de l'Enfant Jésus. 

Dès le temps qu'il était à Fribourg, le P. Barrelle 
avait fait sept neuvaines consécutives pour obtenir, 
par l'intercession de saint Joseph, d'être rempli de 
l'esprit d'oraison. Nul doute que le saint palriarcbe 
ne lui ait obtenu celte grâce. Si dés lors il avait tou- 
jours affirmé que la prière était sa principale mission, 
si sa pensée et ses désirs avaient toujours vécu en 
Dieu, maintenant que l'affaiblissement de ses forces 
et la soustraction presque absolue des ministères ex- 
térieurs lui faisaient des loisirs forcés, il entrait plus 
que jamais en familiarité avec le monde spirituel, et, 
dans la stricte vérité, sans effort, par la pente et 
l'habitude du cœur, il pratiquait la leçon de saint 
Paul, il priait sans interruption. 

Entrait-on dans sa chambre, il commençait par un 
sourire affable, écoutait ensuite attentivement ce dont 
il s'agissait, et répondait en peu de mots. Nous com- 
prenons qu'on pût regretter cette brièveté, qu'on 
désirât quelquefois plus d'expansion; nous serons 
même des premiers à admirer l'empressement d'une 
charité qui se livre et qui fait profiter l'amitié fra- 
ternelle de quelques loisirs dérobés à la dévotion. 
Mais en admirant dans quelques-uns cette surabon- 
dance de charité, en retour, qui n'admirerait aussi 
en d'autres élus la surabondance du saint amour, 
qui, par la plénitude du sentiment intérieur, les 
enlève habituellement à eux-mêmes et aux choses de 
la terre? 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 261 

Tel était le P. Bai relie : inviolablement fidèle aux 
inspirations de la charité, bon dans ses procédés, 
ayant pour tous un re(i,ard bienveillant, n'ayant jamais 
laissé surprendre sur ses lèvres ni le blâme d'un ab- 
sent ni la moindre parole capable de contrister un 
cœur; mais si puissamment attiré vers le Ciel que 
tout ce qui le ramenait à ce monde semblait violenter 
sa nature. 

En lui, l'amour de Dieu croissait avec l'âge. Ren- 
contrant un jour une personne de sa confiance, il 
laissa échapper cette exclamation qui révélait son 
âme : — « Il semble qu'en devenant vieux le cœur se 
refroidisse. Pour moi, à mesure que je vieillis, mon 
cœur s'enflamme de plus en plus. Plus je suis vieux, 
plus je suis fou d'amour de Dieu. Oui, je suis fou, je 
suis fou de Jésus-Christ ! » 

Partout où il rencontrait en un degré excellent ce 
divin amour, son cœur s'éprenait pour de telles âmes 
d'une sympathie surnaturelle qui ne se cachait pas. 
Par contre-coup, les blasphèmes le faisaient pâlir, lui 
arrachaient des larmes et des plaintes. C'est ainsi 
qu'il écrit et son action de grâces et sa douleur à une 
communauté fervente : 

« Merci, merci! c'est mon cœur qui vous le dit, et 
qui est mille fois plus sensible qu'il ne paraît l'être. 
Croyez-le bien toutes, mères, filles et enfants, et 
pardonnez-le-moi en considération du motif qui lie 
mon cœur à toutes ces chères âmes. C'est pour les 
dons du Seigneur que je vois là, c'est pour l'amour 
que mon unique Maître vous porte, et auquel le 

15. 



262 CHAPITRE TRENTE DEUXIÈME. 

vôtre, à toutes, me semble correspondre selon la 
mesure de sa lumière et de ses forces ; c'est pour la 
foi et la simplicité de ces chères enfants que mon 
cœur aime tant votre paisible et riante demeure. 
Ah ! que JésuS-Ghrist , mon Dieu , y soit de plus en 
plus connu, de plus en plus aimé, de plus en plus 
servi et retracé en ses admirables mais très-imitables 
vertus ! 

» En vous disant ceci, mon cœur est triste à cause 
d'une lettre horriblement impie que je viens dé trouver 
dans V Univers, et qui nie la divinité de notre aimable 
Maître. Dieu ! où en sommes-nous donc, et qu'avons- 
nous à vivre encore au milieu de si révoltantes hor- 
reurs? J'éprouve je ne sais quel déchirement qui me 
remue l'âme jusqu'au fond. Pauvre Mère, tâchons de 
réparer la brèche qu'on fait à la gloire de notre Dieu 
Jésus. » 

Pour Jésus, il aimait les pauvres qui sont ses pro- 
tégés et qui le cachent sous leur indigence ; durant 
tout le temps qu'il fut supérieur, il préleva pour eux 
la dîme sur les aumônes envoyées par la Providence 
pour l'entretien de la communauté. A Glermont, 
comme s'il eût voulu en ses derniers jours capter 
l'amour du souverain Juge, il y allait plus largement 
encore. Un de ceux qui eurent le soin de la procure 
dans les premiers temps de la fondation raconte qu'au 
début la communauté sentait souvent la gène. Or, si 
quelque indigent venait réclamer sa pitié, le bon 
Recteur n'agissait pas moins libéralement pour cela, 
sans s'inquiéter du lendemain. Mais, chose remar- 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 263 

quable, le jour suivant une aumône arrivait trois fois 
plus forte que celle qu'on avait versée dans la main 
du pauvre. Le procureur de la maison finit par écar- 
ter toute sollicitude, convaincu par l'expérience que 
donner était le vrai moyen de recevoir. Au fait, l'ar- 
gent ne manqua point au noviciat naissant et dé- 
pourvu; le P. Barrelle disait qu'il lui était envoyé par 
les âmes du purgatoire. 

Ainsi, sa foi profitait aux intérêts de sa charité. Il 
ne sayait pas compter avec les membres souffrants de 
Jésus-Gbrist. Un soir, il apprend qu'un pauvre se 
présentant à la porte a reçu seulement le morceau de 
pain qu'il demandait. — « Ah ! dit-il, que ne m'a-t-on 
averti! Pour en venir à demander du pain, il fallait 
que cet homme fût à l'extrémité de la misère. Peut- 
être n'a-t-il pas où loger!» Et en disant cela, il 
versait des larmes. 

Ce grand amour pour le Sauveur lui inspirait une 
particulière affection pour les Juifs et d'ardentes 
prières pour leur conversion ; c'est qu'il voyait en eux 
les compatriotes de son bien-aimé Jésus. Nous trou- 
vons dans une lettre cette exclamation de tendresse : 
« Et mon peuple ! Et mes enfants de Juda ! Que j'aime 
la lecture des prophètes, de Jérémie surtout! C'est 
là qu'on voit tout l'amour du Verbe pour ces infor- 
tunés. Ah! qu'ils reviennent ces temps anciens, et 
que Dieu se ressouvienne de ses miséricordes passées 
et du cri de son Fils mourant sur la croix ! » 

Il ne concevait pas que tous les cœurs n'eussent pas 
pour son divin Maître les mêmes ardeurs. « L'amour, 



264 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 

disait-il, est une monnaie facile à trouver, puisque 
nous en avons plein notre cœur, et qu'à mesure qu'on 
semble l'épuiser en le prodiguant, il s'en remplit avec 
plus d'abondance. » 

Il allait donc semant cet amour de côté et d'autre; 
il en jetait les étincelles à toute occasion par de petits 
mots dardés çà et là sur les âmes avec grâce et sim- 
plicité. Il ne voulait pas que le cœur fût avare de 
bonnes paroles, quand elles devaient être comme le 
grain qui tombe sur un amas de fumier. Même là , ne 
peuvent-elles pas germer tôt ou tard? Et en effet, 
plusieurs de ces petits mots, adressés quelquefois à 
des bommes éloignés de Dieu par les passions, sont 
restés attachés comme un trait au fond de leur âmq, 
tantôt les retenant quand ils allaient faire le mal, 
et tantôt devenant le motif efficace de leur conversion. 

On peut dire que son ombre seule jetait des germes 
de grâce. 

Un jour, le bon Père marchait dans une des rues 
d'Avignon, à son ordinaire, d'un pas grave et disant 
son chapelet. Quand il eut passé devant eux, un 
groupe de forp^erons le regardèrent d'un air pensif, et 
l'un d'eux dit à ses camarades : — « Tu vois ce grand 
Père, ah! pour celui-là, je vous dis que c'est un saint 
réel; oui, oui, c'en est un, il n'y a qu'à le voir. Je 
n'aime pas les prêtres, mais pour celui-ci, je ne sais 
pourquoi toutes les fois qu'il passe ici devant je me 
sens ému, et pour peu de chose je l'embrasserais. Je 
ne vous le cache pas, poursuivit-il, si je viens à être 
malade, moi qui ne me suis jamais confessé, je ne 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 265 

veux pas aller dans l'autre monde sans que ce saint-là 
ait signé mon passe-port. » 

Quiconque a vu rayonner Dieu sur un visage humain 
comprendra la puissante fascination qu'exerce la sain- 
teté sur des cœurs terrestres, quand tout à coup elle 
apporte son contraste et sa sérénité au milieu de leur 
désordre et de leur malaise. Or, le P. Barrelle, cet 
homme si modeste qu'il disait n'avoir jamais su ce que 
c'est que laideur et beauté, cet homme au cœur sim- 
ple qui aspirait tout haut à la candeur primitive du 
paradis terrestre, cet homme si recueilli qu'il parais- 
sait en tout lieu comme devant le saint Sacrement, 
portait sur son visage ce mélange qui n'est pas de 
l'homme, doux composé d'amour céleste et de sainte 
humilité. 

On aurait pu lire , ce semble , transparente sur son 
front, cette parole qu'il se répétait souvent à haute 
voix en se promenant dans sa cellule : Nihil sutnî 
nihil sum! Je ne suis rien ! 

C'était chez lui comme le cri naturel du cœur, et il 
s'efforçait de se faire juger comme il se jugeait lui- 
même. 

« Quoi! répondait-il à quelqu'un qui témoignait de 
l'estime pour ses services, quoi ! on peut encore avoir 
souvenance d'un être qui ne s'est fait remarquer sur 
son passage que par son impuissance à opérer le moin- 
dre bien solide! S'il a beaucoup parlé, qu'a-t-il fait? 
S'il a fait quelque chose, combien cela a-t-il duré? 
Et pour que le bien eût lieu, n'a-t-il pas fallu qu'il 
s'éloignât et que d'autres vinssent jeter dans un sol 



266 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

si fécond une semence plus heureuse et plus pro- 
ductive? » 

Si on lui propose de donner du repos à sa santé 
ruinée, dans un air plus favorable que l'ardente 
atmosphère qu'il respire, voici sa réponse : 

« Pensez-vous donc que je sois homme d'assez 
grande importance pour aller, en courant le monde, 
chercher une santé qui me fuit par les ordres exprès 
de la sagesse admirable de notre bon Dieu?... Oh! 
non, là où il me frappe, là je reste et j'attends, me 
livrant du mieux que je sais et que je peux à sa volonté 
tout aimable. L'action pour lui est bonne, et l'inac- 
tion meilleure encore, quand il lai plaît, pour sa 
gloire et pour notre bien, de la substituer à Faction. 
Tels sont les sentiments dans lesquels sa grâce tra- 
vaille à me faire entrer. Désirez et demandez moins 
pour moi le bien-être corporel que celui de ma pauvre 
âme. Ce corps, vous savez ce qui Fattend : oh! qu'il 
est méprisable! Mais l'âme! ah! tout Famour que son 
Dieu lui porte toujours, doit nous la rendre bien au- 
trement chère et précieuse. Veuillez donc vous en 
souvenir un peu dans vos rapports avec ce divin Roi. ') 

Et quelques jours après : 

« On est bien bon de penser à ma chétive santé 
Elle me vaut : c'est tout dire. Aussi F ayant mise avec 
tous ses minces revenus entre les mains de notre divin 
banquier, je lui en laisse la sollicitude, me contentant 
de faire ou de dire ce que je peux et me retirant en- 
suite des créatures, pour apprendre devant Notre-Sei- 
gneur à me retirer enfin de moi-même et à mourir 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 267 

peu à peu successivement à tout ce que je pouvais 
aimer, vouloir et désirer, même selon Dieu. » 

Est-il quelque chose de plus gracieux que ce char- 
mant souhait de voir arriver le règne de l'humilité? 

« Puissions-nous être en vérité de l'Ordre établi 
par l'humble saint François de Paule , qui , se répu- 
tant et se traitant comme le dernier de tous, voulut 
que tous les siens se remplissent de cet esprit et leur 
donna pour dénomination celle de Frères Minimes!... 
Oh! qu'il y en a peu de cet ordre-là aujourd'hui! On 
ne rencontrera bientôt plus que l'opposé, c'est-à-dire 
des Frères Maximes, qui, au lieu de viser au plus 
bas, au plus petit et au rien, élèveront haut leurs 
yeux , leurs pensées et leurs sentiments , et se persua- 
dant, comme le dit l'Apôtre, qu'ils sont quelque 
chose, arriveront en fin de compte à n'être absolument 
rien devant Dieu. 

» Travaillons donc , et travaillons fortement à être 
du petit nombre de ces Minimes. Nous le devons 
d'autant plus que, placés à la queue et au bout de 
toute la création et confinant par la réalité de notre 
position, sans aucun intermédiaire entre nous et lui, 
avec Celui qui, étant le premier, s'est fait tout le der- 
nier, c'est-à-dire le plus minime des Minimes, il nous 
faut nécessairement et par la force des choses , pour 
notre parfaite union avec lui, entrer à plein dans la 
plus grande petitesse possible, et le disputer à qui- 
conque voudrait occuper Tavant-dernière place , celle 
qui est la plus voisine du dernier de tous , Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ, comme nous appartenant en pro- 



268 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

pre, à cause du choix que Notre-Sei^neur a daigné 

faire de nous. » 

Combien de fois, au milieu de ses frères, songeant 
à la vertu et au mérite éminent des anciens Jésuites , 
n'a-t-il pas dit en abaissant la main presque jusqu'à 
terre pour mieux imager sa pensée : — « Oh! que 
nous sommes petits en comparaison de nos premiers 
pères! Quand je pense à saint Ignace! Nous sommes 
comme de petits rejetons, surcidi, siu'culi, auprès de 
ce chêne majestueux , et c'est seulement de cette 
racine, de cette sève de la Compagnie, de la grâce et 
de l'esprit de la Compagnie, que ces petits rejetons 
peuvent vivre. » 

Par prédilection pour sa chère vertu d'humilité, ce 
bon Père avait un goût particulier pour les violettes , 
qui en sont l'emblème. On le savait. Un jour qu'il 
faisait ses adieux à un pensionnat après une retraite, 
on lui fit présenter par la plus jeune des élèves un 
beau bouquet de violettes, qu'il accepta avec bon- 
heur et qui lui fournit encore quelques paroles d'édi- 
fication sur le suave parfum de la vertu qui se cache. 
Ces enfants n'oublièrent plus sa prédilection pour 
l'humble fleur, et la dernière année de sa vie, trois 
jolis bouquets de la petite fleur des champs allèrent 
encore de leur part lui souhaiter sa fête. 

Etait-il malade ou seulement indisposé , l'humble 
supérieur envoyait demander permission à l'infirmier 
pour le remède le plus simple, le plus ordinaire, 
quand ce n'eût été qu'un verre d'eau. Alors il ne sor- 
tait de la maison que sur l'autorisation du bon Frère 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 269 

et pour le temps qu'il lui fixait; il allait jusqu'à de- 
mander son aprément pour dire la sainte messe. 

L'infirmier avait remarqué une touchante dévotion 
du bon Recteur. S'il avait à prendre un remède, il 
aimait à honorer la Trinité des divines personnes, et 
lorsque le Frère , bien au fait de cette préférence , lui 
apportait quelque chose, le Père disait en souriant : 
— « Je veux bien ; mais il ne faut pas dépasser les 
bornes. Trois jours seulement, n'est-ce pas? Vous 
savez pourquoi. » 

En esprit de mortification et de pauvreté, le P. Bar- 
relle prenait son sommeil sur une simple paillasse. 

S'il arrivait qu'on lui envoyât de petits présents 
pieux ou de petits objets utiles, ou il les distribuait de 
suite, ou il s'en défaisait à sa retraite prochaine. Il se 
réduisait au pur indispensable, si bien que, au pied 
de la lettre, il n'eut jamais à son usagée personnel que 
son bréviaire et son crucifix. 

Dans un certain couvent où il venait donner la re- 
traite, en disposant la chambre du prédicateur, comme 
on le savait très-fatigué , on crut bien faire de mettre 
sur la cheminée un petit flacon d'eau de Cologne. A 
peine le P. Barrelle s'en fut aperçu, il dit gaiement 
à la supérieure : — « Vite, ma bonne Mère, emportez 
ce flacon de ma chambre, le démon y serait attiré 
par son parfum. » 

Dans ses repas, au premier abord il n'offrait rien de 
remarquable que sa modestie singulière et une fruga- 
lité si habituelle qu'on n'y prenait pas garde. Bientôt 
on s'apercevait qu'il ignorait absolument ce qui pou- 



270 CHAPITRE TRE?s TE-DEUXIÉME. 

vait convenir à ses goûts ou à sa santé; il prenait tout 
avec une égale indifférence ; ses pensées étaient bien 
ailleurs. — « Je uai jamais su, disait-il, ce qui me 
fait bien ou mal. » Aussi, au grand désappointement 
de leur charité, les sœurs chargées du service dans 
ses retraites ne pouvaient-elles deviner quelles étaient 
ses préférences. 

On dit que saint Gilbert avait toujours à table un 
plat qu'il nommait le plat du Seigneur Jésus. Il y 
mettait ce qu'on lui servait de meilleur, puis le faisait 
passer aux pauvres. Le P. Barrelle, sur le repas servi 
à la communauté, laissait toujours le plat du Sauveur, 
mais de peur qu'on ne s'en aperçût le cuisinier avait 
le mot : il avait ordre de ne pas lui faire présenter 
sa portion. 

Vivre et se nourrir en pauvre ce n'était pas assez, 
il voulait souffrir en pauvre. En 1858, il éprouva des 
pertes de sang considérables occasionnées par une 
plaie qui lui était survenue. Redoutant qu'on ne s'en 
aperçût, il demanda, en aumône et dans le secret, un 
peu de linge et de charpie afin de se soigner lui- 
même, sans donner nulle peine à qui que ce fût. La 
personne charitable qu'il avait priée de ce service, 
dans un sentiment de foi et pleine de la pensée qu'elle 
secourait Notre-Seigneur, s'empressa de lui envoyer 
les compresses les plus délicates qu'elle put trouver. 
Mais le bon Père les renvoya en disant : — « Ces 
linges sont trop fins; ils sont bons pour un roi, non 
pour un pauvre comme moi. Est-ce bien là ce que 
vous donneriez à des pauvres? Et alors même, gardez 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 271 

ces linges pour eux, et envoyez-moi ce qui convient 
à la pauvreté religieuse. » 

Il soignait son mal par prudence chrétienne, mais 
il aimait ses douleurs, et il parlait de ses plaies comme 
un amant de la croix. — « Nul bien n'arrive et ne 
peut arriver, disait-il, que par la porte du Calvaire. 
Chaque épine qui blesse notre cœur doit être regardée 
par nous comme une rose du paradis. » La vie lui 
aurait paru insipide sans la souffrance. — « Nous 
voulons du sel dans nos aliments. Notre-Seigneur a 
le sien : le sel des contrariétés. Il en met à peu prés 
partout! » 

Quant à lui, sa vie en fut assaisonnée de mille 
manières. La persécution même du démon ne lui 
manqua pas. Que de fois, molesté par Satan durant 
la nuit, il passait les heures en prières afin d'en mieux 
triompher. 

Une religieuse se plaignait à lui d'apercevoir le 
démon dans ses rêves sous des formes hideuses et si 
effrayantes qu'elle était réveillée par la terreur. — 
« Vous êtes bien heureuse, répondit le Père, de ne le 
voir qu'en rêve. Je cormais une personne qui le voit 
en réalité et qui éprouve en son corps les effets de sa 
méchanceté. » Or il avouait que, durant les retraites 
surtout, il en était fortement tourmenté. Quelquefois 
on accourait au bruit des combats qu'il livrait durant 
la nuit. On retrouvera plus loin , dans les comptes 
rendus de son âme, l'écho de ces luttes pénibles. 

Satan s'était pour ainsi dire attaché à ses pas pour 
fatiguer son zèle. Par mépris, le saint homme le nom- 



272 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 

mait le chien, et il disait : — « Ce chien d'enfer s'est 
tellement acharné à ma poursuite que je ne puis plus 
rien faire qu'il ne s'en mêle pour me harceler. Si ma 
honne Mère ne l'enchaînait , il y a longtemps que 
je ne serais plus de ce monde. De combien de périls 
elle m'a délivré! » 

Après un voyage qu'il fît à Lyon, tandis qu'il était 
recteur du collège Saint-Joseph, il écrivit à une de ses 
filles spirituelles : 

« Vous aurez encore des actions de grâces à offrir 
pour votre pauvre Père; peu s'en est fallu que vous 
me ne revoyiez plus. C'était encore un coup du Cer- 
bère, qui pensait, en me faisant périr, enlever une 
pierre de son chemin. Je vous avoue que pour ce 
qui est de moi il m'aurait rendu un service signalé, 
en me mettant en possession de mon souverain bien. 
Mais les saints anges ont déjoué son dessein. Voici 
comment la chose est arrivée. 

» Tout plein de la pensée de mon bon Maître, 
j'étais tranquillement dans un coin du wagon. Le 
train avait déjà fait plusieurs heures de route, quand 
je pris mon bréviaire pour réciter le saint office. Tout 
à coup je m'aperçus que j'étais escorté par un démon, 
qui se tenait contre la portière. Je n'en lins pas 
compte et continuai de prier, me demandant néan- 
moins ce qu'il se proposait dans cette attitude. — 
Rien de bien sans doute, me disais-je ; et je me remis 
aux soins de mon bon ange et de saint Michel, les 
priant de nous protéger contre tout accident. Soudain 
un bruit se fait entendre, et nous éprouvons une vio- 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 273 

lente secousse. Une barre de fer arrachée je ne sais 
d'où passe à travers la portière; et au lieu d'aller 
frapper vis-à-vis, elle se dirige de mon côté et me 
frappe si rudement à la tempe droite que les voya- 
geurs me crurent assommé. Je devais avoir la tête 
fracassée; mais, bien que le coup m'eût renversé, je 
ne ressentis aucune douleur. Ah ! si je fusse mort, 
vous seriez- vous imaginé que le chien en était la 
cause? JMais je dois mon salut à l'intervention de mes 
chers protecteurs. Donnez -leur mille actions de 
grâces. » 

Ceci nous rappelle les tendres attentions de la 
bonne Providence pour son confiant serviteur. Il 
portait en son cœur une reconnaissance tout émue des 
tendres soins dont il avait été l'objet de la part du 
ciel. 

« Avec quelle attention, quelle délicatesse, disait- 
il, le bon Maître pourvoit à tous mes besoins, va au- 
devant de mes pauvres désirs ! Que de fois dans le 
cours de ma vie, et dès mon enfance, l'ombre protec- 
trice de mon doux Maître m'a visiblement couvert ! 
Dans mes peines , dans les embarras de la vie , ce 
souvenir m'encourage et m'affermit. J'aime à répéter 
avec le Prophète : « Seigneur, dès le sein de ma mère 
» votre protection m'a environné. » Je suis obligé 
même de veiller sur mon cœur et de contrôler ses 
désirs, dans la crainte de mettre trop en dépense la 
souveraine bonté. S'il m'arrive de désirer complai- 
samment quelque chose, elle s'empresse aussitôt de 
me le procurer. Ce qui peut satisfaire ma dévotion, 



274 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 

elle me l'envoie dès que j'en ai conçu la pensée. Que 
dis-je? dans mes voyages elle allait jusqu'à me pro- 
curer des rafraîchissements; oui, pour ceux qui le 
cherchent, le Seigneur va jusqu'aux délices. » 

Tous ceux qui aiment vraiment Dieu savent ces 
choses et les ont éprouvées quelquefois ; mais il faut 
Fœil du cœur pour lire, comme le P. Barrelle, tout 
le long de sa vie , la vivante histoire des paternelles 
hontes de Dieu. 

Tandis que Notre-Seigneur veillait si doucement 
aux intérêts de son serviteur, il lui donnait en retour 
le soin de ses affaires, il lui confiait les intérêts de sa 
miséricorde. On recommandait un jour aux prières 
du P. Barrelle une affaire importante. Il répondit : 
— « Oui , je prierai pour cela si Notre-Seigneur le 
veut et s'il ne me charge pas d'autre chose. — Mais 
sans doute, répliqua l'interlocuteur, sans doute Notre- 
Seigneur le veut, puisque c'est une œuvre sainte. — 
Ah! reprit-il en riant, c'est que le Maître en a tant 
et tant d'affaires pour le hien des âmes, que souvent 
il lui arrive de m'en remettre une charge. Bon et 
charitable Maître ! je suis comme sa bête de somme ! » 

Entre autres choses, le divin Maître l'intéressait 
aux âmes qui souffrent dans le purgatoire. Entrées 
dans le règne des rétributions et ne pouvant plus 
payer leur dette par elles-mêmes , puisque l'heure 
est venue pour elles « où l'on ne peut plus opérer» 
d' œuvres méritoires , il faut que les élus du ciel par 
leurs prières, ou les justes de la terre par leurs 
expiations, prêtent secours à leur détresse. 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 275. 

Le P. Barrelle s'était livré à cette œuvre de suprême 
charité. Nous avons trouvé dans son bréviaire, écrite 
de sa main en 1832, une liste d'indulgences, où il 
déclare son intention de les gagner et de partager 
avec les âmes du purgatoire. 

C'est dans ce temps que lui arriva le trait suivant. 
Il l'a souvent raconté depuis, voilant son nom sous le 
simple titre de Père spirituel ; mais chacun savait que 
lui-même était alors Père spirituel au collège romain. 

Il arriva donc que le Père spirituel avertit plusieurs 
fois un scolastique du collège romain pour quelques 
infidélités à la discipline religieuse. Il lui prédit que 
s'il n'y mettait plus de zèle, il n'échapperait pas au 
purgatoire. Le scolastique vint à mourir. Une nuit il 
apparut au Père spirituel et lui dit : — « Dieu m'a 
condamné à plusieurs années de purgatoire pour mes 
infractions à la règle, que j'avais toujours jugées fort 
légères. Mais si vous, mon Père, qui m'avertissiez si 
charitablement, vous dites encore deux messes pour 
moi, Notre-Seigneur me fera grâce. » Quand les deux 
messes eurent été acquittées, cette âme apparut une 
seconde fois pendant la nuit au bon Père , le remer- 
cia de sa charité, lui annonça qu'elle allait en paradis 
et promit de prier pour lui. 

Une religieuse dit un jour au P. Barrelle : « Mon 
Père, je voudrais bien mourir! — Ah! de grâce, ma 
fdle, au moins pas dans ce moment. J'ai trop à faire 
pour tirer du purgatoire une bonne Carmélite que 
j'ai beaucoup connue. J'y travaille depuis plusieurs 
jours, et si j'avais encore à m'occuper de vous, ma 
messe ne se terminerait plus.» 



276 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 

Il y a une dizaine d'années le P. Barrelle aida puis- 
samment la vocation religieuse d'une jeune personne 
d'une rare candeur, mais d'un caractère si ardent et 
si léger que le monde semblait préparer à son âme 
d'inévitables naufrages. II la soutint dans ses irréso- 
lutions, sut vaincre les hésitations que ce caractère 
inspirait aux supérieures charj;ées de l'admettre, puis 
il pria le Seigneur de la prendre promptement parmi 
ses élus. Dieu l'exauça; la jeune religieuse s'endormit 
radieuse après avoir reçu les derniers encouragements 
de son saint directeur. Or, le 29 du mois d'août, 
cinq semaines après ce pieux trépas, il revit dans ce 
même couvent la cousine de la jeune défunte. Celle- 
ci, enhardie par sa bonté, lui dit inopinément : — 
« Quoi ! mon Père , ne me direz-vous rien du sort 
éternel de ma bien-aimée cousine? » Il rougit, et 
baissant les yeux : — « Il ne faut jamais, mon enfant, 
me faire de semblables questions. — Mais enfin, mon 
Père, je vous le demande en grâce, dites-moi ce que 
vous savez, je vous garderai le secret. » Alors se re- 
cueillant il se leva et dit presque à voix basse : — 
« Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'elle était au 
ciel le jour de l'Assomption. » Or, la jeune religieuse 
était morte le 13 juillet. 

Ici se présente naturellement un trait que nous te- 
nons, comme le précédent, de plusieurs témoins im- 
médiats, et que nos lecteurs ont pu pressentir en lisant 
le dix-huitième chapitre de cette histoire. 

Au mois de mai 1855, le P. Barrelle passa quelques 
jours à Montpelher chez les Dames du Sacré-Cœur, 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 277 

dans une maison de campagne distante de quelques 
minutes de la maison que ces dames habitaient alors. 
Il y avait encore deux jours avant son départ, et une 
conférence à la communauté était promise pour le 
lendemain. Or, le matin du jour convenu, il fit dire 
qu'il ne pouvait tenir sa promesse. L'émoi fut grand; 
car, à moins d'impossibilité physique, jamais le bon 
Père ne refusait une instruction. 

A toutes les objections il ne répondit que par mo- 
nosyllabes, allégua qu'il avait besoin d'être seul et se 
montra inflexible. La sévérité habituelle de ses traits 
était altérée ; il portait sur son visage la préoccupation 
et une profonde tristesse. Evidemment il s'était passé 
quelque chose d'insolite. On crut à une grave indis- 
position, et pour se délivrer des importunités chari- 
tables dont on l'entourait, le Père dut se décider à un 
aveu. 

Il avoua donc confidemment à l'une des religieuses 
que son âme souffrait, en effet, beaucoup; il avait 
passé une nuit des plus douloureuses. Le P. Maillard, 
son ami, lui était apparu portant sur sa figure l'ex- 
pression d'une extrême souffrance. — «Quoi! mon 
Père, vous ici! on m'avait annoncé votre mort M — 
Oui, c'est moi. Je viens vous demander des prières. » 
Le P. Maillard ajouta qu'il avait à expier de légères 
imperfections qu'il indiqua, mais que les témoins ont 
oubliées. Il demanda neuf messes, et neuf jours plus 
tard vint annoncer sa délivrance. 

^ L. P. Maillard est mort le 13 mai 1855. 

TOM. II. 16 



278 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 

Le P. Barrelle passa cette journée dans sa chambre 
à prier et à gémir. Longtemps il demeura sous une 
impression douloureuse ; elle dura plusieurs mois et se 
faisait sentir plus vivement lorsqu'il offrait le saint 
sacrifice. 

Plaçons ici un ou deux traits encore, qui montrent 
dans le saint religieux des lumières de Tordre pro- 
phétique. 

En 1842, le P. Barrelle étant de passage dans une 
ville importante, une religieuse qui ne l'avait pas revu 
depuis quatorze ans vint se confesser à lui. Sa santé 
s'était affaiblie; elle ne pouvait plus se lever à l'heure 
de la communauté, et une infirmité grave lui causait 
souvent des défaillances. C'était pour elJe une grande 
affliction de ne pouvoir suivre la règle. — « Mon en- 
fant, lui dit le Père, désormais vous vous lèverez 
comme vos sœurs; je vous l'ordonne, et je vous pro- 
mets que votre santé n'en souffrira plus. » Dès le len- 
demain la religieuse obéit ponctuellement; elle fut 
instantanément guérie de son infirmité et des défail- 
lances qui en étaient la suite. Le mal n'a plus reparu. 
Nous tenons le fait de la propre bouche de cette reli- 
gieuse, aujourd'hui supérieure d'une importante com- 
munauté. 

Une sœurcoadjutrice de la maison de Saint-Joseph, 
près de Marseille, était sujette depuis son enfance à 
des attaques d'épilepsie. Fort jeune encore, la sœur 
Depardon, cartel était son nom, avait été admise chez 
les Dames du Sacré-Cœur, quoique l'on connût son 
infirmité. Dieu avait ses desseins sur cette àme inno- 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 279 

cente et fidèle; sans lui accorder sa guérison, il lui 
donna assez d'énergie pour suivre exactement la règle, 
et pour rendre par son travail d'utiles services; on lui 
permit de prononcer ses premiers vœux. 

Durant de longues années la sœur Depardon rem- 
plit avec autant d'intelligence que d'activité le difficile 
et fatigant emploi de sous-lingère du pensionnat. Ses 
crises étaient fréquentes ; mais, par une douce atten- 
tion de la Providence, elles n'avaient guère lieu que 
pendant la nuit. Peu de personnes dans la maison 
connaissaient son infirmité et ses souffrances. A cet 
état si pénible vint s'ajouter une épreuve plus rude 
encore. Le temps de sa profession étant arrivé, à rai- 
son de sa santé, on ne crut pas pouvoir lui accorder 
la joie de faire ses derniers vœux. La bonne sœur ac- 
cepta cette croix avec humilité. 

Elle eut occasion de confier sa peine au P. Barrelle; 
elle exprimait surtout la crainte que son infirmité ne 
la fît enfin renvoyer du Sacré-Cœur. Le Père la con- 
sola, puis d'un ton affirmatif il ajouta : — « Tranquil- 
lisez-vous, ma fille, vous ne quitterez jamais le Sacré- 
Cœur, et vous y ferez votre profession sur votre lit 
de mort. » 

Dix ans plus tard la parole du P. Barrelle se réalisa 
de point en point. La sœur Depardon mourut à Saint- 
Joseph en prédestinée, après avoir reçu toutes les 
consolations de la religion et prononcé dans la joie de 
son àme ses derniers engagements. 

Un jeune homme de bonne famille, encore à la fleur 
de l'âge, se trouvait atteint d'une maladie de langueur 



280 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

qui le conduisait infailliblement au tombeau. Il voyait 
venir sa dernière heure, et loin de se résigner à mou- 
rir, il entrait dans des accès de désespoir à la seule 
pensée de la mort. On avait épuisé près de lui toute 
consolation, il s'irritait de tout ce qu'on pouvait dire 
de plus capable d'adoucir son esprit; enfin il était à 
craindre qu'il n'expirât daiis un accès de son déses- 
poir. 

Une cause inopinée amène le P. Barrelle dans 
cette maison. On lui parle de l'état effrayant du ma- 
lade. Il veut le voir, et dès qu'il l'aperçoit il s'émeut 
de compassion, adresse au pauvre mourant des paroles 
de tendresse et lui donne toutes les marques d'une 
vive amitié. Ce cœur ulcéré se dilate et s'épanche, il 
explique au bon Père sa douleur et ses craintes. — 
u Eh quoi! mon fils, vous craignez la mort? Ah! vous 
ne savez pas ce que c'est que mourir; mais je vous 
l'enseignerai, alors vous n'aurez plus de terreurs. » 
Le jeune homme à ces mots, percé comme d'un trait 
de lumière, ouvre son cœur aux pensées de la foi et 
se trouve subitement changé. — « Ah! mon Père, 
que j'étais insensé! maintenant j'ai tout compris, je 
mourrai sans crainte! » Le Père en se retirant le 
bénit et lui promit de revenir. — « Mais quel est 
donc ce prêtre? disait le jeune homme; à coup sûr 
c'est un grand saint. » 

Le P. Barrelle revint quelquefois auprès du malade. 
Les paroles pleines d'onction qu'il lui adressa en 
firent un fervent pénitent. Autant il avait redouté la 
mort, autant il la désirait ensuite ardemment. Il 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 281 

mourut dans de grands sentiments de joie et de re- 
connaissance envers Notre-Seigneur, de ce qu'il avait 
envoyé son ange pour lui enseigner le chemin du ciel. 

Quelquefois le charitable Père avertissait de leur 
dernière heure ses enfants spirituels. 

Une ancienne supérieure de communauté à qui il 
avait donné des soins assidus reçut un jour un billet 
ainsi conçu : « Le temps est venu de ne plus songer 
qu'à l'éternité. Le monde dira : Pauvre Mère! moi je 
dis : Heureuse Mère , qui va enfin jouir du repos 
éternel! » La mère L*** relut cette lettre tout le long 
du jour. Elle se coucha de bonne heure et voulut, 
avant de s'endormir, qu'on lui relût encore les paroles 
du Père. — « C'est singulier, disait-elle, il écrivait 
la même chose à la Mère Joséphine la veille de sa 
mort. » Le lendemain matin, à trois heures, la 
Mère L*** fut frappée d'une attaque de paralysie qui 
lui enleva toute connaissance pendant les vingt-quatre 
heures qu'elle vécut encore. 

Un dernier fait, oii se montre l'intervention provi- 
dentielle dans les démarches du saint homme. 

En 1843, le P. Barrelle sortait, un matin , de notre 
résidence de Marseille, lorsque dans la rue Longue- 
des-Gapucins il est accosté par une dame inconnue. — 
« Mon Révérend Père, allez pr-omptement rue Petit- 
Saint-Jean , tel numéro , il y a là une personne en 
grand danger de mort. » Le P. Barrelle se rend en 
toute hâte à la maison désignée. Il s'informe s'il n'y a 
pas de malade. Au rez-de-chaussée, au premier, au 
second étage, il ne se trouve aucun malade. U y a 

16. 



282 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

bien, lui dit-on, un jeune étranger au troisième 
étage ; il était bien portant hier, mais nous ne l'avons 
pas vu de la matinée; or, il était dix heures du matin. 
Le P. Barrelle monte, il pousse la porte... le mal- 
heureux jeune homme était là , le rasoir en main , 
s' apprêtant à se couper la gorge. La surprise, l'appa- 
rition presque surnaturelle de ce prêtre vénérable 
paralysent sa résolution. Il écoute, il se rend, il se 
convertit. Peu après il fut admis dans le cercle reli- 
gieux, et, après plusieurs années d'une vie édifiante, 
il mourut saintement. Ce jeune homme a souvent 
affirmé qu'il n'avait laissé soupçonner à personne son 
funeste projet. Quant à la dame inconnue, le P. Bar- 
relle ne Ta jamais revue nulle part. 

Les dernières années du P. Barrelle au collège 
d'Avignon furent mélangées de beaucoup d'amer- 
tumes et de beaucoup d'angoisses intérieures, dont 
nous verrons le secret dans les chapitres suivants. 
C'est alors qu'il écrivait ces paroles : « Tout ce que 
j'ai désiré se change en amertume, tout ce qui me 
plaisait se tourne en épines. Je ne désire plus rien, si 
ce n'est d'être, s'il se pouvait, flagellé sur la place 
publique pour l'amour de Jésus-Christ. » 

Ce fut un nouveau sacrifice pour son cœur, quand 
l'obéissance religieuse, cédant cependant à ses de- 
mandes réitérées, de nouveau le transplanta du collège 
Saint-Joseph à la résidence de Lyon. Il avait beau- 
coup travaillé et beaucoup souffert dans cette ville 
d'Avignon, dans ce collège fondé de ses mains; or, 
c'est la souffrance qui a le privilège de préparer au 



DERNIER SEJOUR A AVIGNON. 283 

cœur les plus fortes chaînes. Quand il quitta ses en- 
fants, ses frères, ces lieux otjl il avait vécu dix années ; 
quand, averti intérieurement que c'était un suprême 
adieu, il s'éloigna de ce dernier théâtre de son zèle et 
de tant d'âmes qu'il avait aimées , il y eut un brise- 
ment dont la douleur ne put être mesurée que de 
Dieu seul, mais dont ce cri d'adieu donne quelque 
idée : « Pour aimer comme on doit aimer, ah ! com- 
bien il faut mourir! » 

Mais un écrit confidentiel nous fera mieux com- 
prendre encore cette grande résignation. On voit que 
le bon religieux y console deux douleurs en une seule. 
Ces lignes sont datées du 15 août 1859, huit jours 
avant le départ pour la résidence de Lyon. 

« La tribulation et l'angoisse m'ont trouvé sur leur 
» chemin et se sont jetées sur moi. Vos ordres, Sei- 
» gneur, sont le sujet de ma méditation. » Ainsi s'ex- 
primait un jour David. Quel est le juste ou celui que 
Dieu veut rendre tel par l'application de sa croix qui 
ne puisse et ne doive tenir ce langage? Les tribulations 
ne manquent à personne : le cœur est en tous plus ou 
moins angoissé , mais qu'il en est peu qui s'excitent 
en pareille rencontre à considérer la pure volonté de 
Dieu, et qui cherchent en elle seule et dans leur par- 
faite conformité à ce qu'elle envoie de pénible et de 
mortifiant, la consolation que leur état réclame!... 
C'est de ce petit nombre d'élus qu'il nous faut être, 
et pour cela il nous faut nous oublier avec tout ce 
que soulève en nous de pensées, de souvenirs et de 
sentiments un cœur par trop sensible , et considérer 



284 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

uniquement les dispositions toujours bonnes, toujours 
sages, toujours admirables du divin et éternel vouloir. 

» Dieu! si mille ans, au dire du Saint-Esprit, ne 
sont que comme le jour d'bier, déjà passé, que peut 
donc nous paraître ce Fort petit nombre d'années qui 
nous restent à parcourir sur la terre de l'exil, et cer- 
taines petites portions de ce fort petit nombre d'an- 
nées, qui renferment quelque chose de plus amer que 
les autres? 11 ne vaut pas même la peine d'y penser; 
comment nous en affliger si fort? Je veux par consé- 
quent de nos âmes une mesure de courage et d'éner- 
gie , qui s'élève par la grâce au niveau de la mesure 
d'épreuve à laquelle nous sommes soumis. Nous de- 
vons la trouver en nous, parce qu'il est écrit que 
Dieu nous donne en proportion de ce qu'il nous de- 
mande, pour que nous ne faiblissions pas sous le joug 
que nous avons à porter. Si pour cela il nous faut 
n'avoir pas plus d'égard à nous-mêmes et à nos peines 
que si nous n'existions pas, pourquoi liésiterions-nous 
à prendre ce moyen? Je l'attends de vous comme de 
moi-même, avec la conviction que Notre-Seigneur ne 
nous fera jamaiset nulle part ni faux bond, ni défaut. 

» Nous ne saurions nous le dissimuler. Mille fois 
Notre-Seigneur a parlé de passion , de croix et de 
mort. Si nous eussions eu une vraie faim et une vraie 
soif de ces aliments exquis et divins, en les voyant 
actuellement couvrir notre table, nous en tressailli- 
rions de joie, nous en donnerions à notre Tout hon- 
neur, bénédiction et louanges, et nous ne souffririons 
pas que notre sensibilité vînt couvrir d'un crêpe noir 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 2S5 

cette plus belle portion de notre vie qui est en vérité, 
au jugement de Dieu, de ses anges et de ses saints, 
l'aurore d'un délicieux et bien glorieux jour. Con- 
cevons bien ceci et rions du tentateur, qui fonde l'es- 
pérance de sa victoire sur ce qui doit infailliblement 
amener la plus honteuse et la pins irréparable de ses 
défaites, par la vertu du sang, des mérites et de la 
grâce du divin Agneau. Cessons d'avoir })eur de lui, 
et faisons-le plutôt pâlir et trembler par la fermeté de 
notre confiance intérieure, et par la plénitude de 
notre patience, de notre foi et de notre abandon 
total à la main détruisante mais salutaire de notre 
meilleur et unique Ami. » 

Le P. Barrelle arriva à Lyon le 29 du mois 
d'août 1859. 11 y demeura jusqu'au 4 juin 1860, 
époque de son départ pour la fondation de Glermont. 
A la fin de septembre 1859, il fit faire aux jeunes 
professeurs de Mongré les exercices de la retraiîc 
annuelle. 

Au mois de novembre, il donna la retraite aux 
élèves du collège Saint-Michel, à Saint-Etienne. Il 
était épuisé, et pourtant il parlait avec un ton de vé- 
hémence et de conviction qui émerveillait tout le 
monde. — « Je n'y comprends rien, disait-il, je n'en 
puis plus, et cependant j'accomplis ma tâche sans 
peine. » Cette retraite marque dans les souvenirs du 
collège. 

Quoique le bon Père se livrât sans répit au travail 
du zèle, deux triduum aux Anglais à la fin de no- 
vembre et à la Ferrandière au milieu de décembre, 



286 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÉIME. 

un autre à nos théologiens de Fourvières, sont pres- 
que les seules œuvres que nous ayons à signaler 
durant son séjour passager à notre résidence de Lyon. 
Mais sa correspondance nous laisse voir et l'infati- 
gable courage de l'apôtre et les langueurs résignées 
de l'exilé. 

» Mercredi 16 novembre 1859. 

» Demain matin je me rendrai à la Ferrandière 
avec une gorge grandement enrouée, pour faire deux 
instructions par jour, et confesser la nombreuse com- 
munauté. Que Notre-Seigneur me soit en aide! Jus- 
qu'à présent sa douce et maternelle charité ne m'a 
pas fait défaut, et j'en ai ressenti la protection d'une 
manière visible. Il m'a livré et abandonné à la sainte 
obéissance; je suis la marche qui m'est tracée par 
elle; si je succombe, cela me sera bon. Au travail 
succédera alors le repos, et ce repos ne sera pas sans 
souffrance : tout ira donc alors en perfection, selon la 
sainte volonté de mon Père et divin Ami. 

» Priez pour ma faiblesse, et aussi pour qu'il plaise 
à ce bon Maître de hâter le moment où l'iniquité sera 
ôtée et le vêtement changé. Ah! que ce moment se 
fait attendre! Ici-bas tout est court, fort court; c'est 
la vérité, mais s'il l'est, il ne nous paraît pas l'être; 
et de là nos langueurs dans l'attente. Ces langueurs 
augmentent en. proportion du désir. Heureusement 
les distractions de notre vie aident le cœur à ne point 
sentir autant l'ennui et l'amertume des retards. C'est 
ce que j'éprouve par la succession des œuvres qui me 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 287 

sont confiées, et qui me laissent peu de jours de 
répit, à cause de la préparation qu'il faut que j'y 
apporte et qui exige que j'aie à peu près constam- 
ment la plume dans les mains. La tête en est parfois 
fatiguée. Mais il faut toujours aller, aller jusqu'à la 
mort et la mort de la croix, selon que le veut notre 
Amour. 

» Dieu! Dieu! arrivera-t-elle donc bientôt, cette 
heure fortunée? Il me semble que plus elle tardera, 
moins je serai préparé. Mais, d'autre part, je crois que 
ce ne sera point à nos mérites, mais uniquement à 
ceux de notre Amour, que tout sera accordé : c'est 
ce qui me console et m'encourage. 

» Par moments je me jette, comme un plongeur qui 
s'abîme, dans l'océan sans fond des humiliations eu- 
charistiques de ce ravissant Ami , et de là , je crie au 
Père, au Verbe et à leur Esprit pour qu'ils veuillent 
bien m'en faire l'application. D'autres fois je crie avec 
David notre père : « Souvenez-vous de ma substance, 
» Seigneur, et de' ce qu'elle est.» Ah! sainte, sainte et 
suradorable humanité de notre Jésus, que ne vous de- 
vons-nous pas ! il a plu au Père de tout mettre en elle et 
en elle seule, puisque Marie, les anges et les saints ont 
une participation seulement de l'immensité qui est 
dans cette délicieuse humanité. Dieu! devons-nous 
l'aimer et nous jeter sur elle, comme sur notre pâ- 
ture, car elle est à la fois notre pain, notre viande, 
notre breuvage, notre résurrection, notre vie, notre 
douceur, notre substance, notre couche, notre repos, 
tout, tout, tout, dans les ténèbres de la nuit profonde 



288 CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME. 

comme dans les splendeurs du jour le plus riant, dans 
le temps et dans l'éternité. 

» Joseph S. J. » 

Une touchante lettre, datée dujourde Pâques 1860, 
nous montre la souffrance et Famour perfectionnant 
à l'envi le cœur du saint Jésuite. 

« Ce pauvre de Lyon, que vous demandera-t-il au- 
jourd'hui dans l'état de pénurie et de presque aveu- 
glement où il se trouve vis-à-vis de lui-même? Arrivé 
au jeudi saint, il paraît que le corps se trouvait un 
peu épuisé, car le samedi saint , j'ai dû interrompre 
les cérémonies que je faisais chez nos bonnes Sœurs, 
pour reprendre haleine^; la respiration et les forces 
jiic manquaient. J'ai pu terminer l'office, et parler ce 
matin environ trois quarts d'heure. Notre-Seigneur 
en soit béni ! 

» Pendant ces trois derniers jours, mon âme a suivi 
notre bon Maître sur le chemin de sa Passion, mais de 
quelle manière? Je l'ignore. J'allais comme je pou- 
vais et je savais, c'est-à-dire pauvrement, selon mon 
ordinaire, ne distinguant en moi que le désir de m'u- 
nir à mon Sauveur et l'impuissance de vouloir ou de 
faire autre chose. J'ai ainsi passé à peu prés tout 
mon temps entre la paix et la souffrance, entre l'ac- 
tion intérieure, toute pénétrée d'imperfection, et la 
stupidité provenant en grande partie, ce me semble, 
d'une certaine dose de fatigue physique, jointe aux 

* Les Sœurs de Sainî-Clinrles, rue des Quatre-Cliapeaux. 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 280 

ténèbres ordinaires. Oh! que voilà un triste serviteur 
de Dieu, n'est-ce pas? Je n'en ai pas eu néanmoins le 
cœur resserré, et j'ai poursuivi simplement ma route, 
adorant la sainte volonté de mon Dieu et me traî- 
nant à quatre pattes, puisque je n'avais ni pieds pour 
marcher, ni ailes, à plus forte raison, pour voler. 

» Ainsi en est-il. Pourquoi n'aimerais-je pas ce qui 
est conforme à la justice et en même temps le fruit de 
la sagesse et du bon plaisir divin? Mieux vaut mar- 
cher par ce chemin que par le nôtre. Si nous nous 
obstinions à voir mieux ailleurs que là, nous nous 
séparerions de notre Amour. Pas d'autre route quand 
on veut le suivre en vérité. Je le disais ce matin à 
nos Sœurs, c'est par la passion et par la mort que 
l'on arrive à la gloire de la résurrection. Tout cela 
se touche comme les ponts jetés sur les rivières tien- 
nent à leurs deux bords. Il n'y a donc pas lieu à se 
plaindre quand on souffre de quelque manière que 
ce soit : c'est là le gage infiniment précieux de la 
gloire et du bonheur qui s'approchent. Puissions- 
nous le comprendre, le goûter, et diriger d'après cela 
notre conduite intérieure et extérieure jusques à la 
fin de notre vie sur la terre de l'exil ! 

» Ah! la terre d'exil!... vous devez comprend] e 
tout ce que ce mot réveille dans mon âme... et 
cependant le désir en moi est tellement macéré, qu'en 
désirant autant que par le passé, je ne désire pourtant 
plus et je me livre sans réserve à cette foi, à cette 
confiance, à cette patience dans l'enceinte desquelles 
il veut que nous nous renfermions. Tout cela ne peut 

TOM. ÎI. 17 



290 CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME. 

se faire et ne se fait pas sans souffrance et sans lan- 
gueur; mais le bon plaisir divin absorbe tout, et 
l'âme, grandement sensible toujours , est néanmoins 
comme insensible. Voilà bien Dieu! car ici rien ne 
ressemble à la nature. 

» Ab ! le bon ami que nous avons en notre Jésus 1 
et comme il se révèle au naturel dans la tendresse de 
son Cœur! Rien n'arrête plus le cœur, quelque nîisé- 
rable qu'il soit et qu'il se sente. Il se livre, il se fond, 
il s'écoule en plénitude dans ce très-pur océan où il 
veut en se lavant se perdre , et en se perdant s'unir 
comme substantiellement, pour en être à jamais, à 
jamais inséparable. Quel bien donc, quel tout petit 
atome de bien peut se trouver ailleurs qu'en cette 
délicieuse, unique et uniquement unique plénitude? 
Ah ! Jésus, Jésus nous est tout, tout dans le temps et 
dans l'éternité où, abîmés en lui, nous entrerons par 
lui et avec lui dans ce sein du Père, auquel nous 
sommes unis, et soumis en unité avec lui, pour la 
gloire très-pure de la Trinité bienheureuse! Atten- 
dons, et attendons encore. Ce jour viendra pour 
nous. Il est bon et bien bon de souffrir de cette at- 
tente et de ces langueurs quand on est sûr d'arriver 
à cette immense plénitude... 

» Je veux tout et je ne veux plus rien que la volonté 
de mon Ami et de ma Substance. Je crois, j'espère, 
et il me semble aimer de tout mon cœur. Enfin, je 
suis à la fois triste et content, languissant et plein de 
vie, faible et fort, plein de désirs et mort à tout 
désir, affamé de lumières et résigné à ne plus rien 



DERNIER SÉJOUR A AVIGNON. 291 

voir, consentant à mourir et à vivre, et en repos sur 
le sein et dans le cœur de Dieu. 

» Mais je veux qu'au milieu de tout cela, car c'est 
la vérité et c'est ce que Notre-Seigneur y voit, vous 
vous souveniez qu'il y a une foule d'imperfections et 
de misères qui, sans la charité infinie de mon Père, 
gâteraient tout et lui feraient rebuter tout... Ah! que 
cette divine charité est donc miséricordieuse! Atten- 
dons dans la paix et dans le plus intime abandon. 

» Toutes mes bénédictions. 

» Joseph S. J. » 



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292 CHAPITRE TRElN TE-TROISIEME. 



CHAPITRE XXXIII. 

RECTORAT A CLERMONT. 

Le P. Rarrelle fonde le noviciat de Glermont. — Installation. — 
Derniers ministères : Retraite aux Ursulines et à Rellecroix. 
— Divin voisinage. — Langueurs de l'exil. 

Depuis longtemps la pensée des Jésuites se repor- 
tait avec espérance vers ces contrées d'Auvergne 
autrefois témoins de leur premier dévouement à la 
France. 

Quel charme ne doit pas cette province à sa con- 
formation , à la fertilité de son sol , aux fécondes ar- 
deurs de son soleil et à l'austérité de ses frimas! Ses 
montagnes, tantôt ardues, tantôt solennelles, cachent 
dans leurs replis de frais et capricieux vallons; et, de 
leurs crêtes élevées, on peut voir, s'étendant au loin 
sous une opulente végétation, les plaines de la Lima- 
gne chargées des produits les plus riches et les plus 
variés. 

On aime dans ses habitants, pour peu qu'on ait 
pris le temps de les connaître, sous l'apparente in- 
souciance de la forme, une bonhomie pleine de 
finesse, une nature pleine de cœur, et dans ce cœur 
une ardente foi. 

Sensibles sans doute à ces mérites, les enfants de 



RECTORAT A GLERMONT. 293 

saint Ignace se sentaient d'ailleurs attirés par des sou- 
venirs et des espérances. Si Paris avait été le premier 
berceau de l'ordre , Billom avait été le premier 
théâtre de ses travaux scientifiques dans le royaume 
de France; et ces traditions, noblement renouées 
en 1826, il lui tardait de les reprendre avant que la 
mémoire s'en fût affaiblie. 

Lorsque, en 1859, après un intervalle de trente 
années, M^' Féron eut accueilli ce désir, conformé- 
ment à la requête unanime, présentée dix ans aupa- 
ravant par les curés titulaires du diocèse, ce fut avec 
un profond espoir que les Jésuites vinrent poser les 
bases d'un noviciat de la Compagnie , dans ce pays 
non moins fécond à Dieu et à son Evangile qu'aux 
hommes et à leurs désirs terrestres. Car si la sève 
chrétienne y fait germer pour l'Église de belles mois- 
sons et y garde toujours vigoureuse l'antique foi de 
nos pères, on peut dire aussi que les sueurs de ses 
prêtres y font germer des apôtres. L'Auvergne est 
demeurée pour le sanctuaire un terrain fertile, comme 
si ses premiers évéques y avaient répandu avec leur 
sang l'onction de leur sacerdoce. 

Une pépinière apostolique avait donc bien là sa 
place, et devant soi un avenir plein de promesses. 
Le P. Barrelle, en 1827 et en 1828, y avait conquis 
dans tous les cœurs ses titres de naturalisation. C'est 
à lui que la Compagnie confia la nouvelle fondation. 
La reconnaissance, la vénération, la joie lui firent un 
charmant accueil, a Nous reviendrons, et moi je re- 
viendrai » , avait-il dit dans un adieu prophétique. 



294 CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME. 

Enfin l'heure du retour venait de sonner; et le P. Bar- 
relie revenait donner plus que sa jeunesse, son talent 
et son activité , il venait donner son dernier soupir. 
Glerniont seia le lieu du repos à celui qui ne savait 
qu'un repos légitime, le repos éternel. Il y laissera sa 
dépouille, son cœur; et, scellée sur sa tombe véné- 
rée, la chère alliance des fils d'Ignace et des enfants 
de saint A.vit ne sera point brisée. 

Oui nous racontera mieux que le P. Barrelle son 
installation dans la nouvelle demeure? Voici com- 
ment il en parle à une supérieure de communauté, 
le 6 juin 1860 : 

«Je vous avais promis, ma chère fille, de vous 
donner de mes nouvelles. Me voici. 

» Bénissons d'abord Notre-Seigneur ensemble de 
ses mille charités envers ses plus pauvres enfants. Oui 
pourra jamais lui rendre de dignes actions de grâces 
de cette miséricorde, dont il daigne garder le sou- 
venir en son cœur? Heureusement toute la reconnais- 
sance de l'homme est dans l'amour, et comme il 
n'est rien de plus facile que d'aimer le délicieusement 
Aimable, nous pouvons très-facilement reconnaître 
l'immense charité de Jésus pour nous. Aimons-le, et 
il sera pleinement satisfait. 

» Lundi soir, à cinq heures, nous débarquions à 
Glermont, et huit minutes après nous entrions dans la 
nouvelle demeure que nous avait préparée la divine 
Providence. La maison, dont l'aspect n'est pas dis- 
gracieux au dehors , et présente même quelque peu 
d'élégance, a trois étages et un modeste grenier. Elle 



RECTORAT A GLERMONT. 295 

n'était point faite pour une communauté, et, quoi 
qu'on fasse, on ne pourra lui en faire prendre les 
formes. Néanmoins, on ne s'y trouve point mal, quoi- 
que le bâtiment y ait peu de largeur. Il y aura pour 
dix-huit à vingt novices, quelques Frères et cinq ou 
six Pères, sans compter un petit corps de bâtiment 
pour des retraitants, mais il aura besoin d'être achevé. 
Ce qui me plaît le plus ici, c'est le silence et la soli- 
tude. Nous sommes loin du bruit, touchant à la ville 
d'un côté, et ayant vue de l'autre sur la campagne. 
Cette vue est agréable, et élève le cœur à Dieu. De 
plus, nous avons trois jardins contigus l'ua à l'autre, 
avec assez d'ombrage pour favoriser un saint recueil- 
lement. 

» Tout cela , avec le repos du cœur , semblait pour 
le moment ne pas laisser grand'chose à désirer ; et 
cependant j'y désirais le meilleur... notre Jésus, je 
veux dire. Point de chapelle encore ; mais aujourd'hui 
tout se prépare pour que le Maître soit chez nous 
demain. Nous sommes quatre, deux Pères et deux 
Frères. Le Verbe fait chair sera le cinquième et le 
premier en même temps. Je l'y mettrai moi-même 
après l'avoir enfanté dans cette nouvelle Bethléhem, 
de la parole de ma bouche et de mon cœur. Puis, 
nous serons à côté l'un de l'autre, le serviteur avec 
le Maître, l'enfant entre les bras de son Père, et l'ami 
datis le cœur du plus tendre et du plus familier des 
Amis. Demandez-lui pour moi la grâce de l'amour 
simple, caressant et livré à toutes ses tendresses. 
Ainsi j'attendrai les fêtes de son Cœur. 



29f) CHAPITRE TRENTE-TROISIEME. 

" Aimons, aimons, aimons J'infiniment Aimable. 
» De loin connne de prés, tout et toujours à vous. 

» Joseph S. J. » 

La fête du Sacré-Cœur écoulée, le P. Barrelle re- 
prend son compte rendu aux bienfaitrices de la rue 
Bansac : 

« Clermont, le 15 juin 1860. 

u Nous voilà , mes bien chères filles , vers la fin de 
la grande fête. Plusieurs fois je me suis vu et trouvé 
avec vous et avec vos premières communiantes, mais 
sans prendre part à ce tracas qui d'ordinaire accom- 
pagne les grandes réunions et les grandes solennités. 
J'avais donc la douceur de la fête, sans en avoir 
l'agitation : vous aviez le plus, et j'avais le mieux; je 
ne le devais point à mon mérite; il était pour moi le 
fruit de la caducité plus que de toute autre chose. 
Tout à côté pourtant, je sentais bien qu'à mon repos 
et à ce qui l'avoisine il manquait une sorte d'assaison- 
nement. Les fêtes purement fêtes, sans rien de sen- 
sible, ont pour l'homme, tel que Notre-Seigneur l'a 
fait, un je ne sais quoi d'imparfait, qui les prive 
d'une partie de leur saveur. J'y ai trouvé matière à 
un petit sacrifice, et, vous le savez, tout sacrifice est 
bon. A?nen. 

» Qu'avons-nous donc fait ici, petit troupeau que 
nous sommes? Nous avons imité Marie et Joseph dans 
leur sollicitude autour de l'Enfant nouveau-né, et 
nous avons suppléé à notre médiocrité par notre pro- 
preté , et encore il a bien fallu le concours d'une 



RECTORAT A GLERMOINT. 297 

grande charité. Béllianie, vous devez en savoir quel- 
que chose, est venue à notre aide avec sa hbéralité 
accoutumée; c^est de ses langes que nous avons en- 
touré le pauvre Enfant ; c'est de sa cire que nous 
l'avons éclairé, et son Cœur en était content. Puis 
Mv l'abbé de Meydat nous a prêté un ornement con- 
venable, ou plutôt nous l'a lui-même gracieusement 
apporté, Sctns que nous lui en eussions manifesté le 
désir; et j'ai célébré la sainte messe au milieu des 
, flambeaux de Béthanie, entre deux de nos F'rères 
seulement; pas d'autre assistance. 

» Seulement je m'étais permis de demander à 
Notre-Seigneur qu'il voulût bien, pour la gloire de 
son Cœur, nous envoyer de son ciel quelques-uns de 
nos amis d'entre ses saints et ses anges. J'ai la con- 
fiance que sa tendre charité m'aura exaucé. Telle a 
été notre fête. Il est cinq heures, vous êtes au salut. 
Nous n'en aurons point. C'est le désert; et il m'est 
bon, parce qu'il n'est pas solitude. Jésus est à deux 
pas de moi, et vous y êtes aussi, mes bien chères 
filles, personnifiées dans la lumière qui brille à côté 
de son tabernacle. Oh! priez bien, pour que je me 
prépare dans mon désert à l'accomplissement parfait 
de toutes les pensées de Dieu sur ma pauvre et vieille 
âme. • 

» En vérité, mes filles, je ne sais plus ce que je fais 
sur la terre. Oh! qu'il me serait bon de la quitter 
pour aller là où la céleste charité ne dédaigne pas de 
m' attendre! Mais encore, ah! prends patience, mou 
cœur, ce jour viendra. Meurs avant de mourir, etbien- 

17. 



298 CHAPITRE TRENTE-TROISIEME. 

tôt viendra la vie, et la pleine jouissance de la vie. 
Plus le vide s'opère, plus la plénitude s'approche, et 
alors , ô quel immense bonheur! 

» Je vous bénis du fond de mon cœur, vous et 
toutes mes bonnes fdles de Béthanie. 

» J. Joseph S. J. » 

« Prends patience, mon cœur, meurs avant de 
mourir, et bientôt viendra la vie et la pleine jouis- 
sance de la vie. » Le P. Barrelle désormais est tout 
entier dans cette parole. Il sent que ses liens se dé- 
nouent et qu'en lui retirant la vigueur corporelle le 
Seigneur l'avertit de son prochaih passage. « Je ne 
tarderai pas à mourir, disait-il, je sens que rien ne 
m'attache désormais aux choses terrestres. » 

Impuissant à l'action, il se compare à l'enfant de 
Bethléhem qui, emmaillotté dans ses langes, n'opère 
pas moins efficacement l'œuvre de la Rédemption. 
C'est pourquoi, tant que lui reste la prière, c'est-à- 
dire jusqu'au dernier jour, il se dépensera devant Dieu 
pour le bien des âmes ; il puisera à la source des grâces, 
et ses frères en distribueront pour lui les eaux vives, 
chèrement achetées par les gémissements de l'exil. 

C'est une vie toute nouvelle, une existence tout in- 
térieure qui est son nouveau partage, et le prestige 
qui environne son nom depuis 1828, dans ce pays où 
le cœur ne connaît pas l'o^li, il n'en pourra pas 
profiter pour lui-même ; ce prestige s'étendra sur sa 
communauté comme un héritage anticipé qui couvrira 
d'honneur ses modestes commencements. 



RECTORAT A GLERMONT. 299 

TjC p. Barrelle essaya cependant quelques minis- 
tères. Cinq retraites aux enfants et trois retraites de 
communautés furent les derniers efforts de sa parole. 

Nous ne passerons pas sous silence sa retraite aux 
Ursulines de Glermont. 

Ce couvent , qui est au premier rang à Glermont 
pour l'éducation secondaire des jeunes filles, avait eu 
le bonheur, on s'en souvient, de recevoir les derniers 
soins du P. Barrelle s'éloignant de l'Auvergne et de 
la France. Son zèle y avait marqué une empreinte 
profonde, et la tradition de son éloquence et de sa 
sainteté, perpétuée dans le souvenir des plus anciennes 
religieuses, avait communiqué aux plus jeunes un pieux 
désir de l'entendre. Ce désir ne fut pas trompé, et 
l'attente de leur piété fut de beaucoup dépassée. 

« Je le vois encore, dit l'une d'elles, je le vois à 
cette grille recueilli, exténué, ardent cependant et 
saintement enthousiaste, les deux mains croisées sur 
sa poitrine haletante et nous redisant sous mille for- 
mes , jusqu'à l'épuisement : — « Mes filles, mes filles, 
«aimez Dieu! aimez Dieu! aimez-le uniquement, 
» éperdument! » 

» Sa retraite peut se résumer dans cette parole : 
« Tout au profit de mon amour unique. » 

M Combien nous fûmes touchées de son amour pour 
la solitude, de son indifférence à toute chose créée! 
Pendant toute la retraité, il passa tous ses moments 
libres avec Dieu dans la sacristie , sans sortir une seule 
fois; et quand M. l'aumônier l'invitait à faire une pe- 
tite promenade pour se distraire : — «Merci, disait-il, 



300 CHAPITRE ÏRE.NTE-TROISIÉME. 

» le bon Dieu me distrait assez. » En effet, son entre- 
tien avec Dieu était continuel; il se promenait lente- 
ment dans la sacristie, laissant ouverte la porte du 
sanctuaire afin de saluer souvent d'une (jënuflexion le 
ravissant Ami de son cœur, et, se croyant seul, il 
s'épuisait en élans de tendresse, en soupirs enflammés. 

» Sa patiente charité le mettait à la disposition de 
chacune , et il ne refusa jamais un conseil , un encou- 
ragement , une consolation. » 

On trouvera volontiers ici quelques pensées recueil- 
lies de cette fervente retraite : 

Sur l'amour. — « Dieu est charité. Or Dieu, dit 
l'Ecriture, nous créa à son image. Voilà pourquoi il 
nous fit aimants, essentiellement aimants. Désormais 
je ne cherche plus comment je reconnaîtrai les bien- 
faits de mon Dieu; j'ai un cœur, cela suffit. O Dieu! 
soyez l'objet unique, l'objet envahisseur, l'objet maî- 
tre de mon cœur; son objet épuisant !... 

» Restez dans l'amour, dit l'Apôtre. Marchez, 
allez, venez, mais restez dans cet heureux cercle 
tracé autour de vous par votre Dieu : l'ainour. 

» Dieu a aimé le monde qu'il a fait, l'homme qu'il a 
créé par son Verbe , et après l'avoir tiré des profon- 
deurs du néant et façonné à sa propre image, il le 
comble d'un déluge de biens. Le premier flot c'est 
son Verbe, c'est l'océan de la Divinité. Le second 
c'est son Saint-Esprit. cœur de l'homme, que tu es 
un sanctuaire auguste ! 

» L'amour est unique; c'est son essence. Voici la 
règle, le principe de sainteté invariable : Ceci, cela 



RECTORAT A CLERMOINT. 301 

tourneia-t-il au profit ou au détriment de mon amour 
unique? J'ai des yeux, des oreilles, un goût, pour 
voir, pour entendre, pour savourer; mais, mais la 
règle : cela tournera-t-il au profit de mon amour uni- 
que? — Oui? — C'est bien! — A son détriment? — 
Exclu! mille fois exclu! J'ai un esprit pour juger, 
une mémoire pour me souvenir, une volonté pour me 
prononcer, j'en puis user; mais la règle, la règle!... 
Jugements, souvenirs, ne blessez-vous point Famour 
unique? Volonté propre! Ah! toile, toile, crucifige : 
elle tue l'amour. 

» Un autre caractère de l'amour, c'est qu'il tâche 
de faire toujours davantage. Encore plus, encore 
mieux; voilà sa tendance, c'est dans la nature de 
l'amour. Dieu le Père a répandu avec profusion ses 
biens sur la terre, il a inondé les déserts de sa gloire. 
S'est-il restreint au juste, au convenable? N'a-t-il pas 
fait le plus , le mieux?... 

» Le Fils n'a-t-il point dit : J'ai soif, soif du plus, 
soif du mieux pour l'homme ! Il pouvait nous sauver 
par un seul acte intérieur, par une goutte de sang, 
et il est resté trente-trois ans ici-bas, et il n'a dit : 
« Tout est consommé 5» , que lorsqu'il ne lui restait 
plus de sang dans les veines. 

» Le Saint-Esprit ne nous donne pas une flamme, 
mais la fournaise; pas un don, mais tous les dons. 
Ah! pauvres âmes, pourquoi le faites-vous gémir? 
Pourquoi le tenez-vous captif? Ne voyez-vous pas qu'il 
ne demande qu'à s'épancher? Livrez-vous à lui, et, 
fussiez-vous des vers de terre, il vous donnera des ailes 



302 CHAPITRE -TRENTE-TROISIÈME. 

pour voler, voler toujours. Madeleine, Pélagie, Thaïs, 
rUarie Egyptienne, vous êtes les ouvrages de FEsprit- 
Saint. Marie-Madeleine a causé d'inconcevables peines 
à Marthe, à Lazare, à Jésus, par ses retards et ses 
recherches. Mais cette femme est devenue par l'amour 
un vaisseau de pureté , et elle conduit au ciel la pha- 
lange des vierges sous la bannière de l'amour. Cou- 
rage donc ! courage ! espérance ! » 

Reconnaissance. — « Tout en nous, tout hors de 
nous, est un moyen de parvenir à Dieu, de le bénir, 
de nous unir à lui. Chaque objet, chaque créature est 
un échelon de cette échelle mystérieuse qui porte à 
son sommet le Très-Haut. Chaque bienfait est un flot 
qui vient baigner nos pieds et sur lequel nous devons 
nous élever pour arriver jusqu'à Dieu. 

» Chaque saison , chaque jour, chaque heure vient 
nous jeter des flots de grâce. Ah! si jusqu'ici nous 
n'avons pas su remercier l'Amour, reprenons notre 
cantique de bénédiction : Agimus tibi grattas. Sachons 
découvrir la bonté de notre Dieu : cette nature qui 
nous réjouit, c'est sa main qui l'a revêtue de sa parure ; 
cet air que nous respirons, c'est le souffle de son 
anjour qui nous fait vivre; ce vêteijient que nous por- 
tons, c'est un tissu de ses bienfaits; cette cellule que 
nous habitons est pleine des témoignages de sa pater- 
nité miséricordieuse. 

» N'ouvrons pas tant de livres, seulement celui de 
la nature et celui de la grâce. Chaque créature en 
forme un chapitre. Et toutes ces créatures, mises sur 
notre chemin , sont autant de voix qui nous crient : 



RECTORAT A GLERMONT. 303 

Je suis un messager d'amour. Chaque Jjienlait de Dieu 
est un tison d'amour qu'il nous jette. D'où vient donc 
que nous n'en sommes pas consumés? Notre volonté 
doit être comme un bois desséché que nous jetons 
dans les flammes de l'amour. » 

Imitation de Jésus-Christ. — « Nous sommes des 
tailleuses; un patron nous est donné. Il faut faire à 
l'étoffe toutes les échancrures que le patron demande. 
Et ce divin patron, c'est Jésus-Christ. 

» Jésus est notre sacristie. Le prêtre , suivant les 
jours, se revêt d'ornements de diverses couleurs pour 
monter à l'autel. Nous, nous devons aller prendre en 
Jésus-Christ, suivant les diverses circonstances, les 
saints ornements des vertus, pour aller ensuite offrir 
notre sacrifice. L'humilité a une couleur bien foncée, 
mais la pureté est blanche et la pauvreté est or. 

» Jésus est la voie, la porte de la justice. Admirer 
les exemples de Notre-Seigneur, c'est bien; mais sou- 
venons-nous qu'il est notre porte et qu'après avoir 
contemplé les magnifiques ornements de cette porte 
auguste, nous devons entrer par elle dans nos propres 
appartements pour les parer des mêmes vertus. » 

Humilité. — « Deux vertus sont essentiellement la 
base des autres : l'humilité et la pauvreté. L'humilité 
creuse un abîme en nous; la pauvreté élève un mur 
autour de ce vide pour que rien au monde ne puisse y 
tomber et le remplir. Alors Dieu voyant cet abîme 
qui rappelle, se précipite dans l'âme. 

» Jésus, Marie, Joseph, ces géants du paradis, fai- 
saient de toutes petites choses ; et vous , grande 



;îi)4 chapitre treinte-troisjeme. 

épouse de mon très-petit Dieu, vous, vous ne voulez 
accomplir que de l'extraordinaire! 

» C'est une fleur d'agréable odeur que la petitesse. 
Respirez-en la suavité. Le jardin où elle brille avec le 
plus d'éclat est le Cœur de Jésus. Ob ! quelle humilité 
que la sienne ! 

» Il n'y a rien de plus vil qu'une âme qui s'estime, 
ou qui ne sait pas se mépriser. » 

Obéissance. — « Nous sommes des blocs de pierre 
enfoncés dans la montagne et cimentés par le péché. 
Pour être mis dans le céleste édifice il faut rouler en 
bas, ras de terre, et ce n'est que dans le vallon que 
Jésus nous travaille et nous polit. 

» Et erat siibdùus illis. Jésus rassemble tous les 
trésors de sa divinité , toutes les perfections de son 
humanité, sa sagesse, sa lumière, sa sainteté; il en 
fait un immense faisceau, et il le lie et le relie par la 
corde sacrée de l'obéissance : et erat subditus illis; il 
se met dessous. » 

Zèle. — « La charité couvre la multitude des pé- 
chés. J'ai un passé affreux qui, semblable à une mer 
houleuse , porte jusqu'à moi les débris de mes nau- 
frages. Mais je vais sauver les âmes et je serai sauvé. 
Un ange descendra du ciel, il portera une épaisse 
couverture tissue de mes actes apostoliques, et Dieu 
ne verra plus mes crimes. 

» Les âmes apostoliques sont semblables à des ai- 
gles qui fondent sur leur proie, qui l'eidèvent avec 
eux jusqu'à leur hauteur. Ils prennent, ces aigles 
divins, une âme, la ravissent, la déposent aux pieds 



RECTORAT A GLERMONT. 305 

du Bien-Aimé, et reprennent aussitôt leur vol pour 
courir après une autre conquête. 

5) Il viendra un temps , dit Zacharie , où une fon- 
taine sera dans Jérusalem, et tous seront altérés. 
Jésus est la fontaine d'eau vive puisant dans la source 
de la divinité et déversant sa plénitude sur les âmes. 
L'âme apostolique est aussi cette fontaine , et Jésus- 
Christ doit en être la source. Or, de même que le 
tuyau d'une fontaine s'enfonce dans la source, de 
même il faut que cette âme soit unie à Jésus-Christ 
au dedans, soit plongée, immergée dans Jésus-Christ 
et entretenue par Jésus-Christ. — Il faut pour que 
l'eau s'écoule pure et abondante, qu'il n'y ait aucune 
obstruction dans le canal; voilà ce que fait l'examen. 
Il faut que cet écoulement soit facilité, hâté; voilà ce 
que fait Toraison. L'examen, semblable à une sonde, 
nettoie le canal et donne passage libre à l'eau ; 
l'oraison, comme une pompe foulante, presse l'eau, 
la pousse, la fait jaillir avec abondance. Et alors la 
fontaine arrose tout le jardin adjacent et répand la 
fertilité. — Mais sans examen, sans oraison, point 
d'apôtre, point d'âmes sauvées ! » 

La retraite au couvent de Notre-Dame , à Issoire, 
eut lieu au mois d'octobre 1860. 

Celle des Dames du Sacré-Cœur, à Bellecroix, sur 
la paroisse d'Iseure, près de Moulins, avait commencé 
le 10 août 1860. La maison de Bellecroix eut le bon- 
heur d'entendre la dernière retraite que l'Apôtre du 
Sacré-Cœur ait donnée à cette congrégation dont il 
lut comme le second père. 



;30G CHAPITRE TREiN TE-TROISIEME. 

Le fruit fat ce qu'il était toujours quand cette âme 
sacerdotale, livrant la carrière à la divine charité, 
s'épanchait au milieu de cœurs avides de Dieu et 
capables de comprendre Jésus-Christ. Non moins 
grande fut l'édification. La chapelle du pensionnat 
était alors dans une vaste salle, qu'avoisinait la 
chambre du Père. La nuit donc, s'étant bien assuré 
d'abord que nul domestique ne couchait dans son 
voisinage, et qu'il était dans une solitude muette, il 
sortait de sa chambre et passait la nuit devant le saint 
Tabernacle. Cependant son cœur allait s'enflammant 
peu à peu, éclatait en soupirs et en gémissements... 
et, réveillées dans les étages supérieurs, les reli- 
gieuses, accourues discrètement à ses plaintes pour 
lui porter secours, le trouvaient sur le marchepied de 
l'autel, où, comme saint François Xavier, il cherchait 
son unique repos dans le bonheur d'être aux pieds de 
Jésus-Christ. 

Il advint qu'à son exemple une partie de la com- 
munauté obtint de passer en prière les heures du 
sommeil, se reprochant de dormir pendant que le 
samt homme veillait et priait pour elle. Celui-ci, 
quand sonnait le réveil, rentrait discrètement chez 
lui; on l'en voyait ressortir un quart d'heure après, 
afin qu'on ne pût soupçonner ses saintes pratiques. 
Mais quel moyen de surprendre ces regards vigilants, 
avides de bons exemples , et dès longtemps instruits 
sur les mérites du fervent religieux? 

De retour à sa solitude de Clennont, qui ne renfer- 
mait encore qu'un Père et un Frère coadjuteur, il 



RECTORAT A GLERMOIST. 307 

reçut de Bellecroix des témoi(}nages effectifs de gra- 
titude. On venait délicatement en aide à sa pauvreté. 
Voici sa réponse : 

« 29 août 1860. 

» Ma bonne et digne Mère , 

» La paix de Notre-Seigneur . 

» Vous me parlez de reconnaissance. Eh ! Seigneur, 
qu'ai-je donc fait? Pauvre canal, je vous ai transmis 
ce qui se trouvait sur mes lèvres. La grâce a fait le 
reste, tout le reste; au Cœur de Jésus l'action de 
grâces ; à nous rien, le rien. Et cependant que n'ai- 
je point déjà reçu, sans compter ce que j'ignorais et 
ce que je n'ai appris qu'à mon retour ici, lorsque j'ai 
décacheté votre riche enveloppe ! 

» De plus , voilà que vous réitérez vos charitables 
instances pour le tableau de notre divin Cœur. N'est- 
ce pas vouloir ajouter de nouvelles dettes de ma part 
aux anciennes? Et comment voulez-vous que je me 
libère après cela? Vous me forcez donc à être insol- 
vable! Mais enfin, puisque votre charité veut vaincre, 
je ne saurais lui résister. » 

Or le tableau vint bientôt, peint par l'une des reli- 
gieuses de Bellecroix. Il devait être Tunique orne- 
ment du petit salon transformé en chapelle provisoire, 
et dédiée au Sacré-Cœur de Jésus. Notre-Seigneur, 
montrant son Cœur embrasé, y avait pour auréole 
les neuf chœurs des anges. 



308 CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME. 

Voici le remercîment du P. Barrelle : 

« Clerinont, 9 décembre 1860. 

» Ma digne et bonne Mère , 

H La paix de Notre-Seigneur . 

» Je ne me doutais pas, malgré la connaissance que 
j'ai de votre charité, qu'elle en viendrait à me visiter 
ici pendant mon absence. 

» J'étais dans une petite ville peu éloignée d'ici, 
Saint-Amand de Tallende, où je donnais quatre jours 
de retraite à un pensionnat des Dames de la Miséri- 
corde, et c'est alors que votre charité me cherchait 
à Glermont. 

» La retraite finie, je rentrais dans mon gîte, et 
l'on me donne la bonne nouvelle. Je n'avais point à 
tonner ni à éprouver des regrets, puisque le visiteur 
m'attendait. Nous avons pu nous voir et nous donner un 
regard réciproque. Quiconque nous eût vus en ce 
moment-là n'aurait pas' manqué de dire : Ils s'aiment 
bien! Assurément c'était pure vérité, 

» Veuillez donc recevoir mes humbles remercî- 
ments du sensible plaisir que vous m'avez causé, 
vous, ma bonne Mère, et la main habile et amie qui 
vous a si bien secondée par sa piété et son pinceau. 

» Nous tenons tant l'un à l'autre, que nous n'avons 
pu encore nous séparer, et nous voilà, en ce moment- 
ci même, en présence. Délicieuse compagnie! Vous le 
savez : les neuf choeurs des anges sont avec nous; 
seulement ce bel Amour, on le voit, est triste et 
demande consolation. Je vais, ou plutôt nous allons 



RECTORAT A GLERMOINT. 309 

faire de notre possible et de notre mieux pour alléger 
le poids mortel de ses peines. 

» II ne vous en bénira toutes que plus abondam- 
ment, et je l'en supplie. 

» Votre reconnaissant serviteur. 

» J. Joseph S. J. » 

Une retraite fut demandée au P. Barrelle pour les 
pauvres d'une maison de charité, tenue par les Sœurs 
de Nevers. — « Oui, dit-il, je la donnerai moi-même, 
et j'y tiens, car ce sont des pauvres de Jésus-Christ. » 

A Aigueperse, le mardi 8 janvier 1861, il com- 
mença une retraite aux petites fdles qui sont élevées 
par les Sœurs de la Miséricorde. Quelques jeunes 
personnes, faute de 'place, n'avaient pu y assister. Il 
les réunit et leur dit : — « Allez dans la ville, mes 
enfants, et invitez encore les jeunes fdles de vos 
amies qui voudront profiter avec vous des saints 
exercices. » Il en fit ainsi de petits apôtres. Un bel 
auditoire se trouva réuni, captivé et gagné par la 
sainte parole. 

Cet auditoire enfantin lui coûtait la même prépara- 
tion que les plus graves assemblées. Le bon Père se 
préparait avec autant de zèle, et parlait avec le même 
feu, se consumant d'efforts, livrant son temps et ses 
forces. — « C'est bien de la peine pour de petits en* 
fants, lui dit le bon curé. Ménagez-vous, mon Révé- 
rend Père, je vous en prie. — iSon, non. Dieu le 
veut! Dieu le veut! » Ce fut comme un suprême 
effort; le Père revint épuisé. 

Intérieurement, le travail de l'âme sous l'opération 



310 GliAPlTRE TREINTE-TROISIÈME. 

divine était bien autrement douloureux. Notre-Sei- 
gneur lui faisait acheter par la souflrance intérieure 
tous les succès de la grâce. Ecoutons-le : 

« Je viens de terminer ma petite retraite; le tra~ 
vail n'a pas été petit. Ma marche a été pénible, Notre- 
Seigneur le permettant ainsi, comme vous le savez, 
pour les raisons que vous connaissez. Cette tâche m'a 
été singulièrement laborieuse à cause de mon immense 
vide et de mon écrasante pauvreté. Dieu! comme 
tout mon intérieur a été sous la meule! J'allais cepen- 
dant, et la grâce m'a paru opérer dans mon petit et 
modeste auditoire, selon la capacité de l'âge et de 
l'intelligence. Tous semblaient être contents, et me 
montraient une filiale affection. Je dis tous au lieu de 
dire toutes; car à part M. le curé et son vicaire, je n'a- 
vais que les religieuses et les enfants au nombre de qua- 
tre-vingts, et les personnes pieuses à mes instructions. 
» Le Saint-Esprit m' avait pris et attiré pour ainsi dire 
à lui dès le moment de mon départ, et je l'invoquais 
dans le cœur comme une belle colombe. Je le sentais 
alors me nourrissant, me remplissant et me consolant. 
Son action intérieure a continué à se faire sentir pen- 
dant toute la retraite, plus ou moins, sans m' enlever 
cependant à la pression broyante de ma totale impuis- 
sance; mais alors il me suggérait cette parole de saint 
Paul : « Que la charité du Père , la grâce du Fils et 
la communion du Saint-Esprit soient avec moi. » J'ai 
fait, dans ma misère, ce que j'ai pu, et dit ce que 
j'ai su pour faire connaître et aimer mon bon Père. 
Puissé-je avoir laissé là des grains qui restent pour 



RECTORAT A GLERMOi>JT. 311 

se développer au jour de la moisson! Priez afin qu'il 
en soit ainsi pour la joie de notre bien-aimé Jésus. » 

Le P. Barrelle ne donna plus qu'une courte retraite 
aux Enfants de la Providence , et un triduum aux 
pensionnaires de la Visitation de Glermont. Encore, 
ce dernier écho d'une éloquente parole qui avait si 
efficacement semé l'Evangile en tant de contrées 
diverses, semblait-il expirer sur ses lèvres. «L'amour 
divin était l'unique ressort de sa voix et pouvait seul 
suppléer les forces physiques qui, le discours achevé, 
lui faisaient complètement défaut. » 

La direction spirituelle d'une petite communauté 
religieuse, les confessions extraordinaires des sœurs 
de la Miséricorde à Saint-Amand de Tallende , enfin 
le soin d'un certain nombre de consciences qui s'é- 
taient mises sous sa conduite, voilà le résumé de ses 
derniers travaux. De rares instructions familières dans 
quelque communauté dépassèrent bientôt la mesure 
de ses forces, et à partir du 19 janvier 1862, il ne fit 
plus à nos religieux les exhortations domestiques dont 
jusqu'alors il avait pris la charge. Ce jour-là était le 
second dimanche après l'Epiphanie , solennité du 
Saint Nom de Jésus et fête patronale de la Compa- 
gnie. Ce nom adorable a eu les derniers accents 
de cette voix qui savait lui donner une si douce 
harmonie. 

Une prédication restait encore au P. Barrelle, celle 
de sa présence; une éloquence incomparable, celle de 
sa grande vertu. 

On remarquait que son grand âge, son air angéli- 



âl2 CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME, 

que, une pieuse et touchante sérénité répandue sur 
ses traits, et, quand il priait, je ne sais quel doux 
rayonnement émanant de son cœur vers le tabernacle 
ou vers la croix, lui donnait avec saint Jean l'Evan- 
géliste, un de ses patrons, une heureuse ressemblance. 
En le voyant passer dans les rues on se demandait 
avec surprise : — « Quel est donc ce prêtre qui semble 
toujours porter le bon Dieu?» Un saint prêtre de 
Clermont l'appelait le paratonnerre de la ville. Un 
autre disait : — « C'est une perle précieuse dans 
l'Eglise de Jésus-Christ. » 

Mais le Seigneur s'apprêtait à lui donner place dans 
les trésors de son éternité. Il le retirait du monde 
extérieur et le purifiait au dedans. 

Au mois de juin 1861, il écrivait déjà : 

« La suppression de l'ouvrage extérieur facilite 
l'intérieur, et n'est-ce pas une vraie jouissance que de 
pouvoir s'appliquer à son unique Amour sans l'em- 
barras et les distractions des créatures? » 

Et quelques mois plus tard, faisant allusion à la 
construction d'une église : « A Bellecroix, Jésus 
construit et reconstruit. A Clermont, rue Bansac, il 
se plaît à saper certains édifices par la base. Ah! que 
n'achève-t-il bientôt, et tout sera enfin consommé. 
Serait-ce donc un malheur? Oh! pas du tout, mais 
bien le comble du bonheur. Est-elle donc, par le 
temps qui court, si douce la vie?... Ne marchons- 
nous pas dans la boue, et ne respirons-nous pas les 
miasmes de toutes les iniquités? L'amour non-seule- 
ment n'est pas aimé, mais tout conspire et concourt 



RECTORAT A GLERMO.NT. 3ia 

efficacement à l'éteindre. Où se trouve encore ce 
beau feu? On le prostitue à soi et aux créatures; il 
n'en reste plus pour la Beauté et pour la Bonté infi- 
nies. La chose est-elle supportable? Oh! bienheureux 
ceux qui meurent dans le Seigneur ! » 

Maintenant donc , dans cette thébaïde de ses der- 
niers jours, au milieu de quelques novices fervents et 
de trois ou quatre religieux rompus à la régularité et 
au zèle, la charge du saint Recteur se bornait pres- 
que, et sans inconvénient, à la responsabilité de la 
prière et à la présidence de la vertu. 

Gomme il portait bien ce double fardeau ! 

Dès les premiers jours, il avait établi sa chambre 
auprès de la chapelle, dont, plusieurs mois durant, 
il se constitua l'unique sacristain. Lui-même prépa- 
rait l'autel , balayait le sanctuaire et le corridor qui 
y conduisait, époussetait le pauvre mobilier, purifiait 
les burettes, et son cœur se reposait complaisamment 
dans ces soins donnés au cultp du divin Maître. Tout 
était tenu avec un cachet de propreté, seul luxe de 
ce commencement, qui trahissait dans sa minutieuse 
attention une œuvre de tendresse. 

« Mon Père, lui disait une pieuse bienfaitiice, tout 
doit manquer à votre chapelle. » 11 répondit joyeuse- 
ment : — « Ma fille, le bon Jésus n'est pas difficile. 
A Nazareth tout était pauvre. La bonne Mère tenait 
seulement tout bien propre... » Et il ajoutait de gra- 
cieux détails sur la sainte Famille. 

Quelle joie presque enfantine lorsqu'il reçut d'Avi- 
gnon une crèche selon l'usage méridional, offrant aux 
TOM. u. 18 . 



314 CHAPITRE TREINTE-TROISIÈME. 

regards les diverses scènes de la Nativité. Il décrivait 
chaque personnage avec la candeur d'un enfant qui 
vient de recevoir ses étrennes. Tout ce qui lui rap- 
pelait son Jésus et se rapportait à lui lui donnait 
de douces allégresses. Il aimait affaire par la pensée 
de fréquents pèlerinages aux Saints-Lieux. Pour s'ai- 
der à cette pieuse pratique, il avait dans sa chambre, 
en face de sa table, une forte carte murale, offrant 
le plan détaillé de la Terre-Sainte et de Jérusalem. 
C'est sur ce plan que pendant plus d'une année il 
suivit pas à pas Notre-Seigneur dans sa carrière mor- 
telle. Le jour où l'Eglise célébrait quelque trait spé- 
cial de la vie du Sauveur, si quelque novice avait la 
bonne fortune d'entrer dans la cellule du P. Recteur 
et de jeter sur la grande carte un regard furtif , ce 
regard n'échappait pas au P. Barrelle. Il en prenait 
occasion d'un entretien spirituel. S'il pensait être 
écouté avec plaisir, il se levait, s'approchait de la 
carte, et montrant le lieu de la scène, il commentait 
en quelques paroles pleines de feu et de piété le récit 
du Nouveau-Testament. On le sentait : son cœur 
était là tout entier dans ces lieux sanctifiés par la 
présence et par les actions du Dieu fait homme. Son 
ardeur se montrait tout entière dans l'entraînement 
inséparable de pareils entretiens. 

Elle était telle qu'un novice ne crut pas pouvoir 
mieux témoigner sa reconnaissance au P. Recteur, 
qu'en faisant, à son insu, une neuvaine pour obtenir 
la faveur signalée accordée à quelques saints d'un 
pèlerinage surnaturel en Terre-Sainte. 



RECTORAT A CLERMONT. 315 

« Connaissant les sentiments cle notre vénéré Père, 
dit un novice de Glermont, j'allai le trouver un jour 
pour réchauffer mon âme en l'entendant parler de ce 
qu'il aimait. Mon attente ne fut pas trompée. Mal- 
heureusement ma mémoire n'a conservé fidèlement 
que les dernières paroles de cet entretien. Elles 
avaient trait au saint abandon entre les mains de 
Dieu. — « Il faut se laisser conduire comme un petit 
» enfant par Notre-Seigneur. Groiriez-vous qu'il m'a 
» été offert d'aller en Terre-Sainte, et pourtant je n'y 
» suis pas allé. Je découvrais un jour, comme nous 
» devons le faire, mes désirs au R. P. Provincial, il 
)) me dit : — Mon Père, si vous voulez aller à Jéru- 
» salem, vous n'avez qu'à dire un mot, je puis vous 
» y envoyer maintenant. Mon cœur tressaillait, j'hé- 
» sitai, cependant je n'ai pas dit le oui décisif; il faut 
» en tout se laisser conduire par le bon Maître. » 

Quel transport n'excitait pas en lui le tabernacle, 
où ce n'était plus la froide représentation du Sau- 
veur Jésus, mais son Jésus en personne, vivant si 
près de lui qu'ils semblaient n'avoir qu'une même 
demeure. 

Sa chambre, en effet, c'était encore le sanctuaire. 
De plain-pied avec la chapelle, car ces deux pièces 
étaient deux petits salons attenant l'un à l'autre, elle 
communiquait avec celle-ci par une porte qui s'ou- 
vrait souvent et qui, même fermée, ne les séparait 
guère. Un même recueillement semblait régner de 
l'une à l'autre, et le bon Père se sentait vivre in- 
cessamment sous Tinfluence immédiate du saint ta- 
bernacle. 



316 CHAPITRE TRENTE-TROISIEME. 

« Que je suis heureux! disait-il; c'est peut-être ici 
la seule maison de la Compagnie où la chambre du 
supérieur communique ainsi avec la chapelle. Quand 
l'église sera construite, il n'y aura plus le même 
avantage; mais alors je serai parti. » 

Excité par ce délicieux voisinage, plus que jamais 
il remplissait sa chambre de soupirs ardents, et lui 
confiait d'amoureux colloques. On peut le dire : l'o- 
raison était sa nourriture, son élément, son repos. 
Plus encore : elle était comme la respiration de sa 
vie, qui s'exhalait en élans vers le tabernacle et vers 
le paradis. Un mélange d'amour et d'humilité don- 
nait à ces aspirations habituelles un caractère par- 
ticulier. C'était comme un gémissement, un com- 
posé indéfinissable d'humihation et de joie , de 
supplication et de reconnaissance. De sa chambre 
l'explosion s'en faisait entendre dans les appartements 
voisins et dans la chapelle, et les murs indiscrets la 
laissaient échapper au dehors; sans le savoir, il ren- 
dait ses frères témoins invisibles des secrets de son 
âme. Pour amortir l'écho de ses gémissements et leur 
laisser une liberté plus entière, on fut obligé de dou- 
bler la porte qui séparait sa chambre de la chapelle 
domestique. 

Entendons-le confesser ses langueurs dans une lettre 
confidentielle : 

«Je suis toujours à la recherche de mon Jésus, et 
mon pauvre cœur en est toujours plus affamé; et, 
comme vous le savez, c'est dans les endroits des 
saintes Ecritures où il en est traité plus directement 



KEGïORAT A GLERMONT. 317 

que j'aime à aller puiser cette bonne et consolante 
nourriture, mais que goûte seul le palais de la foi. 
Quand on Fa une fois goûte'e , Dieu ! Dieu ! combien 
le reste paraît insipide ! quel vide î quelle pénurie ! 
quel rien affreux! en tout ce qui n'est pas notre 
Jésus! Ah! Jésus! aimable et si aimant Jésus!... Et 
voilà cependant que l'immense multitude, en son dé- 
lire, se persuade que dans ces fanges qui les envelop- 
pent se trouvent la vérité et le bonheur, tandis que 
vous, Jésus, lait et miel du paradis, vous n'excitez en 
eux que des nausées ! Y a-t-il illusion, abrutissement 
comparable à celui-ci?... Et les hommes, si ce n'est 
un bien petit nombre, ne voudront jamais en sortir! 
Cette vue m'a déchiré le cœur, et j'ai prié avec in- 
stance pour ces pauvres aveugles. » 

Et encore : 

« Ce matin à l'oraison une très-vive lumière m'est 
venue, comme un trait qui me donnait l'espérance de 
voir bientôt mon exil finir. Ah! Jésus! Jésus!... voilà 
encore une illusion aimable de mon cœur et de mon 
amour. Veuillez en agréer le sacrifice. Oh! que vous 
m'êtes chère. Unité ^ ! amour, que tu m'es un amer 
faisceau de myrrhe ! N'importe , j'aime , oh ! oui , 
j'aime son amour, et je crois de toute l'étendue de 
mon cœur à l'excès de son amour pour moi. Le Bien- 
Aimé dont je jouis sera toujours, toujours mon bien- 
aimé, et moi, oui, moi abject, je suis et serai tou- 



^ C'est ainsi qu'il nommait toujours la sainte humanité de Notre- 
Seigneur dans l'Eucharistie, en vue de la communion. 

18. 



318 CHAPITRE TREINTE-TROISIÉME. 

jours son fils, le fils de sa substance, qui se cache ici, 
dans son cœur; et je le tiendrai, le baisant sans cesse, 
entre mes bras, sur mon sein, dans mon cœur; car 
il est le seul bien; il m'est d'autant plus aimable, qu'il 
fait davantage souffrir et languir ce cœur qui l'aime 
si passionnément. Je délire, peut-être, mais vous le 
savez , ce consolant et rassasiant délire en soulageant 
mon pauvre cœur, l'aide à soutenir son mvstérieux 
martyre... Ah! qu'est doncFamour! comme il m'est 
cruel ! Mon Dieu , laissez-moi vous le dire : toujours, 
toujours attendre ! Attendre, me répond mon cœur, 
attendre sans se lasser jamais, au milieu des ennuis 
qui naturellement sont provoqués par la plénitude du 
bien qui est l'objet de cette attente. C'est, je le com- 
prends bien, une participation qui m'est faite à l'état 
dans lequel a vécu Jésus-Christ notre amour, et dans 
lequel il vit encore en son tabernacle eucharistique. 

Ainsi nuit et jour le consumait la flamme de la 
divine charité. Elle allumait en son cœur une soif de 
Dieu qui ne pouvait s'étancher que dans de conti- 
nuelles communications avec le Dieu du tabernacle. 
Puisqu'il ne pouvait s'échapper corporellement de 
son exil terrestre, du moins son àme s'élevait-elle 
vers la sainte patrie et trompait par d'incessants en- 
tretiens avec le Ciel les tristes langueurs de l'attente. 
Il ne s'arrachait plus que par une nécessité de cha- 
rité ou de zèle à son profond recueillement; encore 
ne pouvait-il entièrement cacher la violence qu'il 
devait se faire ; et sitôt qu'il avait accordé au pro- 
chain ce que demandait la vertu, par la pente désor- 



RECTORAT A GLERMONT. 319 

mais naturelle de tout son être, il revenait à sa chère 
cellule et à ses colloques embrasés. 

Ce n'est pas qu'une marque la plus légère d'im- 
patience ou d'ennui vînt désobliger le visiteur qui 
interrompait sa prière ou sa contemplation. Mais, 
après avoir accueilli d'un regard doux et profondé- 
ment bon, d'une parole bienveillante, mais grave et 
mesurée, celui qui avait à lui parler, la sobriété de 
ses réponses, l'ensemble recueilli et significatif de sa 
personne et de sa cellule insinuait assez de soi-même 
qu'il n'y avait place que pour les pourparlers néces- 
saires ; et quand on se retirait , le sourire reconnais- 
sant dont il accompagnait son adieu semblait im 
merci donné à la discrétion. 

Se rendait-il au parloir , refoulant promptement en 
lui-même le désappointement de ses inclinations à la 
solitude, à peine il se trouvait en présence des 
étrangers que son front revêtait une bénignité parti- 
culière. A son regard affable, à son grand geste ac- 
cueillant et satisfait, on pouvait se persuader qu'on lui 
causait, en le visitant, une joie proionde. Il écoutait, il 
s'informait avec intérêt, il rappelait agréablement les 
plus lointains et les plus minutieux souvenirs ; mais 
rarement il s'asseyait, et quand il n'avait à remplir 
qu'un devoir de civilité , bientôt on comprenait que 
le bon Dieu l'appelait ailleurs. Il laissait en s'éloi- 
gnant l'impression que produit un être surnaturel ; 
on ne regrettait que plus vivement qu'un homme 
dont la présence était si profitable eût tant de répu- 
gnance à se laisser voir. 



320 CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME. 

Mais son secret était à lui. Il le cachait humble- 
ment à tous les regards , il eu augmentait le trésor 
dans les mystérieuses communications de sa sainte 
solitude. Avare de loisirs si fructueux, il en disputait 
au temps les moindres parcelles. 

Or, cette secrète richesse qu'il a voulu d'une main 
trop modeste ensevelir dans l'oubli, dont il a détruit 
les moindres indices, la Providence nous en gardait 
la révélation. Malgré les précautions de son humilité , 
quelques épanchements sont demeurés comme un 
débris précieux échappé à sa prévoyance. En abor- 
dant au port de son éternité , il a laissé ce débris sur 
nos rivages. Nous en offrirons quelque chose au lec- 
teur dans les chapitres suivants. 



. — »»Meoo@ogc 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 321 



CHAPITRE XXXIV. 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 



Exil loin de Jésus. — Dieu inconnu. — Amour pour la Croix. — 
Détresses intérieures et repos dans l'amour. — Compte rendu de 
deux retraites. 



Pendant que le P. Barrelle était dans l'une de nos 
résidences à titre de supérieur, mourut un religieux 
remarquable et qui laissait autour de soi de g^rands 
regrets. On vint du dehors lui demander de faire in- 
sérer dans les journaux un article nécrologique. 
L'humilité, sa conseillère habituelle, lui suggéra de 
décliner la proposition. Hors les cas exceptionnels, 
croyait-il, mieux vaut laisser à l'ombre mystérieuse 
qui eut ses préférences la mémoire d'un religieux, 
que d'en occuper l'opinion publique. N'ayant qu'une 
ambition parmi les hommes, celle d'être en oubli à 
toute la terre, il aurait cru faire injure à ses 
frères que de ne les point estimer épris comme lui 
de ce vertueux désir. Oh ! ce n'est point lui qui 
aurait songé à écrire ses mémoires sur son lit de 
mort, pour édifier la postérité. Persuadé qu'il oc- 
cupait en ce monde une place usurpée , il ne 
pensait qu'à disparaître, à s'effacer, s'il était pos- 



322 CHAPITRE TRENTE-Q QATRIÈME. 

sible , du souvenir des hommes , satisfait s'il pouvait 
vivre dans le souvenir de Dieu. 

C'est pourquoi dans les dernières semaines de sa vie 
il fit la revue de tous ses papiers , et chaque jour il 
hvrait à son garde-malade, pour les jeter au feu, 
tout ce qui pouvait, en quelque façon, rappeler 
honorablement sa personne et ses écrits. Le bon Frère, 
novice encore, et candide par nature, était un exécu- 
teur bien choisi de ses hautes-œuvres. Aveugle en 
son obéissance, il nous l'a raconté lui-même avant 
de rejoindre au ciel son saint Recteur, il ne lui vint 
pas en pensée que peut-être il brûlait des trésors. 

Ainsi l'édification a perdu des richesses regretta- 
bles. L'humble rehgieux poussa plus loin la pré- 
voyance. Il lui est arrivé, avec une personne qui eut 
souvent les confidences de son âme , de se faire re- 
mettre en dépôt la correspondance abondante de 
plusieurs années , et , sans doute , comme il disait , 
pour l'exercer au sacrifice et désapproprier son cœur, 
mais plus encore pour détruire un monument de sa 
propre sagesse, de livrer aux flammes ce recueil 
chèrement conservé. Nous avons perdu par là, nous 
dit le correspondant du bon Père , un code complet 
et remarquable de direction spirituelle. 
. Le lecteur en pourra juger dans ce chapitre même 
par les lettres que nous citerons à la fin. Elles sont 
presque toutes adressées à la même personne à une 
époque plus récente ; et, par une permission divine , 
ces débris de confidences surnaturelles ne se sont 
pas trouvés, eux aussi, à la portée du religieux 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 323 

mourant. Dieu voulait nous conserver ce ténioignage 
authentique d'une parfaite vertu. 

A côté de cette source inattendue, le Seigneu 
nous en a ouvert une autre également précieuse : le 
souvenir de pieux entretiens écrits à l'heure même 
des confidences , ou gravés dans la mémoire comme 
sur l'acier, par une personne qui eut une part pres- 
que unique dans ses intimes épanchements. 

Nous commencerons par les confidences orales , où 
se mêlent çà et là, sans désignation , quelques extraits 
conservés des lettres anéanties; puis, selon Tordre 
chronologique, les épanchements de la correspondance. 
Afin de ne pas excéder la juste mesure, nous ren- 
voyons au recueil des lettres spirituelles la plus no- 
table partie de ces documents précieux. 

Le P. Barrelle allait volontiers prêcher, dans une 
maison religieuse, les membres de la communauté 
ou de pauvres enfants. Avant ou après, se sentant 
dans un milieu qui dilatait son âme, il la laissait quel- 
quefois s'échapper en communications. 

« Un jour donc, c'est la supérieure qui parle, je le 
trouvai fort oppressé. Je lui demandai ce qu'il avait : 
« Rien autre , me dit-il avec sa simplicité ordinaire , 
» qu'un surcroît de langueur. Ah! l'exil! l'exil! comme 
» il pèse sur mon cœur! Gomme cet éloignement de 
» Jésus me brise le cœur! Ah ! bon Jésus! cher Jésus ! 
» divin Ami, murmurait-il en montant l'escalier, où 
w êtes-vous donc?... je vous cherche et me lasse à 
» courir après vous, et toujours vous m'échappez! » 
» Arrivé au salon de la communauté : « Enfin, mon 



324 CHAPITRE TRENTE-QUATRIEME. 

» enfant, dit-il, j'ai besoin de parler de Jésus, et je 
» viens vous trouver, parce que vous comprenez ma 
« peine et que vous avez pitié de ma faiblesse. Je suis 
5) si misérable! Parlons donc un peu de notre Jésus. 
» Ah! il est si aimable, Jésus! Jésus, c'est la vie! 
« Jésus, c'est la vérité! Jésus, c'est la voie! Jésus, 
» c'est... c'est le ciel!... Mais que dirai-je? Non, je 
» ne puis dire ce que je comprends. Jésus, c'est Jésus! 

V je ne puis rien dire de plus. Hé! qui comprendra 
» jamais ce que renferme ce nom Jésus, et ce que 
>' c'est que mon Jésus? Mon Jésus, c'est l'ineffable, 
» c'est l'infinie beauté du Père , l'image de ses divines 
» perfections; c'est son Paradis éternel!... » 

» Et après être demeuré comme anéanti dans un 
silence de profonde admiration pendant lequel il sem- 
blait que son cœur voulait s'échapper de sa poitrine 
par la force de ses soupirs , il ajouta : « Cependant ce 
» Jésus si admirable, qui fait toutes les délices du 
') cœur de Dieu lui-même, n'est point aimé des hom- 

V mes, et n'en est pas connu. O mon Jésus si aimant 
» et si peu aimé ! que ne m'est-il donné de gagner le 
» cœur de tous les hommes à votre amour! Ah! 
» que ne me faites-vous un incendiaire du feu de votre 
» charité! Ah! Jésus! Je ne sais plus ce que je dis; ce 
') que j'éprouve me met hors de moi. Mais pourquoi, 
» Jésus, êtes-vous si aimable? Mon cœur est trop petit, 
» il déborde. » 

» Et toujours plus suffoqué, il poursuivait ses élans 
avec plus de véhémence. Tout à coup son visage se 
trouva resplendissant. « O Jésus ! ô Amour ! s'écriait-il, 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 325 

» à transformation de l'homme en Dieu par Jésus en 
» son Eucharistie!... » Et en disant ces mots, ses 
regards demeuraient fixés vers le ciel. Que se passa- 
t-il dans son âme? je Fignore; ce que je puis assurer, 
c'est qu'il s'opéra en lui une sorte de transfiguration 
pendant que, transporté et ravi par l'ardeur de son 
amour, il s'écriait : « Non, non, ce n'est plus moi 
» qui vis, c'est mon Jésus qui vit en moi!... » Puis, 
un peu après , revenant à lui , étonné de me voir, car 
il avait oublié, paraît-il, qu'il n'était point seul : — 
K Gomment se fait-il que je sois ici? » Et, tout confus, 
sans donner le temps de répondre, il s'enfuit avec 
précipitation. 

» Dans un autre de ces entretiens intimes, il dit : 
« Je suis hors de moi depuis ce matin, ayant au cœur, 
» comme un glaive à deux tranchants, ces paroles de 
» saint Paul : Au Dieu inconnu! Ah! pleurons, pleu- 
» rons avec des larmes de sang, l'oubli où le laissent 
» ses créatures! Dieu!... mais qui le connaît! qui le 
» connaît ! » Et en même temps qu'il répétait ces 
mots, comme si un éclair de lumière se fût échappé 
de son cœur, je croyais voir tout ce que renfermait ce 
mot Dieu dans le sens que le prononçait le Père d'un 
ton inspiré; et comprenant le besoin de son cœur, je 
lui répondis : « J'ai tout compris! Dieu, c'est Dieu! 
» — Aînen, amen, amen, reprit-il avec véhémence; 
» c'est le chant du ciel : répétons-le avec lui. » Et il 
s'abîma dans un profond silence d'adoration. Puis , 
après un peu de temps, il se leva et s'en alla sans 
dire autre chose. 

TOM. H. 19 



326 CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME. 

» Un jour, pendant l'octave du très-saint Sacre- 
ment, il se surpassa en expressions de tendresse en 
parlant de son Jésus, au point que je suis dans l'im- 
puissance de les retracer ici. A la fin de son entre- 
tien , il me disait avec sa digne simplicité : « Mais ne 
» pensez-vous pas que votre Père est fou? Ah! Jésus, 
» pardonnez-moi si je déparle en parlant de vous ; 
» vous le savez, cher mien, si j'en agis ainsi, c'est 
» que vous avez été fou de moi, et, en retour, c'est 
M bien juste, vous le voyez, je suis fou de vous. « 

Que de fois semblables expressions sont tombées 
de ses lèvres et de sa plume ! 

Le divin amour se manifestait dans ce bon Père 
par son ardeur pour la croix. 

On s'étonnait un jour de le voir dans un état de 
jubilation extraordinaire. « Vous ne savez pas, dit-il, 
que je commence tellement à prendre goût à la souf- 
france que j'en suis affamé. En vérité, la Sagesse in- 
carnée s'entendait parfaitement aux bons morceaux 
quand, pendant tout le cours de sa vie, il se reput 
sans cesse de croix, de mépris et d'humiliations. Je 
comprends pourquoi. Ah! qu'il avait donc bon goût, 
ce cher Maître , et qu'il est admirable dans ses voies ! 
j'en suis ravi. Je ne sais pourquoi il a plu à ce cher 
de mon cœur de saturer mon àme de ce pain délicieux 
pendant cette semaine d'une manière ineffable. Voyez- 
vous, ce tendre ami avait, je crois, donné carte blan- 
che à toutes les créatures de me servir à souhait ce 
mets de son divin Cœur. C'était à la façon des flocons 
de neige, quand les vents se croisent, que cela m'ar- 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 327 

rivait; je n'avais qu'à recevoir et à ouvrir la l)ouche 
de mon cœur; et ce rien de cœur s'en nourrissait 
avec un appétit et un goût insatiables qui lui en fai- 
saient désirer l'augmentation. » 

« De son côté , mon bon Père semblait prendre un 
singulier plaisir à me voir aux prises avec tant de 
sortes de contradictions à la fois, et j'étais heureux de 
lui procurer cette satisfaisante récréation , pensant en 
moi-même à ce que faisaient autrefois les athlètes pour 
réjouir les curieux qui allaient jouir du spectacle de 
leurs luttes. Oh! ne faut-il pas que je récrée un peu , 
moi, le cœur si pressuré de mon bon Père? Cette 
pensée me remplissait de joie, et j'aurais voulu me 
voir, si cela avait pu lui être un peu agréable, jeté 
dans un amphithéâtre, comme saint Ignace. Mais je 
n'en suis pas digne! » Et des larmes coulèrent de ses 
yeux , et il murmurait en soupirant : «' Non , non , 
Jésus, mon amour, je n'en suis pas digne, je n'en 
suis pas digne; c'est encore trop que, dans votre 
bonté, vous vouliez bien me gratifier de ces quelques 
parcelles de votre précieuse croix ! » 

Se tournant ensuite vers son interlocuteur : — 
. « Promettez-moi donc d'offrir pour moi tout ce que 
vous ferez cette semaine, pour remercier mon bon 
Père de la large part qu'il m'a faite de ses souffrances. » 

Quelque temps après, l'ayant revu, il lui dit avec 
une agréable gaieté : — « Vous êtes, à ce que je" vois, 
un fort bon commissionnaire, mon enfant, et je ne 
manquerai pas de vous députer souvent auprès de 
Notre-Seigneur pour lui offrir mes remercîments; sûr 



a28 CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME. 

qu'il ajoutera toujours de nouveaux dons à ceux qu'il 
nous a déjà faits. C'est à en être ravi d'admiration. 
Depuis que je vous ai constitué mon intermédiaire 
d'actions de grâces, je me suis aperçu que mon bon 
jMaître a pris goût à me voir ballotté par les mille 
caprices des créatures , et , de plus , il a trouvé bon 
d'y ajouter l'action sensible des démons. J'étais sous 
leur action comme une sorte de chiffon entre les dents 
et les griffes d'un petit chien; et vous savez comment 
ces petits animaux amusent quelquefois leur maître 
en secouant les guenilles qu'on leur jette. Eh bien, 
ceci vous donne l'idée la plus vraie de l'état où je me 
trouve, par l'effet de l'incommensurable charité de 
mon Jésus. Et j'aime à me voir ainsi à la merci de 
toutes créatures , hommes et démons, pour la joie de 
mon unique amour. 

» Puis enfin, ne faut-il pas accomplir toute justice, 
ayant mérité par mes péchés d'être à la merci des 
chiens de l'enfer pour une éternité? Puisque mon très- 
miséricordieux Seigneur veut bien, par un effet de 
son incompréhensible amour, changer cette expiation 
éternelle en une passagère, n'est-il pas juste que je 
lui donne cette satisfaction avec toute la joie de mon . 
cœur? » 

« Comme je le voyais en proie à de très-grandes 
souffrances, ajoute le narrateur, j'avais un peu de 
peine à entrer dans ses vues, et je lui objectais bien 
des raisonnements. — « Laissez, laissez-moi de côté 
« toutes ces raisons humaines; dit-il; ne voyons en 
» toutes ces choses que la joie que nous donnons à 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 329 

^ notre cher et bien-aimé Jésus. Ah! je suis si heu- 
» reux, moi, de boire à la coupe de ses abjections! 
» Pauvre Maître , personne ne veut de cette boisson , 
» on la laisse toute pour vous; et moi, votre enfant, 
» je ne voudrais pas la partager avec vous! Oh! que 
» je serais ingrat si j'agissais ainsi, bon et tendre 
«Maître! Vous en avez assez bu pour votre pari; 
» ô bon Ami, laissez-nous la nôtre, je vous en supplie! » 

» Puis me regardant avec vivacité comme pour me 
demander mon adhésion : — « Par hasard , est-ce 
»j que, vous aussi, vous n'en voudriez pas?... Ah! s'il 
» en était ainsi, je vous renierais pour mon enfant, et 
» vous n'auriez plus de part avec moi. précieuse 
» humiliation! je te chéris et t'embrasse pour le reste 
» de ma vie. Oui, ce doit être là l'objet de notre uni- 
» que ambition et de nos désirs. Et puisque Notre - 
» Seigneur Jésus-Christ s'est rendu abject pour notre 
» amour, aimons, aimons à notre tour cette chère 
» abjection pour son amour. » 

Que si l'on venait à trouver trop rigoureuse la 
conduite de Notre- Seigneur à son égard : « Sommes- 
nous sots et inconséquents! répondait-il. Nous disons 
et nous savons par la foi que depuis que notre bon 
Maître est mort sur la croix, elle est devenue le plus 
précieux héritage qu'il puisse léguer à ses enfants 
chéris, parce que par elle seule peut se faire en nous 
l'application des mérites de la Rédemption ; et cepen- 
dant, chose inconcevable, nous avons peine à l'accep- 
ter! Si on disait dans le monde qu'un négociant a 
laissé un gain de cent pour prendre le cinq, on en 



330 CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME, 

rirait et on regarderait comme un insensé celui qui 
agirait ainsi; et cependant c'est ce que nous faisons 
tous les jours, en fuyant la croix, les humiliations et 
les sacrifices. Mais c'est le cent que cela. Et nous 
nous plaignons quand il nous arrive! 

» Notre-Seigneur avait bien raison quand il disait 
que les enfants de ténèbres sont plus habiles dans leurs 
affaires que les enfants de lumière! Ah! pauvres 
aveugles que nous sommes, au lieu de nous réjouir et 
de faire un gracieux accueil aux choses et aux per- 
sonnes qui nous présentent une perle pour acquérir 
les richesses du ciel , nous sommes tristes et nous 
nous inquiétons. Quelle pitié ! Pour nous , je ne veux 
pas qu'il en soit ainsi. Je veux qu'à l'aspect de tout 
ce qui crucifie nous soyons joyeux; souvenez-vous 
bien de cela, mon enfant, et ne paraissez jamais 
devant moi avec un visage triste quand vous aurez 
des afflictions; sinon vous serez sévèrement reprise; 
car nous lisons dans les saints Livres que le Seigneur 
aime qu'on lui donne en riant et avec joie '. » 

«Eu effet, ajoute le témoin, toutes les fois qu'il 
m'arrivait d'être un peu triste : — «Allons, allons, 
» me disait-il en m'abordant, enlevez-moi ce crêpe; 
» c est la joie que je veux voir briller sur votre front. 
» iN'est-ce pas là la plus belle auréole de la Croix? 
» Qu'est-ce donc que vous faites, pauvre enfant? vous 
» gâtez tout en agissant ainsi. » 

Une autre fois, il discourait sur ce que nous devons 

1 Hilarem datorem dilifut Deus. 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 331 

à Dieu pour les divers bienfaits que nous recevons 
sans cesse de sa libéralité : — « Chose singulière, 
s'écria-t-il avec transport, ô mon bon Maître, on 
oublie toujours de mettre au nombre de vos plus 
grands bienfaits les croix dont votre bonne providence 
nous gratifie. Cependant, ma fille, je ne vois pas, 
après la grâce du baptême et de notre sainte vocation, 
de faveur plus précieuse que celle de la Croix. Ah ! 
la Croix, là Croix! qui pourra jamais en comprendre 
le prix? 

« O trésor! perle sans prix! Croix chérie, pour la- 
quelle on n'a cependant que des dédains ! bonne et 
bénite Croix, vous m'avez ravi. En vous considérant 
toute ruisselante du sang de mon Jésus, mon cœur 
s'est épris du plus ardent amour pour vous. A votre 
aspect, tout en moi tressaille. Venez donc, ma toute 
belle; venez, venez vous abriter sous mon toit. En 
vérité , vous me captivez , et je trouve entre vos bras 
des charmes indicibles. » 

« Je ne sais pourquoi, disait-il encore, je n'ai jamais 
pu vivre un seul jour sans croix. Quand j'en suis 
privé, tout me manque; c'est elle qui adoucit à mon 
cœur les langueurs de l'exil. Sans elle, j'aurais de la 
peine à les soutenir, et bien que je sente, à certains 
moments surtout, d'une manière très-vive la pointe 
de la douleur, j'y trouve une force qui m'aide à sup- 
porter les retards de l'Epoux. La Croix est pour mon 
âme ce que fut pour Samson le rayon de miel qu'il 
trouva dans la gueule du lion qu'il avait terrassé. Ah! 
que je suis reconnaissant envers Notre-Seigneur de 
m' avoir mis au cœur, et surtout de m'y conserver, 



332 CHAPITRE THENTE-Q U ATR FÉME. 

malgré tant d'infidélités et d'ingratitudes, ces senti- 
ments pour la Croix ! » 

» Oui, je vous l'assure, la souffrance est à mon 
àme ce qu'est une source d'eau pour le voyageur altéré 
et épuisé de fatigue. A certains jours surtout, où je 
sens peser davantage le poids de la séparation de 
mon unique Ami, je languis, j'agonise. Alors, je ne 
sais plus où j'en suis, et, ne pouvant partager avec 
personne ce poids si accablant, je me meurs de ne 
pouvoir mourir. Je suis sans vigueur et comme sans 
vie. Je vais en me traînant. Oh! triste vie! Mais 
voilà que mon bon Père, en me voyant ainsi, m'envoie 
tout aussitôt, pour me raviver, ou une épine de sa 
couronne , ou une goutte de son fiel , enfin n'importe 
quoi, et je respire. Alors, à la vue de cette par- 
celle de sa chère Croix, je suis tout réjoui. Ah ! quel 
mystère que ma vie! Priez, priez toujours pour ce 
pauvre misérable, et conjurez Notre-Seigneur de ne 
jamais me priver de sa chère Croix , qui fut toujours 
sa compagne fidèle jusqu'à la mort. Oh! qu'elle soit 
aussi toujours, toujours la mienne! » 

L'amour de la Croix lui paraissait le corollaire 
obligé de sa vocation au sacerdoce et à la vie reli- 
gieuse. 

« Quelle reconnaissance je dois à Dieu de l'insigne 
faveur qu'il m'a faite en m' appelant au sacerdoce et 
à la Compagnie! Cet état m'a toujours apparu comme 
devant être la continuation pour moi de la vie de 
Jésus -Christ sur la terre. Et Jésus-Christ, qu'a-t-il 
été?... Prêtre et victime : telle doit donc être ma 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 333 

vie ; et , de toute nécessité, je dois achever en moi ce 
qui manque à la Passion de Jésus-Christ. Voyez-vous 
notre Jésus? Sur l'autel il offre à son Père les mérites 
de ses souffrances passées, car étant impassible, il ne 
saurait souffrir maintenant. Cependant, pour que le 
sacrifice soit complet, il faut une immolation passive 
unie à la mystique immolation de Notre-Seigneur 
Jésus-Christ; et c'est le prêtre qui doit accomplir cet 
acte, s'il veut que son holocauste soit d'une agréable 
odeur à l'adorable Trinité, et fructueux pour les 
âmes; mais s'il n'entre pas en part des souffrances de 
Notre-Seigneur par quelque endroit, son ministère 
sera stérile , car ce ne sera que par l'application qui 
lui sera faite des douleurs de son Maître qu'il entrera 
en participation de l'œuvre de la rédemption des 
âmes. 

» J'ai toujours entendu lés choses ainsi , et voilà 
pourquoi toujours j'ai éprouvé une sorte de faim de la 
Croix. Ah! que j'aime à me pénétrer de cette pensée 
quand je vais offrir le saint sacrifice : Jésus, sur la 
Croix, était prêtre et victime, et toi, tu dois l'être à 
ton tour. Alors je sens mon cœur s'élancer vers la 
Croix, et la demander avec instance, afin que, dans 
l'excès de ma nullité, par ce moyen, mon ministère 
soit profitable à mes frères. 

» Quel tort n'est-ce donc pas que d'inviter Notre- 
Seigneur à m'épargner les quelques minimes tribula- 
tions que sa charité m'envoie! Et de quel bien cette 
fausse pitié priverait les âmes, si mon bon Père dans 
sa sagesse ne poursuivait sa marche providentielle! 

19. 



334 CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME. 

Laissons, laissons-nous donc à la merci de son action 
détruisante , et conjurons ce cher de nos âmes de 
n'en cesser l'opération que quand nous cesserons de 
respirer, alors que nous consommerons notre grand 
sacrifice. 

Cet amour de la Croix le portait à faire faire des 
neuvaines dans l'intention d'en obtenir. Ecrivant aux 
personnes placées sous sa direction, il leur disait : 
« J'ai été exaucé ; la croix ou l'humiliation m'est arri- 
vée : redoublez vos actions de grâces. L'ingratitude 
tarit la source des bienfaits. Je serais désolé si, faute 
de reconnaissance, j'étais privé de la moindre par- 
celle de la Croix de mon Jésus. » 

Nous empruntons ce qui suit à une de ses lettres : 
«J'ai faim! j'ai soif! sitio! Encore plus, encore 
plus! Je me sens pressé et comme suffoqué par la 
violence du désir qui m'est au cœur de voir s'accom- 
plir en moi le grand consummatum est de tout mon 
être sur la Croix. Père, Père, Abha , Pater, que tout 
me soit aussi, comme à votre Fils, amertume et an- 
goisses , croix et mépris ! Combien je serais heureux , 
un jour, si ce bien-aimé de mon cœur me faisait boire 
à plein bord au calice de ses humiliations et de ses 
opprobres! Quelle joie pour moi si ce cher mien 
me faisait la grâce de passer par le jugement des créa- 
tures, s'il me fallait subir, pour son amour, des sen- 
tences de condamnation, et recevoir en même temps 
comme des soufflet^ sur mes deux joues et des cra- 
chats sur mon visage; s'il m' arrivait de passer pour 
un visionnaire , un fanatique , et bien d'autres choses 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 335 

encore; de porter une croix et de m'y voir cloué sur 
un calvaire, sans que ceux qui m'aiment pussent faire 
autre chose que prier pour moi, et compatir à mes 
angoisses, et à tout ce que mon Père voudra me 
faire la grâce de souffrir pour les âmes et pour la 
sainte Eglise : oui, je serais heureux ! 

M Puis enfin, alors seulement que je serai effacé du 
cœur et de l'esprit des hommes, mon Père se sou- 
viendra de moi; et du grain mort et enterré sortiront 
des fruits ahondants. Mais, mais combien, pour arri- 
ver là, il me faudra subir de passes amères et détrui- 
santes ! L'enfer doit agir; mais souvenez-vous que 
Notre-Seigneur n'a vaincu que parce que ses ennemis 
et Satan l'ont fait souffrir; et il a vaincu, non par sa 
résistance, mais en cédant au mal, par sa patience, 
par son humilité, par sa douceur, par une totale ab- 
négation de soi. On l'a jeté, ce cher Maître, dans une 
fournaise de tribulations. Il s'y est laissé consumer : 
ainsi, le cas échéant, voudrais-je faire pour lui, afin 
de vaincre comme il a vaincu; mais, rien et nul que 
je suis, combien j'ai besoin jusqu'alors de me confor- 
ter dans la citadelle des plaies et du Cœur de mon 
Jésus ! 

» Quoique toutes ces choses semblent bien amères à 
la nature, mon cœur les appelle par d'ardents désirs, 
quand, à la lumière de Dieu, elles se présentent à 
mon esprit , en voyant que c'est par ses humiliations , 
par ses plaies et ses tortures que Jésus nous a sauvés. 
C'est par ce moyen que nous avons tout re<^.u, et que 
nous recevrons sans cesse : donc, si nous voulons 



336 CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME, 

arriver au même résultat , il nous faudra passer par 
le même chemin. » 

Bien qu'il désirât extrêmement d'être réuni à son 
bon Maître, le P. Barrelle était néanmoins tellement 
désireux, disait-il, de se rendre conforme à Jésus 
crucifié , que « s'il arrivait à ce cher Unique de son 
cœur de lui donner à choisir entre ces deux choses, 
il serait étrangement partagé. Car, d'un côté il lan- 
guissait tant d'être avec son Jésus, et de l'autre il 
sentait un si véhément désir de souffrir pour lui qu'il 
ne savait auquel des deux céder; cependant, ajou- 
tait-il, la Croix l'emporterait, je pense , en vue de la 
gloire qui en reviendrait à mon Dieu. » 

11 s'agissait une autre fois de ce qui peut procurer 
un peu de vraie joie en cette vie : « Oh ! dit-il avec 
véhémence, rien, rien! non, rien autre chose que de 
voir arriver le règne de Dieu et de souffrir. » 

Arrêtons notre plume. C'en est assez pour mettre 
à découvert les sentiments de cet amant sincère de 
la Croix. Quand on l'a vu, comme nous, durant les 
derniers mois de son passage sur la terre, doux et, 
pour ainsi dire , docile à la souffrance , la contempler 
toujours comme un messager du Calvaire, et d'un 
regard calme qui puisait toute sa lumière dans les 
plaies mêmes de Jésus-Christ, sourire à sa propre 
démolition, dans le désir d'être avec Jésus sur la croix 
avant de lui être uni dans le Paradis, on sait alors 
que sa vie, aussi parfaitement que ses lèvres, parlait 
la langue sublime du Calvaire. 

Estimera-t-on peut-être que ce langage deux fois 



COINFIDENGES SPIRITUELLES. 337 

admirable de ses œuvres et de son cœur est aisé à un 
saint comblé , dit-on , de faveurs exceptionnelles et 
soutenu par l'abondance des célestes consolations? 
Erreur vulgaire des imparfaits, propre à couvrir 
d'une facile excuse la médiocrité du courage. Il faut 
toujours, si Ton veut suivre de près le Roi des pré- 
destinés , consentir à boire son calice et , sur ses 
vestiges, marcher par le chemin royal de la Croix. 

Volontiers nous compterons pour rien les contra- 
dictions sans nombre qui, dans les vingt dernières 
années de la vie du P. Barrelle , ont marqué ce que 
nous pouvons appeler la période apostolique de sa 
carrière. Quelle vie en est exempte? Il est vrai : le 
Seigneur les faisait germer sous ses pas ; il vit ses in- 
tentions travesties, ses œuvres traversées, souvent 
l'opposition lui arriva d'où le soutien devait être at- 
tendu, et, à une époque où les plus irréfléchis se 
croient les plus sages, on osa bien le juger insensé, 
de si loin les vues de la foi dépassent le niveau du 
vulgaire ; enfin le retentissement de ces peines multi- 
pliées fut mille fois douloureux dans cette organi- 
sation si vive. Mais il en concentrait les tortures dans 
la sérénité d'un humble silence; pas une plainte ne 
les révélait à son entourage , à peine éveillé sur ce 
secret martyre par quelques interjections résignées. 
Comme sa patience était muette, sa conduite était 
imperturbable; rien de tout cela ne se mêlait à la 
trame de ses actions et n'en dérangeait l'harmonie; 
si bien qu'il nous a paru superflu de le signaler au 
passage. 



338 CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME. 

Quelqu'un venait-il à lui parler des contradictions 
dont il était l'objet : — « Jésus et Marie, répondait-il, 
sont les deux parfaits modèles des prédestinés. 
Nous devons les contempler et faire selon qu'il nous 
est montré. Ne voyez-vous pas avec quel respect le 
Sauveur, en vue de la volonté de son Père, a laissé 
faire les démons et les hommes pour tout ce qui 
devait concourir à sa Passion? Ne saurons-nous pas 
imiter notre modèle? Laissons agir les créatures, elles 
ne sont que les instruments de Dieu. » 

Et si l'on insistait pour qu'il se défendît dans l'in- 
térêt du moins de la vérité : — « Taisez-vous , taisez- 
vous, vous m'êtes un Satan. Non, vous aurez beau 
dire, a^ous ne me ferez jamais dévier de la ligne de 
conduite que Jésus nous a tracée. Ah! je me garderai 
bien de perdre sur la fin de ma vie une belle occa- 
sion d'imiter le bon Maître. Fallût-il le suivre sur 
la croix, eh bien, avec sa grâce, je m'y laisserais 
clouer à quatre clous! » 

Ce n'est donc point à ces mécomptes venus des 
créatures , ce n'est pas même aux persécutions sensi- 
bles du démon, dont nous avons touché quelque 
chose , qu'il faut mesurer les angoisses de ce cœur 
généreux et son mérite dans l'amour pratique de la 
Croix. 

Mais ce dont il faut tenir compte , ce sont les dé- 
tresses intérieures par où le fit passer la grâce, inef- 
fables désolations qui « sans un secours spécial de la 
charité de son Jésus, l'auraient souvent réduit à 
mourir. » Tel est son aveu réitéré. 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 339 

« Qu'il est donc cruel cet amour ! comme il me tor- 
iure de ses mortelles langueurs ! Il m'attire, ce cher 
mien, et excite en moi une faim et une soif insatiables 
de le voir, de m'unir à lui, et cependant alors que 
je m'élance vers lui pour m'en saturer selon toute la 
véhémence de mon besoin, qui est infini, je m'en 
sens rejeté. Je le mérite, je l'avoue, mais ce senti- 
ment de mon indignité, bien loin de me consoler, ne 
fait qu'accroître la faim et la soif qui me consument; 
j'en suis réduit à l'extrémité, mon cœur s'agite alors , 
et il est défaillant et me cause d'atroces douleurs 
physiques et morales. 

» Je soupire et je cherche Celui que je sens aimer 
uniquement et dont j'ai tant besoin; je l'appelle, 
mais plus je le cherche, plus il feint de s'éloigner de 
moi. Mon âme déborde d'angoisses alors, contrainte 
qu'elle est de comprimer sa peine, afin de la dérober 
à la connaissance des créatures qui m'entourent, et 
qui sont loin de soupçonner mon martyre, je leur 
semble même fort singulier, mais qu'y faire? Mon 
cœur est épris et si fort passionné pour cet Unique, 
que, loin de lui, je me trouve comme le poisson hors 
du sein de l'onde; j'éprouve incessamment toutes les 
angoisses du trépas. Ah! souffrez que je vous le dise, 
ô mon Jésus , vous êtes bien cruel de tant me faire 
languir! Hé! cher Maître, laissez-moi vous rencon- 
trer; par pitié, commandez que j'aille à vous, ô 
Jésus ! » 

Une autre fois, il s'épanche ainsi : 

« Je ne sais ce que mon bon Maître veut faire de ce 



340 CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME, 

mauvais serviteur; mais il me semble qu'il prend un 
singulier plaisir à répandre l'amertume sur tout ce qui 
entre en contact avec moi. Par un endroit ou par un 
autre , tout ce qui récrée les autres et leur fait plaisir 
est un supplice pour moi. Ah! c'est que tout ce qui 
est créé me paraît si indigne et si vil depuis que, par 
une grâce singulière de la charité de mon Père, j'ai 
compris et connu mon Jésus, que je ne puis plus rien 
voir, ni plus rien entendre hors de lui. Les entretiens 
des créatures me sont à charge. Elles s'intéressent à 
mille choses inutiles, et cependant une seule est né- 
cessaire; et cet un nécessaire c'est Jésus. Mais on n'y 
pense pas, on ne s'en occupe pas. 

« adorable Jésus! vous qui faites l'objet éternel 
des joies éternelles du paradis , que vous êtes donc 
peu goûté de la presque totalité de vos créatures ! On 
cherche des récréations, des distractions, on en prend 
partout, excepté en vous! délicieux délassement 
des anges et des saints ! combien cela me fait souffrir! » 



COINFIDENGES SPIRITUELLES. 341 



•CHAPITRE XXXV. 

CONFIDENCES SPIRITUELLES. 

Ce qu'il faut entendre par Vaction des divins attributs sur les âmes. 
— Le P. Barrelle obtient du Sauveur de participer aux états 
crucifiants de sa vie mortelle. — Il consacre à Dieu son libi^e 
arbitre. — Gracieuse humilité. — Ardeur guerrière. — Compte 
rendu de la retraite de février 1860. — Retraite de décembre 1860. 

Pour achever de connaître l'âme généreuse qui vient 
de se révéler au lecteur, nous citerons quelques ex- 
traits de lettres confidentielles où le P. Barrelle rend 
compte au dévouement filial de ses dispositions inté- 
rieures et des mystères de l'action divine au temps où 
Dieu achevait son^cœur, avant de l'appeler au repos. 
Mais nous touchons tout d'abord à l'un des secrets de 
la théologie mystique : l'action des attributs divins sur 
les âmes. 

S'il est vrai que le bonheur appartient à Dieu par 
essence, si la félicité est une des prérogatives de sa 
nature, en un mot, si par son fonds la béatitude est 
essentiellement divine, l'indispensable condition de 
la félicité est de ressembler à Dieu,' et le bonheur dé- 
coule de cette auguste ressemblance comme un effet 
de sa cause naturelle. De là vient que la loi de la 
ressemblance avec la Divinité a été gravée dans la 
racine de notre être, et que nous en avons reçu dans 



342 CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME, 

notre substance même, marquée à V image du Père 
céleste, tout à la fois les premiers linéaments et le 
germe originel. Cette ressemblance est tout le dessein 
de Dieu, tout l'objet de notre prédestination. Nous 
avons à devenir « parfaits comme notre Père céleste 
est parfait » ; les divines prévoyances, en reconnais- 
sant à l'avance les élus, les voyaient prédestinés à 
devenir le portrait ressemblant du Fils éternel de 
Dieu ' ; et la vision du paradis aura pour résultat 
suprême d'achever dans le bonheur cette divine simi- 
litude*. Car, dans ce face à face éternel, pur et lim- 
pide miroir de ses infinies perfections, nous renverrons 
à la souveraine Beauté la fidèle et resplendissante 
image de son essentielle béatitude. 

Or, comme c'est la lumière elle-même qui remplit 
le cristal de l'image qu'il reflète, ainsi c'est le modèle 
divin qui opère lui-même dans nos âmes sa chaste 
ressemblance. Par la foi, nos pensées sont l'écho de 
ses pensées; par la charité, nos affections sont l'écho 
de son amour; et puisque tout mouvement de vertu 
consiste à céder aux prévenances de sa grâce, l'unique 
obstacle à cette auguste similitude est l'indocilité de 
la liberté humaine. 

Lors donc que, par une docilité constante, l'âme 
se dégage des fautes, des défauts, des imperfections 
volontaires; souifiise sans obstacle à l'action du Soleil 
de justice, elle commence à entrer pleinement sous 

1 Quos prœscivit, et praedestinavit conformes fieri imagini Filii 
siii. 

2 Similes ei erimus quoniam videbimns eum sicuti est. 



GOJNFIDENGES SPIRITUELLES. 343 

l'influence efficace des attributs divins, comme une 
toile obéissante s'imbibe des couleurs dont la couvre 
l'artiste habile, comme un métal purifié est pénétré 
de la flamme; et, par la plus merveilleuse des opéra- 
tions, ce qui est de l'âme, sans s'anéantir, disparaît 
dans ce qui est de Dieu. 

Alors les divins attributs , qui sont comme les traits 
de la Divinité , enveloppant la créature de leur sub- 
stantielle beauté, elle arrive, selon la mesure du don 
céleste, à la pleine vérité de cet oracle : que Jésus- 
Christ sera le vêtement royal des enfants de Dieu ; que, 
transformés par cette union et véritablement déi- 
formes , 'ils entreront en com,m,unication de la divine 
nature * . 

Pour arriver à subir la domination souveraine des 
attributs divins, jusque-là que toute vie dans l'âme 
soit la vie même du Fils de Dieu^, il faut qu'elle soit 
livrée sans réserve à leur secrète opération. Ce n'est 
pas assez de céder au Saint-Esprit par des actes in- 
termittents et réitérés , il faut lui avoir remis la direc- 
tion totale de la volonté. De là vient que les saints se 
sentent pressés d'abdiquer, pour ainsi dire, leur libre 
arbitre en faveur de la grâce, afin de conquérir à 
l'avance quelque chose de cette liberté parfaite du 
paradis qui délivre les élus de la servitude du péché. 

Alors ils éprouvent de violents attraits pour le dé- 
pouillement de soi; ils donnent à Dieu non-seulement 

1 Gal. III. — II Petr. I. 

^ Vivo, jain non ego, vivit vero in me Gliristus. (Gal. ii.) 



344 CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME. 

les actes de leur volonté, mais la source même, et, 
renonçant autant qu'il se peut à se diriger et à se re- 
prendre, ils résignent leur volonté tout entière dans 
les mains divines. Dès lors aussi, constamment atten- 
tifs au gouvernement intérieur, dont le Seigneur tient 
le sceptre au secret de leur âme, ils se maintiennent 
pratiquement dans la sublime oblation de saint Ignace 
de Loyola : « Recevez, Seigneur, etc.. " 

Heureux ceux qui ont fait, en la perdant de la 
sorte , la vraie conquête de la liberté ! Cette noble 
servitude à l'action divine est l'incomparable déli- 
vrance des enfants de Dieu. Quand le Seigneur la 
leur accorde en agréant leur holocauste, alors ses 
divins attributs travaillent cette âme bienheureuse : 
sa sainteté s'applique à en purifier toutes les puis- 
sances, sa simplicité à en ramener toutes les inten- 
tions à l'unité du divin vouloir; sa justice s'exerce à 
en tirer, comme d'une hostie dévouée à tous ses excès, 
des satisfactions pour les péchés qui couvrent la terre, 
en union de la divine Victime qui est la propitiation 
du monde. En un mot, les divins attributs ne laissent 
rien subsister dans le cœur qui leur est livré, de ce 
qui procède de l'homme terrestre. Ils en poursuivent 
la destruction avec une impitoyable bonté, afin d'éta- 
blir sur ses ruines l'homme céleste, l'homme nouveau. 

Tel est le caractère de son action : c'est qu'elle 
paraît toujours détruire. Elle réduit l'âme en agonie, 
elle lui fait jeter des cris de détresse : au dedans , 
Dieu , armé de sa rigueur, semble irrité contre l'âme , 
elle croit souvent que Dieu la rejette; au dehors, 



CONFIDENCES SPIRIT CELLES. 345 

tout se tourne en amertume , et la contradiction l'en- 
vironne ; sa vertu même n'est pas comprise des plus 
vertueux; elle préconise, elle aime, elle pratique 
héroïquement l'abnégation, le renoncement, Thumi- 
lité; et ces fortes vertus, vraiment trop austères pour 
la foule des imparfaits , lui sont reprochées à l'égal 
d'un crime. Elle souffre ainsi de mystérieuses et inex- 
primables tortures. Mais qui donc mit jamais dans le 
creuset la pierre ou de vils métaux? Sortie de ce 
creuset, l'âme est digne des regards, digne de l'amour 
et de l'admiration de Dieu même. 

11 fallait rappeler ces pensées pour faire comprendre 
au lecteur certains passages de ce qu'il va lire. 

Environ huit ans avant sa mort, en 1856, le P. Bar- 
relle , à la suite de communications surnaturelles, fît 
l'acte solennel d'une pleine donation de lui-même au 
Cœur de Jésus. Il entra en ce temps-là dans une voie 
d'immolation et de consomption de tout son être, 
sous l'action immédiate des opérations divines. Elle 
résuma tous les états souffrants de la vie mortelle et 
eucharistique de Notre- Seigneur Jésus-Christ; ce 
divin Sauveur voulant faire de ce saint homme une 
reproduction parfaite de lui-même, selon cette parole 
qui lui fut souvent adressée d'en haut de la part de 
son divin Maître : Je veux qu'il soit semblable à moi. 
Conformément à ses ardents désirs, Dieu le fit passer 
par une série ininterrompue de douleurs intérieures 
et extérieures, qui ne furent guère connues que du 
ciel et qui l'ont vraiment consumé. 

Un jour, dans un entretien spirituel, il lui échappa 



346 CHAPITRE TRENTE-CIINQUIÈME. 

de faire cet aveu : « J'ai demandé avec de vives in- 
stances une grâce à Notre-Seigneur, et j'ai tout lieu 
de penser que j'ai été exaucé : c'est qu'il me fasse en- 
trer en participation de tous les états crucifiants où 
il a passé durant sa vie mortelle et qu'il continue 
encore dans les anéantissements eucharistiques. Je 
me suis offert en union avec lui , aux attributs divins 
de son Père céleste, comme une victime de répara- 
tion , afin qu'il se contente en plénitude en moi et sur 
moi, et qu'il étende son souverain domaine sur tout 
mon être, selon toute la mesure des ingratitudes des 
hommes. » 

Et dans une autre circonstance : 

« Oui, oui, depuis que je me suis tout donné à 
mon Jésus et que, par l'effet d'une charité toute gra- 
tuite de son Cœur, il lui a plu de me découvrir ce 
qu'est Dieu et tout le néant de la créature, je n'ai 
plus rien prisé que le règne plein en moi de ses divins 
attributs. Ce domaine a été violé par le péché; il faut 
que mon doux Maître rentre dans ses droits par la 
Croix. Par elle seule peut s'opérer la défaite de la 
nature viciée, et, en proportion de son action, s'éta- 
blira en nous le souverain domaine de la justice, de 
la sainteté et de l'amour. Or donc, mon âme, de 
Favant vers la Croix ! et que tout pour moi se change 
en amertume , en souffrance , en mépris ! . . . » 

Une autre fois : 

« Que nous serions heureux si chacune des actions 
de notre vie était comme un coup de pinceau qui re- 
trace en nous l'image de notre Jésus ! Voyez-vous , il 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 347 

faut absolument que tout en nous s'encadre comme 
un beau portrait dans toutes les œuvres du bon Maî- 
tre. Oui, son Cœur est le moule où doit s'écouler et 
se former le nôtre; puis sa Croix est le ciseau qui 
doit achever et perfectionner son image en tout notre 
être. C'est surtout par la Croix qu'il complétera cette 
œuvre en nous; car il en est de notre ressemblance 
avec lui comme d'un bloc de pierre ou de bois dont 
on voudrait faire une belle statue. Pour atteindre son 
but , le sculpteur se sert d'instruments tranchants ; il 
coupe , il enlève , puis il trace des ciselures , des 
traits, enfonçant toujours plus avant son instrument. 
Le bon Jésus en fait autant avec sa Croix. O bonne 
et précieuse Croix ! viens , viens avec toutes tes 
rigueurs ; hâte-toi de tracer sur ces troncs informes 
de nos âmes cette divine ressemblance; apporte avec 
toi, s'il le faut, le fer et le feu : j'y consens, pourvu 
que tu fasses de moi un autre Jésus. » 

Il écrivit encore le 30 avril 1860 : 

« Depuis que notre Jésus m'a fixé, pour la joie et 
pour la gloire de son Cœur, sous l'action de ses divins 
attributs, ses opérations en moi sont toujours de plus 
en plus crucifiantes, consumantes, et, par moments, 
singulièrement détruisantes. C'est une conséquence 
naturelle de l'abandon que je lui ai fait de tout mon 
être. Il n'y a donc à y trouver à dire , mais bien à 
acquiescer à tout par un joyeux Alléluia. Ce matin à 
l'oraison, je me suis trouvé fixé sous l'action de sa 
divine justice , qui m'a tenu et me tient encore sur la 
Croix. » . 



348 CHAPITRE TRENTE-GIJNQUIÈME. 

Enfin, à une autre époque, nous trouvons dans ses 
lettres ce qui suit : 

« Dans les temps passés, Notre-Seigneur m'avait 
parlé sur le libre arbitre, et cela à plusieurs reprises. 
Il y revient encore aujourd'hui : il veut donc que 
nous y réfléchissions de nouveau. Faisons-le, et nous 
en conclurons que le sacrifice de ce libre arbitre lui 
étant si agréable, nous n'avons plus à hésiter de le 
lui livrer tout entier, et nous deviendrons par là 
même sa joie et ses délices. Il me semble que l'acte 
de ce sacrifice est exactement formulé par notre saint 
Père saint Ignace dans la prière intitulée : Recevez, Sei- 
gneur, toute ma volonté, etc. Proférons-le et profé- 
rons-le encore en unissant notre cœur au cœur en- 
flammé de ce grand sainte Réalisons-le ensuite dans 
notre conduite intérieure et extérieure, donnant, don- 
nant toujours , ne nous lassant jamais de sacrifier, 
après l'avoir fait mille fois, el alors même que son 
Esprit nous pousserait jusqu'aux dernières limites , 
comme il y poussa Abraham , Moïse et un grand 
nombre de ses saints; ne reculons point et immolons 



* Nous citons l'acte de donation tel que le fit le P. Barrelle et 
tel qu'il l'avait lui-même donne à des âmes généreuses : 

i< Nous voici devant vous, Seigneur Jésus, votre Cœur nous veut 
pour sa joie et pour sa gloire. Le nôtre se plaît à se donner à 
vous. Oh ! pienez et recevez tout absolinnent en nous, selon votre 
désir et vos desseins, en plénitude et à toujours pour le temps et 
pour l'éternité. Amen, amen, amen. 

» Joseph Barrelle. 

» Ex toto, in œternum et ultra Jesu Domino suo per Mariam et 
Joseph. » 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 349 

jusqu'à la dernière brebis, au dernier agneau de notre 
troupeau. Voilà la pratique dont il est facile de voir 
la pleine et juste application. C'est ce que l'auteur de 
V Imitation appelle suivre, nu, Jésus-Christ nu. Vous 
le comprenez; c'est la nudité du Calvaire, c'est la 
perfection du dénûment intérieur et extérieur, dont 
Jésus-Christ, ainsi que nous le voyons en saint Fran- 
çois d'Assise, est la récompense, au delà de tout ce 
qui peut s'imaginer. Que la grâce nous anime donc à 
ce point-là, qui nous est nécessaire pour être Jésus- 
Christ , et Jésus-Christ nous ! » 

Il est temps d'arriver à la pieuse correspondance 
que nous avons annoncée, et d'y entendre les vertus, 
à l'envi, s'épancher d'un cœur fervent. 

Trouvera-t-on , par exemple, plus gracieux épan- 
chement d'humilité que la lettre suivante : 

« Le 19 octobre 1858. 

« Je vous obéis, mon enfant, et je prends la 
plume, comme Abraham prenait son bâton de voyage, 
sans savoir où je vais. Car, tandis que vous avez, vous, 
quelque chose toujours à me dire, je me trouve, moi, 
sans rien du tout. Or, est-il facile, en pareil état, 
d'entretenir personne au monde? On n'a guère alors 
que le silence et l'anéantissement pour refuge; et c'est 
ce à quoi je me trouve forcément réduit. Ne vous en 
étonnez donc point, et pensez que c'est une souffrance 
de plus à joindre aux autres; toutes souffrances ce- 
pendant fort minimes en elles-mêmes, et qui pren- 
nent leur amertume et leur pesanteur moins dans leur 
TOM. n. 20 



350 CHAPITRE TRENÏE-GIi^ QUIÈME. 

propre nature que dans l'extrême faiblesse du sujet 
sur lequel Notre-Seigneur les fait tomber. 

" Ces pauvres petits grains de poussière deviennent , 
à cause du néant, que je suis et que je reste, et à 
cause de lui seul, des rocs et des montagnes qui me 
broient. Joignez-y, pour vous mettre mieux dans la 
vérité par rapport à moi, une autre appréciation de 
votre Père, tout autre que celle que vous auriez pu 
vous former jusqu'à présent, et dites : Il n'est que 
cela! en vérité, ce n'est pas grand' chose, puisque en 
cherchant à en exprimer quelque suc, je n'y trouve 
absolument rien ni pour moi , ni devant son Sauveur 
et son Dieu. Et ces paroles seraient la justice et la 
vérité; je n'aurais nullement à y redire; elles ren- 
draient ce qui est, ce que je sens, ce que je devrais 
sentir encore plus intimement et plus vivement. 

» Aussi n'ai-je nulle raison de me plaindre de la 
position qui est faite à ma misère. Je vois trop claire- 
ment que Notre-Seigneur ne recevant rien de moi que 
des crudités et des amertumes, je ne saurais prétendre 
à recevoir de lui qu'un semblable retour. Il fait bien, 
très-bien; mieux encore, car il me supporte; mieux 
encore , car il ne cesse de me conserver ses dons les 
plus précieux. Ah! que sa charité est grande! Et voilà 
pourquoi je me contente de me recommander le 
plus humblement que je puis à sa miséricorde, par ce 
cri si souvent répété : Seigneur, ayez pitié de moi! 
Faites-lui pour moi la même prière, et ce sera assez. 

» Ces quelques paroles vous rendront palpable ma 
situation intérieure, qui se compose de deux sortes 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 351 

de peines, la première est ma nullité devant Notre-Sei- 
gneur, et la seconde est cette haie d'épines que fait 
surgir autour de moi ma situation présente, telle que 
vous la connaissez avec ses soucis, ses prévisions, etc. 

M J'abandonne assurément tout à Notre-Seigneur ; 
mais, comme je vous l'ai dit plus d'une fois, je souffre, 
et l'amertume remplit mon coeur. Oh ! il en sera, 
après tout, comme le voudra ce bon Maître, ni plus 
ni moins, j'accepte et je veux tout; seulement, qu'il 
me prenne en pitié, et que je n'aie pas le malheur de 
lui déplaire. 

» Je vous ai obéi , ma fille , et je termine en vous 
bénissant. 

j» Joseph S. J. » 

Le P. Barrelle s'anime d'une ardeur guerrière 
contre Satan, en esprit d'amour : 

« 28 octobre 1858. 

« L'aiguillon qui me pique et me presse maintenant, 
est l'audace et la rage de Satan , auquel vraiment je 
voudrais tenir tête et arracher les proies qu'il a entre 
les dents. Au moins, je désire vivement opposer 
dépit à dépit, ennuis à ennuis, amertumes à amer- 
tumes, et, pour notre divin Ami, devenir d'autant 
l'ennemi de ce sot et stupide ennemi, qu'il cherche 
avec plus de rage à diminuer la gloire de ce cher 
Maître. Mais vous sentez et je sens que, sans la force 
d'en haut, notre néant n'y tiendrait pas. Voilà pour- 
quoi nous avons besoin, dans notre action, comme 



352 CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME. 

dans notre repos aux pieds de Notre-Seigneur Jésus- 
Christ , d'appeler sa vertu, pour qu'elle devienne 
notre vêtement, et que par elle, et pour Jésus, elle 
nous procure une victoire qui lui soit douce et glo- 
rieuse. Oui, j'ai faim et soif de cela, comme de la 
plus grande confusion de ce superbe qui, après tout, 
ne travaille qu'à ramasser et ne ramassera, au der- 
nier jour,- comme son magnifique gain, que la boue 
et l'ordure des pécheurs et des péchés de la terre. Il 
aura lieu de s'en glorifier! Nous le verrons là, quand 
il n'aura que la honte éternelle et le désespoir le 
plus affreux pour partage. Et cela n'aura point de 
fin. 

» Il n'y en aura pas plus pour nous, mon enfant, 
si nous avons le bonheur et si notre Ami nous fait la 
grande grâce de lui être fidèles dans le combat et 
dans les mille avanies qui déboucheront sur nous des 
entrailles de l'enfer. Toujours aimer et toujours être 
aimés, sans que rien nous tire pour un instant de 
l'immensité de ces amoureuses délices! Jésus! quel 
bien vous nous avez acquis par votre sang , vos op- 
probres et votre mort!... Par votre amour, J'aime 
mieux dire; car c'est à lui que nous devons tout cela. 

» A l'amour, l'amour, mon enfant; rien autre; et 
l'amour d'une volonté généreuse et forte, plus encore 
que celui du cœur, de ses douceurs et de ses senti- 
ments. Je ne sais, mais ce matin et depuis un jour ou 
deux, je sens naître en moi comme l'esprit des batailles 
et une sorte d'élan contre les légions de l'enfer. 
Combien de temps notre Ami me fera-til cette grâce? 



CONFIDEINGES SPIRITUELLES. 353 

Je ne laisse pourtant pas de ne voir rien en moi, mais 
tout en lui. 

)j Mon cœur s'offre souvent à lui , comme désirant 
lui servir de lit et de repos. Pauvre Maître! le con- 
soler devrait être le pain et le miel de notre vie. Qu'il 
nous l'accorde, et cela nous suffît. Je lui baise ses 
cinq plaies et je m'arrête à son Cœur, en lui criant : 
Amour, amour! Oh! vienne d'ici l'amour, avec la 
véhémence d'un feu qui consume en nous tous les ob- 
stacles jusques aux plus petits! Âyneriy mille fois «me/i. 

M Je vous bénis de toute mon âme. Périsse Satan 
et toutes ses machinations. 

» Joseph S. J. » 

Un autre jour, le cœur du P. Barrelle se repose 
dans l'amour. 

« Le 11 novembre 1858. 

«... Les tendresses de notre Jésus font s'écouler 
mon pauvre cœur dans l'amour infini du sien. Je ne 
sais ce qui, depuis ce matin, l'attire vers moi et me 
pousse doucement vers lui. L'amour en moi prend 
quelque chose de tendre, et, dans ce sentiment, je le 
tiens comme embrassé et présent, sans que rien me 
gêne et m'en sépare; avec un désir fort calme en 
moi, celui de le voir et de recevoir de lui une bles- 
sure d'amour, qui me fasse languir dans sa recherche 
et dans son attente. 

» Mais que j'en suis donc loin et que je sens en 
moi d'empêchements à cette délicieuse rencontre! 
Oh! si j'étais pauvre en vérité ! je serais pur en vérité 

20. 



354 CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME. 

par là même. Car, comme je le lisais ces jours passés 
dans récrit d'une de mes filles, à laquelle bien des 
paroles sont adressées par l'Esprit-Saint: La pureté est, 
dans une âme, la vérité du rien, c'est-à-dire la parfaite 
pauvreté ou humilité. Alors cette béatitude recevrait 
en moi son parfait accomplissement, non-seulement 
dans le ciel mais encore sur la terre : « Bienheureux 
» les purs de cœur, parce qu'ils verront Dieu. » Mais 
que le ver se contente de ramper, et qu'il suffise à la 
taupe de se traîner en ses souterrains et ses ténèbres. 
Je suis l'un et l'autre, ma part est faite. Je l.a veux. 
Seulement si mes désirs viennent de Notre-Seigneur, 
je le prie de les entretenir , de les faire fructifier à sa 
gloire et à mon bien. » 

Dans la lettre suivante il rend compte de sa retraite, 
commencée le 30 février 1860. 

« Je me suis trouvé, à l'ouverture du livre, en face 
du premier chapitre de l'Évangile de saint Jean, et la 
lumière s'étant faite en moi, j'ai pu goûter ces mots : 
« Tout a été fait par lui... rien sans lui... En lui 
» était la vie... et cette vie était la lumière des 
» hommes. Et cette lumière luit dans les ténèbres, et 
» les ténèbres ne l'ont pas comprise... etc. n Je ne 
puis vous rendre ce qui s'opérait en moi, si ce n'est 
par un triple cri de mon cœur que vous comprenez, 
qui le nourrissait et le soulageait : Verbe , vie ! 
O Verbe, lumière! O Verbe fait c hair, /o rce e/ sagesse 
de Dieu, mais dans votre chair crucifiée! Je voyais 
tout dans ce Verbe, tout, tout, absolument tout; 
tout dans Tordre de la grâce , de la nature et de la 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 355 

gloire, et par conséquent tout poiu^ nous et en nous. 
Oh! dès lors, con}ment ne pas se livrer à lui sans 
réserve? Et je ne cessais de redire : O Verbe vie! ô 
Verbe lumière! regardant simplement et amoureu- 
sement mon crucifix, et sentant que mon âme trouvait 
là abondante pâture. 

M J'ai passé ainsi ma première journée de retraite. 
Puis voulant , ce matin , dans la méditation , me tenir 
dans la grotte de Gethsémani avec mon Sauveur en 
agonie (car nous en faisons l'office aujourd'hui), j'en 
ai été soudain retiré pour en revenir à mon Verbe 
vie et lumière; et j'ai célébré la sainte messe en 
l'honneur du Verbe vie, me réservant pour les jours 
suivants les deux autres attributs qui restent. 

« Je suis venu, moi, la vie, disait Jésus, pour que 
» vous ayez la vie, et toute l'abondance de la vie. » 
Et je lui ai répondu soudain : Et nous sommes venus, 
nous, ô notre unique Amour, vers vous pour recevoir 
tout cela de vous. Oh! nourrissez-nous, Vie, Pain de 
vie, et notre vie, et qu'il n'y ait plus rien en nous 
que vous, ô Vie de notre vie! C'est où j'en suis, avec 
une sorte de plénitude qui inonde mon âme, et dont 
je ne puis plus sortir. J'en suis abîmé et comme 
perdu... Cependant une langueur intérieure continue 
avec cela. Que voulez -vous? l'âme est tellement 
blessée par la flèche que vous savez , que je continue 
de cheminer en langueur dans l'attente, bien que, 
par moments, mon Père me serve une bien délicieuse 
pâture! 

» J'ai continué ma marche toujours sur la même 



356 CHAPITRE TRENTE-GIiXOUIÈME. 

route; et j'ai dit ma messe à Jésus lumière, et je lui ai 
demandé communication abondante de cette vraie 
lumière qui est lui et lui seul. Je continue d'alimenter 
ma pauvre âme du Verbe lumière, qui est non-seule- 
ment Pain de vie pour le cœur, mais encore Pain 
d'intelligence pour l'esprit; mais cette lumière n'est 
pas comprise, comme cette vie n'est pas goûtée, ou 
du moins elle l'est de si peu de personnes, que c'est à 
en tomber de stupeur, et à en éprouver la plus amère 
indignation. Mais, ô miséricorde, sortant à gros bouil- 
lons des plaies et du côté ouvert de Jésus-Christ cru- 
cifié , grâce à toi tout est réparable , et tout , en un 
clin d'œil , est réparé pour qui veut se livrer à toi , et 
^mesurer sa confiance sur toi. Voilà pourquoi il est 
écrit : « Au jour où s'allumera le feu de sa colère, 
» bienheureux seront tous ceux qui se confieront en 
» lui! » 

» J'ai commencé et poursuivi mes oraisons sur 
cette troisième parole : Verbe en sa chair crucifié, 
force de Dieu. Il nous l'a communiquée cette force , 
comme sa vie et sa lumière. Mais est-ce avec des résul- 
tats plus heureux pour Lui et plus fructueux pour 
nous? De la part des hommes toujours même exclu- 
sion , toujours Bethléhem qui n'a pas de logement 
pour Lui; toujours Nazareth qui ne veut rien voir 
que de commun et d'insipide en Lui; toujours Jéru- 
salem qui le chasse de son enceinte et le mène à la 
mort des infâmes. Et Jésus, victime, toujours aussi 
recevant le mal pour le. bien, et la haine pour 
l'amour. 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 357 

» Ah! Jésus! Jésus! La part reste donc abondante 
pour les âmes de foi, qui reconnaissent sa force dans 
son abjection, dans sa nudité, dans ses tourments et 
dans sa mort, et qui veulent puiser là, dans leur 
immense faiblesse, la puissance dont elles ont besoin 
pour se vaincre généreusement elles-mêmes, et pour 
triompher du tentateur. Jésus crucifié. Force de 
Dieu, animez-nous des sentiments qu'avait de vous le 
grand Apôtre, et que nous arrivions à dire, en vérité, 
avec lui : Je mettrai mon plaisir dans mes faiblesses, 
et elles seront ma gloire, pour que la force de Jésus- 
Christ habite en moi; car il se fait tout pour et dans 
les vrais humbles. 

» Reste un quatrième mot : Jésus crucifié , la 
sagesse de Dieu. C'est pour demain; et ce sera l'ob- 
jet de ma quatrième messe, qui sera suivie samedi 
d'une cinquième tout à la gloire de l'adorable Trinité. 
Et déjà ma triste barque se verra de nouveau atta- 
chée à cette terre de l'exil, loin de ce lieu qui nous 
attend, nous désire et nous appelle, ce me semble, et 
par ses habitants et par notre unique Ami! Mon cœur 
se resserre à cette perspective ; mais telle est encore 
la volonté, tel est le bon plaisir de ce Jésus crucifié, 
qui nous veut encore sur la Croix avec Lui, répandant 
encore goutte à goutte, sinon le sang du corps, du 
moins le sang du cœur, et tendant ainsi, par l'épui- 
sement de tous nos désirs, de toutes nos affections 
les plus véhémentes et les plus passionnées, à la mort 
de notre propre amour, de notre propre volonté et 
de nos intérêts personnels. Elle est belle, oh! bien 



358 CHAPITRE TRENTE-CINQUIEME, 

belle, bien précieuse, cette mort, puisqu'elle porte 
en ses entrailles la plénitude de notre vie, de notre 
lumière, de notre force et de notre sagesse qui est 
Jésus. 

)) Oh! qu'elle nous vienne au plus tôt. Père, Père 
et amour de nos âmes. Ah! Notre-Seigneur sait 
combien je le désire. Abandonne -toi , mon triste 
cœur, à son amoureuse Providence, et mange, en 
attendant dans le calme, le pain amer qui t'est servi. 
Il t' arrive de la table même de Nazareth, de Gethsé- 
mani et du Calvaire, jusqu'à ce qu'un autre plus 
doux vienne le remplacer. Je voudrais pleurer... 
Mais non, non! mieux vaut que je m'ensevelisse sous 
la croix du Golgotha , et que , mort à tout ce qui est 
de la terre, mourant à moi-même et à ma volonté, 
j'attende au sein de l'espérance la venue de l'Epoux ! 
Patience! patience! c'est par beaucoup de tribulations 
qu'on entre dans le royaume des cieux. Il faut que 
le grain meure afin qu'il fructifie avec abondance. 
Amen, alléluia!... 

« C'était hier samedi; et j'ai passé ma journée avec 
Marie et Joseph, que j'ai priés, sollicités, fatigués 
peut-être, quoique enfin mon pauvre cœur fût d'ac- 
cord avec eux et le divin Enfant. Oh! combien cette 
journée a été laborieuse pour moi! Elle s'est toute 
passée en souffrances, en clameurs, en actes d'adhé- 
sion et d'abandon , en attente et pleine déception de 
tout ce que désirait mon âme. Et seul, tout seul, ne 
recevant rien d'en haut, ne pouvant recourir à nulle 
âme qui vive sur la terre, je suis resté ainsi , non pas 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 359 

à fouler le pressoir, mais sous la pression de la justice 
de Dieu qui me foulait, sans savoir si j'ai satisfait ou 
mécontenté mon unique Maître, sa Mère, saint Joseph 
et tous nos amis du Ciel. 

» Mon âme, le comprends-tu enfin ce mot : « Il 
M faut mourir pour ressusciter , il faut tout perdre pour 
» tout gagner? » Elle a de la peine à se faire à ce lan- 
gage pratique , et elle est fort amére à son goût cette 
mort qui réduit au plus complet dénûment et vous 
laisse là isolé , nul , en face de sa propre décomposi- 
tion , vivant cependant encore de désirs, que tout 
se plaît à broyer; aimant malgré cela l'Unique , mais 
pour sentir davantage et plus vivement la nécessité 
où on le met , par le fond de sa propre misère , de re - 
trancher le pain dont on a faim. C'est cela, unique- 
ment cela; et bien qu'il y ait de la part de ce cher 
Dieu sagesse , justice et charité , et rien que de par- 
faitement bon, la nature, l'amour de soi, la propre 
volonté, comme je le disais plus haut, ne peuvent ni 
ne veulent le goûter. Eh bien ! tant pis pour elle! elle 
sera bien forcée de se résigner. 

» A la suite de cela, je montais à l'autel. Arrivé au 
premier Mémento, voulant offrir mes intentions, je 
sentis surgir du plus intime de mon âme comme un 
vent violent qui, balayant tout, ne m'a laissé que la 
possibilité de crier à Notre-Seigneur, avec une sorte 
de véhémence : Mort à ma propre volonté! mort à 
mon propre amour! mort à tout ce qui peut mettre 
obstacle à l'écoulement parfait en moi de vos divins 
attributs! C'a été ma seule intention possible. 



360 CHAPITRE T [lElNTE-CINQUIÈME. 

» D'après cela, j'ai compris de quoi j'avais le plus 
de besoin, ce à quoi je devais le plus m' exercer et 
me laisser exercer par Notre-Seigneur et par toutes 
les créatures ; et ce qu'il me reste par conséquent à 
faire pour arriver à l'union divine... Hélas! et voilà 
donc ce qui va me faire encore languir!... Voilà une 
nouvelle masse d'eau froide jetée dans une chaudière 
dont je ne sais point attiser le feu , et dont il me fau- 
dra attendre la pleine évapOration ! Que je suis donc 
malheureux si Notre-Seigneur ne me vient point en 
aide ! Ah ! criez vers Dieu pour moi ; criez vers 
Marie et Joseph, et redoublez vos clameurs afin de 
m' obtenir la prompte évacuation de tout ce qui met 
en moi obstacle à mon union parfaite avec ce Tout 
de mon cœur, dont j'ai faim, et qui me rejette encore 
pour un peu de temps loin de son Cœur. Ah! quel 
besoin j'éprouve de demeurer à toujours avec ce cher 
et bien-aimé Seigneur; mais le temps n'en est pas 
encore venu. Priez! priez! » 

Naturellement se rapproche, par la nature du sujet, 
le compte rendu de la retraite de décembre , la même 
année, terminée le jour de Noël. Il est daté du 23 jan- 
vier 1861. 

« J'ai beau faire effort pour occuper mon esprit de 
certaines vérités dont on se sert dans une retraite, je 
ne puis m'y fixer; et toujours je retombe dans mes 
deux cercles ordinaires, qui sont la Trinité du Ciel ou 
celle de la terre. Oh! ce Père! ce Verbe, cet Esprit 
tout amour! Puis ce Jésus enfant, cette douce Mère 
et saint Joseph! ils me rà\issent tellement, que je ne 



COJNFIDENCÉS SPIRITUELLES. 361 

puis un instant m'en distraire. Je trouve tout là, tout; 
c'est une plénitude et une dilatation dans laquelle 
mon âme trouve une pâture qui la rassasie. Je trouve 
dans mon Père un repos qui ne me laisse rien à désirer. 
« Le Seigneur me conduit, pourrais-je dire avec David , 
» rien ne pourra me manquer; il m'a placé dans un 
M lieu de vrai pâturage. » plénitude! adorable Tri- 
nité, Père, Fils et Saint-Esprit, soyez-moi vie tou- 
jours! Jésus, Marie, Joseph, soyez-moi voie tou- 
jours, afiii que j'arrive à la vérité qui est Vous toujours. 
Amen! 

» Oui, ce cœur en revient toujours à sa pente, 
comme le petit ruisseau vers l'océan qui doit l'en- 
gloutir. Pauvre cœur! tu es passionné pour le beau, 
pour le bien , et c'est pour cela que tu y tends de 
tout ton être; et comme ce bien ne se trouve qu'en 
Jésus, cela explique cette pente qui l'y entraîne in- 
cessamment et avec une véhémence toujours plus 
forte, surtout après le saint Sacrifice, au point que si 
mon bon Maître n'en tempérait l'ardeur, je tomberais 
de défaillance. Heureusement sa charité suspend les 
effets sensibles de ses opérations intérieures sur le 
cœur, pour donner quelque repos à cette nature finie, 
autrement j'en mourrais. 

» Mon impression en entrant en retraite a été un 
entraînement et un écoulement de tout mon être dans 
la simplicité de Jésus enfant; j'en ai une image sur 
ma cheminée, aux pieds d'une autre fort grande, qui 
représente Notre-Seigneur montrant d'une main son 
Cœur, et de l'autre, qui est la droite, ce petit Enfant 

TOAI. II. 21 



362 CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME. 

placé pour ainsi dire au bout de son doigt; il semble 
me dire : Voilà ton berceau , voilà ton moule ! ber- 
ceau de la divine enfance! ô moule de la divine sim- 
plicité! Je me couche dans ce berceau- je me délecte 
à me fondre dans ce moule; et c'est tout pour ce 
pauvre cœur. Il ap[)elait le Saint-Esprit qui est l'Es- 
prit de son Père, tout amour, pour qu'il vînt, de son 
bec, décharner et décharner encore, afin de réduire 
tout mon être à sa plus simple» expression pendant 
cette retraite; car les urnes doivent être vides d'abord 
pour être remplies d'une eau très-pure, et pour que 
ces eaux soient changées en vin, par un acte de la 
volonté de Jésus Notre-Seigneur. 

» C'est singulier, je n'ai pu retirer mes regards de 
ce cher petit Enfant. Ah! c'est que, vous le savez, 
il a charmé et ravi mon cœur, et l'amour que ce 
cœur a conçu pour lui est s' grand, que j'en suis con- 
sumé. Puis, de Jésus enfant passant à ce grand tableau 
de Jésus-Christ, déposé sur ma cheminée en atten- 
dant qu'il soit placé, je pensais en moi-même que 
cette couronne épineuse était notre époque. Mais je 
fus surtout saisi soudain, à la vue de la Croix qui 
s'élevait nue au milieu des flammes qui sortaient de 
son Cœur; ce qui m'a donné la certitude que ce mou- 
vement subit venait de Dieu. Il me semblait l'entendre 
me dire : Voici ta part; c'est cette Croix qui s'élève 
du Cœur de Jésus sans crucifix; il faut que tu sois en 
tout semblable à moi. Je me rappelais alors que j'étais 
fils... Si je suis Jils, je suis héritier. Elle est donc à 
moi, cette Croix qui termine et consume ce Cœur, 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 363 

cette Croix qui s'élève du milieu des flammes de 
l'amour, et qui en est tout entourée. Oui, oui, elle 
est mienne, et j'ai dit positivement et avec une très- 
grande ardeur à mon Père : Père, Père, je la veux 
isolée, nue, sans son crucifix; il lui en faut un cepen- 
dant : Eh bien! j'épouse son isolement, et ce sera 
comme fils et comme héritier que je prendrai la place 
de mon Père, J'y achèterai ainsi, par lui et avec lui, 
par mes souffrances et mes tortures intérieures, et 
toutes les peines dont il vous plaira de m' abreuver, 
les âmes que vous voudrez sauver... Mais je n'y serai 
pas seul. Et, au même instant, toute cette série de 
douleurs qui m'a été montrée fut déroulée à mes 
veux. Oh! que de choses! Et après avoir renouvelé 
mon acte de donation , je me livrai à toute l'action 
des divins attributs par la Croix. Amen. 

» Et n'allez pas dire : Mais quoi, n'est-ce donc pas 
assez de privations, d'ang^oisses et de sacrifices? Non, 
non. Dans les desseins de Dieu, nous devons en épuiser 
la coupe jusqu'à la lie, c'est-à-dire jusqu'à la mort, 
sans nous lasser jamais d'ajouter douleur à douleur, 
sacrifice à sacrifice, en disant toujours, pour la joie 
du Cœur de notre tendre Ami : Encore [)lus , Sei- 
gneur, encore plus ! Toujours souffrir etjamais mourir ! 

» J'ai donc été occupé toute la journée à contem- 
pler ce petit Enfant que je voyais devoir être notre 
moule, dans lerpiel Jious devions nous écouler, pour 
y prendre cette foi soumise, cette simplicité, cet 
abandon et celte humilité que Notre Père attend de 
nous, pour l'accomplissement de ses desseins. J'en- 



364 CHAPITRE ÏRE.N TE-GIINQUIÈME. 

trais, comme je le pouvais, en lui; de là sortait une 
bien ardente prière. Oh! que n'a-t-elle été exaucée en 
plein! car il nous la faut, cette transformation qui 
doit en être le résultat. Vous le voyez. Seigneur Jésus! 
M De Jésus je passais à la Croix, à la petite croix 
noire qui s'élève au-dessus du Sacré-Cœur dans un 
tourbillon de flammes. Les impressions qui me saisis- 
saient à la vue de cette croix étaient vives et pleines 
de tendresse: je m'y voulais, je m'y unissais, me sou- 
venant que pareille croix m'avait été montrée, et que 
mon Père, me saisissant' par le bras, avait dit ces 
paroles : Au Calvaire! au Calvaire! Et cette parole 
du Cantique des cantiques retentissait à mon cœur : 
« Je suis noire, mais je suis belle » , fille de Jésus... 
« aussi le Roi m'a-t-il aimée et introduite dans sa 
« chambre. » Quelle est cette chambre? son Cœur, 
d'où, à la fin des temps, la croix est sortie, sans per- 
sonne entre ses bras, comme pour s'offrir en épouse 
à qui voudra s'unir à elle dans l'incendie de l'amour. 
N'est-ce pas une offre bien capable de tenter? Ah! 
ma fille, ma fille, c'est à qui aura plus d'amour que 
Jésus donnera la préférence. amour! ô amour! 
ô amour! Esprit-Saint, venez, venez et mettez tout 
en feu dans nos âmes!... Et, avec la Croix et l'amour, 
que nous faudrait-il de plus pour la perfection de 
notre béatitude? Sur la Croix, que n'a pas laissé notre 
si aimant Jésus ! Dans l'amour, n'est-ce pas tout, tout, 



ue mon àme y trouve 



» C'était à mon tour aujourd'hui d'entrer en lutte 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 365 

avec le chien; et, me trouvant si mal et si fatigué, je 
me suis tourné vers mon Père, et je lui ai dit que je 
ne savais plus comment faire. Peu après, il m'a attiré 
dans son adorable Sacrement, m'a comme entouré 
de son Eucharistie, ainsi que d'un nuage, et dès ce 
moment je me suis trouvé dans une paix parfaite qui 
m'a refait totalement. Oh! c'est là mon air natal, ma 
famille, ma nourriture, mon breuvage, mon paradis 
terrestre... C'est tout, tout, tout pour moi. « C'est 
» mon repos ; j'y habiterai^ parce que je l'ai choisi 
M pour mon partage. » 

» Sacretnent et sacrifice! Sacrement par sa pro- 
fonde obscurité, par ses mystères en nous, par ce qu'il 
représente de la conduite du Verbe fait chair en nos 
âmes; pain et vin séparés et unis. Sacrifice, car, tou- 
jours vivant, toujours il est immolé le Verbe eucharis- 
tique. Voyez-vous encore où nous conduit la lumière 
de Jésus? n'en est-il pas ainsi de nous?,.. Sacrifice! 
sacrifice! Quelle pensée, mon Dieu!... Oui, oui, 
mais non sanglant, quoique tout y porte le sceau de 
la destruction, de la mort, de l'anéantissement et de 
la sépulture. 

» Et cependant, vous le savez, cher Nôtre , nous 
voudrions bien réellement mourir pour vous et avec 
vous. Votre Isaac est là; il est décidé à mourir. Que 
Notre-Seigneur et Ami nous introduise dans sa lumière, 
nous submerge dans son amour, et ne permette pas 
que nous fassions jamais divorce avec sa Passion, sa 
chère et belle Croix et sa Mort. 

» Voilà donc où je suis venu aboutir, conduit par 



366 CHAPITRE TRENTE- CINQUIÈME. 

la lumière de Dieu, devant Vaiitel du grand sacrifice 
demeurez-y avec moi jusqu'au moment de sa con 
sommation. Je me fixe là ; faites-en de niéme et livrons 
nous. Àîne7i, ainen. » 



*«0000®000« 



CONFIDENGES SPIRITUELLES. 367 



CHAPITRE XXXVI 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 



L'exil terrestre. — Alternatives de mystérieuses agonies et de saintes 
délices. — Parfait abandon. — La foi pure. — Confiance dans les 
divines miséricordes. 



En reprenant le cours de notre admirable corres- 
pondance, nous retrouvons tout d'abord le bon Père 
dans les langueurs de l'exil terrestre : 

« 15 avril 1860. 

» Il faut, je le vois bien, que toute mon ardeur 
naturelle soit purifiée en moi par cette longue attente 
de mon Jésus qui me fait languir. C'est une mort 
lente qui achève ma sanctification ; mais je me suis 
livré à Notre-Seigneur pour faire, en tout et toujours, 
toutes ses volontés. C'est un cercle que je me suis 
tracé, et dans lequel je me suis enfermé pour n'en 
plus sortir jusqu'au bout; et c'est pour moi en même 
temps une véritable mort; car, puis-je vous le laisser 
ignorer? la vie m'est à charge, elle est pour moi un 
vide et un ennui accablant. Je ne suis allégé que dans 
les moments d'oraison, où la paix s'assied sensible- 
ment dans mon âme, l'attirant à soi comme pour la 
sustenter, en la tenant unie par le fond à la sainte 



368 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

Eucharistie et à la divine substance qui s'y trouve. 
Mon âme alors se repose et se nourrit en même 
temps, mais sans rien de distinct. Elle s'écoule vers 
son amour, dont elle reçoit l'écoulement; et c'est 
tout. 

» Cette impression me prend souvent ailleurs, 
n'importent le temps et le lieu; c'est comme un 
rafraîchissement qui me soutient et m'aide à pour- 
suivre ma route. Hors de là, je ne sens que moi, c'est- 
à-dire le poids de mes imperfections et des misères 
sans nombre dont je suis la vivante fourmilière; ce 
qui m'humilie et me serre même parfois le cœur, en 
vue de la peine que je cause à mon Père. 

» Dans ce temps-là, je crierais volontiers avec Job : 

«Je m'ennuie de vivre! » Mais la conformité au 
divin Vouloir reste toujours au milieu de mon pauvre 
cœur languissant dans l'attente de son Jésus. Qu'y 
faire en effet? « Le Seigneur me conduit et rien ne me 
» manquera » , dois-je dire avec David. Il a été bien 
plus long le temps de l'attente de tous ces saints, et 
ils ne perdirent jamais courage; et ils ne s'affaiblirent 
jamais dans leur foi ni dans leur admirable confiance. 
Mon Dieu, rendez-nous participants de leur esprit, 
comme nous en avons besoin; moi surtout à certains 
moments où je me trouve, ce me semble, dans l'état 
d'âme dont le chapitre troisième des Lamentations de 
Jérémie vous donnera une vraie description. 

» Cependant croyez bien que côte à côte de tout 
cela marche, avec mes désirs, mes langueurs et mes 
peines, une conformité entière aux décrets de la Pro- 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 369 

vidence, de la stabilité et de la justice, infiniment 
aimable en tout, de mon Dieu et de mon Père; et je 
ne voudrais pas pour tout au monde qu'il chanjjeât 
en quoi que ce soit le moindre iota de ce que récla- 
ment ses adorables attributs. Ab! qu'il satisfasse en 
plein sa divine justice ! 

» Me sentant donc un grand désir de voir enfin se 
terminer mon exil, je le seconde et le nourris; mais, 
d'autre part, aimant mieux la volonté de ce bon Père 
que toutes mes ardeurs, je les lui sacrifie à plein et je 
m'avance ainsi entre ces deux contraires en appa- 
rence, mais formant cependant une véritable unité. 
Ah! Jésus! Jésus! votre sainte et adorable volonté et 
non pas la mienne. » 

Viennent ensuite les consolantes intermittences des 
saintes délices. Le P. Barrelle venait de lire les com- 
munications spirituelles d'un cœur fervent. A son 
tour, il épanche sa propre ferveur : * ^ 

« Votre journal, ma fdle, m'a rassasié, m'a rempli, 
fait comme déborder dans le cœur de mon Père, de 
ma Substance, de mon Unique, de mon Tout. Je ne 
saurais vous rendre ce qu'il peut voir lui seul, parce 
que tout en moi est son ouvrage, et que c'est de sa 
plénitude qu'arrivent à moi ces filets qui, je le pres- 
sens bien, se changeront en ruisseaux et en torrents, 
jusqu'à ce que mon pauvre et riche cœur entre dans 
un océan immense. 

» Oui, ce temps viendra; car mon Père ne com- 
mence rien sans la volonté et la puissance de le mener 
à sa fin. Or, concevez-vous ce qu'éprouve une âme 

21. 



370 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

qui, sans aucun mérite précédent, et n'ayant d'autre 
droit qu'à un rebut éternel, se voit, par une mer- 
veille à jamais inouïe, introduite dans une sphère 
comme celle où je me vois? Ah! ^rand Dieu! Il n'y 
a ici qu'un mot à dire : Taisons-nous î et qu'il nous 
suffise d'admirer, en nous fondant de reconnaissance 
et d'amour dans le cœur qui nous attire avec tant de 
douceur et de force, pour nous transformer en soi. 
Tel est l'état où je me trouve. C'est un doux et bien 
doux accablement, qui favorise cependant l'action 
intérieure, provoquée par cette pensée que notre 
Père du Ciel doit recevoir ses créatures dans le 
moule de son cœur. 

" Il faut donc que la fonte se fasse, et elle ne peut 
avoir lieu que dans le creuset et sous le feu de l'a- 
mour... puis, la fusion dans le moule, et une fusion 
qui s'étende à tout ce qu'il y a de formes , de plis et 
de replis dans le moule divin. On laisse ensuite le tout 
se refroidir, pour qu'il y ait pleine consistance... et 
le moule s'ouvrant alors, la nouvelle créature paraît. 
Oh! qu'elle est belle et gracieuse quand elle porte 
avec une exacte fidélité tous les traits de ce moule 
divin ! 

» Telles sont les opérations par lesquelles nous 
avons à passer. Elles sont toujours lentes quand les 
ouvriers sont de purs hommes, et le métal pur métal , 
mais quand c'est le Saint-Esprit qui est le fondeur, 
et un cœur qui se livre à lui avec amour et pleine- 
ment, qui est le métal, oh! que tout est plus facile, 
plus rapide et plus prompt ! Notre unique affaire doit 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 371 

donc être maintenant de nous fondre et de nous écouler 
à plein dans notre moule, et c'est ce qui s'opère en 
moi comme naturellement, avec une paix et une faci- 
lité qui m'étonnent. Naturellement encore, mon cœur 
est porté tantôt à se verser tout d'abord dans le sein 
et dans le cœur si pur de notre sainte Mère, pour en 
devenir plus pur et plus propre à prendre toutes les 
formes de son moule, et tantôt à se mettre entre les 
mains de Marie et de Joseph, ou à s'appliquer à leurs 
cœurs, pour qu'une première transformation en eux 
rende la seconde plus parfaite encore. 

» Dieu! que n'inspire et que ne fait l'amour, quand 
il entre dans une âme! Il la remplit d'une telle sim- 
plicité, il lui inspire une si lar^je confiance, il lui 
donne une si ^^rande liberté, qu'elle va droit sans 
crainte aucune à son ravissant objet, par la certitude 
qu'elle sent et qu'elle a d'être aimée et d'aimer. Or, 
je vous le dis en toute simplicité, voilà où je me 
trouve, et ce que je fais délicieusement, malgré des 
moments d'ennui de vivre qu'amènent nécessairement 
les combats extérieurs avec l'état intérieur. Mais 
abandonnons le tout aux tendresses et à la savou- 
reuse sagesse de notre éternel Ami , et faisons en 
toute humilité, simplicité, patience et charité, la 
part de travail qui nous est assignée. C'est là pour 
nous l'unique nécessaire. 

., 9 mai 1860. .. 

Bientôt l'agonie intérieure recommence sa mysté- 
rieuse immolation. Puis, de nouveau Dieu montrera 



372 CHAPITRE TRE^■ TE-SIXIÈME. 

son visage, pour le voiler encore et ]e manifester de 
nouveau : 

«< 24 novembre 1860. 

» Ma dernière lettre et la décharge de cœur qu'elle 
contenait a commencé à m'alléger du poids qui me 
broyait. Dieu a bientôt dissipé le reste des nuages qui 
m'environnaient encore, et fait succéder en mon âme 
la joie à la tristesse, par le témoignage si sensible et 
si touchant de l'incompréhensible charité du Père, 
du Fils et du Saint-Esprit envers une aussi misérable 
créature. 

» En effet, de bien longues niais bien douces heures 
se sont passées ce jour-là pour elle dans de délicieux 
rapports avec son Dieu. C'est à la personne du Père 
plus spécialement que j'ai été intérieurement appliqué 
dans ces moments-là. Gela venait de ce que pour la 
première fois, d'une façon du moins très-sensible et 
très-distincte, cette adorable Personne daignait fixer 
les regards de son cœur sur ma pauvreté et mon indi- 
gnité, et qu'elle m'apparaissait ne faisant qu'un avec 
le Verbe, mon Père, dans sa sollicitude amoureuse 
pour moi. Non pas que je ne le crusse par la foi; car, 
ainsi que le dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, « Mon 
» Père et moi ne faisons qu'Un», mais j'avoue que 
jusqu'à ce jour la foi me laissait une certaine crainte 
de la majesté et de la sainteté du Père, crainte que 
je n'avais pas en traitant avec le Verbe incarné. Or, 
en voyant le Père s'occupant avec son Verbe de ce 
rien qui est moi, et unissant son intérêt à celui de son 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 373 

Fils pour mon âme, j'ai été sensiblement attendri et 
dilaté. 

» Mon Dieu, être aimé de vous! quel bonheur! et 
d'où peut-il me venir? J'en ai vraiment joui, et ma 
paix en est devenue plus sensible, quoique je crusse 
voir dans le Saint-Esprit qui allait et venait, descen- 
dait à moi et montait, se rapprochait et puis s'éloi- 
gnait encore, quelque chose qui semblait me dire : 
Son infinie délicatesse trouve encore à désirer en 
loi. Eh! Seigneur, pouvais-je m'en étonner, et ne 
pas tomber pleinement, et sur-le-champ , d'accord 
avec vous? Ce point, cette nuance qui me peinait au 
fond, n'enlevait rien pourtant au bonheur de mon 
âme, que j'*ai goûté pendant ces jours. Cependant il 
y a eu des intervalles où les brouillards de l'ennui 
reparaissaient, et où je devais, par conséquent, pos- 
séder mon âme par la patience et supporter avec mon 
propre poids celui de la vie. 

» Je n'ai rien à dire à cette marche de la divine 
Providence qui tantôt m'élève et tantôt m'abaisse 
par le sentiment de ces grandes misères, pour mon 
plus grand bien; mais j'ai beaucoup à m'humilier et 
à me confondre en moi-même de moi-même, en 
même temps qu'à m'anéantir devant mon Dieu, et à 
crier à ses pieds miséricorde, parce que les choses 
n'en seraient point là en moi, si je n'étais, par ma 
faute, en dessous et bien en dessous de ce que je 
devrais être. Cependant le malaise est fort grand 
alors, le cœur est dans l'exil. Ni le ciel ni la terre, 
rien plus qui l'élargisse. Il lui faut la patience et la 



374 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

prière. Ma plus grande souffrance alors me semlile 
être la pensée du déplaisir que je cause à mon Jésus 
et les entraves que je mets ou que je suis fort exposé 
à mettre aux parfaites opérations de son bel et tendre 
amour. 

» Et voilà, Seigneur, ce qu'est l'homme depuis 
que le péché l'a dénaturé! Non, vous n'êtes pas 
étonné de l'entendre alors vous crier du fond de son 
amertume et de ses an^joîsses : « Otez, ôtez de dessus 
moi ces vêtements souillés, et donnez-moi la nouvelle 
tunique! » et de le voir partout où il est, partout où 
il va, traîner à sa suite ses gémissements. Mais ce que 
vous demandez, ce que vous voulez, cher Maître, 
c'est la douceur intérieure, c'est l'humilité confiante, 
c'est l'exercice fidèle de la poursuite et de l'amour; 
c'est la retenue au dedans, sans qu'il en paraisse rien 
au dehors, de cette espèce demartvre; c'est la mesure 
d'activité extérieure possible au milieu de ce delà- 
brement complet de toutes les forces de l'àme. Hélas! 
en ceci il me semble que j'ai bien des reproches à me 
faire; car, dans cet état, je ne voudrais pas avoir 
autre chose à faire que de rester aux pieds de mon 
divin Sauveur; et cependant les âmes!... 

» Jésus, mon Père, c'est vous, c'est vous seul 
qui puissiez me consoler quand je m'afflige, me réjouir 
quand je suis triste, me raviver quand je suis pris de 
langueur. Ah! qu'alors votre douce voix se fasse 
entendre ! qu'alors mon âme se dégage de ses entraves 
et de ses ténèbres, pour s'élancer vers vous, et que 
vous saisissant des bras de sa tendresse, plongeant 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 375 

son cœur dans votre Cœur, elle se livre à vous, se 
fonde en vous. 

» Ah! qu'il est bon ce Père! qu'il est suave et beau 
cet Esprit! Ce nom de Beau que je lui donne, sans 
doute est remarqué par vous, mon enfant. C'est que 
l'Esprit-Saint est amour; et, en vérité, il n'est rien 
au ciel ni sur la terre de plus beau. Je vois cela d'une 
manière confuse que je ne saurais rendre; mais j'en 
touche par le cœur toute la vérité. Oui, Esprit du 
Père et du Fils, rien, rien n'est beau comme vous; 
vous êtes avec ce Père et ce Fils la beauté éternelle 
infinie, dont les Chérubins et les Séraphins désirent 
sans cesse, là-haut, de pénétrer toujours plus les 
charmes ravissants. Oh! quand ne serons-nous plus 
bloqués par la misérable humanité et contemplerons- 
nous à notre tour, non-seulement votre si beau visage, 
mais vos enivrantes opérations! Secrets de Dieu! 
secrets de Dieu! Ah! mon enfant, je vous en conjure, 
appliquons-nous à mériter qu'il arrive bientôt, ce 
moment, par l'acceptation cordiale de tous les sacri- 
fices qu'il nous reste à faire, sur la portion de route 
que nous avons à traverser encore. 

» Joseph. S. J. » 

« 9 décembre 1860. 

» Je crois comme vous, mon enfiint, que nous 
n'avons pas fini nos croisières. En attendant, regar- 
dons en haut, là où réside le Père tout-puissant, et 
en bas aussi, là où dans ses immenses profondeurs, 
vit d'anéantissement et d'inqualifiables rebuts le Verbe. 



:\7ù CHAPITRE TREINTE-SIXIEME. 

Je me souviens que vous m'avez dit en commençant 
cette année que je me flattais en vain d'aller enfin 
près de mon Jésus, que je me verrais déçu dans mon 
attente. Ah! bon Maître, si c'est là ce que vous jugez 
dans votre sagesse devoir faire à mon égard, je le 
veux bien, et je vous dis fiât. Mais puis-je vous le 
cacher! Oh! il m'en coûte et beaucoup. Amen, pour- 
tant. Je veux bien mourir de cette première mort 
afin de trouver enfin notre vie. Mais que je voudrais 
donc, s'il plaisait ainsi à Dieu, voir, entendre et 
serrer dans mes bras ce Jésus qui seul m'est tout, et 
sans lequel tout ne saurait m' être rien!... Allons, 
confiance et courage. Tout a son cours, et tout aura 
son terme. Patience, mon âme, attends encore un 
peu et il viendra... Oh! venez, venez, tendre Ami! 
et soyez-nous, ô adorable Eucharistie, feu promp- 
tement consumant. 

» Je pensais aujourd'hui à cette belle fête de Noël 
et à ce qui s'y rattachait par le souvenir du passé, et 
cela excitait et irritait mes désirs pour me faire mul- 
tiplier mes sacrifices. Ah! souvenons-nous que souf- 
frir, c'est aimer, et que plus on souffre humblement, 
patiemment, plus on aime. Du reste, ne faisons-nous 
pas sur notre route de bien délicieuses stations sur 
le Cœur de notre doux Sauveur? Nous serions bien 
ingrats si nous n'en tenions compte à votre extrême 
amour pour nous; nous mangeons de bon cœur le 
pain que nous donne le vôtre, et qui est un fragment 
de celui que vous avez de tout votre appétit divin 
dévoré continuellement pour nous. Laissons-nous faire 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 377 

et aimons à nous laisser mener les yeux fermés, le 
cœur aimant et les deux bras attachés aux mains 
toutes bonnes de notre unique Amour... Ah! Jésus, 
montrez-moi votre divine face et je serai sauvé ! 
Jésus, dégapjCz ce noyau, mon âme, veux-je dire, qui 
est en moi unie à votre substance eucharistique, 
dégagez-la de ce vêtement sordide de nature gâtée 
qui l'enveloppe et l'humilie, pour qu'elle puisse s'en- 
voler vers vous, mon Père! Voilà l'unique bien que 
désire mon cœur!... 

» Enfin me voilà donc toujours placé entre deux 
opérations qui se succèdent en moi l'une à l'autre. 
La première, débordement de pauvreté, qui me 
broie et m'anéantit en totalité, en me faisant pousser 
intérieurement des cris douloureux, qui aboutissent 
à l'abandon aveugle entre les mains de mon Dieu. Et 
la deuxième, cette plénitude de rassasiement et de 
repos qui m'accable en me béatifiant par le cœur 
dans toutes mes puissances intérieures. Alors, je ne 
vois rien, je ne sens rien de distinct; c'est une 
lumière : toute lumière sans lumière, c'est comme 
une vapeur lumineuse et légère qui m* enveloppe, 
c'est une gaze sans consistance entre cette lumière et 
mon intelligence qui n'empêche cependant pas la 
plus douce et la plus enivrante des impressions, fruit 
de cette même lumière, de venir et d'inonder l'intime 
de mon âme, mais qui m'ôte tout autre sentiment et 
efface toute pensée. Je suis alors dans un océan de 
paix, plein et saturé. Mais rien autre ni rien plus. Je 
suis envahi et je m'écouje en l'essence divine. II me 



378 CHAPITRE TREINTE-SIXIEME. 

fait bon, bien bon d'être ainsi, et j'y resterais tou- 
jours si mon Unique le voulait. Gela me donne une 
idée légère de la satiété où sont au ciel les âmes 
bienheureuses. Voyez-vous comment il se fait que je 
ne puis et ne saurais plus rien goûter ici-bas? Ah! 
ma fdle, si une seule gouttelette de cet océan infini 
nous comble de tant de délices, que sera-ce donc de 
le posséder et de le goûter en plénitude! 

» Je vous bénis. 

» Joseph S. J. » 

« Le 3 avril 1861. 

» Votre lettre m'a trouvé fort triste. Je languissais. 
Mon cœurvoulaitse plaindre, mais je l'en aiempéché, 
m'abandonnant à Notre-Seigneur, qui semblait pren- 
dre plaisir à déverser en moi le calice de son amer- 
tume de Gethsémani; et il v avait en tout mon être 
resserrement et comme larmes. Expliquez-moi cela. 
Je n'ai rien qui m'agite et m'inquiète, et cependant 
je sens mon âme dans l'état où se trouvait celle de 
Notre-Seigneur en allant au jardin des Olives. Elle 
est triste, et je pourrais vous dire ce que ce cher 
Sauveur disait à ses apôtres : Mon âme est triste jus- 
qu'à la mort. 

» Est-ce un effet de la malice du chien, ou une 
opération des divins attributs en moi, je ne m'en 
rends pas compte; seulement j'éprouve comme une 
sorte de rupture incessante de mon âme avec mon 
corps, causée par une opération douloureuse et dont 
je n'ai rien de distinct, qui me fait ressentir les 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 379 

ang^oisses de mille trépas. Cependant je puis assurer, 
qu'au lieu de me détourner de notre Amour, ces 
douloureuses impressions me mettent comme sur une 
pente par laquelle tout en moi, mis en fusion par 
l'effet de cette tristesse sensibilisante, s'écoule vers 
mon Sauveur et mon Père. Je ne sais que lui dire : 
Pitié! pitié de vos pauvres enfants! C'est ma seule 
prière. 

5j Ce que vous avez reçu de moi l'autre jour était 
comme une inondation en moi de toutes sortes de 
douleurs; c'était comme un débordement de toutes 
les rigueurs de la justice divine sur moi, et j'en étais 
si accablé que j'ai dû crier vers vous, afin que, m'ai- 
dant de vos instantes prières , il me fût donné de 
pouvoir soutenir ces opérations décbirantes. 

» Mais je ne suis pas encore au bout, et même je 
neveux pas y être. Il est bien juste qne je souffre, 
moi qui vous ai tant fait souffrir, ô Jésus ! il est bien 
juste que j'aie le cœur percé , moi qui ai transpercé 
le vôtre; il est juste que je pleure, moi qui vous ai 
tant fait pleurer. Puissé-je])ar cette voie arriver enfin 
à vous aimer comme vos Chérubins et vos Séraphins 
vous aiment, comme vous aimèrent Joseph et Marie, 
vous qui m'avez tant aimé, ô Jésus! 

» Non, non, ne cherchez [)as à me consoler, ni à 
tirer mon cœur de cet abîme d'amertume où je me 
vois plongé, bien que la paix ne quitte pas mon âme. 
Je veux, oui, je veux boire au calice de mon Père, et 
mêler mes angoisses et ma douleur aux angoisses et 
à la douleur de mon Ami. Père, Père, si bon Père, 



380 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

restons ensemble , et que rien en moi ne sente antre 
chose que ce que vous sentez. C'est la volonté de 
votre Esprit-Saint, parlant par la bouche de saint 
Paul : Pas d'autre sentiment en vous que les senti- 
ments de Jésus-Christ. C'est l'un nécessaire, pour 
nous, mon enfant. Aspirons-y. 
» Toutes mes bénédictions. 

» Joseph. S. J. » 

Tantôt le bon Père se présente avec le désir du 
pauvre, altéré de besoin, tantôt il nous montre son 
âme en dehors de l'enceinte lumineuse où ses entants 
goûtent la divine joie, réduite sans se plaindre à la 
nudité de la foi pure : 

« 19 mai 1861. 

» Je commence, mon enfant, par une prière que je 
faisais ce matin de tout cœur : 

« Bienheureux Saint-Esprit, amour infini du Père 
w et du Fils, je ne vous demande aucun effet sensible 
» de votre divine descente aujourd'hui dans nos 
» âmes. Non, Amour immense, ce n'est pas ce que 
» nous cherchons, mais que vous nous possédiez 
» d'une possession pleine, totale et durable à jamais. 
» C'est pourquoi nous vous donnons nos cœurs sans 
M réserve : opérez-y une puissante résolution d'être à 
» vous totalement. Quidittout, divin Amour, n'excepte 
» rien ; c'est ce que je vous demande. Etre tout à 
» vous et être en paradis, c'est tout une même chose. » 

» Allons, ma sœur, allons, allons donc en paradis. 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 381 

Qu'il est désirable, qu'il est aimable, ce divin paradis 
de la terre!... 

» Nous nous plaignons, nous soupirons, nous gémis- 
sons. Que faisons-nous, hélas!... Pardonnez-nous, 
Seigneur, nous ne savons ce que nous faisons, imitant 
les enfants au berceau, qui pleurent et crient sans 
qu'on sache pourquoi. Vous seul nous devinez, Sei- 
gneur, et vous pourriez nous dire : » Ce que vous 
M faites, enfants! Vous êtes plus dans votre volonté 
» que dans la mienne; car si vous étiez plus en moi 
M qu'en vous, toutes les dispositions de mon aimable 
» et sage Providence vous donneraient plus de paix 
» que de troubles , plus de joie que de tristesse, plus 
» de confiance que de crainte, et beaucoup moins 
» d'amertume que de douceur. » N'est-ce pas, mon 
bien-aimé Père saint Joseph, et vous ma douce Mère 
Marie? Ah! vous ne faisiez pas comme nous, quand 
vous étiez sur la terre ; aussi quelle délicieuse paix 
vous inondait ! 

» Aujourd'hui le chien a fait ce qu'il a pu pour 
m' enlever la paix en me suscitant de loin et de près 
des contrariétés bien capables de me fatiguer; mais, 
par une grâce spéciale, j'ai fait paisiblement ma 
route. Je me suis tenu aux pieds de mon bon Maître 
et de sa sainte Mère, et avec le désir du pauvre altéré, 
j'ai ouvert ma bouche, comme David, et attiré ce 
divin Esprit, si désireux de se communiquer aux 
âmes. Je n'ai point senti, comme en d'autres occa- 
sions, cet écoulement délicieux de Jésus en moi, et 
de moi en Jésus, mais un repos intime, mélangé 



382 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

d'amertume et nourrissant en même temps. Je suis 
content, sans l'être de tout point. Pourquoi? Je ne 
sais m'en rendre compte. C'est comme une nappe 
tendue sur la surface de mon cœur, mais qui ne 
m'empêche [)as de me tendre moi-même sur tout mon 
Jésus et sur toute ma sainte Mère, et sur tous nos 
amis du paradis. Oh! je les aime hien et je sens qu'ils 
nous aiment. C'est assez, et c'est tout. Merci, Jésus. 

» Après ces dix jours de cénacle, voici d'autres 
jours qui ne parleront pas avec moins de douceur à 
nos cœurs. Oh! cette Trinité sainte! oh! cette bien- 
aimée Eucharistie! oh! cette substance, nôtre, nôtre! 
oh! ce corps sacré! oh! ce sang notre vie! oh! 
cette plénitude de communion! Je ne sais ce que je 
dis; bon Maître, bon Maître! quand je réfléchis à ces 
choses, je suis hors de moi. 

M Préparons-nous donc de notre mieux et selon la 
mesure de grâce qui nous sera donnée, mais sur- 
tout par la souffrance ; car je ne veux rien que par la 
Croix. Souffrir, souffrir, et par là entrer en tous les 
desseins que notre divin Ami s'est proposés et se pro- 
pose en se donnant à nous. Ah ! la Croix! la Croix! 
et avec elle le dernier soupir sur le sein de Jésus 
pour entrer dans sa vie glorieuse. Car vous savez 
qu'il est écrit : « Elles nont pas aimé leurs âmes 
seulement jusqu'à la mort » , c'est-à-dire elles ne se 
sont Doint arrêtées, elles n'ont point reculé devant la 
mort elle-même. Voyez-vous où toujours il faut abou- 
tir? Mais ne perdons pas de vue «cette consolante 
parole de mon Père : « Je tirerai la vie de la mort. » 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 383 

Méditez ces dernières paroles devant Notre-Seigneur. 
» Je vous bénis de tout mon cœur. 

» Joseph S. J. » 

« Le 29 juillet J861. 

» Bénie soit sainte Anne avec son époux saint Joa- 
chim ! Bénis soient tous nos Amis entre les an^es et 
les saints, et bénis toujours et par-dessus tout en tous, 
au ciel et sur la terre, les Trois qui ne font qu'Un, en 
nous comme partout, le Père, et le Fils, et le Saint- 
Esprit ! 

» Jamais ils ne font plus et ils ne font mieux que 
quand ils semblent ne faire rien du tout. Leur silence 
profond est une parole très-sonore, et leur totale 
inaction le couronnement de leur action. J'aime à le 
penser, j'aime à le dire, j'aime à le croire, à l'es- 
pérer et à m'y complaire, parce que dans leur volonté, 
qui s'accomplit ainsi, tout se trouve, et la promesse 
et l'exécution, et la perfection de tout. Ne détachons 
donc pas notre barque du rivage où cette volonté 
divine la tient encore attachée , et restons fermes en 
cette agitation et joyeux parmi tous nos sujets de tris- 
tesse ; car la volonté divine se fait et se fera, et rien ne 
pourra y mettre obstacle. 

» Raisonnons avec le grand apôtre : si le tout nous 
est donné , comment serions-nous frustrés du reste? 
Couchés sur notre poussière et sur notre ordure, res- 
tons-y donc, languissant sans languir, souffrant sans 
souffrir, nous consumant sans consomption et mourant 
sans mourir. Tel est le bon plaisir divin. 



384 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

» A ce langage qui coule, que pensez-vous? Sans 
doute que me voilà tout en feu, tout en fusion, tout 
en écoulement dans le sein du Verbe, mon Dieu et 
mon Père. — Doucement. Je suis juste comme vous. 
C'est donc vous dire que sentant je ne sens pas, que 
voyant je suis comme une créature aveugle, et qu'en- 
tendant et comprenant des paroles aussi claires que 
divines, je n'en suis pas plus impressionné dans la 
partie sensible de mon âme que si je n'entendais et 
ne comprenais pas. C'est la mort avec la vie; c'est 
le supplice avec le paradis; c'est... que dirai-je 
encore? le Tout avec le néant. 

« La foi, et la foi pure, voilà à quoi se réduit mon 
intérieur. Mais j'en suis content, parce (jue saintPaul 
nous dit : « La foi est la substance des choses que 
nous devons espérer et la preuve évidente de ce qui 
ne parait pas encore. » Je pense que c'est là une part 
de notre liéritage paternel. Ils cbeminèrent par cette 
voie tous nos Pères, les patriarches depuis Abel jus- 
qu'à Zacharie, et c'est par cette foi qu'ils arrivèrent 
au but. Ainsi en soit-il pour nous. Il est dit de Moïse 
que, « ne voyant j)as Dieu, il le supporta en toutes 
ses épreuves » , sans doute comme s'il le vovait. 
Vous, en ce moment, vous ne le voyez pas et vous 
ne l'entendez pas : présentez-lui le même support que 
Moïse, et demandez pour moi à Notre-Seigneur la 
même grâce, pour moi qui, voyant autour de moi 
presque toutes mes brebis en rapport avec l'Invisible, 
les unes d'une façon et les autres de l'autre, reste 
seul, tout seul, dans cette pure foi, sans rien voir ni 



GOISFIDEiNGES SPIRITUELLES. 385 

rien entendre en dehors de l'enceinte lumineuse où 
mes chères brebis voient, à ma grande joie, la lumière, 
qui me reste cachée et qui ne m' arrive que par ré- 
fraction ou reflet. Heureuse ressemblance avec mon 
Père, qui dit de lui-même : « Je suis le dernier » ; 
c'est que je suis tout petit encore, et mon émanci- 
pation n'a pas eu lieu. Sujétion donc et dépendance 
comme celle dii serviteur, dit l'Apôtre!... Oui, Sei- 
gneur. Amen en plénitude. 

»j Joseph S. J. » 

A la date du 14 mars 1862, il écrit encore : 
« Si ma peine pouvait alléger la vôtre, je vous 
dirais que si, d'une part, ÎSotre-Seigneur me Iciid une 
main toujours et toute secourable, m'attirant et me 
tenant avec soi, tantôt au désert, tantôt aux lieux où 
sa passion s'est opérée, et habituellement dans son 
tabernacle eucharistique; de l'autre, oh! par combien 
d'humiliations intérieures et d'amertumes il me Faut 
passer, par une bonté et une charité vraiment inef- 
fables! Mérité-je de telles grâces et une telle ressem- 
blance avec son divin Cœur. Mille et mille fois non. 
11 me les fait pourtant et avec abondance, permettant 
que tout cela me vienne et de mon ennemi et de 
diverses facultés de mon âme, et de presque tous les 
points où mon saint ministère me fait poser le pied. 
» Voilà ce que pousse la triste terre où nous sonmies 
encore, d'après la loi proclamée depuis le commence- 
ment : Pour les pécheurs, des épines et des ronces. 
Les herbes de la terre, et non les fruits délicieux du 
paradis, seront ton aliment, ô homme, qui que tu 

TOM. II. 22 



386 CHAPITRE TRENTE-SIXIÈME. 

sois, et pour que nulle créature, même les plus aimées 
et les plus favorisées, ne s'attendît à en être exempte, 
ne voyons-nous pas que le Verbe, qui proclama cette 
loi de si juste vengeance, ne voulait pas faire excep- 
tion pour lui-même, lorsqu'il prit notre chair, mais 
s'enfonça au contraire plus avant dans les taillis les 
plus épineux et les plus déchirants? Et puis, ce doux 
Agneau nous criait : Venez après moi, suivez-moi; je 
vous conduis par mon sentier au royaume que je 
vous ai préparé dès l'origine. » 

Au miheu du flux et reflux de ses impressions , le 
P. Barrelle se livre à la Providence : 

« J'ai de nouveau fait l'expérience de ce que je 
vous disais l'un de ces jours passés, que rien n'entre 
en moi pour y rester à demeure. Quand une forte 
impression a été faite sur mon pauvre cœur, qu'elle 
soit douce ou qu'elle soit amère, elle fait son chemin 
pour céder la place à d'autres impressions, qui sont 
aussi mobiles que les précédentes. C'est une suite de 
vagues qui tantôt vous élèvent et tantôt vous abais- 
sent; le bateau en sent la différence, mais de même 
qu'il ne saïu^ait arrêter les unes, qui le consolent, il 
ne peut pas non plus éviter celles qui produisent en 
lui un effet opposé. Gela a lieu ainsi, pour que l'àme 
s'établisse dans la parfaite volonté de son Créateur et 
de son Dieu, sans jamais rien choisir, rien préférer 
par égard pour elle-même. Notre-Seigneur est alors 
le maître unique en elle; c'est sa gloire en même 
temps que notre vraie félicité. Un saint Père dit de 
la Irès-sainte Vierge qu'elle était une roue mobile à 



CONFIDENCES SPIRITUELLES. 387 

toutes les impressions du Saint-Esprit; c'était nous 
faite connaître la disposition parfaite du Cœur de 
cette admira])le Mère, toujours au-dessus d'elle- 
même et de tous les objets créés, et toujours par là 
même uniquement impressionnable au souffle divin 
du Saint-Esprit. » 

Le P. Barrelle ne compte que sur la gratuité des 
divines miséricordes : 

« 20 avril, saint jour de Pâques 1862. 

» Il a plu à mon doux Maître de me conduire d'une 
manière extrêmement simple pendant la sainte se- 
maine. Je l'ai suivi autant qu'à mon âge il était pos- 
sible de le suivre. Un enfant, que peut-il? Je lui 
donnais ce qu'il me mettait dans les mains du cœur; 
et je souffrais de langueur et d'ennui, avec humilité 
et patience, quand il me voulait souffrir... 

» Chose singulière! j'aurais pu lire; j'aurais même 
voulu lire, en un certain sens, mais quelque chose 
mç liait et me faisait trouver meilleure l'humble et 
toute simple contemplation de mon bon Maître. J'en 
restais donc là à peu près tout le long du jour, et 
bien que par moments le temps me parût long, il ne 
laissait pas que de passer assez vite. C'est ainsi que 
nous sommes arrivés à la fin; et alors Notre-Seigneur 
m'a rappelé les temps anciens où, conmie tant d'au- 
tres âmes, je me disais : A Pâques, Notre-Seigneur se 
fera bien un peu sentir à moi. Je vis l'imperfection de 
cette perspective, si souvent féconde en déceptions. 
On compte plus sur ce que l'on a fait pour Jésus, 



388 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

coniiDe si ce qui vient de créatures pauvres comme 
nous valait ou était quelque chose, que sur la gra- 
tuité de sa miséricorde. Le moi est dans cette dispo- 
sition, et non pas Jésus seul et sa divine charité. 
Madeleine et les saintes femmes ne cherchaient que 
Jésus. L'ange qui leur apparaît leur rend ce précieux 
témoignage : Je sais qui vous cherchez : Jésus-Christ 
de Nazareth, crucifié. Elles ne songeaient donc point 
à elles-mêmes. C'est pour cela qu'il se montre à elles 
et qu'il leur remplit le cœur de joie. Les autres en 
restent à leurs prétentions, et au lieu de cette joie, la 
tristesse. La leçon de Notre-Seigneur était bonne 
pour moi. J'ai tâché d'en profiter, et je me suis mis 
entre ses mains pour toute chose. 

» J'ai bien fait. Car ce matin j'ai eu un peu plus à 
souffrir de ma faiblesse et de ma respiration; et le 
corps, vous le savez, appesantit l'âme. Ensuite, quel- 
ques mots de Noire-Seigneur à la Cène sont venus 
me rendre un peu plus de cœur : « Quand je m'en 
» serai allé, et que je vous aurai préparé une place, 
» je reviendrai à vous , je vous prendrai à moi , afin 
« que là où je suis, moi, vous y soyez vous aussi. » Oh ! 
prise de nous par Jésus à soi! qu'il y a de miel dans 
celte parole! Et puis, là où il est, lui, y être, nous! 
Le cœur en a l'intelligence; ni la langue ni la plume 
ne sauraient jamais le dire. » 

Enfin le bon Père repose son cœur dans l'espoir 
de la consommation dernière, où l'immensité de la 
joie dépassera l'abondante amertume des agonies 
présentes : 



, CONFIDENCES SPIRITUELLES. 38!) 

« Fiat! et toujours y?a^' Que ce soit là notre can- 
tique perpétuel , et qu'il résonne dans toutes les 
parties de notre être intérieur, comme dans sa gros- 
sière enveloppe qui est notre corps ! 

» La sagesse divine, qui daigne prendre notre con- 
duite, et qui depuis ce moment bienheureux n'a 
cessé de tenir le gouvernail de notre pauvre bateau, 
même dans les plus terribles tempêtes, voit bien le 
jour où tant de tribulations et d'angoisses prendront 
fin. Elle ne trouve pas bon de nous le faire connaître 
encore. Mais souvenons-nous de cette parole de notre 
bon Père sur la Croix, vers la fin de son agonie : 
Seigneur, je vous remets avec une pleine confiance 
mon âme désolée et comme abandonnée par vous. 
C'est en vos mains que je la dépose tout entière. Et 
en signe de sa totale et éternelle adhésion, il baissa 
sa tête adorable, exhalant alors son dernier soupir, et 
avec lui son âme sainte. 

» Or, ce que le Père fait, les enfants doivent le 
faire d'une manière, sinon la même, du moins sem- 
blable. Voilà notre part, notre excellente part. Ne la 
laissons pas prendre à d'autres, et soyons jaloux de 
n'en laisser tomber pas même un imperceptible frag- 
ment. Désolation et abandonnement dans la partie 
sensible de notre esprit et de notre cœur : c'est la 
moitié de cette part; l'autre moitié est l'acceptation 
cordiale du calice qui nous est donné à boire, quelle 
qu'en soit ou qu'en puisse être plus tard l'amertume. 
En subissant bumblement toutes les souffrances qui 
découlent de la première, présentons à l'adorable 



390 CHAPITRE TRENTE-SIXIEME. 

Trinité tous les sentiments dont se compose dans le 
Cœur de notre Jésus la seconde ; et ainsi tout se con- 
sommera en nous comme dans lui, et au moment 
voulu et décrété, tout sera à jamais consommé. Alors, 
alors, ô bienheureux alo?^s ! tous nos désirs ne seront- 
ils pas satisfaits en plénitude, et l'immensité de notre 
joie ne dépassera-t-elle pas infiniment l'abondance 
plus apparente que réelle des tortures et des agonies 
de notre pauvre petit cœur? » 



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DERNIERE MALADIE. :î01 



CHAPITRE XXXVIl. 



DERiNTERE MALADIE. 

Les désirs de la consommation. — Dévotion au Verbe eucKaris- 
tique. — Comment la patience achève les saints. — La maladie 
du P. Rarrelle et ses symptômes surnaturels. — Première impuis- 
sance à dire la sainte messe. — Le P. Barrelle remonte au saint 
autel. — Dernièxe messe du P. Barrelle. — Visites célestes. 



« Je suis venu sur ces montagnes pour y prendre 
mon vol vers le paradis. Oh! laissez-moi aller à la 
sainte Sion ! » Si l'amitié dévouée qui reçut cette ré- 
ponse suppliante, au mois de janvier 1861, en échange 
des souhaits formés pour de longs jours encore sur la 
terre; si elle avait entendu les épanchements du saint 
religieux, et ses ardents soupirs pour la dernière con- 
sommation de son âme en Jésus-Christ, elle aurait, 
croyons-nous, perdu toute illusion. 

Débordée parle besoin de Dieu, l'âme du P. Bar- 
relle, quand on l'écoute gémir dans ces pages, paraît 
ne plus tenir à la terre. Chaque jour affaiblis par l'in- 
cessante action de l'amour céleste, les liens du corps 
s'apprêtent à se briser pour la laisser échapper de sa 
prison terrestre. 

Depuis combien de temps se poursuivait le travail 
de la transfiguration ! Depuis combien d'années les 



392 CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME. 

soupirs du bon Père appelaient « le bienheureux 
alors » où il désaltérerait enfin ses désirs dans la plé- 
nitude de Jésus-Christ! Bien longtemps auparavant il 
écrivait déjà : 

« 1856 va commencer, finira-t-il sans que la mort 
m'atteigne et me place, comme je l'espère de la misé- 
ricorde de mon Dieu et des mérites de mon Sauveur, 
au lieu de mon éternel repos? Je l'ignore et je l'aban- 
donne à mon Jésus; trop heureux des signes qu'il me 
donne que cela pourrait bien être, et de la nécessité 
où il me met par là même de me dégager de tout de 
plus en plus et de me rapprocher davantage de lui. » 

Et en 1858 : 

« Priez un peu pour moi dont les forces s'usent, 
dont la tète s'appesantit, dont les petites et bonnes 
croix se multiplient. Que je meure totalement avant 
de mourir une fois pour toutes! et que je passe en 
mourant ainsi de l'amour à l'amour! 

» Ma santé est maintenant sujette à bien des incon- 
stances. Plus rien de stable. Les jours ne se ressem- 
blent pas, et mon triste corps est devenu comme un 
boulevard où les misères physiques se promènent. Je 
vous dis ces choses non point pour que vous vous 
apitoyiez sur moi, cela n'en vaut pas la peine, mais 
pour que vous demandiez à Notre-Seigneur pour moi 
deux grâces, la patience et l'amour. Avec la première 
tout se porte et se supporte; avec la seconde tout 
procède gaiement , et la parole de l'Apôtre peut se 
réaliser en nous : Dieu aime les joyeux donneurs. » 

Le P. Barrelle fut toujours un joyeux donneur. Dix 



DERNIÈRE MALADIE. 393 

ans déjà avant sa mort il était usé de travaux et de 
zèle. Nous avons négli^oé de sig^naler les nond^reuses 
défaillances de ses forces physiques, ramenées con- 
stamment au labeur de l'apostolat par l'amour des 
âmes, par une indomptable ardeur à servir Jésus-Christ. 
Au mois de décembre 1853, au moment où le déla- 
brement de sa santé rendait déjà toute g^rande sta- 
tion impossible, à l'issue d'une petite retraite, il 
dit : 

« Par le secours de Notre-Seigneur, tout est fini 
pour recommencer demain ; et ainsi nous sommes sur 
une route dont on peut dire ce que le Symbole dit 
du règne de Jésus-Christ : Non erit finis! C'est heu- 
reux vraiment. Eh! que faire donc sur la terre, si, pou- 
vant agir, nous fatiguer, nous épuiser, souffrir, mourir 
en vivant pour notre Jésus, nous étions là comme les 
ouvriers de l'Evangile, oisifs sur les places publiques, 
à attendre je ne sais quel réveille-matin? L'ennui me 
prendrait, je l'avoue, à moins que Dieu ne me dît : 
Je veux désormais que tu sois un homme d'oraison et 
non d'action. Il ne me l'a pas dit encore, et semble 
au contraire, à mesure que j'avance dans la carrière, 
me donner un surcroît d'occupations qui se croisent 
dans tous les sens. Que son saint nom soit béni et sa 
sainte volonté accomplie! » 

Cependant, il fallait bien en faire l'aveu : « Ma 
chair, pas plus que celle de Job, n'est d'airain, et elle 
s'use. Peu à peu, si Notre-Seigneur n'y met la main, 
ce dont certes il n'a nul besoin, peu à peu je devrai 
passer aux invalides et vivre de vis-à-vis avec mon 



394 CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME, 

crucifix et le saint tabernacle. Voilà ce que plus d'une 
croix semble m'annoncer, et ce que, avec le secours 
de la grâce, j'accepte de toute mon âme, en me 
livrant à tous les desseins de crucifiement de Notre- 
Seigneur sur moi. » 

L'heure vint, et l'on vit alors dans la pratique la 
sincérité de ces généreuses protestations. Le bon Père, 
depuis 1861 surtout, isolé dans une impuissance pleine 
de contrastes douloureux avec l'activité toujours dévo- 
rante de sa nature et de son zèle, entre courageuse- 
ment dans son martvre. 

« Me voilà au bout de ma carrière apostolique. Les 
forces corporelles sont épuisées, sans que la vivacité 
le soit encore, et le reste d'ardeur, d'une part, met- 
trait , de l'autre , bientôt fin à ce que Notre-Seigneur, 
par pure charité, me laisse de vie. Que dois-je faire 
en pareil état ? Me fixer sur la voie du sacrifice, monter 
sur le bûcher de l'immolation et faire de mon mieux 
pour attiser le feu de l'amour qui doit achever la 
victime. » 

Dès ce moment, le ])on Père s'applique à démolir 
toute confiance qu'on pourrait mettre encore en ses 
services, et à servir du moins de leçon. 

« Non , mon enfant , il ne faut plus compter sur un 
roseau brisé qui ne doit se redresser que dans la vie 
éternelle, s'il plaît à Notre-Seigneur de l'y transplanter 
et d'user envers lui de sa grande miséricorde. Mon 
temps est fait, et désormais tout est consommé pour 
moi. La vie obscure et une première sépulture, voilà 
maintenant tout pour moi -, et si l'on veut me trouver. 



DERNIERE MALADIE. 395 

c'est dans le saint tabernacle seul qu'il faudra me 
chercher. Car c'est là seulement que je dois faire ma 
résidence, pour m'y nourrir, dans sa source même, 
du pain de l'abnég^ation et de la mort à tout. Plus de 
rêve donc , plus d'espérance : ce serait fonder sur le 
pur néant un édifice en tous points chimérique. 

» Et voilà où l'on arrive enfin après une vie plus 
ou moins laborieuse, plus ou moins vide en dépit des 
apparences, plus ou moins utile ou inutile à la gloire 
de Notre-Seigneur et au salut des âmes. Ah! quelle 
leçon ! Profitez-en pour aller de plénitude en plénitude 
en tout , vous vidant toujours plus de vous-même et 
de tous les objets créés, pour faire toujours plus large 
place à l'Unique de notre vie, de notre mort et de 
notre éternité qui est Jésus seul, seul, tout seul dans 
son adorable Père , et avec son Esprit, immense four- 
naise d'amour. » 

L'impuissance physique s'imposait donc chaque 
jour davantage à la vive et toujours ardente nature du 
P. Barrelle. Quel renoncement de se sentir empri- 
sonné dans l'inaction! De grand cœur, mais d'un 
cœur brisé par le sacrifice, il répétait alors une de ses 
paroles favorites : « Il faut que Jésus croisse et que je 
diminue. » Il se connaissait bien, et il disait : « Je 
suis très-impressionnable, et c'est par là que le bon 
Dieu aime à me prendre. Il se plaît à me broyer par 
l'inaction, moi qui ai tant aimé le travail! » 

«Ma plus grande maladie, disait-il encore, est 
cefte espèce de nullité à laquelle Notre-Seigneur me 
fait la grâce de m'habituer peu à peu. » Alors « il 



:596 CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME. 

s'unissait à son cher Crucifié, si beau sous son pres- 
soir, et se réjouissait de donner au divin Cœur la con- 
solation de rencontrer un fidèle amant de ses lassitudes 
intérieures » . 

Ce qu'il pouvait du moins ou croyait pouvoir, 
n'écoutant que son courage et fermant l'oreille aux 
souffrances du corps, il ne manqua pas de l'accomplir 
jusqu'au dernier instant. 

Sa chambre, qui touchait par un de ses côtés à la 
chapelle de communauté, où résidait le saint Sacre- 
ment, par l'extrémité opposée aboutissait à la sacristie 
d'un modeste oratoire réservé aux étrang^ers. Là était 
son confessionnal. Quatre ou cinq pas au plus en sé- 
paraient. Bientôt ce fut beaucoup encore pour son 
épuisement. Et cependant il se traînait jusque-là , 
excédé de souffrance, tombant de faiblesse. Il repre- 
nait alors son vieux refrain : « Un vrai Jésuite ne doit 
se reposer qu'au ciel. » 

Parmi les rares fidèles qu'il crut devoir conserver 
par gratitude, au nom de sa communauté qui leur était 
redevable, si, ému de compassion, quelqu'un pro- 
posait de lui épargner ces dernières fatigues et de 
s'adresser à un autre : — a Ah! mon enfant, répon- 
dait-il, pour remplir toute justice, ne faut-il pas que 
je travaille jusqu'au bout? » 

De son humble guérite, il revenait à sa cellule, et, 
sauf les exercices de communauté, où il essayait encore 
d'apparaître pour l'édification commune, bien des 
mois avant sa mort il n'en dépassait jamais le seuil 
que pour se traîner vers le tabernacle. Là il venait 



DERNIERE MALADIE. 397 

pour s'épancher et pour recevoir, double nécessité 
des cœurs souffrants. 

« A défaut d'un ou de plusieurs nous avons le divin 
Consolateur, l'unique espérance de tous, Jésus au 
très-saint Sacrement, où son cœur, plein de tendresse 
et de miséricorde, ne cesse de battre jour et nuit 
pour nous, et attend que nous nous épanchions en 
lui, pour déverser en nous la plénitude qu'il possède. 
Vraiment, il est bien certain que, tout en connaissant 
parla foi l'immense valeur du don qui nous a été fait 
en lui, nous n'en déduisons pas, dans toute l'étendue 
que nous devrions, les conséquences pratiques qui en 
résultent. C'est dans les uns manque de simplicité; 
en d'autres, excès de crainte; dans quelques autres, 
déficit d'amour; dans presque tous, pas assez d'atten- 
tion à ce que Jésus a eu en vue en se fixant dans ce 
divin tabernacle, sa perpétuelle demeure parmi les 
enfants des hommes. « En se donnant ainsi à nous, 
» comment ne nous a-t-il pas donné toutes choses? » 
dit saint Paul. Oui; cela est vrai, mais pour nous 
donner il attend que le sentiment du besoin , de la 
confiance et de l'amour nous pousse vers lui et nous 
réduise à un état de mendicité par le cœur- qui fasse 
violence au sien et le mette en fusion, pour ainsi dire, 
et en écoulement sur nous et en nous. )) 

Voilà comment, si j'ose dire ainsi, le bon Père 
consolait dans le cœur d'autrui ses propres douleurs. 
Tout se résumait pour lui désormais dans le Verbe 
eucharistique. 

Au mois de mars 1863, la reconnaissance lui avait 

TOM. II. 23 



398 CHAPITRE TREJNTE-SEPTIÈME. 

envoyé un encensoir pour sa pauvre chapelle; voici 

sa réponse : 

« Vous ne pouviez me causer un plaisir plus grand 
que de me faire passer votre charité sous l'enveloppe 
de votre dévotion au Verhe eucharistique. Oh! que 
j'aimerais voir ainsi tout aboutir à lui ! Si ce n'est point 
là la passion de tous , elle devrait l'être. Dieu ! Dieu ! 
vous là! vous au milieu de nous, vous avec nous, 
pour nous ! Et cela toujours, sans interruption aucune ! 
Ah ! c'est ici qu'il faudrait entonner un quid rétribuant 
sans fin. Mais ce ([ue nous ne pouvons de la voix, 
faisons-le du cœur, et que notre amour ne quitte 
jamais cet Amant passionné dont le Cœur s'est rendu 
inséparable du nôtre. Il nous faut lui rendre ainsi et 
assiduité pour assiduité et chaînes pour chaînes. 
Jamais prison sera-t-elle plus aimable que celle où 
nous aurons le Verbe fait chair pour compagnon 
et, si je puis m' exprimer ainsi, pour concaptif ou 
captif avec nous? » 

Il ne fallait rien moins au P. Barrelle pour charmer 
les langueurs croissantes de son exil terrestre. De la 
sorte, ramenant incessamment son cœur du délaisse- 
ment à la confiance, il pouvait dire : « Dans ma 
chère solitude je moissonne une racine que j'appelle- 
rais volontiers douce-amére , à cause du mélange de 
sentiments et d'impressions qui se succèdent dans 
mon cœur. » 

Ce cœ^ur et toutes ses affections habitaient en Jésus- 
Ghrist, et par Jésus dans le sein du Père céleste : 

« Il est un conseil, dit-il le 24 juillet 1862, il est 



DERNIÈRE MALADIE. 390 

un conseil dont je fais depuis quelque temps la douce 
expérience, je veux parler de la demeure en Jésus, 
en regardant le Père et en s'adressant au Père. Rien 
de plus efficace et en même temps de plus doux. C'est 
qu'en cetle position intérieure, on est, pour ainsi 
dire, entre deux feux immenses qui s'attirent l'un 
l'autre et qui se confondent en une parfaite unité 
d'amour. les bienheureuses âmes qui se trouvent 
dans cet impétueux et irrésistible courant! » 

L'année 1863 était marquée du ciel pour le grand 
et éternel repos du bon serviteur de Dieu; elle était 
aussi prédestinée à ce mystérieux travail d'acbèvement 
où la perfection des saints reçoit dans la douleur sa 
dernière beauté. La patience est la plus habile ou- 
vrière de la sainteté. En la faisant briller d'une incom- 
parable splendeur au sein des douleurs divines qui 
ont sauvé le monde, Jésus-Christ lui a donné, entre 
les autres vertus qu'enfante l'amour de Dieu, un in- 
comparable mérite et une mission suprême. Selon la 
parole de l'Apôtre, à elle d'achever les saints, patientia 
opus perjectum hahet. 

Son action dans le P. Barrelle ne laissa rien d'in- 
tact. Le corps fut lentement miné et progressivement 
exténué, sans maladie définie, sans aucune lésion 
apparente. 11 s'en allait, chaque jour moins propre 
aux fortctions de la vie et chaque jour davantage bon 
et mieux disposé pour la douleur. L'âme de son côté 
ne pouvait plus courir après les âmes, et ne pouvant 
pas encore atteindre ce Jé.^us qu'elle aimait unique- 
ment, se consumait dans l'inaction du zèle et dans 



400 CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME. 

une lon(;ue attente qui la faisait lentement mourir. 

Le P. Barrelle le savait et le disait : « Il fallait que 
son ardeur naturelle fût purifiée en lui par cette lon- 
gue attente du ciel, qu'il croyait toujours saisir. » 
Cette sentence ëciite de la main du malade , à la date 
du 29 février 1863, est là sous nos yeux, éclairant le 
mystère de ses souffrances et de son agonie. 

Voilà ce que nous avons de plus exact à dire de 
cette consomption d'un nouveau genre, que la méde- 
cine elle-même n'a pu caractériser que par un 
diagnostic inusité emprunté au surnaturel. Des dou- 
leurs de tète, des palpitations, des langueurs, de 
vraies tortures , une telle irascibilité des organes que 
le vêtement le plus léger était un insupportable far- 
deau; mais sous de tels symptômes, pas de maladie 
saisissable, et certaines périodicités surnaturelles, 
contraires aux retours usités des crises morbides. 
Nous donnerons plus tard l'attestation du docteur qui, 
jour par jour, a suivi le vénérable malade. 

Le vendredi, consacré à la Passion du Sauveur, 
avait des douleurs privilégiées, aussi le Père l'avait 
surnommé le Vendredi saint; le mercredi, en l'hon- 
neur de saint Joseph, son patron, donnait aussi 
matière plus ample à la patience, et le samedi ajoutait 
son petit surcroît. — « Ce jour-là, disait le bon Père, 
la sainte Vierge se met de la partie, et je ne m'en 
fâche pas. » Certaines fêtes avaient aussi leur part 
plus abondante, et le bon relij;ieux les voyait venir. 
Les intervalles de ces temps réservés étaient habi- 
tuellement meilleurs. 



DERNfÉRE MALADIE. 401 

Le 30 mars 1862, il s'excuse en ces termes : 
« Vous avez déjà su, mon enfant, la cause démon 
silence. Elle est toute dans une petite et précieuse 
croix qu'il a plu à Notre-Seigneur de faire planter sur 
ma tête surtout , par les mains de notre bien-aimé 
père saint Joseph, le jour de sa fête. Pour ce qui 
m'en revenait, je lui en ai été fort reconnaissant, et 
ma gratitude, je le comprends et je le sens, doit se 
prolonger et croître à mesure que cette grâce se main- 
tient et semble s'asseoir sur ce pauvre corps. » 

Le 20 juillet 1863, le malade, qui conserva jusqu'à 
la dernière quinzaine de sa vie quelques correspon- 
dances spirituelles, écrit ces mots : 

« Le docteur a de la peine à s'expliquer certaines 
circonstances de mon état, que je sais bien , mais que 
je ne saurais pas expliquer mieux que lui. 11 est des cho- 
ses dont la divine Providence se réserve le secret. » 
Le 20 juin il s'exprimait ainsi : 
« Il y a pour moi des jours de distinction dans les 
semaines. Ces jours-là Notre-Seigneur et bon Père les 
cachette de son sceau. C'est d'ordinaire le mercredi 
et le vendredi... Je dis d'ordinaire, car depuis ces 
dernières fêles surtout, dont la quinzaine se termine 
aujourd'hui, par le jour de Foctave du Sacré-Cœur, 
il n'y a eu guère de jours libres ou de repos tant soit 
peu long. Tout me semble avoir soudain passé sous 
le domaine souverain de la Croix, et partant de notre 
aimable Crucifié, auquel soit obéissance, joie et gloire, 
aujourd'hui et toujours dans les siècles des siècles ! 
Amen. 



402 CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME. 

» Et c'est aujourd'imi que, faisant l'office de saiiile 
Madeleine de Pazzi, renvoyée de la fin de mai au 
20 juin, j'entends cette parole de la Bienheureuse à son 
divin Epoux : Souffrir, ne pas mourir ! Non pas qu'elle 
répugnât à mourir; mais qu'il lui paraissait, dans sa 
foi vive et dans son amour ardent pour Notre-Sei- 
gneur, bien préférable de souffrir. 

» Ainsi, me dis-je, il n'y a pas de plainte à formuler 
lorsqu'on gravit le Calvaire; il n'y en a pas lorsqu'on 
porte même les plus pesantes croix; il n'y en a pas 
davantage lorsqu'on se voit poussé vers une espèce 
d'agonie, et que là tout semMe vous abandonner pour 
que la souffrance s'en donne à l'aise et sur le corps et 
sur l'âme! Mais non, dans cet état nulle plainte à 
formuler; une seule parole doit jaillir du fond du 
cœur vers Dieu : Amen, Jésus ! 

» Plus rien pour nous que la volonté divine de notre 
Pilote, volonté toute et seule sage, toute et seule 
bonne, toute et seule parfaite. Qu'avons-nous besoin 
d'autre chose? Quand il aura fait tout ce qu'il a voulu 
de nous et par nous , n'en sera-ce point assez pour 
nous connue pour lui, et que nous resterait-il encore 
à prétendre? Seulement, et c'est pour nous ici l'es- 
sentiel et comme Vim nécessaire, seulement, pour 
l'amour de ce cher et si tendre Ami, soyons-lui plei- 
nement fidèles. 

" Hélas ! nous ne le savons que trop , cette pleine 
et constante fidélité n'est pas légume de notre jardin, 
ni fruit de notre cru. Mais nous savons où en est la 
graine, où nous en trouverons les plants: dans la 



DERNIERE MALADIE. 403 

piscine aux cinq portiques, toujours ouverte aux brebis 
du Crucifie pour qu'elles viennent y puiser avec joie 
tout ce qui leur manque... Ce Corps sacré avec ses 
plaies, ce Cœur avec le jaillissement continuel de son 
sanp et de son eau... voilà où il nous faut chercber 
par une humble et persévérante prière la plénitude et 
la constance de notre fidélité. Notre-Seigneur ne nous 
manquera jamais, lui. Le ciel et la terre passeraient 
plutôt. Nous seuls pouvons lui manquer; mais si nous 
ne sortons jamais de ces portiques, si nous ne cessons 
de nous plonger dans l'abîme de son Cœur, Jésus 
nous la donnera, cette fidélité, et il se procurera en 
nous cette seconde gloire, complément nécessaire de 
la première grâce. Il aura demandé, attendu notre 
fidélité, et il nous la donnera ensuite lui-même. Car, 
en vérité, par nous-mêmes et de notre fonds, que 
pouvons-nous lui donner? Pauvres de tout, mendions 
tout, et nous recevrons tout. Mais qu'elle soit bien 
humble et bien amoureuse notre mendicité ! » 

Le 8 juillet ses paroles étaient encore plus expli- 
cites sur le mystère de ses douleurs. 

K Le docteur Imbert, notre vrai ami, m'assure n'être 
nullement inquiet sur le mal présent, mais il ne se 
rend pas compte plus que moi de cette espèce de 
mystère qu'il renferme. Le chien est là, mais sous les 
yeux de mon Père, qui lui permet une mesure d'atta- 
que, et pas plus. La plupart des infirmités que 
j'éprouve portent un tel caractère, qu'à en juger 
d'après les règles du discernement des esprits que 
nous a laissées saint Ignace, c'est tout luiy c'est-à- 



404 CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME. 

dire Satan. Ceci me frappait ces jours-ci. Aussi me 
recommandé-je beaucoup à ce saint Père et à saint 
Joseph, pour que tous les deux me prêtent main- 
forte contre l'ennemi. » 

L'intervention diabolique ne se manifestait ici que 
par un ensemble d'effets et de coïncidences où la foi 
du pieux malade croyait découvrir l'auteur de tout 
mal. Tout se montrait à elle dans ses rapports avec le 
monde invisible, mêlé incontestaldement à toute la 
trame des choses humaines, mais que l'œil du vulgaire 
ne discerne pas. Au milieu des mystères de la nature, 
le savant perçoit des phénomènes qui échappent à la 
foule. Les saints sont les savants du monde supérieur, 
et, mêlés au mouvement des choses humaines , ils 
savent reconnaître l'action mystérieuse des esprits 
invisibles, favorables ou contraires à ses intérêts. 

Le P. Barrelle remarquait un redoublement singu- 
lier de souffrances à l'heure précise du saint Sacrifice. 
Levé, même à cette époque, comme aux jours de la 
santé, dés trois heures du matin, tranquille tout le 
temps qu'il donnait à la méditation, il pouvait se tenir 
debout et marcher dans sa cellule; mais à peine il 
quittait son fauteuil pour aller au saint autel, de vio- 
lentes palpitations le prenaient soudain, le moindre 
mouvement de tête lui causait alors de telles dou- 
leurs que souvent il pensa tomber à la renverse. Ce 
martyre allait croissant; il redoublait surtout au mo- 
ment de la communion; le Père pouvait à peine con- 
sommer les saintes espèces. Le sacrifice achevé, 
ramené quelquefois à son fauteuil comme en défail- 



DERNIERE MALADIE. 405 

lance, il n'éprouvait plus de douleur, mais uniquement 
la lassitude du terrible assaut qu'il venait de soutenir 
contre la souffrance. Il sentait le calme se faire insen- 
siblement, et ses repas étaient pris sans efforts. Lors- 
qu'il ne célébrait pas la messe, il n'éprouvait rien de 
semblable, mais seulement les langueurs habituelles 
d'un corps affaibli. 

Si le malade conjecturait juste, si l'esprit mauvais 
contribuait à cet excès périodique de souffrances, il 
n'eut pas lieu de s'en applaudir; jamais une seule fois 
le bon Père ne céda à la douleur; il ne s'arrêta que 
devant l'impuissance absolue. 

Le 5 juillet cette impuissance fut totale. Voici com- 
ment le P. Barrelle annonce la privation qui lui est 
imposée. 

« C'est dimanche aujourd'hui, 5 juillet, jour du 
très-précieux Sang du Dieu crucifié, notre Père. Il 
ne m'a pas permis de monter au saint autel. Mon 
cœur en a tant soit peu saigné, mais il a accepté son 
sacrifice, dont, à vrai dire, je ne prévois pas la fin. 
» Mes nuits continuent à être bonnes. L appétit 
est aux arrêts toujours. L'emuii me tient assez fidèle 
compagnie. Mille bontés m'environnent, mais Notre- 
Seigneur me fait la charité de n'y pas trouver ou du 
moins bien peu de douceurs. L'amertume, grâce à 
lui, domine tout, et le jour succédant au jour me 
rencontre à peu près sur les mêmes sables ou sur les 
mêmes eaux, selon que le gouvernail de mon divin 
Pilote mène le bateau et ce qu'il porte. « Le Sei- 
gneur me conduit et rien ne me manquera. » 



400 CHAPITr.E TRENTE-SEPTIEME. 

» Vous vous inquiétez de ma santé. Laissez tom- 
ber vos inquiétudes , et regardez le Pilote qui nous 
mène. Ce n'est pas au naufra^je qu'il vise, mais au 
port. 

» Le Tu solus *Dominiis du Gloria in excelsis , 
vous seul Maître absolu, unique, c'est la disposition 
où je désire que Notre-Seigneur me trouve toujours 
jusqu'à la mort, et je le supplie de m'en faire la 
grâce. En cet état, je ne crains rien, parce que je ne 
veux rien d'une part, et que de l'autre je veux toute 
la volonté de Dieu. » 

L'épreuve se prolongea. Le 9 juillet le malade en 
exprimait ainsi sa plainte résignée, mêlée d'espé- 
rance : 

« Mon Père, qui, lorsqu'il ferme, personne ne peut 
ouvrir, ainsi que le disent les saints Livres, tient 
toujours sa main fermée pour moi , et ne m'admet 
point encore au saint autel. Je lui dis chaque jour : 
Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que 
votre volonté soit faite. Adani , après sa chute, fut 
éloigné de l'arbre de vie. Ne faut-il pas que je re- 
monte par où il est descendu? C'est par la privatipn 
du véritable Arbre de vie, quoique avec un insigne 
privilège pour moi, celui d'en manger encore chaque 
jour le fruit, bien que je ne puisse monter dessus. 
Je dis seulement avec l'Epouse des cantiques, dans 
l'espérance qui reste toujours au fond de mon 
cœur : "J'y monterai encore sur ce palmier, et je 
» n'en recevrai plus, mais j'en cueillerai moi-même les 
» fruits. » 



DERNIERE iMALADIE. 407 

La veille sa résignation s'exprimait sous forme de 
désir : 

« Ce bon Père qui mortifie et qui vivifie, qui con- 
duit jusqu'aux portes du tombeau et qui en retire, je 
l'ai attendu et je l'attends encore. Oh! qu'il me soit 
donné, par l'intercession des saints qui sont au Ciel 
et des justes qui sont sur la terre, de correspondre 
par ma foi, par ma patience, par ma confiance, 
par mon abandon et par mon amour, à tout ce que 
notre bon Père et Seigneur cherche à obtenir de 
sa chétive créature par les misères auxquelles il la 
soumet. 

» Nos novices terminent demain, jeudi 9, une neu- 
vaine commencée pour moi le 1"' juillet. C'est une 
fête de la très-sainte Vierge , sous le titre de Notre- 
Dame des Miracles ou de Reine de la Paix. » 

D'autres neuvaines se faisaient en même temps sur 
divers points de la France. Elles ne cessèrent que 
lorsque le divin Maître les eut exaucées. Vers la fin 
de juillet le malade put de nouveau monter à l'autel. 
Le 31, il rend compte ainsi de ses sentiments : 

«Je respire un peu, après une journée bien labo- 
rieuse. Telles étaient les fêtes des saints et les jours 
de leur plus solide gloire. Ils étaient conformes à leur 
divin Roi. Ils ne désiraient rien de plus , et ils le bé- 
nissaient de les avoir jugés dignes de boire quel- 
ques gouttes du calice si amer de son inconcevable 
Passion. 

» C'est depuis quatre heures et demie du matin, 
moment où commence ma messe, que ce petit et pé- 



408 GIIAPIÏRE TREiNTE-SEPTIEME. 

nible travail a été imposé à ce pauvre serviteur de 
Notre-Seigneur. Le saint sacrifice m'a mis sur le Cal- 
vaire et attaché à l'un des bras du divin Crucifié. J'ai 
pu néanmoins, par un secours spécial de mes céles- 
tes assistants, poursuivre jusqu'au bout; et depuis ce 
moment jusque vers trois heures de l'après-midi, la 
bienheureuse Croix , toute petite parcelle de celle de 
mon Père et de mon Sauveur, a été avec moi, et moi 
sur Elle avec mon Dieu crucifié. Bénissons-le ensem- 
ble de ce don solide, qui m'est assurément venu des 
mains levées et du cœur de notre saint Père Ignace. 
Il a préféré et choisi ce bien pour moi. C'est le fruit 
de sa rare sagesse et de l'amour tout paternel, quoi- 
que fort immérité, qu'il ne dédaigne pas de porter au 
plus misérable, au plus ingrat, au plus inutile de ses 
enfants. 

» Je ne sais si je me trompe, mais il est bien possi- 
ble que, jusqu'au 7 ou à peu près, je ne sorte pas de 
cette voie tant soit peu épineuse... Ce jour du 7 .est 
celui de la renaissance de la Compagnie. Je dois, ce 
me semble, payer mon lot d'expiation pour toutes les 
misères présentes et passées. Je demande seulement 
à notre bon Seigneur et Père, s'il plaît ainsi à sa di- 
vine majesté, de me conserver la sainte messe, et de 
me donner une mesure de patience et de fidélité qui 
l'honore, le réjouisse et satisfasse pleinement aux 
vues qu'il a sur le pauvre vermisseau qui se tient au 
pied de sa Croix et dans les trous de ses divines 
plaies. » 

Le 16 août, le malade écrit encore son bulle- 



DERNIÈRE MALADIE. 409 

tin douloLireLix , sans savoir s'il pourra Taoliever : 
« Je commence par prendre une feuille entière, 
mais Notre-Seigneur me donnera-t-il la force d'en 
remplir au moins la moitié?... L'ouvrage de sépara- 
tion et de destruction qu'il a commencé et poursuivi 
jusqu'à ce jour continue, et si je n'ose pas dire qu'il 
se fait aujourd'hui avec une plus mortifiante activité, 
c'est que je crains toujours que ma pauvre et triste 
imagination ne s'en mêle, et que je ne grossisse par ma 
pusillanimité ce qui pourtant n'est que trop vérité. 

» Au fond , je deviens toujours moins capable de 
tout; les riens me sont comme des montagnes à fran- 
chir, et cela depuis le matin jusqu'au soir. Cloué in- 
cessamment sur ma croix de presque immobilité, 
dans ma chambre ou dans les lieux réguliers, fort 
rares, où il m'est permis encore de me transporter, 
je passe seulement d'un fauteuil à un autre; par rares 
moments au confessionnal pour une ou deux person- 
nes, de là sur mon lit; debout seulement pendant ma 
demi-heure au saint autel , où je suis dans le mar- 
tyre. Souffrir est comme toute ma prière, tout mon 
amour, tout moi, pour résumer ma position en un 
mot. Voilà ma vie, qui est une mort de tous les jours, 
de toutes les heures et comme de tous les instants. 
Me faut-il la patience , l'abandon et la constance? 
Toutes ces vertus sont en dehors de moi ; il me les 
faut puiser aux plaies de mon Sauveur. Aidez-moi 
dans ce travail, et que Notre-Seigneur me donne 
amplement, je l'en conjure, la grâce de me suppor- 
ter, de le porter, Lui, et de vaincre! » 



410 CHAPITRE TREiNTE-SEPTIEME. 

Mais le 17 août fut le dernier jour où le saint prê- 
tre put offrir de ses mains la divine liostie, deux 
mois jour pour jour avant de consommer son propre 
sacrifice. 

Ecoutons le gémissement de son amour. Un céleste 
consolateur vient adoucir sa douleur : 

« Il a plu à mon Jésus d'ajouter à mes sacrifices 
journaliers ce qui me tenait le plus au cœur. Par dé- 
licatesse, ce n'est que peu à peu et comme par mor- 
ceaux qu'il me dépouille, ce cher Maître, et aujour- 
d'hui c'est sans contredit la plus belle brebis de mon 
troupeau qu'il tn'a enlevée, mais je veux que vous 
l'en bénissiez avec moi, puisque tel est son bon vou- 
loir et qu'il lui a plu, k cause de mon ingratitude, de 
me priver d'olfrir le saint sacrifice. .l'ai dû accepter; 
je l'ai fait; mais que mon cœur a souft-ert! J'ai cru 
en mourir de douleur. 

» Cependant mes amis du Ciel ne m'ont point dé- 
laissé dans l'extrémité où cette privation m'avait 
réduit, et je vous le dis, afin qu'étant si faible et si 
impuissant maintenant, vous soyez ma suppliante 
pour les remercier. Or, voici que ce matin, pendant 
que mon cœur versait des larmes de sang devant 
Notre-Seigneur à cause de la privation où je me 
voyais de ne pouvoir dire la sainte messe, voilà que 
saint Joseph s'est présenté devant moi. Je l'ai re- 
connu très-bien , et tout aussitôt je lui ai tendu les 
bras, et Lui, s'avançant avec bonté vers moi, m'a 
pris dans les siens et m'a pressé sur son cœur avec 
effusion. En même temps j'ai senti sur mon front ses 



. DERNIÈRE MALADIE. 411 

lèvres bénies et je me suis senti tout pénétré d'une 
douceur divine qui s'est répandue sur mon âme et 
dans mon cœur, et qui m'a rempli d'une telle suavité 
que je me croyais puéri. Après cela, à l'instant, il a 
disparu, mais la joie, la paix et le calme le plus par- 
fait sont demeurés en moi. Que pensez-vous que 
cette visite m'annonce? Ne serait-ce pas le si^jnal du 
départ? » 

Un mois plus tard le consolateur revint encore 
visiter le saint malade; c'est ce que l'on peut conjec- 
turer de ce que nous allons dire : 

Entre deux et trois heures du matin, le 17 septem- 
bre, le P. Barrelle vit entrer dans sa chambre, intro- 
duit par un Frère coadjuteur qui lui était inconnu, un 
personna.ofe respectable d'environ quarante-cinq ans, 
d'un aspect doux et céleste. Il regardait avec intérêt 
du côté du fauteuil où se tenait habituellement le 
malade. Celui-ci pensait en lui-même que peut-être 
on lui amenait un médecin; et tandis qu'il s'étonnait 
d'une visite à cette heure matinale, il. le vit se retirer 
sans rien dire. Mais le Père sentit son âme fortifiée et 
remplie de consolation. Alors seulement il pensa que 
c'était sans doute saint Joseph qui venait l'inviter 
à le suivre. Le matin venu, il en parla à l'infirmier, 
au docteur et à plusieurs autres personnes. Il ajouta : 
— « J'aurais bien voulu entendre sa voix, mais il ne 
m'a rien dit. Au reste, il ne faut pas attacher à cela 
de l'importance, de crainte de quelque illusion. » 

Qu'avait à craindre le saint malade? l'humilité, la 
patience, l'amour de la Croix, le désir du Ciel, la 



412 CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME. 

résignation amoureuse aux volontés du Père cé- 
leste, l'ardent amour de Jésus-Christ, formaient au- 
tour de son cœur une défense contre tous les périls, 
comme ils étaient un baume à toutes ses douleurs. 



DERiNIERS JOURS. 413 



CHAPITRE XXXVIII. 



DERNIERS JOURS. 

Patience et ferveur. — Le P. Rarrelle est décharf|é de la supério- 
rité. — Rulletins de résignation et de loi. — Le vis-à-vis avec le 
tabernacle et avec le crucifix. — Jubilation extraordinaire au 
moment de l'extrême-onction. — Dernières paroles. — Le P.Bar- 
relle s'endort du sommeil de l'amour divin en recevant l'Eucha- 
ristie. — Ses obsèques. — Son cœur conservé dans l'église du 
noviciat. — Faits merveilleux. — Douce espérance. 



Ferveur et patience, ce résumé de l'humble vie du 
serviteur de Dieu prend une vérité nouvelle pour 
exprimer ses derniers jours. Aimer Dieu, souffrir pour 
Dieu, ces deux paroles renferment sa longue exis- 
tence, tout le secret de sa sanctification. Seulement 
l'amour de Dieu, qui s'en allait autrefois en quête 
des âmes, ne peut plus les atteindre aujourd'hui que 
par la souffrance. 

La pensée de se ménager tant qu'il lui resta un 
souffle de vie n'entra jamais dans le cœur du P. Bar- 
relle. En décembre 1853, à une époque d'épuisement, 
il la repoussait en ces termes : « Gourant comme je 
le fais vers mon heure dernière, je ne pourrais me 
décider à économiser sur mes occupations pour me 
procurer quelque délassement. Mon cœur, tout misé- 
rable qu'il est, s'en ferait un grand scrupule. Il me 



414 GHAPITBE TREiS TE-HUITIÈME. 

faut donc, à l'exemple du feu attaché à la mèche des 
lampes, m'activer tant que je peux , jusqu'à ce que 
l'huile de mes forces soit totalement épuisée... et 
alors, ô mon Dieu! je l'espère de votre infinie charité, 
je verrai le repos. » 

Maintenant l'huile était épuisée jusqu'à la dernière 
{ïoutte ; mais n'ayant plus de force, l'homme de zèle 
donnait ses douleurs. C'est ainsi qu'il achetait les 
âmes avec la bonne monnaie que Dieu accepte 
toujours. Car, disait-il, « tout ce qui ne porte pas 
l'effigie de la Croix est une pauvre monnaie qui n'a 
pas cours dans le royaume de Dieu. » 

Le bon Père ignorait ce que c'est que la plainte ; 
quelquefois la souffrance lui arrachait un soupir vers 
le ciel, plein de résignation et de paix, rien de plus. 
Jusqu'aux dernières semaines de sa vie il continua 
ses habitudes matinales, se levant à trois heures, 
méditant, puis célébrant la messe, ou, quand il en 
fut empêché, communiant chaque jour. Mais il était 
réglé qu'il se reposerait sur son lit dans la matinée, 
environ deux heures. Or la charité lui avait procuré 
une sorte de lit de camp, plus mobile que son lit 
ordinaire, et qu'on supposait plus commode. On 
n'avait oublié qu'un point : le lit n'était point fait à 
la mesure du malade, et ses jambes en auraient 
dépassé la longueur si l'infirmier n'avait eu soin de 
relever suffisamment le haut du corps. 

Un jour le bon Frère crut s'être acquitté de ce soin 
selon sa coutume. Les deux heures écoulées, il revient 
ponctuellement à la chambre du Recteur : — «C'est 



DERiNIERS JOURS. 415 

vendredi aujourd'hui, lui dit celui-ci eu souriant. — 
Oui, mon Père. — Eh bien, jugez si je m'en suis 
aperçu ; reg^ardez comme je suis arrange. » Alors 
l'infirmier reconnut avec stupeur (|ue les jambes du 
malade, demeurées pendantes pendant les deux 
heures destinées au repos, lui avaient infligé un rude 
supplice. Le bon Père ne laissait pas après cela que 
de se traiter de lâche, de pusillanime, et il s'infligeait 
volontiers les termes les plus méprisants. 

Or, bien autre était la pensée de l'infirmier. 

«Le P. Barrelle s'étudiait, dit-il, à se mortifier 
sans cesse dans sa nourriture et dans l'usage des 
remèdes qu'on lui présentait. Ce qui convenait le 
moins au goût était toujours de son choix. Dans sa 
chambre son repas était très-court. Gomme je l'invi- 
tais un jour à se nourrir davantage, il répondit : — 
« Quand Notre-Seigneur mangeait chez Marthe et 
M Marie avec ses apôtres, il goûtait à peine aux mets 
» qu'on lui servait, et se levant bientôt, il envoyait ses 
» apôtres distribuer aux pauvres les restes de la table. » 

De là le bon religieux prenait exemple. Si la pré- 
voyance d'amis dévoués lui procurait quelque mets 
plus délicat, il avait hâte de l'envoyer aux pauvres 
malades dans les maisons de charité; il n'en faisait 
même pas profiter ses Irères, de peur de faire injure 
à la pauvreté évangélique. 

Tel était à la fin son état de faiblesse qu'il pouvait 
à peine supporter un drap. Le froid cependant le 
pénétrant bientôt, ajoutait à ses souffrances. Une 
personne charitable lui envoya rm édredon, qui, sans 



416 CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 

l'accabler, aurait réchauffé ses membres. Il ne le 
renvoya pas, de peur de contrister l'amitié compa- 
tissante, mais il refusa absolument de s'en servir : — 
« Un pauvre de Jésus-Christ ne doit avoir à son usage 
que des objets communs et ordinaires. Ceci est pour 
les riches; les pauvres comme nous ne s'en servent 
pas. » Il s'en tint là et continua de souffrir. 

Du moins il crut pouvoir accepter un bouillon qui 
lui était envoyé journellement. Plusieurs personnes 
se partageaient la joie de le soulager ainsi. Sans 
oublier ces charitables mandataires de la bonne Pro- 
vidence, sa foi renvoyait à Dieu de tendres actions 
de grâces : — « Eh quoi! le ciel daigne s'occuper de 
moi; le bon Dieu, Marie, Joseph, les saints Anges, 
ont la bonté d'entrer dans le menu détail de mes 
nécessités corporelles! Et moi, je n'ai à leur rendre 
que ma grande reconnaissance ! » 

Tandis qu'il semblait n'éprouver . de répugnance 
que pour les petites délicatesses dont on tâchait de 
corriger son régime, le P. Barrelle prenait avec une 
ponctualité rigoureuse les remèdes indiqués. 

Il devait prendre un jour certaine potion de demi- 
heure en demi-heure. Il avait compris que ce serait 
trois fois seulement. La quatrième fois il fit donc de 
la main un geste négatif; mais au retour du médecin il 
reconnut sa méprise. Se tournant alors vers l'infirmier, 
il lui demanda humblement pardon. — « Eh! de 
quoi, mon Révérend Père? répondit le garde-malade. 
— Ah! vous savez bien! J'avais mal compris, et j'ai 
refusé. Il fallait insister. » 



DERNIERS JOORS. 417 

Les saints, pas plus que les chrétiens ordinaires, ne 
trouvent en eux-mêmes les eaux vives de la patience ; 
ils les vont puiser au Calvaire et aux sources toujours 
ouvertes du tabernacle. 

On se rappelle les héroïques tendresses du P. Bar- 
relle pour la Croix de Jésus-Christ. Il les alimentait 
tous les jours dans une oraison qui semblait ne pas 
s'interrompre. Ses regards ne quittaient pas son 
crucifix, ou l'image du Sacré-Cœur placée sur l'au- 
tel, ou le tabernacle, selon qu'il était devant sa table, 
ou que, derrière sa porte entrouverte, il attachait 
ses yeux et son cœur sur le saint autel. 

Il disait à l'infirmier : — « Je fais mes méditations 
sur la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ah! 
que nous sommes de petits enfants quand il faut 
souffrir! Nous nous plaignons toujours, malgré les 
exemples de Jésus sur la Croix et au saint Sacrifice. » 

Ce qui va suivre, nous l'avons recueilli nous-méme 
de la bouche du Frère infirmier, nous ne faisons que 
prêter notre plume à son témoignage. 

Il répétait souvent : — « Mon doux Jésus, ayez 
pitié de nous ! » Au milieu de ses souffrances il disait : 
— « Oh ! Dieu est bon ! Tout ce qu'il fait est bien fait ! 
» Faites, faites, mon Dieu; ne vous gênez pas avec 
» votre petit serviteur; faites tout ce que vous vou- 
» drez. Donnez-moi la patience et une grande sou- 
)) mission à votre sainte volonté. Je m'abandonne 
» doucement à votre infinie miséricorde. Oh! quand 
» vous verrai-je, mon doux Jésus? Sera-ce aujour- 
» d'hui? Oh! venez, venez !^ qu'il me tarde d'aller à 



418 CHAPITHE TRE.NTE-H U ITIÈME. 

» vous, Seigneur ! » Et il reprenait à voix basse de 
ferventes prières et des paroles latines des psaumes, 
ou bien quelque strophe des hymnes de l'Eglise. Il 
aimait par exemple à redire : salutaris hostia, qiiœ 
cœli pancUs ostiiwi, il appuyait avec onction sur ces 
dernières paroles. 

« Le jour de sainte Anne, 26 juillet, il avait lu 
l'histoire de l'entrée de Jésus à Jérusalem, et il me 
dit : — « Notre-Seigneur me laisse mes infirmités 
» pour me tenir toujours à l'attache à Tanneau île 
» sa croix, comme l'ânon de Betiiphagé l'était au 
» sien. L'ànesse et lui attendaient, pour être mis 
» en liberté, un mot de notre cher et puissant Sau- 
» veur. Allez, détachez-les et amenez-les-moi. J'en 
» suis là. Le mot n'a pas encore été dit. Se fera- 
» t-il encore longtemps attendre? Il est bon, dit Jéré- 
» mie, d'attendre dans le silence le salut de Dieu! 
» Ah! si Notre-Seigneur voulait envoyer suint Joseph 
M pour me délier! Voyez, je n'ai plus rien, rien; ce 
» serait Ijientùt lait ! » 

)) Il implorait sans cesse Jésus au saint Sacrement 
par des invocations, et taisait avec lui de touchants 
colloques. 

» Dés qu'il ne tut plus supérieur, c'est-à-dire un 
mois avant sa mort, débarrassé de tout souci, il de- 
meurait tout le jour absorbé dans une protonde médi- 
tation. Je pouvais entrer dans sa chambre et en sortir 
sans qu'il s'en aperçût, et lorsque j'avais à lui parler, 
il semblait se réveiller comme en sursaut sur sou fau- 
teuil, comme un honnne qui revient de loin. Que de 



DERAIERS JOURS. 411) 

fois en entrant dans sa chambre je le vis baisant 
amoureusement son crucifix et versant sur lui des 
larmes! Dans les derniers jours de sa vie, je le croyais 
quelquefois bien endormi; mais il me disait : — « Je 
» prie jour et nuit, je suis toujours avec mon bon 
Maître. » 

Un jour, durant la dernière période de la maladie, 
il dit au Père Maître des novices : — « Je ne sais 
comment cela se fait; mais je prie, pour ainsi dire, 
sans le vouloir, comme si quelqu'un m'appliquait à la 
prière. » Le Père Maître répondit par les paroles de 
saint Paul : Ipse spiritus jjoslulat pro nobis gemiti- 
hus inenarrabilibus. 

Le Frère infirmier reprend ainsi : « Le P. Barrelle 
me parlait sans cesse du Sacré-Cœur; souvent c'était 
les larmes aux yeux, sa voix s'éteignait dans son émo- 
tion. Si je voyais un nuag^e de tristesse, car son àme 
paraissait souffrir beaucoup, pour le dissiper et rame- 
ner un doux sourire il me suffisait de parler du Cœur 
de Jésus. 

n Jamais un seul jour il ne manqua de communier, 
quand il ne pouvait célébrer la messe. Or, la seule 
pensée de la communion lui donnait des forces. Une 
seule crainte le préoccupait, c'était que l'on oubliât 
de lui porter à temps Notre-Seigneur. — « Si le Père 
» vient à oublier, me dit-il un jour, je monterai à 
» l'autel, vous direz le Confiieor ^ et je me commu- 
» nierai moi-même. » 

» Il allait pour recevoir Notre-Seigneur jusqu'au 
pied de l'autel; on le soutenait ainsi agenouillé, car 



420 CHAPITRE TRENTE-HUITIEME. 

il seraittombé de faiblesse. — « Mon Père, luidisais-je, 
» il serait bien plus simple de vous porter la sainte 
» communion dans votre chambre, il n'y a que cinq 
» ou six pas à faire. — Y pensez-vous? C'est Notre- 
» Seigneur ! Oh ! je n'ose pas! je n'ose pas! — Du moins 
M nous vous mettrons un prie-Dieu. » Mais quand on 
l'eut fait une première fois : — « Ah! Frère, me dit- 
» il, je souffre davanta[;e en communiant sur le prie- 
» Dieu que quand je suis agenouillé à terre. « 

«Mais, mon Père, lui dis-je une autre fois, vous 
» lever si matin ( en ce temps-là c'était vers quatre 
» heures) pour aller recevoir la communion, c'est 
» vraiment une fatigue excessive. Souffrez qu'on 
» vous apporte le bon Dieu dans votre lit. » Le bon 
Père se révolta à cette pensée. — « Quoi ! dit-il, je 
» puis encore me lever, et je me ferais apporter à mon 
» lit Notre-Seigneur! Oh! jamais cela ne se serait 
» vu ! w Or, il était si faible alors que la petite nappe 
de communion était trop lourde pour ses forces et 
qu'il ne pouvait même supporter un simple purifi- 
catoire. " 

Si léger que fût le fardeau de la supériorité dans 
notre noviciat de Clermont, il imposait encore au 
vénérable malade le souci de quelques affaires cou- 
rantes, et les rapports indispensables pour régler ou 
distribuer les ministères de zèle. La charité compa- 
tissante de la Compagnie songea donc à décharger 
le P. Barrelle de toute responsabilité. Comme tou- 
jours, plus haut que la terre, son cœur s'éleva jus- 
qu'au bon plaisir de Dieu et lui abandonna ses désirs. 



DER.^IERS JOURS. 421 

— « Je ne sais, dit-il, ce que mes supérieurs se 
proposent de faire à mon endroit. Mais je sais que si 
je m'abandonne entre les mains de mon Père céleste 
qui est dans le saint tabernacle, ils seront purement 
et simplement les exécuteurs de sa sainte volonté. Je 
sais que c'est lui qui les a poussés à me mettre ici, 
dans un temps où les bommes n'y pensaient guère ni 
moi non plus ; et que ce sera par sa volonté seule que 
l'on m'en retirera, ou qu'il m'en retirera lui-même. 
Non, non, je ne veux plus voir les créatures en rien. 
Que m'ont-elles été jusqu'à cette heure?... Et en ce 
moment même , celles qui me portent le plus d'in- 
térêt ici, qu'ont-elles obtenu par leurs soins multi- 
pliés pour moi? Ah! ce sont leurs prières seules qui 
me vaudront toujours quelque chose et beaucou[). Il 
n'en tombera pas une seule parole par terre, et le 
jour viendra où j'en récolterai les fruits. » 

Ces paroles sont du commencement de juillet. Deux 
mois se passèrent encore, et dans les premiers jours 
de septembre seulement le bon Recteur pouvait re- 
mettre la charge de la maison aux mains d'un de ses 
anciens élèves deFribourg, le R. P. de Foresta. Nou- 
velle attention de la Providence au moment où, rom- 
pant pour ainsi dire avec le dernier exercice de sa vie 
active, il s'enfonçait plus avant dans une solitude 
inusitée. Or cette sorte d'isolement, que lui faisaient 
plus complet chaque jour ses infirmités, ne fut pas à 
cette âme ardente le moins douloureux des sacrifices. 
Quant à la supériorité, il l'avait acceptée avec une 
humble résignation, il la déposa avec une humble joie. 

TOM. II. 24- 



422 CHAPITRE TRENTE-HUITIEME. ' 

Le jour où arriva son successeur, lorsque le Frère 
infirmier lui apporta son déjeuner : — « Cher Frère, 
» lui dit le P. Barrelle, j'ai une nouvelle à vous an- 
» noncer. A partir de demain, à midi, je ne serai plus 
» supérieur. Ah! j'étais un potentat! ajouta-t-il en 
» riaut, avec un de ses gestes expressifs d'une imita- 
» tion si vive, je serai petit, tout petit ! J'ai été long- 
» temps supérieur; je ne serai plus rien; je serai pour 
» toujours le dernier de tous, inutile, hélas ! et à 
n charge à la Compagnie. » Ensuite il s'étendit sur 
l'esprit d'ohéissance, d'humilité, de parfaite indiffé- 
rence à tous les emplois... Le bon infirmier, tout 
ému, n'y pouvant plus tenir, fondait en larmes. 

Revenons un peu en arrière, aux derniers jours du 
mois d'août. Nous retrouvons quelques pages confi- 
dentielles, bulletins de ses souffrances, nous voulons 
dire de sa résignation et de sa foi. Ils se passent de 
commentaires; les voici; ils portent comme toujours, 
en tête et en majuscules, le nom de JESUS : 

« Comment être consolé quand on est dans le désir 
et dans l'attente, et que le jour n'arrive pas? Je suis 
dans la tristesse et dans la nuit. La vie est difficile à 
porter ; et je demandais tout à l'heure avec Elie à mon 
Père, pour moi, de mourir. Car que vois-je partout 
en ce monde? Le faux et la déperdition. 

» Eli, Eli, pourquoi m'avez-vous abandonné? C'a 
été mon cri le long du jour. Patience dans la souf- 
france totale. 

» C'est le 25. Il m'apporte quelque fatigue de plus. 
Notre-Seigneur brise tous mes chemins, et il me faut 



DERNIERS JOURS. 453 

adhérer pleinement à son adorable et crucifiante con- 
duite. C'est ce que je tâche de faire. Mais comme j'ai 
besoin d'être assiste d'une force particulière d'en haut ! 
Vous ne sauriez croire la décomposition qui peu à 
peu s'opère et dans mon corps et dans mon âme... Et 
notre bon Père se contente de me regarder en cette 
pénible lutte. Fiat! mais Deus, ad adjuvanduni me 
festina!... 

» La consolation ! mon état de souffrance m'empêche 
de la sentir. Ainsi Dieu, en donnant d'un côté, sous- 
trait de l'autre. Nous devenons ainsi en vérité les jouets 
de son amour. Amen. 

» Je commence à voir comme une première solitude 
se former autour de moi. Les novices sont à la cam- 
pagne, quelques Pères en course; la maison, c'est le 
désert, heureusement habité parle meilleur et le plus 
fidèle des amis et des maîtres. » 

« Le 29 août. 

» Vous connaissez trop bien mon état actuel et les 
tribulations et les angoisses par lesquelles Notre-Sei- 
gneur, mon Père, me fait passer dans ces temps-ci, 
pour croire que les choses même les plus consolantes 
consolent le moins du monde, lorsque la grâce et une 
grâce spéciale n'est pas là pour faire goûter ce (|u'il y 
a de plus consolant. Or, par la disposition de la 
bonne Providence, que je m'efforce de bénir et à la- 
quelle je veux cordialement m'abandonner, cette grâce 
dont je vous parle, et qui donne le goût des lumières 
et des douceurs de Dieu, n'est pas avec moi. Mon 



424 CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 

cœur est sens dessus dessous; ma vigueur ma aban- 
donné; et la lumière même de mes yeux n'est pas avec 
moi. C'est, ce que disait notre père David, et c'est ce 
que tout me met dans le cas de répéter avec lui, 
soit pour ce qui est du corps, soit pour .ce qui est de 
l'âme. 

» D'une part, rien ne s'améliore plus sensiblement; 
et une mesure de mieux restant, le reste du corps est 
toujours sous le pressoir. On s'y habitue peu à peu 
autour de moi. Je voudrais pouvoir m'y habituer 
autant et plus encore moi-même. Oh! que je suis loin 
d'en être venu là! C'est que, pour le mérite et le 
prix de la souffrance, il faut qu'elle soit sentie. Amen. 

M D'autre part, c'est-à-dire pour l'âme, nuit, dé- 
sert, isolement. Je me trouve comme un homme 
perdu dans des profondeurs qui crie et ne cesse de 
crier, et à qui nulle voix ne répond ni du ciel ni de 
la terre. Voilà deux états qui marchent de pair, et 
auxquels il n'y a pour moi d'autre remède à apporter 
que le regard à la Croix et au Tabernacle. 

» J'ai néanmoins une immense consolation devant 
moi. Elle me vient de Notre-Seigneur et de vous, 
mon enfant. Notre-Seigneur vous inspire et vous 
presse de prier et de faire prier pour moi. Toutes ces 
messes, tous ces vœux, toutes ces neuvaines, tant de 
saints à la porte desquels votre charité frappe, obtien- 
dront de Dieu le Père ce qu'il veut nous donner depuis 
l'éternité. Non, rien n'est perdu. Laissez venir la sai- 
son opportune. Que de fruits! 

» Joseph S. J. » 



DERNIERS JOURS. 425 

Une lacune de trois semaines nous conduit à la fin 
de septembre : 

«Jésus seul. «^ '^ 

» Vous donner un léger signe de vie, c'est tout ce 
que je puis, c'est tout ce que je sais; au delà, rien; 
Notre-Seigneur a tout ramassé dans la chambre de son 
enfant, n'a rien laissé à sa disposition, que des souf- 
frances parfaitement échelonnées qui, en se succé- 
dant, semblent se donner le mot d'arrêter ce qui ne 
fait pas commune cause avec elles. 

» En tout, Benedicamus Domino. C'est le chant 
tout naturel de la reconnaissance. 

» Qu'en est-il de mon état? Je n'en sais pas plus au- 
jourd'hui que je n'en ai su dans les temps passés, et le 
médecin pas pins que moi. Notre-Seigneur seul a ce 
secret, et il nous faut bien le lui laisser avec un total 
abandon. Alléluia. 

» En avant! au Calvaire! Il ne s'agit plus que de 
mourir sur la Croix qui nous a été préparée... On me 
soigne bien toujours, à me faire honte. 

» Le jour des Sept Douleurs, 20. 

» Joseph S. J. » 

Quatre jours après, il commence ainsi : 
« Jésus seul et moi, son pauvre enfant, passant par 
les fenêtres de ses quatre plaies, pour me présenter 
de là aux regards de son Cœur qui m'attend au jfond 
de la cinquième. Je suis là avec sa miséricorde, son 
attribut spécial à Lui, comme il me l'a si longuement 
et si délicieusement expliqué autrefois. » 

24. 



426 CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 

« Le 24 septembre 63. 

. ..» Je ne sais ce qui peut se passer ces jours-ci, à 
*^0ause de ma faiblesse. Il n'y a pourtant rien de plus 
extraordinaire que les jours précédents. C'est la con- 
tinuité seule du mal, malgré les soins et les remèdes, 
qui alarme davantage. Je ne m'alarme avec personne; 
mais je dois, pour l'édification, me ranger du côté de 
la pensée générale. Nous attendons le retour du P. de 
Foresta pour une décision sur l'extréme-onction. Je 
choisirais volontiers ou le 27 septembre ou le jour de 
saint Michel. 

» Que la main de Jésus nous conduise sans naufrage 
jusqu'au terme! Mais nous ne reculerons pas, j'es- 
père, devant la mort... livrant tout, tout à notre bon 
et tout-puissant Maître, sans nous réserver autre 
chose que son pur amour. » 

Cinq jours se sont écoulés; le Père trace ces pa- 
roles : 

« Jésus toujours plus seul, 

et Joseph le cherchant toujours plus sans pouvoir 
l'atteindre. Voilà son martyre, sa croix, sa langueur 
et sa mort à petit feu. Oh! que n'est-ce le feu, le vrai 
feu du pur amour! Voilà tout le résumé de mon état 
actuel aujourd'hui, jour de saint Michel et des saints 
Anges, 29 septembre 1863. 

M Un seul nom retentit dans mon intérieur. Il dé- 
bouche par les cinq plaies toujours. Il sera exaucé. 
Ah ! que je demande peu ce qu'on demande pour 



DEHlMERS J0UU8. 427 

moi!... Etre vraiment victime, voilà ma fin! Eh bien, 
Père saint, faites, poursuivez, hâtez-vous. » 
Voici r avant-dernier bulletin : 

« Jésus. 

» Il continue son œuvre d'épuisement, d'anéan- 
tissement, et je ne sais ce qui me reste, ou de cou- 
rage intérieur ou de force physique. Mais ce n'est 
point là ce qui me regarde. 

« Je vais du jour au jour et de la nuit à la nuit, me 
laissant faire, usant de ce que me laisse mon Père, 
me tenant à sa disposition pour ce qu'il continue et il 
continuera encore à m'enlever, sans désir, sans de- 
mande, sans autre sentiment au fond que celui de 
l'abandon. 

)) C'est le 2 octobre aujourd'hui, jour des saints 
Anges. » 

Enfin, une dernière fois, la main vénérée du saint 
religieux donne à un cœur bienfaisant et dévoué un 
signe de gratitude. 

« Saint Rosaire, 4 octobre. 

» Encore un peu de temps, il me le semble du 
moins, et il ne me restera plus guère de forces que 
pour regarder ma Croix, le Tabernacle et le Cœur 
qui bat sous ces adorables espèces. C'est étonnant, 
comme la vie s'en va!... Une seule chose m'est à 
cœur, de plaire en mon état présent et par toutes les 
circonstances de jour, de nuit, de mon état présent, à 
Jésus mon Seigneur, mon Père et mon Ami. Cela me 
suffit. 



428 CHAPITRE TRENTE-HUITIEME. 

>j Ne vous préoccupez pas des choses matérielles 
et sensibles. Laissez donc crucifix et autres saints 
objets, que vous n'aurez pas le temps seulement peut- 
être de posséder un instant après ma mort... Ah! il 
nous faut laisser bien plus pour avoir le royaume 
des cieux. « Quiconque ne renonce à son père, à sa 
M mère, etc., ne peut être mon disciple.» Qu'allons-nous 
donc attacher tant d'importance à mon crucifix?... 

» On ne veut pas encore de l'onction dernière, dont 
j'ai encore reparlé aujourd'hui. 

» Je m'arrête, à cause d'une fatigue plus sentie, 
mais en vous donnant toutes mes bénédictions. 

» Fions-nous à Dieu , et au lieu de perdre quoi que 
ce soit, même un fragment, nous recouvrerons tout 
avec usure. 

» Plus rien, plus rien que Jésus. » 

Jésus devait être la pensée de la dernière phrase 
que tracerait cette plume si souvent sanctifiée par ce 
Nom béni, et comme le dernier trait qui scellerait 
pour l'éternité les écrits d'un de ses disciples les plus 
séraphiques. Jésus lui-même, Jésus en personne ne 
va-t-ilpas se poser au moment même du dernier soupir 
comme le sceau de l'immortalité sur ces lèvres qui 
tant de fois l'ont appelé et béni, sur ce cœur qui n'a 
palpité que de son amour? 

Lorsque, douze jours avant sa mort, le P. Barrelle 
fut contraint de garder le lit , il le fit placer dans la 
direction du sanctuaire, tout près de 1^ porte qui 
communiquait avec la chapelle, en sorte qu'en l'ou- 
vrant son regard tombait sur le tabernacle. Cette porte 



DERNIERS JOURS. 429 

s'ouvrait souvent, ou plutôt dans ces derniers jours 
ne se ferma guère. Une fois cependant, l'immilité l'em- 
portant un instant sur l'amour, le malade dit au Frère 
infirmier qui, le matin, à l'ordinaire, en tr' ouvrait cette 
porte : — « Il ne convient pas de l'ouvrir toujours; il 
ne faut pas être trop familier avec Notre-Seigneur. 
Pour moi, je suis toujours avec lui avec la sainte 
Famille, et je m'entretiens avec eux. » 

A cause de son divin voisinage, le P. Barrelle avait 
pris riiabitude en entrant et en sortant de sa chambre 
de faire la génuflexion au saint Sacrement. Les der- 
niers jours de sa vie, comme il ne pouvait plus fléchir 
le genou, il faisait avec la tète une profonde révé- 
rence. Il aimait à baiser avec un tendre respect les 
vases sacrés, et lorsqu'il ne lui fut plus possible de se 
traîner à la chambre 'voisine qui servait de sacristie, 
il priait le sacristain de les lui apporter afin qu'il pût 
leur donner cette marque de vénération et d'amour. 

Nous construisions alors notre chapelle extérieure , 
œuvre simple mais d'un goût pur, où la piété respire 
à Taise. Dés le premier jour que l'on commença à 
bàlir, le Père s'approcha de la fenêtre de sa chambre 
qui donnait sur les travaux, et il leur donna sa béné- 
diction , suppliant le bon Dieu de les préserver des 
accidents trop ordinaires en de telles constructions, 
parce que celle-ci était toute à la gloire du Cœur de 
Jésus. L'un des derniers jours de sa vie, il dit au Père 
Recteur : — « Je meurs consolé en voyant qu'une 
église s'élève en l'honneur du Sacré Cœur de Jésus. 
Oh! gardez bien à cette dévotion sa forme populaire 



430 CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 

de dévotion au très-saint Sacrement. Le saint Sacre- 
ment! Ah! je lui dois tout, toutes les g^ràces me sont 
venues de lui! » Il développa cette pensée en quel- 
ques mots, avec une ardeur angélique; et sa voix 
s'éteignit dans son émotion. 

Le fervent malade passait donc ainsi les jours et 
les nuits dans la contemplation et dans l'amour, ne 
disant que peu de mots aux visiteurs, accueillis, du 
reste, avec aménité; mais ne cessant de converser 
avec Dieu, le plus souvent à voix basse, quelquefois 
de manière à être entendu de ceux qui le gardaient. 
C'est donc face à face avec Notre-Seigneur Jésus- 
Christ, caché mais présent, qu'il a passé les trois der- 
nières années de sa vie; c'est à Fombre du tabernacle 
qu'il a attendu Theure de la délivrance et exhalé son 
dernier soupir. 

Nous avons vu réaliser en sa personne ce que nous 
trouvons dans une de ses lettres datée de 1852 : 

« Songeons que si le terme est le même pour tous, 
les voies sont différentes. Ces vies des saints nous pré- 
sentent mille tableaux divers , au moment de leur 
passage dans l'éternité. Dans les uns c'est l'amour, 
dans les autres c'est la crainte qui domine. Ici, c'est 
l'humilité qui s'enfonce dans le néant; là, c'estlajoie 
qui donne en haut des élans incroyables. Adorons 
cette conduite de l'Esprit-Saint, sanctifiant et égale- 
ment admirable dans les âmes qu'il prépare pour 
l'éternité glorieuse. Généralement, cependant, le 
cœur à la fin de la vie est tel qu'il a été dans son 
progrès, et quand Jésus a été sa nourriture spéciale, 



DERNIERS JOURS. 431 

il devient aussi sa douce préoccupation à la mort. » 

C'est à la lettre la prophétie de ses derniers moments. 
Que de fois le saint Jésuite avait désiré mourir en re- 
cevant la sainte communion ! Il enviait la mort de 
M^"" Naudo, archevêque d'Avignon, expirant au saint 
autel, après avoir communié. Le Seigneur a montré 
dans son serviteur qu'il fait la volonté de ceux qui le 
craignent, voluntatem timentiurn sefaciet : le P. Bar- 
relle , administré au pied de l'autel , a rendu son der- 
nier soupir en recevant la sainte Eucharistie. 

Avec le tabernacle la Croix fixait les regards du 
pieux malade. Levé, il l'avait seule devant soi, sur 
sa table dépouillée de tout autre objet et propre comme 
un autel. Il demeurait des heures à la regarder, et il 
lui adressait de fréquents colloques. Lorsqu'il dut 
garder le lit, il la fit placer de manière à l'avoir tou- 
jours sous les yeux; son regard alors, tout le long du 
jour, allait du tabernacle au crucifix et du crucifix au 
tabernacle. Point de livres : ils étaient son livre, sa 
science , tout son délassement. 

Le 27 ou le 28 septembre , quelqu'un lui présageait 
la prolongation de sa vie dans le martyre où il était 
réduit; il se sentit comme écrasé sous le poids de 
cette croix. Mais tournant aussitôt d'ardents regards 
vers son crucifix, il dit d'une voix très-émue, et avec 
un accent où perçaient une familiarité et une intimité, 
singulières : — « Non, non, mon bon Maître, je le 
sais bien, vous ne me frapperez pas trop fort, vous 
m'épargnerez, parce que vous êtes bon et que j'ai 
confiance en vos mérites. » 



432 CHAPITRE TREINTE-HUITIEME. 

Plusieurs fois le P. Barrelle avait suggéré la pensée 
de r extrême-onction. Mais le mal n'avait aucun carac- 
tère précis ; il pouvait traîner en longueur, on l'espé- 
rait du moins : — « Mieux vaut plus tôt que plus 
tard, répondait-il, le moment approche; » puis d'un 
ton véhément : — « Il faut être prêt! » 

Lorsque enfin la faiblesse ne permit plus au malade 
de quitter son lit, on craignit une surprise de la der- 
nière heure; on consentit à son désir. 

Le matin du mardi 6 octobre, quelques instants 
avant l'heure fixée pour l'administration des derniers 
sacrements, le R. P. Recteur étant entré dans sa 
chambre, le malade étendit ses deux bras vers le ciel, 
et dit avec beaucoup de vivacité et d'énergie : — 
« Je suis tranquille, je suis content, je jubile! C'est 
un beau jour pour moi! » Et il répétait, ne contenant 
plus son bonheur : — « Je suis content! » La com- 
mimauté arriva peu après ; il l'invita à se ranger au- 
tour de sa chambre, et il reprit d'une voix très-forte : 
— « Entrez, mes chers Frères, entrez. J'ai été un bien 
pauvre Jésuite; mais j'ai pleine confiance aux divines 
miséricordes. Ah! je suis content, je jubile! » On eût 
dit un chant de joie. 11 était tout transporté de bon- 
heur, tout rayonnant. Les Pères, les novices, toute 
la communauté était attendrie. 

Le Père Recteur renouvela en son nom la profes- 
sion religieuse. Puis lui-même à haute voix, demanda 
pardon à Dieu, à saint Ignace, à la Compagnie, de 
toutes ses fautes ; ensuite il insista sur la confiance en 
Dieu, sur sa reconnaissance pour les bienfaits sans 



DERNIERS JOURS. 4;J3 

nombre qu'il en avait reçus, et sur son bonheur de 
mourir. 

Cette allégresse devant la mort avait pour cause 
non-seulement son bonheur de mourir dans la Com- 
pagnie de Jésus, et d'y mourir après une vie dépensée 
uniquement à faire connaître et aimer le divin Maître, 
Jésus-Christ; mais encore l'assurance qu'il avait reçue 
de ce cher Maître que toutes ses fautes étaient par- 
données. Le Père Maître des novices, le confident 
de son âme, peu de jours auparavant, était entré dans 
sa chambre et l'avait trouvé inondé d'une joie céleste. 
« Je lui demandai, nous dit-il, d'où lui venait cette 
joie extraordinaire. Il me répondit : — « Comment 
» ne serais-je pas dans l'allégresse et la jubilation? Il 
» me l'a dit, le bon Maître, que tout est effacé, tout 
w est oublié ! » 

A partir du jour où le P. Barrelle eut reçu Pextréme- 
onction et le saint viatique, il demeura plus que jamais 
étranger à tout ce qui était de ce monde, absorbé 
dans la contemplation, l'abandon et le divin Amour. 
Il disait : — « Je ne désire plus qu'une chose : 
l'Amour! l'Amour! Uhi est quem diligit anima 
mea ? » 

Dans une consulte de médecins, l'un d'eux crut 
devoir lui dire quelques paroles sincères mais flatteuses 
sur une existence si bien remplie. Alors il ramassa ses 
forces et il dit d'un ton vif et accentué : — «Messieurs, je 
ne suis rien! je n'ai rien été! » Il ajouta un instant 
après : — « Je veux être saint! » — Quand on se fut 
retiré, le malade dit au Frère infirmier : — « C'est 

TOM. II. 25 



434 CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 

en vain qu'on songe à me guérir. Il n'y a que celui- 
là (et il montrait Notre-Seigneur en croix) qui con- 
naisse mon mal et qui puisse le guérir. Mais c'est là- 
haut que je désire aller ; car je n'ai plus rien à faire 
sur la terre que de souffrir pour expier mes péchés. » 

Il y avait toujours de l'affabilité dans son accueil. 
Il disait volontiers au médecin quelque bonne parole. 
Le 15 juin, il lui dit : — « Quel bonheur de quitter 
ce misérable exil! qui peut l'aimer? Hélas! on l'aime 
pourtant, on s'y attache comme à la patrie. Pour 
moi je n'y ai vu que misères et incalculables dou- 
leurs. » 

Trois jours avant sa mort, un Père qu'il avait aimé, 
obligé de s'absenter pour une œuvre de zèle, vint lui 
demander un dernier conseil et une dernière béné- 
diction. Il répondit simplement : — « Le crucifix, le 
crucifix, le crucifix! » Puis étendant les bras : «Oh! 
bien volontiers, je vous bénis; » il prononça ensuite la 
formule de la bénédiction , et se* laissa baiser les 
mains. 

Après la réception des sacrements, un certain mieux 
relatif s' était manifesté. Mais le vendredi 16 octobre, 
une toux opiniâtre et sèche fatigua le malade toute la 
matinée. Après avoir entendu la messe, à son ordinaire, 
il dit à l'infirmier : — « Frère , quand sera-ce que 
nous irons là-haut? Oh! que je voudrais m'en aller, 
non de cette maison, mais .au ciel avec le bon Maître! 
Mon Dieu! je m'abandonne tout à vous! Je me jette à 
corps perdu dans le sein de voire immense, éternelle 
et infinie miséricorde ! » 



DERNIERS JOURS. /<35 

Un de nos Pères entra dans sa chambre, le malade 
lui dit : — « Mon Père , faites le bien , car le temps 
est court. » 

Cependant dans la soirée, le docteur Imbert, son 
pénitent et son ami, qui le soignait avec un dévoue- 
ment filial, est averti que le saint malade paraît aller 
plus mal. Il accourt. La poitrine s'embarrassait; mais 
on se trouvait au vendredi, le docteur avait constaté 
qu'il y avait périodiquement ce jour-là un notable 
accroissement de souffrances. On pensa que la nou- 
velle crise pouvait être une plus abondante partici- 
pation aux soutfrances du Calvaire et que le samedi 
amènerait quelque repos. Il devait amener le repos 
éternel. 

Dans cette prévision le P. Recteur ne quitta plus 
le malade. Il fut donc le témoin de sa résignation 
parfaite et de son union très-intime à Noire-Seigneur 
Jésus-Christ. 

Cette fois le saint religieux pressentait sa déli- 
vrance. A cinq heures il demanda à son confesseur 
une dernière absolution, et il dit tout haut ces paroles : 
— « Je demande bien pardon au bon Dieu de toutes 
mes fautes. » 

Il avait coutume chaque jour de demander au Frère 
infirmier pardon de toutes les peines qu'il lui donnait, 
croyait-il. « Cette fois, raconte le bon Frère, le P. Bar- 
relle m'appela auprès de son lit, et, d'une voix mou- 
rante, il me dit : « Frère, je vous demande bien 
» pardon de toutes les peines que je vous ai causées. 
» Je prierai bien pour vous lorsque je serai au Ciel. » 



436 CHAPITRE TRE?JTE-HUITIÈME. 

Il me regarda en même temps avec urne bonté si tou- 
chante que je ne l'oublierai jamais \ » 

Le docteur, revenu trois fois dans la soirée, crai- 
gnit que la nuit suivante ne fût la dernière. En se 
retirant il baisa respectueusement les mains de son 
vénéré Père, qui, contre son ordinaire, ne fit aucune 
réflexion sur ce témoignage de filiale tendresse. 

Il arriva une fois au bon Père de demander à Notre- 
Seigneur un moment de répit. Mais l'abandon domi- 
nait tout : — « Tihi derelictus est pauper, » disait-il; 
et de nouveau : — « Je me jette à corps perdu dans 
le sein de l'infinie miséricorde; mon Jésus, tout ce que 
vous faites est bien fait. 



' Ce Frère infirmier, qui prit soin du P. Barrelle, était un jeune 
novice d'une grande candeur et d'une angélique piété, nommé Jean 
Félix. Il était né à Lausanne de parents protestants, mais que 
d'heureuses sympathies, puisées dans d'excellents ouvrages, rap- 
prochaient du catholicisme. L'instinct de la vérité, la droiture de 
son âme et les aveux significatifs du premier pasteur de Lausanne 
en faveur de nos croyances, amenèrent la conversion du jeune 
Félix. 

Sa généreuse abjuration reçut pour récompense la grâce de la 
vocation religieuse. Le F. Félix entra au noviciat au commence- 
ment de 1862, à l'âge de vingt-deux ans. Il y fut un modèle de 
foi, de modestie et de ferveur. 

Il donnait ses soins au P. Barrelle avec un filial amour. Après 
l'avoir servi durant le jour, la nuit il se couchait à sa porte, afin 
d'être prompt au premier désir du malade. 

Le F. Félix demandait à Dieu avec larmes la conversion de sa 
famille. — « Le P. Barrelle, disait-il, a promis de prier pour elle, 
et moi je me suis offert au bon Maître; le P. Barrelle saura bien 
faire agréer mon sacrifice. >> L'événement a justifié cette espé- 
rance. Le F. Félix, atteint d'une maladie de langueur, a fait une 
mort précieuse devant Dieu le 27 novembre 1864. 



DERNIERS JOURS. 437 

« Il paraissait attacher un sens profond à ces 
paroles du psaume cinquante- quatrième : Expec- 
tabarn eiun qui salvinn me fecit a pusillanirni- 
tate spiritus et tempestate. — « La tempête, redi- 
sait-il à de longes intervalles, la tempête! mais du 
calme, du calme. » Le P. Recteur lui présenta de 
l'eau bénite; il dit : — «Je ne suis point tenté. » 
On l'entendit répéter plusieurs fois : Père! Père! 
Son garde-malade, qui se tenait un peu en arrière 
pour ne pas le fatiguer, arriva à ce qu'il croyait un 
appel. Le malade reprit en souriant : — « Abba, 
abba, Pater! notre Père du Ciel! nous plions bagage 
{)0ur aller au Père éternel. » 

Dès que la nuit fut venue, le P. Barrelle sentit que 
son heure était proche. Il commença à soupirer après 
la sainte communion, qu'il avait reçue le matin, mais 
qu'il désirait recevoir une fois encore. On aurait pu 
la lui donner en viatique; mais on jugea qu'on pou- 
vait attendre minuit. Pour lui, il soupirait ardem- 
ment et il disait : — « J'attends! Oh ! qu'il y a encore 
du temps avant minuit! » Et d'un accent suppliant : 

— « Père, Père! vite, Notre-Seigneur! J'attends! 
j'attends! » Vers onze heures et demie, il dit encore : 

— « Vite, vite! le temps presse! » Puis ce ne fut plus 
qu'une plainte qui s'en allait en mourant. 

Au coup de minuit le Père Recteur lui apporta la 
divine Eucharistie. Quand le P. Barrelle la vit appro- 
cher il fit un effort suprême pour se découvrir; il ôta 
sa calotte, reçut le Corps de son divin Maître; ses 
bras retombèrent le long de sa couche , et dans ce 



438 CHAPITRE TRENTE-HUITIEME. 

dernier acte de respect et d'amour, sans soupir, sans 
aucun mouvement des lèvres, il s'endormit au sein de 
Jésus-Christ. 

Quand le Père Recteur accourut de la sacristie 
pour lui appliquer l'indulgence plénière in articula 
mortis, au témoignage du Frère infirmier, qui veillait 
sur ses moindres mouvements, déjà son corps était 
immobile et son âme était allée dans un monde 
meilleur. 

Depuis deux mois à peine le P. Barrelle était entré 
dans sa soixante et dixième année. Sa noble taille 
n'était point courbée; son œil renfermait encore ce 
vif et pénétrant rayon qui descendait droit au fond de 
l'âme; son visage toujours calme portait moins la 
trace des années que des longues douleurs. La can- 
deur vénérable répandue sur ses traits leur conservait 
une fraîcheur venue de l'âme. 11 penchait au déclin 
de l'âge et n'était pas encore un vieillard. 

Il avait désiré mourir un vendredi, et il mourait 
au moment où s'achevait cette journée toujours si 
chère à sa dévotion. Il se plaisait à invoquer Marie 
comme Porte du ciel, Janua cœli ; il avait popularisé 
la pratique du saint scapulaire, et il mourait lorsque 
le samedi, commençant à paraître, lui donnait droit 
au privilège promis par la Reine du ciel à ceux qui 
portent sa livrée. Cet amant du Cœur de Jésus mou- 
rait le 17 octobre, le même jour que la bienheureuse 
Marguerite Marie Alacoque, l'apôtre du divin Cœur. Ce 
prêtre, à qui la divine Eucharistie avait été toute 
chose, expirait devant le saint tabernacle, en rece- 



DERNIERS JOURS. 439 

vant le pain du ciel, dans un transport d'amour, et il 
emportait dans sa poitrine, substantiellement présent 
au sanctuaire de son cœur, Celui qui est la résurrec- 
tion et la vie. 

Deux mois avant sa mort, il avait dit à un des no- 
vices de Clermont : — « Mourir à l'autel, ce serait 
trop beau! » Et avec beaucoup d'émotion il avait 
ajouté : — « Mourir dans l'action de grâces ! Ah ! 
mon cher Frère, quel bonheur!... Mais non, cette 
grâce n'est pas pour un misérable comme moi! » Or, 
voici que l'humilité avait eu tort devant l'amour. Le 
désir de l'amour avait été rempli, car cette fois 
Tamour lui-même avait frappé le coup mortel. 

C'est le témoignage du docteur qui a pris soin du 
vénérable religieux pendant ses trois dernières années. 
Il atteste que la maladie du P. Barrelle n'a jamais 
offert aucun symptôme qui permit d'en qualifier la 
nature, que les souffrances éprouvées par le malade 
ne provenaient d'aucune lésion organique, et que la 
science déconcertée devait y reconnaître un phéno- 
mène surnaturel. L'autopsie est venue confirmer ce 
diagnostic et démontrer que les palpitations extraor- 
dinaires éprouvées par le saint homme étaient un effet 
du divin amour'. 

1 Voici l'attestation du docteur Imbcrt au sujet des palpitations 
du P. Barrelle : 

« Le P. Barrelle, à son arrivée à Clermont, me disait qu'il avait 
une affection au cœur, reconnue par la Faculté. 

>i J'ai examiné souvent son cœur, sa vie durant, et j'ai toujours 
soutenu le contraire. 

» Il avait d'ailleurs très-souvent des palpitations. Comme l'aus- 



440 CHAPITRE TRENTE-HUITIEME. 

La même cellule, placée entre deux chapelles, qui 
avait eu pendant trois ans et plus les confidences cé- 
lestes du saint religieux, garda encore jusqu'au dernier 
moment ses restes mortels. La chapelle du dehors, 
mise en communication avec la chambre mortuaire 
par le petit corridor qui les séparait, laissa affluer une 
foule pieuse et recueillie. 

Rien n'arrête le parfum de la sainteté. Quoiqu'il se 
fût renfermé dans une solitude presque absolue, le 
P. Barrelle était connu dans la ville. De loin en loin 
le peuple l'avait vu passer, et cette présence qui rap- 
pelait Dieu et le ciel ne laissait pas inattentif; elle 
marquait son souvenir dans les âmes chrétiennes. Ce 
bon peuple fit au modeste convoi un touchant cortège; 
le clergé fut dignement représenté, les communautés 
religieuses prirent aussi part aux obsèques avec un 
sympathique empressement. Cependant l'humilité du 
saint homme semblait encore présider à ses funé- 
railles; la piété et une vénération silencieuse en furent 
l'unique splendeur. 

Le caveau des Dames de la Miséricorde a reçu les 
dépouilles mortelles du R. P. Barrelle. Par cette 
pieuse hospitalité , la supérieure de la Providence a 
voulu payer un tribut de gratitude à celui qui, trente- 

cultation ne m'avait révélé aucune trace d'affection organique, je 
lui ai dit plusieurs fois, lorsqu'il nie parlait de ses battements de 
cœur : « Mon Père, vous n'avez que les palpitations de sainte 
» Térèse. » 

» J'ai fait l'autopsie du cœur, à sa mort, et n'y ai pas trouvé 
trace d'affection organique. 

»> A. I.MBERT-GOURBEYRE. » 



DERNIERS JOURS. 441 

cinq ans auparavant, avait décidé de sa vocation reli- 
gieuse. Cette piété filiale ne perdra passa récompense. 
Déjà, en attendant l'heure du suprême réveil, ces 
restes vénérés appellent sur ce qui les entoure les 
bénédictions du ciel. 

Sur le caveau existe un oratoire, où se célèbre une 
messe commémorative le 17 de chaque mois. Tout 
d'abord la vénération et la confiance, et presque 
aussitôt la gratitude, en ont apj)ris le chemin. Car 
Celui qui glorifie les humbles aime à écouter les 
prières qui s'élèvent de cette tombe, où repose un des 
plus fidèles disciples de son humilité. Tout à l'heure 
nous en donnerons quelques preuves authentiques. 

La chapelle du noviciat de Clermont, si elle n'a pu' 
garder son corps, conserve du moins précieusement 
le cœur de son fondateur. A droite, près de l'autel 
de saint Joseph, un modeste monument renferme ce 
cœur, qui a toujours battu pour le Cœur divin rési- 
dant au saint tabernacle; et c'est là, près de ce taber- 
nacle bien- aimé, qu'il attend la résurrection. 

En dessous de la grille qui forme le petit monument, 
un marbre porte cette inscription : 

Nonne cor nostrum ardens erat dum loqueretur in 
via? (Luc. XXIV, 32.) 

A ce cœur plein d'amour Dieu révéla son Cœur; 
Etre humble fut sa yloire et souffrir son bonheur. 

Ce distique a été composé pour la bienheureuse 
Marguerite-Marie. 

9. 



442 CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 

Si nous ajoutons à ce récit quelques-uns des faits 
extraordinaires qui ont suivi la mort du P. Barreile, 
ce n'est pas que rien nous paraisse aussi merveilleux 
que sa vertu même. Auprès des miracles opérés par 
la grâce dans le cœur de ses élus, que sont, pour qui 
voit les choses dans la lumière de Dieu, ces déroga- 
tions aux lois qui régissent le monde corporel? 

Mais ces faits ne nous appartiennent pas, et nous 
ne sommes pas libres de les vouer au silence. Nous en 
devons compte à la sagesse de Dieu et à la piété des 
fidèles. Notre rôle n'est ni de les repousser dans l'om- 
bre, ni de les qualifier, mais uniquement d'en certi- 
fier l'authenticité, laissant au lecteur chrétien l'appré- 
ciation, à la sainte Eglise le jugement. 

Madame B*"***, dont le mari était employé chez le 
doyen de la faculté des lettres de Glermont, souffrait 
depuis trois semaines d'un panaris à la main droite. 
La main entière était enflée, tout le bras était doulou- 
reux, le sommeil était impossible, et la malade com- 
prenait, disait-elle, qu'on puisse devenir fou de dou- 
leur. Après quelques adoucissements passagers, la 
souffrance devint plus forte. Elle était plus violente 
que jamais le 17 octobre, jour de la mort du P. Bar- 
reile; elle ne cessa même d'augmenter tout le jour. 

Vers le soir, madame B'*'** alla se faire panser chez 
les Sœurs de la Miséricorde. La sœur qui prenait soin 
d'elle lui dit: — a Recourez donc au P. Barreile, 
qui vient de mourir. Ce saint homme faisait des mira- 
cles pendant sa vie; il peut bien en faire après sa 



DERNIERS JOURS. 443 

mort. Allez dans la chambre où il est exposé, vous 
toucherez sa main et vous serez guérie. » 

La malade se laisse persuader à cette candide con- 
fiance. Elle pénétre au milieu de la foule dans la 
chambre mortuaire, et, avant même de s'agenouiller, 
elle pose un instant sa main sur celle du P. Barrelle. 
Puis elle prie auprès du lit funèbre, se relève, place 
une seconde fois sa main sur celle du Père et se 
retire. Rentrée chez elle, elle ne sent plus de douleur; 
après quinze jours d'insomnie elle s'endort douce- 
ment, couchée sur ce même bras qui ne pouvait tout 
à l'heure supporter le moindre contact. 

Le lendemain elle put s'habiller sans secours, ba- 
layer elle-même sa maison et vaquer aux autres soins 
du ménage. La douleur n'est pas revenue, et la plaie 
s'est fermée d'elle-même sans pansement ni remède. 

Quatre jours s'étaient écoulés, et, le 21 octobre, 
madame B***, revenue à la Providence, s'entretenait 
avec une sœur de la Miséricorde de ce qui lui était 
arrivé. Survint inopinément un ouvrier typographe 
qui, forcé par un mal violent d'interrompre son tra- 
vail, s'en allait au hasard promener sa douleur. 

Il s'avance vers la sœur. Sa main était brûlante 
comme un tison ardent. Il avait à la jointure des doigts 
et de la paume de la main un panaris très-dangereux. 
Les remèdes n'avaient fait qu'empirer le mal et ajou- 
ter à ses souffrances. De l'avis du médecin, il fallait 
renoncer à reprendre son travail avant trois ou quatre 
mois. 

La bonne soeur s'apprête à le panser; mais en 



444 CHAPITRE TRENTE-HUITIEME. 

même temps elle lui dit : — « Mon ami, nous avons 
un saint, nous autres; il fait des miracles. Venez donc 
vous faire guérir. » Cependant elle l'entraîne douce- 
ment vers la chapelle mortuaire. Invité à faire une 
neuvaine sur le tombeau du P. Barrelle, il commence 
sans plus de retard, et récite un Pater et un Ave 
Maria. Pendant ce temps son infirmière disait avec 
ferveur: — « Saint Père Barrelle, saint Père Barrelle, 
guérissez son corps et son âme ! » 

Ces deux faveurs furent obtenues. A l'instant même 
le brave homme fut soulagé. Une nuit de sommeil 
bienfaisant succéda à huit jours de cruelle insomnie. 
Le lendemain plus de douleur. Le bon ouvrier con- 
tinua sa neuvaine; le quatrième jour il reprenait son 
travail. Comme il demandait ensuite de quelle façon 
il pouvait témoigner sa reconnaissance, sur le conseil 
de la sœur il mit ordre aux affaires de sa conscience, 
et le lundi 2G octobre il communiait sur le tombeau 
du P. Barrelle, en compagnie de madame B***, occa- 
sion première de cette double merveille. 

Le fait suivant s'est passé dans un couvent d'Ursu- 
lines. Nous citons : 

« Depuis près de huit ans j'avais une aphonie péni- 
ble, bizarre, et qui échappait aux appréciations de la 
médecine aussi bien qu'à ses remèdes. On avait tenté 
divers traitements, mais sans succès ou avec des ré- 
sultats passagers. J'en étais même venue, ces derniè- 
res années, au point de perdre complètement la voix 
durant des périodes de trois, quatre, six et même 
de neuf mois consécutifs. Il me fallait recourir au 



DERNIERS JOURS. kUÔ 

crayon pour toute chose, même pour la confession. 
Enfin j'étais vraiment muette. 

» Pendant l'été de 1863 ma voix éprouva une 
légère amélioration; elle sembla reparaître un peu, 
mais l'automne l'avait ensevelie de nouveau, et je 
voyais s'ouvrir un quatrième hiver de grand silence. 
» Le P. Barrelle venait de mourir. Avec une de 
nos sœurs qui avait eu avec lui des rapports particu- 
liers de direction , nous lui faisons une neuvaine pour 
ma guérison. Elle n'était point finie que je possédais 
une voix magnifique; et ce qu'il y a de plus merveil- 
leux , c'est que ma voix n'a plus disparu. Elle a triom- 
phé des rhumes, des brouillards, de mille circonstances 
où elle échouait inévitablement. Je puis remplir mon 
nouvel emploi sans trop de fatigue; or ce nouvel 
emploi c'est l'enseignement. 

» Mon Révérend Père, je n'ose crier au miracle; 
mais dans mon for intérieur j'appelle ainsi cette gué- 
rison. Toutes mes sœurs la trouvent merveilleuse, m 
Nous pourrions citer d'autres faits. Mais notre in- 
tention est uniquement d'éveiller la confiance aux 
mérites du saint religieux; or les citations qui pré- 
cèdent suffisent à ce but. Quant aux faveurs spirituelles 
dues à sa protection , nous en avons des preuves nom- 
breuses. 

La confiance et la résignation faisant place, dans 
les âmes dont il était le père, aux longues épreuves 
de la désolation intérieure ou du découragement; des 
grâces spirituelles inopinément obtenues au moment 
de son passage à un monde meilleur; au lieu de briser 



UG CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME. 

les cœurs qui l'aimaient, sa mort dissipant leur deuil 
et y répandant, avec une joie soudaine, le sentiment 
le plus vif de son parfait bonheur, voilà certes de légi- 
times présomptions de sa félicité et de son pouvoir. 

Entre les témoignages qui sont sous nos yeux, nous 
en produirons un seul, comme un encouragement 
domestique et fraternel pour le noviciat de Gler- 
mont, dont le saint Jésuite fut le premier père. 

« C'était le 21 novembre 1864-. Le soir devait s'ou- 
vrir la grande retraite d'un mois. Je m'inquiétais et je 
m'alarmais , car je sentais ma poitrine bien faible et 
presque incapable de soutenir le moindre effort. Une 
autre faiblesse plus redoutable s'ajoutait à la pre- 
mière, c'était une certaine défiance, une tristesse dé- 
couragée qui me faisait envisager ce mois de recueil- 
lement absolu comme un siècle interminable. Grâce 
à Dieu, ce sentiment de ma double incapacité n'avait 
point détruit en mon cœur un ardent désir de bien 
faire; je compris que j'avais besoin d'un puissant se- 
cours surnaturel. 

» Le matin, le Père Maître des novices avait recom- 
mandé à tous les retraitants d'aller prier sur le tom- 
beau du P. Barrelle. Gomme si cette parole eût été 
pour moi une voix et une promesse du ciel, et que 
pour obtenir la force du corps et de l'âme je n'avais 
eu qu'à la demander avec ferveur, j'allai plein de 
confiance m'agenouiller et prier sur le tombeau du 
P. Barrelle. Je promis, s'il m'exauçait, de faire la 
communion et de réciter le Rosaire en son honneur 



DERNIERS JOURS. 447 

Je jour de clôture de la retraite, et de ne laisser ensuite 
passer aucun jour de ma vie sans l'invoquer. 

» La retraite commença. A chaque méditation 
j'avais soin de demander le secours de mon protec- 
teur; c'est ainsi que j'ai passe un mois entier dans la 
prière et la méditation sans ressentir aucune fatigue 
de poitrine, sans éprouver nulle tentation d'ennui, 
de tristesse ou de décourajjement ; favorisé enfin 
durant tout ce temps des lumières et des consolations 
divines. Aussi est-ce avec joie et amour que je me 
suis acquitté de ma dette. J'ai rempli mes deux pre- 
mières promesses; je continue et je continuerai tou- 
jours à m'acquitter de la troisième, assuré que ce 
véritable amant du Cœur de Jésus est auprès du divin 
Cœur mon protecteur et mon avocat. » 

Le P. Barrelle savait que la carrière des justes ne 
finit pas avec leur vie terrestre. Nul ne s'est plus heu- 
reusement et plus largement servi, au profit de sa 
propre vertu, du dogme pratique de la communion 
des saints. La confiance et la prière aux habitants du 
Paradis tiennent une large part dans l'histoire de son 
existence spirituelle. Or, en approchant de son éter- 
nité, il pressentait le rôle nouveau qu'il allait remplir 
en faveur des âmes. Il ne les abandonnait pas, il leur 
devenait du haut du ciel un plus utile secours. 

En effet, nous l'avons vu, il savait que ses fautes 
avaient été effacées par le sang de Jésus-Christ, et, 
comme saint Paul, en consommant sa course il se 
confiait à la fidélité du Seigneur pour recevoir de sa 
main la couronne de justice. Lors donc que, peu de 



448 CHAPITRE TRENTE-HUFTIÈME. 

mois avant sa mort, l'amitié s'efforçait un jour de lui 
montrer les perspectives d'une plus longue vie, il 
répondit : — « Détrompez-vous; je m'éteins comme 
un flambeau qui donne sa dernière lueur. — Ali! 
mon Père, le bon Dien ne vous laissera-t-il pas encore 
un peu pour le bien des âmes? — Non, mon enfant, 
il faut partir. Mais je ferai plus de bien aux âmes après 
ma mort que durant ma vie. » 

En terminant la biograpbie du vénéré P. Barrelle, 
cette conviction du saint bomme nous remplit d'une 
pieuse espérance. Ses exemples et sa doctrine, perpé- 
tuant son apostolat, créeront au bon Père de nouveaux 
enfants, et sa paternelle protection, mesurée sur leur 
confiance et sur leurs bons désirs, les suivra jusqu'au 
dernier jour. 

Quant aux âmes qu'il cultiva sur la terre avec un 
dévouement si paternel, non-seulement rien ne pourra 
leur ravir le bien que sa direction a déposé dans leur 
cœur, mais cet héritage spirituel verra ses fruits grandir 
et se perpétuer. L'action de sa charité pour ses enfants 
n'est pas interrompue par la mort de leur vénéré Père ; 
au sein de Dieu, où la charité se perfectionne, il leur 
continuera sa protection et son secours. 



FIN DU TOME SECOND. 



TABLE DES MATIÈRES. 



Chapitre XXI. Retraites ecclésiastiques. — Le P. Barrelle 
prêche la première retraite sacerdotale du diocèse d'Alger. 

— Il évangélise le clergé de Marseille. — Retraites à Vi- 
viers. — Sa manière dans les retraites pastorales. — En 1849, 
retraite ecclésiastique à Paris 1 

Chapitre XXII. Le Père Barrelle a Lyon. — Aperçu général. 

— Le mois de Marie à Saint-Nizier. — 1848 : Dispersion. 

— Carême à la Cliarité. — Le P. Barrelle et les Dames du 
Sacré-Cœur. — Mois de Marie à la Ferrandière : Paraphrase 

du Magnificat 19 

Chapitre XXIII. Le Père Barrelle et l'enfaxce. — Congré- 
gation de la Sainte-Enfance. — Congrégation de la Sainte- 
Adolescence. — Gracieuse correspondance 31 

Chapitre XXIV. Rectorat a Avignon. — Le P. Barrelle rec- 
teur du noviciat d'Avignon. — Ce que c'est qu'un supérieur 
dans la Compagnie. — Le collège Saint-Joseph précurseur 
de la liberté d'enseignement; sa fondation. — Double rec- 
torat. — La crypte de la rue Saint-Marc 53 

Chapitre XXV. Rectorat a Avignon. — Le père dans la fa- 
mille religieuse. — Habitudes contemplatives. — La vertu 
en action. — Supériorité à la rue Sala. — Retour 71 

Chapitre XXVI. Les Retraites spirituelles. — Le P. Bar- 
relle prédicateur des pensionnats et des communautés re- 
ligieuses. — Il puise ses inspirations près des saints taber- 
nacles. — Son prestige surnaturel sur l'enfance. — Sa manière 
et son succès. — Le prédicateur de la vie parfaite, — Méthode 
du P. Barrelle dans les retraites spirituelles. ....... 97 



450 TABLE DES MATIERES. 

Chapitre XXVII. Les Retraites spirituelles. — Mission 
spéciale pour la congrégation du Sacré-Cœur. — Admirable 
esprit d'obéissance. — Tendresses paternelles. — Les in- 
fluences du Saint-Espiit. — Vertus du prédicateur. — Effi- 
cacité de sa parole 119 

Chapitre XXVIII. Le Directeur des âmes. — Ce que c'est 
que la diiection. — Un idéal : Amour de Dieu jusqu'à l'ab- 
jection de soi. — Dieu veut bâtir sur des ruines. — Se laisser 
faire et se laisser défaire. — Que l'Esprit-Saint va petite- 
ment avec les petites âmes. — Comment l'âme qui sait 
mourir reçoit la divine empreinte de Jésus-Cbrist. — Rien 
ne peut retarder l'âme de bonne volonté. — Exploiter les 
infidélités passées au profit des vertus. — La crainte corrigée 
par la confiance. — La tentation nous jette au sein de Dieu. 
— Les jouissances de la maladie 143 

Chapitre XXIX. Le Directeur des ames. — De la manière 
du P. Barrelle dans le gouvernement des consciences. — 
Autorité et tendresse. — La paternité de la vertu. — Com- 
ment le P. Barrelle exigeait la docilité. — Que son cœur 
était prompt à la compassion, inaccessible à la lassitude. — 
L'homme du monde supérieur. — Comment ses lèvres ne 
s'ouviaient qu'à l'amour de Dieu. — Un écbo du saint tri- 
bunal. — Le P. Barrelle ravi en Dieu 177 

Chapitre XXX. Le Directeur des ames. — Le discernement 
des esprits. — Le P. Barrelle lit dans les replis de la con- 
science. — Il répond à des lettres qu'il n'a pas reçues. — 
Il apparaît en songe et résout les doutes. — Dieu lui amène 
les âmes. — Le P. Barrelle s'attache de préférence aux voies 
ordinaires et communes. — Il veut de la règle dans la fer- 
veur et de la mesure dans la vertu. — Admirables conseils 
pour la conduite des âmes. — Inaltérable bonté. — Le P. Bar- 
relle se crée par la correspondance un second apostolat. . 199 

Chapitre XXXI. Les Vocations. — Ce que c'est que la voca- 
tion. — Rôle du directeur dans la vocation. — Que le P. Bar- 
relle portait avec soi des persuasions divines. — Son respect 
pour les desseins de Dieu. — Les péripéties de la vocation 



TABLE DES MATIÈRES. 451 

religieuse déroulées dans une correspondance : c'est l'àme 
qui dit à la grâce la parole décisive. — Quels sont les juges 
légitimes de la vocation. — Différence entre les incertitudes 
du cœur et celles de la vocation. — Que la vocation doit 
subir la loi de l'épreuve. — Les tentations ne prouvent rien 
contre Tappel divin. — La vocation et les sophismes de la 

sagesse humaine 221 

Chapitre XXXIL Der>'ier séjour a Avig^os. — Nouveau rec- 
torat au collège Saint-Joseph. — Le dévot oratoire du Sacré- 
Cœur de Jésus. — Pieuses pratiques. — Progrès du saint 



amour. — Compassion pour les indigents. — Nihil 



siun 



Les frères minimes et les frères maximes. — Vivre et souffrir 
en pauvre. — Persécution du démon. — Le P. Barrelle et 
les âmes du purgatoire. — Esprit prophétique. — Dernier 
séjour à Lyon 253 

Chapitre XXXIIL Rectorat a Clermont. — Le P. Barrelle 
fonde le noviciat de Clermont. — Installation. — Derniers 
ministères: Retraite aux Ursulines et à Bellecroix. — Divin 
voisinage. — Langueurs de l'exil 292 

Chapitre XXXIV. Co>fidences spirituelles. — Exil loin de 
Jésus. — Dieu inconnu. — Amour pour la Croix. — Détresses 
intérieures et repos dans l'amour. — Compte rendu de deux 
retraites 321 

Chapitre XXXV. Confidences spirituelles. — Ce qu'il faut 
entendre par V action des divins attributs sur les âmes. — 
Le P. Barrelle obtient du Sauveur de participer aux états 
crucifiants de sa vie mortelle. — Il consacre à Dieu son libre 
arbitre. — Gracieuse humilité. — Ardeur guerrière. — Compte 
rendu de la retraite de février 18C0. — Retraite de décem- 
bre 1860 341 

Chapitre XXXVI. Confidences spirituelles. — L'exil ter- 
restre. — Alternatives de mystérieuses agonies et de saintes 
délices. — Parfait abandon. — La foi pure. — Confiance dans 
les divines miséricordes 367 

Chapitre XXXVIL Dernière maladie. — Les désirs de la 
consommation. — Dévotion au Verbe eucharistique. — Com- 



452 TABLE DES MATIERES. 

ment la patience achève les saints. — La maladie du P. Bar- 
relle et ses symptômes surnaturels. — Première impuissance 
à dire la sainte messe. — Le P. Barrelle remonte au saint 
autel. — Dernière messe du P. Barrelle. — Visites célestes. 391 
Chapitre XXXVIII. Dermers jours. — Patience et ferveur. 
— Le P. Barrelle est déchai'gé de la supériorité. — Bulletins 
de résignation et de foi. — Le vis-à-vis avec le tabernacle et 
avec le crucifix. — Jubilation extraordinaire au moment de 
l'extrême-onction. — Dernières paroles. — Le P. Barrelle 
s'endort du sommeil de l'amour divin en recevant l'Eucba- 
ristie. — Ses obsèques. — Son cœur conservé daiis l'église 
du noviciat. — Faits merveilleux. — Douce espérance. . . 413 



FIN DE L\ TABLE DU TOME SECOND. 




Mary D. Reiss Library 

Loyola Seminary 

Shrub Oak, New York 



EX1798.B3C5 1870 v.2 
Chazournes, Léon de, S.J. 



Vie du révérend père Joseph 
Barrelle 










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